« La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. »
Cette formulation conservait la formule traditionnelle «Grand Architecte de l’Univers » sans plus la rattacher obligatoirement à une foi en un Dieu personnel et transcendant. Elle ouvrait ainsi très clairement les portes de la Franc-maçonnerie aux déistes, ce qui correspondait aux évolutions survenues dans les franc-maçonneries.
« Avec de la méthode et de la logique on peut arriver à tout, aussi bien qu’à rien. »
Pierre Dac
1875 : Convent de Lausanne. Adoption du symbole du Grand Architecte de l’Univers comme Principe créateur.
Lorsqu’un juge d’instruction recherche la vérité au cours d’une affaire, il instruit à charge et à décharge, en pesant le pour et le contre, en étayant ses affirmations de preuves puis en tentant de se faire une opinion la plus juste possible.
Je vais tenter, si cela est possible, de faire de même pour répondre à la question :
Pourquoi n’y aurait-il pas quelque chose plutôt que rien ?
Les athées proposent comme réponse de dire que l’univers est éternel, sans début et sans fin, voilà tout.
A partir de ce principe, toutes réflexions ou interrogations existentielles sont vaines et dérisoires. Toutefois, nous Franc-maçons, pouvons-nous nous satisfaire d’une telle réponse ?
Nous sommes des cherchants, des quêteurs de lumière à la recherche de la « Connaissance suprême ». Devant la condition humaine et ce qui le dépasse, le REAA proclame, l’hypothèse de l’existence d’un Principe Créateur et ordonnateur du Chaos. Il lui donne pour nom Grand Architecte De L’Univers, nom qui est assurément en tant que symbole celui qui permet le plus large consensus car chacun est libre de mettre ce qu’il veut derrière ce symbole. N’étant lié à aucune croyance, il se veut rassembleur et humble, il exprime la foi du Maçon Écossais dans la liberté totale de sa conscience. Il reste une entité métaphysique principe de la connaissance, de la lumière qui est notre but. Son rôle devient essentiellement spirituel et cette position, ne s’oppose nullement à une quelconque religion.
Même si la démarche maçonnique nous donne des outils comme support de notre démarche spirituelle, elle ne répond pas pour autant à la question posée. Elle donne une explication philosophique qui ne peut satisfaire le cherchant curieux.
1° Peut-il exister quelque chose à partir de rien ?

2° Quelles sont les réponses humaines et notamment religieuses ?
3° La Franc-maçonnerie nous aide-t-elle à répondre à cette énigme ?
1° Peut-il exister quelque chose à partir de rien ?
Nu dans le désert, hors de portée de tout, je réfléchis à la possibilité de m’alimenter, de boire, de me protéger des agressions du soleil, bref de survivre. Autour de moi du sable à perte de vue. Situation insoluble en apparence et même en réalité définitive. Peine perdue certainement, à partir de rien, il est semble impossible de produire, de créer quelque chose. Je suis donc voué à disparaître.

Soudain un orage d’une intensité peu commune éclate. Les chutes d’eau provoquent des regs, des torrents de boue, des troncs d’arbre arrachés on ne sait où ? J’en enfourche un et me retrouve entrainé par le courant. Quelques heures plus tard, je me retrouve à proximité d’un village, sauvé !
Ainsi donc, un miracle venait de se produire. La nature avait réglé mon problème. A partir de rien, il pouvait se produire quelque chose !
Le philosophe Leibniz est le premier qui, dans « les Principes de la nature et de la grâce (1714 »), a formulé cette question telle quelle. Cette question est au fondement de notre vision du monde. Elle est indéniablement de nature métaphysique. Dès lors, il n’est pas étonnant que la réponse de Leibniz fasse intervenir l’Etre suprême, Dieu, et reprenne l’articulation de la métaphysique exposée pour la première fois par Aristote.
2° Quelles sont les réponses humaines et notamment religieuses ?
L’analyse que Leibniz donne va lui permettre de formuler une réponse à cette question d’apparence insoluble. Le néant absolu n’est pas de ce monde puisqu’il existe des choses. Or s’il y a des choses, au lieu d’un « rien » plus facile, plus évident, il doit bien y avoir à cela une raison. Cette raison, même si elle est inaccessible, doit être cherchée le plus en amont possible de l’existence des choses, à leur origine. Pourquoi y a-t-il eu création à un moment donné ? Tout naturellement Leibniz en vient donc à parler de Dieu. S’il y a des choses, il faut qu’il y ait une raison ; et cette raison se trouve en Dieu, le créateur.
« Parler de rien, c’est déjà quelque chose ! »
Bernard Shaw
Fort de l’idée que Dieu existe, qu’il est l’être suprême, et par conséquent l’être le plus parfait, Leibniz assure que le monde est ainsi fait parce que Dieu, dans son infinie bonté, a choisi le monde le plus parfait pour sa création, le meilleur des mondes possibles.

