mer 10 décembre 2025 - 13:12

La liberté de conscience n’est pas une nouveauté d’agenda

Il existe des livres qui s’alignent sur l’actualité comme un écho docile, et d’autres qui la traversent comme une lame. Le Compas d’Équerre appartient à cette seconde famille. Son format est bref ; son ton, sobre, presque dépouillé ; mais cette retenue fait sa force. Loin des effets de scène, il tient une ligne. Et surtout, il la tient sans demander la permission au calendrier.

Ce relief apparaît aujourd’hui avec une netteté particulière. À la faveur du 120e anniversaire de la loi de 1905, une obédience française choisit de placer la liberté de conscience au centre de sa communication et d’inscrire ce principe comme thématique de travail interne pour 2026. L’initiative n’est pas en soi inutile, même si l’on peut regretter cette obsession des contemporains à se raccrocher à l’actualité, quand les sujets en cause ont une acuité permanente. Loin de moi, toutefois, l’idée de limiter à une simple commodité d’agenda le traitement que souhaite faire une institution du pilier républicain que constitue pareil thème. C’est plutôt vers nous que je me tourne pour que nos préoccupations s’inscrivent autrement que dans des effets de mode, c’est-à-dire dans une continuité qui échappe à la polarisation des éphémérides.

Face à cela, le livre d’Alain Simon et de Jean-Michel Reynaud fonctionne comme un rappel implacable. En 2014, ils avaient déjà posé les termes essentiels du débat. Sans attendre l’anniversaire. Sans attendre le moment institutionnel propice. Sans attendre la commodité d’un thème “naturellement incontournable”. Leur liberté de conscience n’est pas une idée opportunément remise à l’ordre du jour. C’est une colonne. Et une colonne ne se déplace pas selon les saisons.

Le choix du format d’entretiens renforce encore cette impression de justesse. Ici, la parole ne cherche ni la grandiloquence ni l’ambiguïté protectrice. Elle travaille. Elle clarifie. Elle refuse le catéchisme des formules automatiques. Questionner, préciser, nuancer, reprendre, c’est déjà pratiquer une éthique maçonnique du discernement. La liberté de conscience apparaît alors pour ce qu’elle est vraiment, non seulement un droit garanti par la République, mais une discipline intérieure, un art de rester libre sans devenir agressif, ferme sans devenir dogmatique.

Christian Bataille en 2014
Guy Lengagne – Source Assemblée nationale

Le livre est d’autant plus solide qu’il est encadré par deux signatures dont le rôle n’est pas décoratif. Christian Bataille, député et président de la Fraternelle parlementaire (FraPar) en 2014, donne au propos une gravité républicaine immédiate. Il rappelle que la laïcité n’est pas une posture d’opinion et que la liberté de conscience n’est pas un luxe philosophique. Ce sont des conditions concrètes de la paix civile et du pluralisme réel. Guy Lengagne, ancien ministre et ancien président de la FraPar, prolonge cette exigence par la légitimité de l’expérience. Sa postface fait entendre une idée simple et forte. Une laïcité qui se contente de s’afficher s’épuise. Une laïcité qui se vit dans la durée résiste.

Alain Simon

Au centre, les deux auteurs conjuguent deux angles complémentaires. Alain Simon, haut fonctionnaire, Conseiller de l’Ordre du Grand Orient de France depuis 2011, relie la liberté de conscience à la responsabilité publique, à la dignité sociale, au refus des enfermements idéologiques. Jean-Michel Reynaud apporte une profondeur de réflexion nourrie par ses travaux sur la laïcité, l’économie sociale et la philosophie. Leur convergences sont plus importantes que leurs différences. Ils ne jouent pas à l’équilibre rhétorique. Ils font tenir une argumentation.

Leur propos clarifie ainsi ce que trop de discours publics brouillent. La franc-maçonnerie ne se confond ni avec un bloc d’influence ni avec un folklore rassurant. Elle est une méthode de transformation de soi qui prend sens dans la cité. L’adogmatisme, la tolérance, le symbolisme, le secret cessent d’être des mots de vitrine. Ils redeviennent des gestes intérieurs, des exigences de comportement, une manière de protéger la lenteur du travail initiatique contre le bruit et la suspicion. À ce niveau, le secret n’est plus une ombre sociale. Il est une pudeur de l’âme.

La progression du livre conduit alors naturellement vers la laïcité. Non comme un thème ajouté pour conclure proprement, mais comme un horizon logique. Tout ce qui a été dit avant y mène. L’engagement, la méthode, la maturation symbolique, l’idée de perfectionnement sans vanité, tout converge vers cette conviction. La liberté de conscience ne se réduit pas à un article de loi. Elle est une compétence humaine à construire, une architecture intime qui rend possible un vivre-ensemble digne et apaisé.

C’est ici que le contraste avec l’air du temps devient impossible à ignorer. La Grande Loge de France annonce 2026 comme un rendez-vous majeur de réflexion sur la liberté de conscience. Très bien. Mais Le Compas d’Équerre rappelle, sans hausser le ton, qu’un principe de cette nature ne gagne rien à être “redécouvert” au rythme des programmations. Il demande mieux qu’une fenêtre d’actualité. Il exige une fidélité longue. Autrement dit, la différence entre un thème et un pilier.

Et c’est peut-être là la leçon la plus piquante de ce petit livre. Quand certains consacrent 2026 à ce que l’histoire et l’urgence imposent depuis toujours, Alain Simon et Jean-Michel Reynaud avaient déjà montré, dès 2014, que la liberté de conscience n’est pas un sujet à lancer. C’est un devoir à tenir.

Le Compas d’Équerre – Combat pour la liberté de conscience /Alain Simon, entretien avec Jean-Michel Reynaud – Préface de Christian Bataille – Postface de Guy Lengagne
Éditions bruno leprince, 2014, 120 pages, 10 €
/ L’éditeur, le site

À l’occasion du 120ᵉ anniversaire de la loi de 1905, et dans le même esprit, notre prochaine chronique portera sur l’essai de Marlène Schiappa et Jérémy Peltier, Laïcité, point ! – Avant-propos inédit, publié en version poche en mars 2021 aux éditions de l’Aube, « éditeur engagé – auteurs du monde » – 1re édition en janvier 2018 –, dans la collection Mikrós. Marlène Schiappa a été ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, et Jérémy Peltier était directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, fondation politique reconnue d’utilité publique.

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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