Accueilli maillets battants, investi en grande pompe, doté de l’autorité spirituelle et du pouvoir temporel, symbolisés par l’épée flamboyante et le maillet, le nouveau Vénérable Maître pourrait se laisser griser par la fierté. Certes, il sera respecté dans sa fonction tout au long de son mandat, et il bénéficiera de divers honneurs; mais il doit bien comprendre dès le premier instant qu’être Vénérable Maître est avant tout une charge.
Une charge qui est une fonction essentielle
La mission du Vénérable Maître va bien au-delà de la lecture, deux fois par mois, de quelques pages de rituel. Il est le chef d’un orchestre de solistes dont il doit assurer l’harmonie. C’est à lui que revient le rythme, le tempo des Tenues, autant que du choix du sujet des planches qui constituent en général l’essentiel du programme. Il lui revient de faire preuve à la fois d’autorité et de bienveillance.

Avec les officiers spécifiquement en charge, c’est au Vénérable Maître qu’il revient de s’assurer de la parfaite préparation des diverses cérémonies, afin qu’elles se déroulent dans l’esprit et dans la forme qui permettent d’en apprécier le sens et la portée.
C’est encore à lui ultimement qu’il revient de veiller sur la progression initiatique de chacun des Frères de la Loge, de veiller à la satisfaction et de s’assurer du bien-être de chaque Frère, de veiller à la relation de sa Loge avec l’obédience à laquelle elle a librement choisi d’appartenir et de penser, dès le premier jour de son mandat, à assurer la pérennité de la Loge, ainsi que sa continuité.
Toutes ces missions prennent du temps et mobilisent l’énergie et les compétences du Vénérable Maître. Fort heureusement, le Collège des Officiers est là pour l’aider dans la plupart de ces missions, sur lesquelles nous allons revenir.

On ne devient pas Vénérable Maître par hasard; par leur vote, les Frères Maîtres de la Loge ont reconnu qu’on avait l’expérience, ainsi que les qualités intellectuelles et morales, qui sont indispensables pour présider un Atelier. Mais il ne saurait être question d’en tirer vanité. Il faudra toujours veiller à ne pas abuser de l’autorité ainsi conférée, et s’efforcer d’en user toujours avec sagesse, en se souvenant que l’humilité est une des vertus premières d’un Franc-Maçon.
Le détail des droits et devoirs de l’office de Vénérable Maitre sont précisés dans les Règlements Généraux de notre obédience, et il importe de bien les avoir lus, afin de les exercer en totalité, mais aussi dans leurs strictes limites.

Le rituel d’installation du Collège des officiers montre bien qu’une Loge n’est pas dirigée par un homme, si talentueux et charismatique soit-il, mais par une équipe : « Trois la dirigent, cinq l’éclairent, et sept la rendent juste et parfaite ».
Chacun des officiers a un rôle essentiel, qu’il faut bien définir avec les Frères pressentis, avant de leur marquer à la fois confiance et intérêt dans l’accomplissement de leur mission.
Mais délégation ne signifie pas absence de contrôle et de coordination. Une réunion d’Officiers d’un quart d’heure avant une Tenue suffit le plus souvent à s’assurer que tout est « juste et parfait » et a le mérite de créer et de renforcer la cohésion au sein de l’équipe dirigeante de la Loge.
Une des tâches qui feront la qualité d’une année maçonnique est l’établissement du programme de l’année.

Nos Tenues, au REAA, sont articulées selon un ternaire qui associe la pratique du rituel, la vie de l’Atelier et le sujet du jour, organisé autour d’une planche et des interventions que celle-ci suscite.
Le programme annuel des planches présentées par les Maîtres de l’Atelier est évidemment déterminant dans la satisfaction générale des Frères.
Autant que faire se peut, il doit être élaboré avant les vacances qui marquent la fin de l’année maçonnique, pour permettre aux Frères qui plancheront à la rentrée de préparer leur morceau d’architecture avec un préavis suffisant.
Après avoir positionné les tenues d’installation, d’initiation et d’augmentation de salaires, ainsi que les tenues au 2ème et au 3ème degré, il reste 12 à 14 Tenues au Premier Degré. Il est judicieux de proposer un thème général pour l’année, même si celui-ci doit être suffisamment ouvert pour permettre une ou deux fructueuses digressions.

