lun 29 décembre 2025 - 15:12

GADLU, cosmos, conscience : Teilhard de Chardin, l’initié du monde

Et si l’évolution n’était pas une querelle, mais une respiration du réel ? Jean Bartholo fait dialoguer Pierre Teilhard de Chardin (1881 – 1955) et la voie maçonnique, là où la conscience s’élargit, où l’union travaille, et où l’amour devient méthode.

Ce livre n’argumente pas pour clore un débat, il ouvre un chemin. Jean Bartholo invite à entendre l’évolution non comme une querelle, mais comme la respiration même du réel – et cette respiration oblige l’initié à reprendre souffle. On ne sort pas indemne d’une telle lecture. Elle réveille en nous la part d’explorateur qui consent à quitter le confort des certitudes pour reconnaître que la connaissance avance quand la conscience s’élargit. Pierre Teilhard de Chardin devient alors un frère de quête. Non parce qu’on plaquerait sur sa pensée un vocabulaire maçonnique, mais parce qu’une même dynamique anime les deux voies : une montée, un dépassement, une espérance ancrée dans l’histoire, capable de dire oui au monde sans renoncer au mystère.

Jean Bartholo met en regard l’audace de Pierre Teilhard de Chardin et la discipline intérieure du Franc-Maçon. Deux figures d’une même aventure de l’esprit où l’intelligence s’unit à l’amour du réel. L’évolution ne réduit pas l’homme à la biologie. Elle dévoile une dramaturgie cosmique dont nous participons. Il ne s’agit pas d’ajuster la Maçonnerie à un dispositif scientifique, il s’agit de laisser la Maçonnerie entendre ce que révèle la science quand elle est portée par une conscience qui cherche le sens. L’initié apprend à nommer le Grand Architecte de l’Univers (GADLU) sans prétendre l’enfermer.

Teilhard en 1955

Pierre Teilhard de Chardin lui apprend que la relation est un nom possible du divin lorsqu’elle embrasse l’ensemble du créé et qu’elle travaille l’histoire comme une levure. L’un et l’autre exigent de nous un art de l’union. Non la fusion qui dissout, mais l’unité qui recueille. Ainsi se tisse une spiritualité de l’incarnation. Nous ne sommes pas sauvés de la matière. Nous sommes appelés à y faire passer l’esprit.

La méditation de Jean Bartholo s’organise autour d’une tension qui devient féconde. D’un côté, l’épreuve maçonnique nous déshabitue de l’orgueil conceptuel. Nous apprenons à passer la porte, à consentir au bandeau, à éprouver nos pas. Nous tournons autour d’un centre qui ne se possède pas. De l’autre, la vision teilhardienne nous élève jusqu’à percevoir la matière en travail d’esprit, la conscience en travail d’universel, l’univers en travail de personne. Entre l’atelier de nos outils et la genèse du monde, une même invitation. Travailler. Épurer. Rassembler.

Ihs-logo

L’évolution entendue comme montée de l’intérieur des êtres s’accorde avec la lente éducation maçonnique. La pierre brute n’est pas un mépris de ce que nous sommes. Elle est la promesse d’une forme qui se laisse dégager. À ce titre la fraternité n’est pas un supplément moral. Elle devient force cosmique, ouverture à l’autre pour que l’autre advienne, part active de cette union créatrice dont Pierre Teilhard de Chardin a pressenti la nécessité.

Jean Bartholo touche juste lorsqu’il dit que la Maçonnerie met l’homme au centre de l’union. Centre n’est pas trône. Centre est lieu d’équilibre, point de convergence des libertés, espace où la personne s’éprouve comme relation. Nous venons au Temple pour apprendre une citoyenneté de l’univers, non une appartenance de plus, mais une disponibilité à ce qui dépasse. Nous apprenons à reconnaître la valeur comme universelle, non parce qu’elle s’impose, mais parce qu’elle élève.

