À l’heure des cent vingt ans de la loi de 1905, Que vive la laïcité ! rassemble une polyphonie de voix qui refusent la laïcité de vitrine et rappellent la laïcité de structure. Cette somme agile et combattive montre un principe vivant, une discipline de la liberté, une grammaire du commun qui protège la conscience sans céder aux pressions des dogmes ni aux manipulations politiques. Nous y lisons moins une commémoration qu’un acte de résistance civique.

Que vive la laïcité ! est une somme resserrée par le format numérique et pourtant vaste par la densité de ses voix, une constellation d’une cinquantaine de contributions rassemblées pour accompagner les cent vingt ans de la loi du 9 décembre 1905 et réaffirmer la laïcité comme principe vivant, discuté, contesté, défendu, parfois mal compris, toujours décisif pour l’équilibre républicain. L’ouvrage, publié par les Éditions de la Fondation Jean-Jaurès en décembre 2025, porte d’emblée une ambition de clarté et de pluralité, assumant le croisement des regards universitaires, pédagogiques, politiques et journalistiques, comme si la laïcité ne pouvait plus être pensée depuis un seul pupitre mais devait être reprise collectivement, dans la rumeur raisonnée du forum civique.

Nous reconnaissons très vite la main de Hadrien Brachet et la rigueur pédagogique de Iannis Roder qui coordonnent l’ensemble en veillant à ce que la laïcité ne soit pas seulement un héritage mais une méthode de discernement pour notre temps… mais aussi l’engagement politique de Laurence Rossignol et la vivacité argumentative de Milan Sen. Hadrien Brachet, journaliste et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, apporte l’oreille du temps présent, la capacité à entendre le bruit des controverses et à en isoler les enjeux profonds. Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie et directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, inscrit le principe dans l’épreuve scolaire et civique, là où se forge la liberté intérieure des citoyens de demain. Laurence Rossignol, ancienne ministre et sénatrice du Val-de-Marne, porte la dimension féministe et sociale d’une laïcité qui protège sans assigner. Milan Sen, collaborateur parlementaire et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, assume une ligne de vigilance combative contre les contrefaçons idéologiques.

S’il fallait esquisser une brève bibliographie d’orientation autour de ces coordinateurs, nous dirions que leur travail s’inscrit au carrefour de l’histoire politique, de la philosophie de l’émancipation et de l’actualité institutionnelle, et que l’ouvrage convoque aussi, par la présence de multiples contributeurs, des références majeures de la pensée laïque contemporaine. Patrick Weil, par exemple, rappelle la cohérence juridique et l’ambition universaliste de la loi de 1905, en insistant sur le lien organique entre les articles consacrant la liberté de conscience et ceux destinés à la protéger contre les pressions, notamment à travers le régime dit de police des cultes. Cette insistance, d’une actualité brûlante, nous invite à relire la loi non comme une relique symbolique mais comme un instrument complet, à la fois libérateur et protecteur.

C’est ici que l’ouvrage gagne une profondeur presque initiatique. Il n’énonce pas seulement un principe. Il nous place devant une discipline de la liberté. À travers l’histoire longue des conflits entre souveraineté civile et autorité spirituelle, à travers l’examen des monothéismes et des tensions modernes de la croyance, à travers les débats philosophiques sur la nature même de la neutralité et de l’émancipation, le texte propose une pédagogie de la juste distance. La laïcité y apparaît comme un art du seuil, une manière d’organiser le monde commun sans trahir la pluralité des consciences. Nous sentons remonter, derrière le droit, une anthropologie du citoyen capable d’habiter sa conviction sans imposer sa loi intime à l’espace public.

Pour des lecteurs formés à la symbolique maçonnique, cette polyphonie résonne avec une évidence particulière. La laïcité ne s’y confond jamais avec un antireligieux de réflexe. Elle se présente comme ce cadre de souveraineté intérieure qui permet à la diversité des quêtes de ne pas devenir rivalité de dogmes. La contribution de Philippe Foussier rappelle que la franc-maçonnerie, née dans l’élan des Lumières et confrontée à la défiance de l’Église catholique, a progressivement inscrit son action dans la lutte contre l’intolérance et dans la promotion de ce qui deviendra la laïcité moderne. Ce rappel n’a rien d’un geste d’autosatisfaction mémorielle. Il éclaire une continuité. La sociabilité initiatique peut être comprise comme l’un des laboratoires historiques de la liberté de conscience organisée, ce lieu où des êtres différents apprennent à construire un centre commun sans renoncer à leurs singularités spirituelles.