Le rituel et l’instruction de chacun des degrés donnent largement la matière à inspirer le thème et les sujets de ces planches demandées à des Frères, comme les réflexions sur les références culturelles, philosophiques ou historiques auxquelles renvoie notre Rite. N’oubliez pas que dans une obédience tournée vers l’initiatique et la spiritualité, le travail en Loge n’a pas pour vocation principale de réfléchir sur des sujets profanes.
Mais il ne faut pas hésiter à consacrer deux ou trois tenues par an sur des thématiques liées à des questionnements de l’ordre du sociétal, que l’on abordera non pas en profane, mais sous l’angle de l’éthique, ou de la mise en application des valeurs humanistes que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la dignité humaine et le respect dû à chacun. Consacrer une tenue à la présentation d’un regard porté sur ces questions par une voie de spiritualité ou une philosophie mal connue des Frères sera également bienvenu.
La tradition et nos règles interdisent les débats suivis de vote sur les sujets politiques ou religieux, mais en effet il n’est pas interdit, au contraire, de s’informer sur le contenu et les enseignements des diverses philosophies, des diverses formes de spiritualité et croyances religieuses passées ou actuelles, comme sur les pratiques auxquelles elles donnent lieu, afin de mieux en dégager le sens et d’y puiser matière à enrichir notre propre réflexion.
Le cadre est défini, le programme est établi et connu de tous. L’intendance est en ordre.

Venons en maintenant à la fonction spirituelle, initiatique et symbolique du Vénérable Maître, dont il faut se souvenir qu’il est le seul qui ait le pouvoir de conférer l’initiation au nom de la Loge et de l’Ordre maçonnique. Il convient de réfléchir sur les éléments matériels qui sont attachés à sa fonction. Le VM siège à l’Orient, d’où émane la lumière lorsque le soleil se lève chaque matin. Il représente ainsi le renouveau, la renaissance. Et il n’est pas nécessaire de rappeler ici ce que représente la Lumière pour le Franc-maçon, ni comment elle éclaire différemment l’Occident, le Midi et le Septentrion.
La Chaire sur laquelle est assis le Vénérable Maître est placée sous le Delta rayonnant portant en son milieu l’œil symbolique, qui figure au REAA le principe créateur que les Maçons reconnaissent comme le Grand Architecte de l’Univers. Sur le Plateau du VM se trouve une Etoile, qui figure la Lumière éternelle, une parcelle du feu sacré originel. Comme telle, cette flamme qui doit toujours demeurer allumée ; elle représente elle aussi l’énergie primordiale, celle que le Grand Architecte de l’Univers a mobilisée et qui anime notre monde.

L’instruction au Premier Degré précise que le Soleil, placé côté Midi, représente l’Intelligence, tandis que la Lune, côté Septentrion, figure l’Imagination et que le VM, qui forme avec ces deux figures un triangle, « symbolise le Principe qui illumine la conscience ».
Le bijou du Vénérable Maître est une Equerre, dont les branches, contrairement à celles de l’Equerre placée avec le Compas et le VLS sur l’Autel, sont inégales. La tradition voit dans le rapport des longueurs des branches de cette Equerre du VM, dans les proportions 3,4 et 5, la construction de la racine de 5. Elle renvoie ainsi à l’Etoile flamboyante, symbole de l’harmonie universelle.
Cette Equerre, symbole de rigoureuse équité ainsi que de constante conciliation entre les oppositions nécessaires et fécondes », évoque la conciliation des contraires et la capacité donnée au Vénérable Maître de rectifier et de redresser, dans le sens de l’équilibre qu’exprime la loi qui organise l’univers dans son ensemble et chaque détail en particulier.
C’est aussi ce que signifie le fait que lors de l’ouverture des travaux au REAA, le Vénérable Maître soit associé à l’allumage du pilier Sagesse.
Le Vénérable Maître est donc investi d’une autorité spirituelle.
Mais attention, dire « autorité spirituelle » ne doit pas laisser penser qu’il a le pouvoir d’imposer sa propre vision, ou celle d’une vérité dont il serait à la fois le détenteur et le messager. Il ne faut pas en effet confondre autorité et pouvoir.
L’autorité du VM procède de la légitimité que lui reconnaissent les Frères Maîtres qui l’ont élu. Ils ont apprécié ses attitudes, son comportement, ses compétences, l’usage qu’il fait de ses connaissances. Ils ont évalué son charisme.
Cette autorité, qui est liée aux savoirs, au savoir-faire et au savoir être, correspond donc à une valeur reconnue.