Dans cette perspective, le GADLU n’est pas une idole d’Atelier. Il est ce nom qui rend possible la responsabilité. Il est l’appel à répondre devant la totalité du vivant. Pierre Teilhard de Chardin le situe du côté de la convergence. Jean Bartholo le reçoit du côté de l’Alliance. Nous ne sommes pas condamnés à choisir. Nous pouvons tenir ensemble l’exigence d’une pensée rigoureuse et l’exigence d’une vie donnée. C’est la signature d’une spiritualité d’incarnation.

Convergence et divergence selon Theillard

Le livre affronte la question du mal sans rhétorique. Le mal n’est pas un objet qu’un traité expliquerait. Il est l’ombre qui accompagne la montée, l’obstacle qui réveille la liberté, l’épreuve qui nous oblige à préférer l’amour à l’emprise. Nous retrouvons le drame d’Hiram dans cette lecture de l’histoire. Non comme récit clos, mais comme parabole d’une humanité chargée de sauver ce qu’elle reçoit. La mort symbolique n’enseigne pas la désespérance. Elle apprend le passage. Elle reconduit vers la lumière pour que la lumière ne soit pas un privilège, mais une tâche. Le courage maçonnique n’est pas l’énergie d’un instant. Il est fidélité au travail qui nous humanise. Jean Bartholo inscrit ce courage dans la dynamique teilhardienne où toute créature accède à davantage de soi en se livrant à davantage d’unité.

Le lecteur averti reconnaîtra des motifs chers à la tradition hermétique. La Terre, le Feu, l’Eau, l’Air reçoivent une rumeur nouvelle quand Pierre Teilhard de Chardin parle de la matière qui se spiritualise. Ces éléments ne sont plus des blocs. Ils deviennent étapes d’un transitus. Transitus signifiant l’action de franchir un passage, d’aller plus loin

Nous pensons à l’alchimie quand l’auteur évoque l’épreuve, la décantation, la séparation qui prépare l’union. Rien de décoratif ici. Le laboratoire n’est pas un musée des symboles. Il est notre propre cœur. Le four philosophique travaille quand la fraternité chauffe la conscience et délie la peur. À mesure que la matière s’illumine en nous, nous cessons de détester le monde. Nous apprenons à l’aimer en vérité, c’est-à-dire à le servir.

Plaque commémorative au 15, rue Monsieur à Paris

Jean Bartholo parle magnifiquement de la personne humaine comme perfection inaccomplie. Cette formule nous poursuit. Elle refuse le cynisme qui consent à moins que l’humain. Elle refuse l’orgueil qui prétend avoir déjà tout atteint. Perfection inaccomplie signifie chemin. Nous retrouvons Abraham quittant ses terres. Nous retrouvons l’apprenti qui consent à apprendre. Nous retrouvons la fraternité comme pédagogie, parce que nul ne se met au monde tout seul. L’éthique qui en découle n’a rien d’abstrait. Elle regarde la cité. Le Franc-Maçon devient citoyen de l’avenir lorsqu’il reçoit la vocation d’ouvrir des passages. Non pour imposer une doctrine. Pour rendre possible l’espérance. Le Temple n’existe pas contre la ville. Il en est la respiration profonde. Cette intuition traverse le livre et lui donne sa force.

Pierre Teilhard de Chardin demeure présent tout au long de l’essai, non en statue tutélaire, mais en compagnon d’étape. Jean Bartholo accueille sa pensée avec gratitude et discernement.

Certains lecteurs viendront avec des réserves héritées des vieilles querelles entre science et foi. Le livre dénoue patiemment ces oppositions stériles. Ce qui s’oppose ici se cherche. Ce qui se cherche finit par s’unir dans une vérité plus vaste. L’initiation maçonnique devient alors ce laboratoire discret où la conscience apprend à respirer à la mesure de l’univers. L’ultime mot appartient à l’amour. Non l’affect qui passe. L’amour comme décision. L’amour comme vocation de l’esprit. L’amour qui oriente l’évolution vers la personne et la personne vers l’universel. Nous fermons l’ouvrage avec cette évidence intérieure. Il n’y a pas de progrès sans don. Il n’y a pas d’avenir sans union.