« Selon la théorie du Big Bang, tout l’univers est entré en existence à un point précis d’un passé lointain. Tout défenseur d’une telle théorie, du moins s’il s’agit d’un athée, doit croire que la matière de l’univers est venue de rien et par rien. » (Anthony Kenny)
On voit bien que cette explication repose essentiellement sur la théorie qui précise que si la matière et l’être existent, ils ne peuvent être issus que de Dieu.
« Demandez-le à Dieu, celui qui, selon toute vraisemblance, a créé les choses existantes, celui qui a donné l’être du monde. Et Dieu existe forcément puisqu’il y a des choses dans le monde. L’existence de celles-ci rend évident l’existence de Dieu, puisqu’il faut donner une raison à leur existence. Si Dieu n’était pas là, elles n’existeraient pas, puisqu’il n’y aurait aucune raison pour les justifier. »
Proverbe : Le monde n’existe pas parce qu’il a une raison d’exister mais parce qu’il n’y en a aucune qui s’oppose à ce qu’il existe.
3° La Franc-maçonnerie nous aide-t-elle à répondre à cette énigme ?
« Ce qui est le plus incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible. »
Albert Einstein

Depuis Héraclite, nous avons l’habitude de penser le temps comme un fleuve qui emporte tout dans une seule direction et un seul sens, mais le temps du chaos, de l’absurde, est plutôt comme un océan dans lequel chaque goutte d’eau peut se déplacer dans toutes les directions et dans tous les sens.
Les mythes de la création, les cosmogonies antiques sont rarement des créations du monde ex nihilo mais des créations à partir d’un chaos, d’un océan primordial, d’une mer de lait, d’un œuf originel. La création n’est pas un jaillissement du néant mais une organisation, une sortie de l’indistinct. « Le chaos, ou plutôt, l’océan primordial, la mer de lait est barattée par le serpent de la logique. »
Pythagore et ses disciples croyaient en la métempsycose. L’âme d’un humain ou d’un animal est réincarnée dans un autre humain ou dans un autre animal après la mort. Une autre de leurs croyances pourrait se résumer en « Tout est nombre ». Le nombre entier est la cause des qualités des divers éléments de l’univers. L’harmonie est divine, elle consiste en rapports numériques. Cette dernière croyance les a amenés à étudier avec passion les propriétés des nombres entiers.

Ce que nous faisons en Loge n’est pas vraiment innocent. Le rituel maçonnique est un pont entre le visible et l’invisible. Il est souvent basé sur la répétition de formules, de litanies ou d’acclamations. Comme le tintement des cloches, il agit comme une vague qui engendre un état second. Le symbolisme s’adresse au subconscient et non au conscient. Comme la prière, il jaillit des lèvres et s’intériorise. Il permet d’atteindre une forme d’inconscient collectif qui est source de paix, d’harmonie et de connaissance de soi. Il se poursuit inconsciemment dans le silence de la nudité de l’être avant de relier les êtres dans le mystère de la Chaîne d’Union, au-delà des mots et des différences. Il devient contemplation lorsque la voix extérieure et la voie du dedans n’éprouvent plus la nécessité d’utiliser des mots, pour enfin devenir illumination lorsque l’homme devient éveillé, lucide, détaché de son ego pour être relier à la chaîne mystique, à l’inconscient collectif. C’est ainsi que l’initié entre dans le Temple pour finalement créer son propre Temple intérieur. Là, est le secret de la devise de Socrate améliorée :
« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les dieux ».

La devise « ordo ab chaos » implique l’action d’un Principe d’ordre, ce chaos d’où vient chacun d’entre nous symbolise, la souffrance et la déroute de l’esprit humain qui précède le cheminement vers une vie spirituelle dans la paix et la fraternité.
Notre mission en tant que Maçon est donc de faire surgir l’ordre de ce chaos. Il devient une source d’espérance pour celui qui est dans les ténèbres, et qui aspire à la Lumière.
Le déisme est une représentation mentale reconnaissant l’existence d’une puissance supérieure, ou Principe Créateur, dénommé génériquement Dieu, et que nous Franc-maçon nommons GADLU, cette façon de penser rejette toute révélation, tout dogme.
« S’il n’y a pas de solution c’est qu’il n’y a pas de problème. »
Proverbe Shadok – Jacques Rouxel
L’impossibilité du néant absolu peut être étendue à la mort éternelle si l’on estime que la mort est un néant et que l’éternité est un absolu. Chacun est libre d’en penser ce qu’il veut.
À force d’en parler, le néant finit par avoir de la consistance. (Léo Ferré, Ludwig)
La pensée n’a pas plus horreur de l’absurde que la nature n’a horreur du vide. Philosopher, c’est apprendre à mourir, Platon