Le pouvoir, symbolisé par le maillet remis au nouveau Vénérable après l’Epée flamboyante, est celui de commander et d’être obéi. Il est le complément de l’autorité dans la conduite effective du collectif qu’est une Loge maçonnique.
Ici, le pouvoir attribué au Vénérable n’est que la conséquence de son autorité morale et spirituelle préalablement reconnue. Toute autre compréhension renverrait nos Loges dans le monde profane.
Au reste, le pouvoir d’un Vénérable Maître est bien plus constitué de devoirs que de privilèges.
Parmi les devoirs essentiels du VM, il faut souligner celui d’être équitable et conciliateur.
Il incarne symboliquement la Sagesse, comme le Soleil et la Lune placés derrière lui et avec lesquels il forme un triangle représentent la Force et la Beauté.
La pertinence de cette interprétation est manifeste à la lecture de l’Instruction du Premier Degré :
Question: « Qu’avez-vous vu en recevant la lumière ?»
Réponse: « Le soleil et la lune et le Maître de la Loge. ».

A ce titre, le Vénérable Maître doit à la fois faire preuve d’équité et rechercher la conciliation. Au-delà de ses convictions ou de ses sentiments personnels, c’est-à-dire des relations plus ou moins amicales qu’il a avec chacun des membres de la Loge, le Vénérable Maître doit être le digne successeur du Roi Salomon, dans la Chaire duquel il est symboliquement assis.
Le Vénérable est le point focal de la Loge, il représente le centre du cercle, le centre de l’union, ce point d’équilibre où se rassemble ce qui est épars, où se rejoignent les opinions et les individualités, où l’unité se révèle, au-delà de l’apparente diversité. Tout au long de son mandat, le Vénérable Maître devra s’efforcer d’être digne de ce que représente le bijou symbole de sa fonction, et de s’en inspirer dans sa conduite.
Un autre devoir essentiel du VM est d’assurer la pérennité de la Loge

Pour faire face à l’érosion naturelle de ses effectifs du fait de l’âge ou des déménagements, une Loge doit recruter chaque année entre deux et trois Frères au moins. C’est un enjeu de survie. Une Loge qui ne recrute pas est une Loge qui va mourir. Il faut donc mobiliser les Frères sur cet objectif, et susciter de possibles parrains parmi les Frères de l’Atelier.
Dans tous les cas, dès lors qu’il est informé d’une possible candidature, le VM doit rencontrer le possible candidat et avoir avec lui une discussion ouverte. Lors de cette rencontre, le Vénérable Maître s’efforcera de cerner le profil du candidat, ainsi que ses attentes. Ce sera aussi l’occasion de l’informer sur ce que représente l’engagement auquel il postule, mais aussi ce qui caractérise l’obédience à laquelle appartient la Loge. L’information devra être claire et complète, y compris sur les obligations financières qui s’imposeront au candidat s’il est admis.
Il est important de ne pas laisser un profane s’engager sur une mauvaise piste, même si la Loge cherche particulièrement à recruter. Ce ne pourrait qu’engendrer à terme une double déception, celle du Frère mal orienté et celle de la Loge qui devra se résoudre à le voir partir.
Cette première prise de contact sera par ailleurs essentielle pour choisir les enquêteurs qui seront délégués par le VM après que la première attache aura été votée par l’Atelier. On ne choisit pas les enquêteurs au hasard, mais en tenant compte de tout ce que l’on peut connaître du candidat. L’objectif est d’admettre un nouveau Frère sans que ni lui ni la Loge n’aient à le regretter après quelques mois.
Il s’agit d’orienter à partir des enquêtes le questionnement lors du passage sous le bandeau, qui est naturellement une phase clé du processus si la Loge décide la convocation du candidat.