4e de couverture

Nous saluons la parole de Jean Bartholo parce qu’elle épouse la sobriété claire d’une langue qui ne cherche pas l’effet. Elle s’adresse à la raison sans humilier le cœur. Elle restitue à la Maçonnerie sa portée spirituelle sans l’arracher à la terre. Elle fait de Pierre Teilhard de Chardin un allié exigeant qui stimule notre travail plutôt qu’il ne le remplace. Elle appelle notre obédience intérieure à grandir, pour que l’outil serve la liberté et que la liberté serve l’unité. Une telle lecture ne se referme pas. Elle commence en nous. Elle demande des actes. Elle nous conduit vers la porte d’un monde plus fraternel où la dignité de chaque être devient l’affaire de tous. Nous reconnaissons là l’axe même du Rite. Nous reconnaissons aussi la secrète joie des aventuriers de l’esprit que Jean Bartholo convie.

Jean Bartholo, courte biographie et repères bibliographiques

Essayiste de la voie initiatique, familier du Rite Écossais Ancien et Accepté, Jean Bartholo fréquente de longue date les Éditions Télètes où il a semé une ample moisson de travaux. Il a exploré les sources de l’hermétisme et mis en lumière les résonances symboliques entre Hiram et Salomon. Il a proposé des méditations sur les grades de perfection du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), travaillé les enjeux d’une Maçonnerie au défi du vingt-et-unième siècle, poursuivi une réflexion sur l’initiation et la progression spirituelle.

En collaboration avec Claude Gilbert, il a approfondi la relation entre Franc-Maçonnerie et Révélation Spirituelle. Cette constance témoigne d’un auteur qui avance à pas égaux dans l’étude des textes et la pratique du chantier intérieur. Son œuvre entière plaide pour une Maçonnerie attentive à la tradition et audacieuse dans le présent. Avec Les Francs-Maçons et la pensée de Teilhard de Chardin, il ajoute une pierre vive à cet édifice en associant deux génies de la quête qui nous invitent à vivre l’esprit dans la chair du monde.

Nous refermons ce livre en levant les yeux vers la voûte étoilée. La lumière n’est pas ailleurs. Elle traverse la matière et elle nous traverse. Il nous appartient d’y consentir. Il nous appartient d’en faire fraternité. Ainsi se reconnaît l’initié. Ainsi se vérifie la promesse d’une spiritualité d’incarnation que Jean Bartholo a su offrir avec une clarté ardente et une douceur ferme. Puissions-nous demeurer de ces voyageurs qui n’ont pas peur de l’Univers et qui, par leur amour, lui donnent un visage.

Les Francs-Maçons et la pensée de Teilhard de Chardin – Des aventuriers de l’esprit ?

Jean BartholoÉditions Télètes, 2025, 96 pages, 16 € / Pour commander, c’est ICI

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Aratz Irigoyen
Aratz Irigoyen
Né en 1962, Aratz Irigoyen, pseudonyme de Julen Ereño, a traversé les décennies un livre à la main et le souci des autres en bandoulière. Cadre administratif pendant plus de trente ans, il a appris à organiser les hommes et les dossiers avec la même exigence de clarté et de justice. Initié au Rite Écossais Ancien et Accepté à l’Orient de Paris, ancien Vénérable Maître, il conçoit la Loge comme un atelier de conscience où l’on polit sa pierre en apprenant à écouter. Officier instructeur, il accompagne les plus jeunes avec patience, préférant les questions qui éveillent aux réponses qui enferment. Lecteur insatiable, il passe de la littérature aux essais philosophiques et maçonniques, puisant dans chaque ouvrage de quoi nourrir ses planches et ses engagements. Silhouette discrète mais présence sûre, il donne au mot fraternité une consistance réelle.

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