Il existe, dans l’année maçonnique, des dates qui ne sont pas des repères mondains mais des seuils. La Saint-Jean d’hiver appartient à cette famille. Elle ne se contente pas de commémorer saint Jean l’Évangéliste le 27 décembre.
Elle invite à éprouver, au cœur même de la saison sombre, une vérité initiatique très ancienne : la lumière ne triomphe jamais par bruit, elle recommence par infime déplacement. À l’heure où le soleil, “au plus bas”, amorce sa remontée sur l’écliptique, la tradition place une figure de parole et d’amour au bord de la nuit, comme une lampe tenue à hauteur de visage.

Deux Jean pour tenir l’axe du temps
La franc-maçonnerie a gardé, dans son calendrier symbolique, deux fêtes dites “de Saint-Jean”. Jean le Baptiste, le 24 juin, près du solstice d’été, et Jean l’Évangéliste, le 27 décembre, près du solstice d’hiver. Cette bipolarité n’a rien d’un simple héritage chrétien plaqué sur des usages. Elle construit une charpente intérieure. Deux bornes pour dire l’arc entier de la course solaire, et, par analogie, l’arc entier de l’œuvre sur soi. ([Wikipédia][2])
Dans l’histoire même de la maçonnerie spéculative, ces dates furent des repères institutionnels. Le 24 juin 1717 est traditionnellement associé à la fondation de la première Grande Loge à Londres, tandis que l’union des “Moderns” et des “Antients” donnant naissance à la Grande Loge Unie d’Angleterre eut lieu le 27 décembre 1813, jour de saint Jean l’Évangéliste. En vérité, je vous le dit, il convient de souligner le terme « célébrée ». L’Union avait en réalité été « consumée », pour ainsi dire, le 25 novembre et « ratifiée » et confirmée le 1er décembre 1813. Le symbolique et l’administratif, ici, se nouent comme souvent en maçonnerie : la forme historique se met au service d’une idée de continuité.

Jean l’Évangéliste, patronage et archétype
Dire “saint patron” n’oblige pas à confondre le symbole et la croyance. Beaucoup de loges, surtout dans l’aire anglo-saxonne, parlent de “St John’s Masonry”, et les sources rappellent qu’au XVIIIᵉ siècle le nom même de “St John’s Mason” circulait comme une désignation fraternelle. Ce n’est pas qu’il faille “être de Jean” au sens confessionnel. C’est que la figure de Jean l’Évangéliste condense une tonalité spirituelle qui épouse la démarche initiatique : une intelligence de la lumière, une mystique du Verbe, une éthique de l’amour fraternel.
Dans la tradition chrétienne, Jean l’Évangéliste est souvent figuré par l’aigle, l’oiseau qui prend de la hauteur, qui regarde le soleil sans ciller, qui “voit” autrement. Ce symbole est précieux en loge, parce qu’il parle la langue des degrés : s’élever, non pour dominer, mais pour discerner. S’extraire du brouillard des réactions, non pour fuir le monde, mais pour le comprendre avec plus de justesse.

Le solstice intérieur, ou la remontée qui commence dans le noir
La Saint-Jean d’hiver est proche du solstice d’hiver. Les jours sont courts. Les corps fatiguent. Les esprits se crispent. Et pourtant, c’est là que la tradition place une fête. Non comme un démenti naïf au réel, mais comme une pédagogie. Le soleil remonte quand personne ne l’applaudit. La lumière gagne quand elle ne fait pas de bruit. L’initiation, elle aussi, progresse souvent sans tapage : une pensée devient plus claire, une parole devient moins blessante, une limite devient une force.
Certaines juridictions maçonniques ont même gardé l’idée d’une proximité plus directe avec le solstice, comme si la fête rappelait, au plus près, le passage de “l’obscur” au “croissant”. Qu’elle soit célébrée le 21 ou le 27, le message demeure : à partir du point le plus bas, tout mouvement vers le haut est déjà victoire.

Banquet, agapes, installation, et la fraternité mise en acte
Concrètement, la Saint-Jean d’hiver se vit souvent hors du Temple, autour d’une table. Banquet, agapes, tenue de fête, installation d’officiers selon les usages locaux. Ce n’est pas un folklore secondaire. Dans la grammaire maçonnique, la table prolonge l’autel. Elle traduit, dans le quotidien, l’idée que la fraternité n’est pas un mot de rituel mais une pratique. Plusieurs traditions rappellent d’ailleurs que cette période marque symboliquement un passage, parfois même le début de l’année maçonnique, avec entrée en fonction des officiers nouvellement élus.
C’est ici que la Saint-Jean d’hiver prend une couleur très particulière. Elle ne célèbre pas seulement une figure lumineuse. Elle oblige à vérifier la qualité du lien. Qui ai-je laissé dans le froid cette année ? Qui ai-je jugé trop vite ? À qui ai-je refusé un geste simple ? La fête devient examen, non culpabilisant, mais exigeant.

Une lecture initiatique de Jean l’Évangéliste
Jean l’Évangéliste commence par une phrase vertigineuse, « Au commencement était le Verbe… » Même si tu n’adhères pas à une théologie, tu peux entendre la portée symbolique. Le Verbe, c’est la parole qui crée, qui ordonne, qui relie. Pour un franc-maçon, la parole n’est jamais un simple bruit. Elle est une pierre. Elle peut construire un Temple ou le ruiner. La Saint-Jean d’hiver, placée dans le temps des nuits longues, vient rappeler que la parole juste est une forme de lumière. Et que le silence fécond en est une autre.
Dans cette perspective, Jean l’Évangéliste n’est pas seulement “le disciple bien-aimé”. Il devient l’icône d’une fraternité qui ne se contente pas d’être proclamée. Il incarne une proximité, une fidélité, une attention. Là où la saison pousse à se replier, il enseigne la présence.
Ainsi la Saint-Jean d’hiver, chez les francs-maçons, n’est pas une survivance décorative. Elle est une méthode. Elle dit que l’année a besoin de deux portes, l’une en plein soleil, l’autre dans la nuit.
Et qu’entre ces deux portes, l’initiation n’a qu’un seul travail : apprendre à faire remonter la lumière, d’abord en soi, ensuite entre nous.