Ce moment privilégié qui marque le premier contact entre un possible futur Frère et les membres actifs de la loge doit être mené avec soin. Il ne s’agit pas d’un interrogatoire, mais de répondre à une interrogation : qui est ce profane qui frappe à la porte du Temple ? Que pourra-t-il y apporter ? Et que pourra-t-il y trouver qui corresponde à ce qu’il cherche ?
Il appartient au VM de ne pas encourager les questionnements pervers ou piégeux, visant à mettre mal à l’aise le candidat, ou à éprouver sa capacité à discourir « à froid » sur tel philosophe, fût-il des Lumières, ni d’être un initié avant d’avoir été initié !
L’étape du bandeau est donc importante, mais rien n’est plus important que la cérémonie d’initiation.
La cérémonie doit donc être réglée parfaitement. Il est recommandé de la répéter intégralement avec l’ensemble des officiers qui auront à y intervenir directement.

Plus encore que lors de l’ouverture ou la fermeture des travaux, la diction du Vénérable Maître doit être parfaitement intelligible de tous les participants, lente et forte. Certes il ne s’agit pas de « faire l’acteur ». Néanmoins, le rituel doit être « acté » au sens que nos cousins québécois donnent à ce mot, c’est-à-dire interprété avec émotion.
La communication non verbale, c’est-à-dire les silences, les gestes, les postures, les expressions faciales, et bien sûr le ton de la voix, le rythme de l’élocution, … Tous ces éléments non verbaux complètent le message auditif, expriment les émotions, soulignent les valeurs portées par le texte. Ainsi, ils vont renforcer et crédibiliser le texte et aider le néophyte à vivre pleinement la première étape d’un processus initiatique qu’il ne peut vivre qu’une seule fois.
Même si le nouvel initié ne mémorisera pas l’intégralité des paroles qui seront prononcées, il doit les entendre et les comprendre toutes. Il doit être, même s’il semble subir les diverses séquences du rituel sans en saisir le sens, un acteur de sa propre initiation, et non un simple pantin, car c’est en homme libre et conscient qu’il doit effectuer les ultimes phases de sa démarche et s’engager.
Le moment essentiel de la cérémonie d’initiation, ou plutôt son point d’orgue, est indiscutablement ce que l’on peut appeler l’adoubement du nouvel Apprenti Franc-Maçon. Le terme « adoubement » renvoie bien sûr aux usages et aux traditions de la Chevalerie. C’est ce dont s’inspire directement le cérémonial de nos initiations.
Les paroles prononcées par le Vénérable Maître, l’épée en main gauche et le maillet en main droite, devraient dans tous les cas être connues par cœur. A défaut, un aide-mémoire de la taille d’une carte à jouer aura été prévu et sera tenu au-dessus de la garde de l’épée.

Ces paroles ne se limitent pas à la triple formule « Je vous crée, constitue et reçois… » accompagnée des légers coups de maillet sur la lame de l’épée, elle inclut la phase qui suit immédiatement, au cours de laquelle le nouveau Frère est invité à se relever et à recevoir du Vénérable Maître le baiser fraternel, au nom de tous les Frères de la Respectable loge à laquelle il appartient désormais.
Moins de dix lignes, l’effort de mémorisation n’est rien comparé à l’importance du moment pour le nouvel initié.
Créer, c’est donner naissance à quelque chose – ici à quelqu’un – de nouveau, à partir non pas du néant mais d’une matière – ici d’une personnalité – encore imparfaitement organisée, orientée, cohérente. Il s’agit ici de créer un Franc-maçon, un initié, à partir d’un profane, qui ne le sera plus jamais.
Constituer, c’est fonder, établir. L’expression renvoie sans conteste à la construction, à l’érection d’un édifice. Constituer signifie également « contribuer à former un tout avec d’autres éléments ». Le nouvel initié est ainsi engagé sur la voie de sa propre cohérence, comme de son rapport juste et harmonieux avec l’univers qui l’entoure.
Recevoir, c’est accueillir, accepter, intégrer. Le mot exprime une notion de bienveillance, évoquant l’Amour fraternel auquel le nouvel initié est dorénavant invité..
L’initiation est donc à la fois un processus rigoureusement individuel et profondément collectif, en ce qu’il nous intègre non seulement à la Loge qui nous accueille mais au-delà à une Chaîne d’union qui transcende le temps et l’espace.
Initier est pour un Vénérable Maître l’acte le plus sacré de sa fonction.