L’ouvrage est d’autant plus précieux qu’il refuse l’illusion d’un consensus définitif. Il note que la laïcité, que beaucoup croyaient pacifiée, se retrouve exposée à des offensives idéologiques dont la violence est parfois diffuse, parfois frontale. L’idée d’un cléricalisme offensif sous des formes multiples, islamistes comme chrétiennes, est formulée sans détours. Cette lucidité n’a pas pour fonction d’alimenter une peur identitaire. Elle oblige à replacer la laïcité dans sa vérité dynamique. Nous ne protégeons pas un simple arrangement administratif entre cultes et État. Nous protégeons l’autonomie de la personne face à toute entreprise de capture du politique par le religieux et, symétriquement, face à toute tentation d’instrumentaliser la laïcité pour désigner des boucs émissaires.

Nous retenons aussi l’ouverture contemporaine la plus stimulante, celle qui déplace la question vers l’espace civil, le travail, l’école, les médias, jusqu’aux réseaux sociaux et aux nouvelles technologies. L’analyse de Daniel Szeftel évoque même l’usage d’une intelligence artificielle de classification pour étudier des réponses citoyennes issues du Grand débat national, signe que la laïcité affronte désormais des territoires d’opinion et d’influence où la parole se démultiplie, s’emballe, se fragmente. Dans une époque hantée par les guerres culturelles accélérées, nous comprenons que la laïcité aura besoin d’une ingénierie de pédagogie publique, d’une présence joyeuse et ferme dans les lieux où se fabrique la perception du réel.

Au fil de cette lecture, nous mesurons à quel point la loi de 1905 demeure une pierre d’angle dont la force tient à son équilibre. Elle affirme une liberté fondatrice, organise la séparation comme garantie de neutralité, et prévoit les moyens de protéger concrètement les consciences contre les coercitions. C’est peut-être là le geste le plus fécond de l’ouvrage. Il nous invite à ne pas dissocier l’idéal de ses outils, la philosophie de son droit, la mémoire de son actualité. Pour une sensibilité initiatique, cette cohérence a une saveur particulière. Elle rappelle que la liberté ne se déclare pas seulement, elle se règle, elle se garde, elle se transmet, et qu’aucune construction du commun ne tient debout si elle oublie que la dignité de la conscience individuelle est le premier sanctuaire de la République.

Ainsi, Que vive la laïcité ! n’est pas un simple outil commémoratif. Nous y lisons une œuvre de vigilance républicaine et de réflexion collective, capable d’articuler histoire, droit, philosophie et politique sans perdre le fil humain de la question laïque. Cette somme nous aide à retrouver la laïcité dans sa verticalité éthique et sa fonction d’architecture invisible. Elle garde la République droite et nous garde libres, ensemble, non par incantation, mais par une intelligence patiente de ce que signifie vivre côte à côte sans se vaincre les uns les autres au nom d’un absolu.
La laïcité n’a pas besoin d’être réinventée.
Elle a besoin d’être comprise, tenue, défendue.
Elle est la charpente du vivre ensemble, le fil à plomb d’une République qui refuse les tutelles.
Quand elle vacille, ce n’est pas un mot qui s’abîme, c’est notre liberté commune qui prend la poussière.
Que vivent la laïcité ! – 50 contributions pour les 120 ans de la loi de 1905.
Hadrien Brachet, Iannis Roder (coord)
Fondation Jean Jaurès , 2025, 209 p., téléchargement gratuit

La Fondation Jean Jaurès est l’une des grandes maisons françaises du débat d’idées, à la fois think tank, acteur de terrain et centre d’archives, tournée vers celles et ceux qui défendent le progrès démocratique. Reconnue d’utilité publique en 1992, elle s’inscrit dans un héritage socialiste et républicain tout en travaillant au présent, par des études, des formations et des initiatives ouvertes au large espace civique.
Pour notre lectorat (newsletter adressée à près de 38 000 membres), elle offre un cadre utile quand la laïcité exige autre chose que des postures, une pensée structurée, une mémoire historique solide et une capacité à affronter les tensions contemporaines sans perdre la boussole émancipatrice.
Fondation Jean Jaurès – Penser pour agir, le site

Jean Jaurès naît en 1859 à Castres et devient l’une des grandes consciences républicaines et socialistes de la IIIᵉ République. Philosophe de formation, professeur, puis député, il incarne un socialisme humaniste qui cherche à unir justice sociale, démocratie et idéal républicain, tout en refusant le cynisme de la force et les renoncements de l’opportunisme.
Son œuvre politique se déploie dans la défense des travailleurs, la bataille pour l’école, la lutte contre les inégalités et un engagement majeur dans l’Affaire Dreyfus, où il choisit la vérité contre la raison d’État et l’antisémitisme.
Fondateur du journal L’Humanité en 1904, il devient aussi le grand porte-voix d’un internationalisme pacifiste, convaincu que la fraternité des peuples doit l’emporter sur la mécanique des blocs.
Assassiné le 31 juillet 1914, à la veille de la Grande Guerre, Jean Jaurès demeure la figure d’un socialisme de conscience, où la République n’est jamais un décor mais une exigence morale, et où l’émancipation collective commence par la dignité intacte de chaque être humain.