Je ne parlerai pas de la mort dont il est difficile de parler en termes initiatiques, mais j’essaierai de traiter de ce que signifie pour nous Maçons, l’immortalité de l’âme, célébrée par Socrate et Platon, ainsi que le point de vue de nos ancêtres et des Anciens sur la question. Le rituel nous dit que les questions métaphysiques ont toujours un lieu d’incertitude et que pour cette raison nous nous défions de tous les dogmes. Mais le rituel nous dit aussi que les symboles parlent et s’ils parlent, s’ils sont signifiants c’est qu’ils sont susceptibles de conduire à quelque vérité, même partielle et approchée.
De plus pouvons-nous vivre sans croyances ?
Certes une croyance ne peut être une certitude rationnelle, ce n’est qu’une conviction subjective, comme par exemple la croyance aux valeurs morales. Mais elle a le mérite de nous inspirer des règles de vie et même de fonder une éthique capable d’orienter et de structurer une existence. Voyez comme peuvent se conduire parfois tans de gens qui affirment « ne croire en rien » ce qui est un mal caractéristique de notre siècle.
Dans cette optique, il est toujours nécessaire de s’interroger sur l ‘au-delà de la vie et de la mort. On ne vit pas de la même manière si on croit que la mort est un pur anéantissement de l’être et de la personne et si I’on pense que notre âme a des chances de survivre dans un espace inconnu et pourquoi pas, de poursuivre là bas sa progression vers la Lumière. Et à cet égard je peux dire que le Rite de notre Ordre parle souvent et avec une force d’illumination incomparable.
Quand un de nos Frères, comme celui que nous pleurons aujourd’hui, nous a définitivement privé de sa présence, nous disons qu’il est passé à I’Orient étemel. L’Orient est pour nous un terme familier qui désigne le lieu où siège la plus haute Lumière, celle du Delta symbole de la Suprême Pensée qui anime le monde comme elle guide et éclaire notre quête spirituelle. C’est pourquoi c’est aussi celui où siège le Vénérable Maître de la Loge.
Mais il est clair que l’Orient parce qu’il suggère une éternité de Lumière, se situe au delà du Temple et du monde matériel, qu’il a un rapport avec la Présence du Grand Architecte de l’Univers, et qu’il est ce lieu sacré et inconnu où se retrouverons ceux qui ont quitté ce monde et tous nos Frères disparus.

Nous Maçons, nous voyons l‘Orient étemel comme un espace où la vie se perpétue, puisque nos Frères dans notre esprit demeurent vivants, immortels, que nous les associons comme nous le ferons tout à l‘heure, à notre Chaîne d’Union rituelle où nous les pensons là, nous tenant par la main et poursuivant cependant ailleurs et dans une autre Lumière l’œuvre de perfection à laquelle ils se sont voués.
Victor Hugo, qui fut aussi un grand poète initié par la vie, n’a t-il pas écrit: « Les morts sont des vivants mêlés à nos combats » ? Lui aussi ne pouvait les concevoir séparés de la vie et surtout de notre vie, de nos espérances et de nos travaux.
Mais le plus grand symbole maçonnique de l’immortalité de l’âme est certainement celui de la résurrection d’Hiram que chaque maître a été appelé à vivre à l’occasion de son initiation au 3ème degré. Celui qui incarne les plus hautes vertus maçonniques, l’architecte assassiné du Temple de Jérusalem, se relève de son cercueil et apparaît « aussi radieux que jamais » dans le rayonnement de l’orient éternel.

Cette résurrection exemplaire apparaît comme le symbole de la résurrection de tous les initiés, de tous ceux qui sont attachés à suivre le chemin de l’esprit en quête d’élévation, de sérénité intérieure et de perfection. L’exemple d’Hiram nous enseigne l’ultime finalité de la quête initiatique: nous rendre dignes de la connaissance totale dans le royaume de l’Esprit par la pratique de la sagesse et la persévérance dans la recherche.
Nos ancêtres ont toujours cru à la survivance de l’esprit des morts et les premiers gestes funéraires des humains primitifs témoignent pour les spécialistes de la préhistoire de la préoccupation d’un passage des disparus dans un autre monde.
Le culte des esprits a été la première religion de l’humanité, il a duré des dizaines de milliers d’années et on en trouve de multiples témoignages dans d’innombrables cultures actuelles d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Les Romains ont toujours honoré dans les foyers les mannes de leurs ancêtres, ils mettaient une pièce de monnaie dans la bouche des morts pour qu’ils paient leur passage sur le grand fleuve qui conduit vers l’au-delà.

Quant aux Egyptiens toute leur religion était tournée vers la vie future et préparait tous les humains au voyage de l’âme dans les sphères célestes qu’ils devaient accomplir dans la barque d’Isis en forme de croissant de lune.
Et que signifieraient le mot d’espoir qui suit les multiples « gémissons » de la batterie de deuil, et le fait qu’elle soit toujours suivie d’une batterie d’espérance, de confiance et de sérénité, si ce rite ne nous invitait pas à croire que la vie se prolonge ailleurs dans un monde de lumière où un frère initié connaîtra l’initiation véritable.
Est-ce que nous dirions: « Les corps de nos Frères disparus ont rejoint les ténèbres, mais leur esprit brille encore » si nous ne partagions cette espérance d’une survie future que toutes les symboliques initiatiques et religieuses nous ont toujours enseignée?