Mais La fonction spirituelle et initiatique du Vénérable Maître ne se limite pas à l’accomplissement et à la présidence des cérémonies. Le Vénérable est aussi par exemple l’ « instructeur » des Maîtres de son Atelier, comme le Second Surveillant est en charge de l’instruction des Apprentis et le Premier Surveillant de celle des Compagnons.
Dans beaucoup de Loges, rien n’est vraiment organisé pour l’instruction ces nouveaux Maîtres. Pourtant, le contenu du Troisième Degré est d’une richesse considérable.

Il faut se souvenir que le passage du Deuxième au Troisième degré marque une étape majeure du parcours d’un initié, qui passe de l’ordre psychique, dans lequel la rigueur s’est développée au travers des secrets du Métier, à l’ordre spirituel. A l’amour du travail sur la matière s’ajoute celui de l’élévation de l’esprit.
Il faut donc donner aux Maîtres l’occasion de travailler sur les enseignements et les ouvertures du Troisième Degré. Une, voire deux Tenues en Chambre du Milieu dans l’année n’y suffisent pas véritablement, et quelques séances sous la conduite du VM avec le concours de Maîtres riches d’une longue expérience seront fort utiles et généralement fort appréciées.
Cela dit, il faut veiller à faire travailler son Atelier aux trois premiers du Rite, ouvrant ainsi aux Frères intéressés la possibilité de poursuivre au-delà leur progression initiatique.
Ainsi, de l’initiation à la Maîtrise, le VM permet aux autres de s’engager et de progresser dans leur parcours. Mais le vénéralat est aussi, pour celui qui en est investi, une étape majeure de sa propre démarche initiatique.
Il serait regrettable et dangereux de prendre la charge de Vénérable Maître pour une récompense, a fortiori pour une consécration. Si vous avez du mal à calmer le frémissement égotique qui vous saisit chaque fois que vous entrerez en Loge précédé par le Maître de Cérémonies, les Frères respectueusement alignés de part et d’autre du temple, regardez votre prédécesseur ! Muet, humblement posté contre la porte. Vous serez un jour à sa place…
N’oublions jamais que cette charge, si prestigieuse soit-elle, est éphémère. Il n’y a pas lieu d’en tirer ni orgueil ni vanité.
Ne cédons donc pas à la tentation ni à l’ivresse du pouvoir. Ne sombrons pas dans l’autoritarisme. Au contraire, vivons en ouverture, en partage, à l’écoute des Frères, les plus anciens, ceux qui nous ont précédé, comme les plus nouveaux, ceux que nous aurons nous-même initiés. Les uns comme les autres ont beaucoup à nous apprendre.

La Sagesse, dont le VM est symboliquement la personnification, c’est aussi la tempérance, la sérénité, la hauteur de vues.
Devoir ainsi apprendre à maîtriser les désordres et les débordements au sein de la Loge que l’on dirige, c’est aussi apprendre à maîtriser les débordements et les passions à l’intérieur de soi-même.
Ainsi la charge de vénérable est-elle une occasion privilégiée pour un initié soucieux de progresser, une étape incomparable de son propre parcours initiatique
A ces considérations sur le rôle d’organisateur et d’administrateur et sur le rôle spirituel du Vénérable Maître, ajoutons maintenant quelques éléments qui sont autant de facteurs clés de succès.
Le premier est de bien connaître sa Loge.
Connaître sa Loge, c’est connaître ses origines, son histoire, ses heures de gloire comme ses crises.
Le second facteur clé de succès est de bien connaître ses Frères
Cela peut sembler évident, on les croise régulièrement depuis des années. Connaître ses Frères, c’est savoir s’ils sont heureux ou non, dans la Loge comme au dehors. Les absences sont-elles la marque d’une déception ou de difficultés personnelles, sont-elles exceptionnelles, chroniques, inquiétantes ?
Attention : il s’agit ici de fraternité, d’écoute, d’accompagnement, et non d’inquisition, ni même d’indiscrétion ; le respect absolu de la vie privée de chacun s’impose.
Troisième facteur clé de succès : connaître son environnement
s’ouvrir au monde, mais en initié, et non en profane, en d’autres termes ’interroger en initié sur les questionnements du monde.

De nombreux Maçons vivent le temps des Tenues comme une parenthèse spirituelle, une rupture complète par rapport au temps profane. Complète, pour eux, signifie absolue. Comme si les deux temps, le temps profane et le temps sacré, n’avaient entre eux aucun rapport, aucune continuité.
Or, s’il est évident que le rituel nous permet de créer un espace et un temps sacré tel que nous l’avons envisagé plus haut, c’est en fait à chacun de nous qu’il appartient de faire en sorte que la Lumière qui a éclairé nos travaux continue de briller en nous, nous permettant d’achever au dehors l’œuvre commencée dans le Temple.
Agir dans le monde, dans la vie profane, conformément aux valeurs, à l’idéal maçonnique, suppose de porter sur le monde un regard d’initié, plutôt qu’un regard profane. La différence est essentielle, au cœur même de notre engagement. Nous ne sommes pas Francs-Maçons pour nous retrouver deux fois par mois et n’élever notre esprit que durant nos réunions à huis clos.
La continuation et la mise en œuvre de notre perfectionnement spirituel dans le monde profane justifie que soient également inscrits au programme des réflexions inspirées par la perspective de l’homme, dans son quotidien.
Quatrième facteur clé de succès : bien connaître le Rituel.

Le rituel est bien davantage qu’une mise en scène participant à l’organisation matérielle du travail en Loge.
Dans nos Loges, la fixité de la forme permet de ne se concentrer que sur le fond, en créant un espace et un temps sacrés, c’est-à-dire distinct.
Le rituel, ce sont aussi des mots, un déroulé dont chacune des séquences obéit à une nécessité particulière. Il appartient au Vénérable maître de vivre le rituel, afin de le faire vivre aux Frères de la Loge qu’il dirige.
Vivre le rituel, cela veut dire le comprendre, le travailler, pour lui donner la charge émotionnelle et spirituelle qui le rend opérant.
Certains passages devraient être appris par cœur, comme lorsque le VM, debout, glaive dans une main et maillet dans l’autre, marque solennellement l’ouverture des travaux. Il en est de même du rituel de la Chaîne d’Union. Regarder alors les Frères tournés vers l’Orient, plutôt que le rituel ou une « antisèche » mal dissimulée au creux de sa main, ajoute à la force de ces moments particuliers.
L’ordre extérieur aide à construire l’ordre intérieur. Respecter l’horaire annoncé est impératif, pour l’ouverture des travaux comme pour leur fermeture. . La tenue vestimentaire participe de la rigueur nécessaire et à la rupture avec le monde profane.
La musique, bien préparée, doit s’intégrer harmonieusement avec le rythme et surtout avec le sens de chaque phase du rituel, sans jamais risquer de déconcentrer les Frères dans le travail d’élévation spirituelle.
Il importe de respecter le rituel en vigueur, qui témoigne de l’appartenance à l’obédience que la Loge a librement choisie et que les Députés, au nom de leur Loge, ont approuvé.
C’est le Vénérable Maître qui est responsable de l’admission des visiteurs dans la Loge qu’il préside, dans le respect des règles édictées par son obédience. Je rappelle à ceux qui auraient des doutes à ce sujet que la règle est simple : peuvent être admis dans nos Loges tout Franc-maçon qui se fait reconnaître comme tel, par les mots, signes et attouchements de son degré. Rien ni personne ne nous fera dévier de cette tradition d’ouverture et de fraternité.
Nous sommes indéfectiblement attachés à la régularité individuelle, à la reconnaissance individuelle, au-delà de l’affiliation obédientielle qui ne saurait faire obstacle à la fraternité.
Le VM est ainsi celui qui crée l’harmonie au sein de la Loge. Par sa manière d’être et d’agir, il fera se développer l’égrégore, l’énergie spirituelle partagée fusion de la raison et du sentiment, qui résulte de l’amour fraternel mis en action.
Cinquième facteur clé de succès : bien connaître son Rite.
Si la vocation de la Franc-Maçonnerie est universelle, les pratiques qui expriment cet idéal varient significativement. Il est du devoir d’un Vénérable Maître de bien connaître le Rite auquel son Atelier travaille, ne serait-ce que pour en respecter et en faire respecter l’esprit autant que la lettre.

Au-delà, il est bon qu’il connaisse les divers Rites pratiqués en France et dans le monde, afin de pouvoir conseiller ses Frères désireux de visiter d’autres Loges.
Il ne suffit pas de connaître le Rite auquel on travaille, il faut aussi bien connaître son obédience. C’est le sixième facteur clé de succès.
Bien sûr, chaque Loge jouit d’un vaste espace de liberté. Mais son appartenance à une Grande Loge impose quelques limites, librement consenties, à cette liberté.
Le Vénérable Maître doit connaître le rôle et les attributions de son obédience et des diverses instances impliquées dans la gouvernance de notre Grande Loge. Il devra faire en sorte que la relation Obédience – Loge, portée par le Conseiller Fédéral Inspecteur de son Atelier, comme la relation Loge-Obédience, assurée par le député élu par la Loge, soient régulières et constructives. Il veillera notamment à inscrire à l’ordre du jour les interventions qu’il est souhaitable que le député puisse faire pour rapporter aux Frères de l’Atelier l’essentiel des travaux du Convent.
Enfin, il ne vous étonnera pas que je termine par un septième facteur clé de succès : il faut que sa fonction rende le Vénérable maître heureux.
Le bonheur, tel que l’envisagent les philosophes, est l’un des buts essentiels du Maçon, dès lors qu’il ne se construit pas sur l’égoïsme mais au contraire sur le partage, l’ouverture et le service à autrui. Retirer de son travail, sur soi comme dans le monde, profit et joie est la première récompense de l’initié.
Pour un Vénérable Maître, ce bonheur singulier sera le juste salaire de son zèle et de son engagement. La fonction de Vénérable est exigeante, mais formidablement gratifiante. Indiscutablement, elle grandit celui qui en est investi. Sentir qu’on est utile à ses Frères, qu’on les aide à tracer leur propre chemin et que l’on participe à leur épanouissement spirituel est source de profonde satisfaction.
Savoir que l’on pourra transmettre à son successeur les commandes d’une Loge en bonne santé, au plan initiatique comme au plan matériel, et où règnent harmonie et équilibre, permet de ressentir l’agréable sentiment du devoir bien accompli. Dès lors, s’il n’est pas question ici, nous l’avons déjà dit, de s’abandonner aux pièges de la vanité, et encore moins de la prétention ou de la suffisance, rien ne fait obstacle à ce que le Vénérable Maître en éprouve du contentement. Toute humilité bien comprise, il peut ressentir cette sensation de plénitude et de satisfaction qui définit le bonheur.
Or le bonheur est contagieux ! Et il se multiplie en se partageant. Un Vénérable Maître heureux parce qu’il accomplit bien sa tâche est un Vénérable Maître qui rayonne dans sa Loge comme dans sa vie profane, et qui propage ce sentiment de bonheur, de plénitude et d’harmonie autour de lui.
Il donne alors encore plus de sens à ce que les Maçons appellent de leurs vœux à la fin de leurs Tenues, la Paix, l’Amour, la Joie.
