mer 10 décembre 2025 - 18:12

La Grande Loge Mixte Universelle fait de la laïcité une école de liberté de conscience

Le samedi 6 décembre 2025, la Grande Loge Mixte Universelle a tenu, à son siège de Montreuil, son Agora sur la laïcité, dans le cadre symbolique du 120ᵉ anniversaire de la loi de 1905. À travers cette journée ouverte, la GLMU a rappelé qu’en son ADN même, la mixité n’est pas seulement un choix d’organisation, mais une pédagogie de l’universel qui trouve dans la laïcité son climat naturel.

L’Agora a ainsi pris la forme d’un espace de transmission et de débat serein, où la parole circule avec cette qualité d’écoute que nous connaissons bien en franc-maçonnerie, lorsqu’un sujet engage tout à la fois l’éthique, le droit et la vie quotidienne.

GLMU, Montreuil

L’accueil, très fraternel, a immédiatement donné le ton. Le public, dense et attentif, formait un véritable miroir de la cité, des jeunes et des anciens, des enseignants, des acteurs associatifs, des citoyens engagés, des profanes venus comprendre, et des initiés venus approfondir. Cette diversité, réunie sans crispation, a incarné d’emblée ce que la laïcité rend possible quand elle est pensée comme une confiance civique et non comme une arme de tri.

La matinée s’est ouverte sur l’intervention de Michel Larive, né le 22 août 1966 à Paris, homme politique français, membre de La France insoumise, député dans la 2e circonscription de l’Ariège de 2017 à 2022. Son exposé, intitulé « 1905-2025, 120 ans de liberté », a replacé la loi de séparation dans sa densité historique et dans ses prolongements contemporains. Il a présenté 1905 comme une grande loi de sécularisation, à la fois fondatrice et vulnérable, fruit d’un moment politique rare. Son fil conducteur est demeuré limpide. La loi de 1905 ne doit pas être traitée comme un monument du passé, ni comme un texte qu’on retouche au gré des émotions du temps. Elle demeure un équilibre vivant, qu’il faut protéger de la tentation contemporaine de légiférer au rythme des crises et des faits divers.

Michel Larive

Michel Larive a rappelé que l’acceptation sociale de 1905 fut progressive. L’opposition entre catholiques et laïcs s’est longtemps déplacée vers le terrain scolaire et culturel avant de s’apaiser, au fil des décennies, dans une reconnaissance plus stable de la liberté de conscience. Il a évoqué les périodes de tension, les moments de consolidation, et la manière dont la République a appris, lentement, à faire de la séparation une condition de paix civile plutôt qu’une confrontation de dogmes. Il a aussi abordé les débats persistants, notamment autour du financement de l’enseignement privé, soulignant que ces lignes de fracture touchent au cœur de la promesse d’égalité et demeurent, pour cette raison, des points sensibles de la mémoire laïque française.

Enfin, l’orateur a relié cette mémoire longue à l’actualité la plus récente, en évoquant les évolutions du statut des associations cultuelles, les exigences de transparence des financements et la nécessité de préserver la frontière claire entre le politique et le religieux. Son avertissement a été formulé avec netteté. Si l’on refuse que la religion fasse de la politique, la puissance publique ne doit pas exiger des religions une soumission de principe qui brouillerait l’esprit de 1905. Ce rappel de méthode, sobre et ferme, a donné à son intervention une portée à la fois pédagogique et civique, en parfaite cohérence avec l’esprit de cette Agora.

Dans le prolongement, la séquence attendue sur la neutralité des services publics et la liberté d’expression des élus a pris une coloration particulière en raison de l’absence du maire Patrice Bessac, excusé. Son premier adjoint, Gaylord Le Chequer, a assumé l’exercice avec une présence attentive et une tonalité profondément ancrée dans la réalité montreuilloise. Il a rappelé combien ce rendez-vous avec la GLMU s’inscrit, pour la ville, dans une relation de confiance déjà éprouvée, et combien le 120ᵉ anniversaire de 1905 offrait une occasion précieuse de redire ce que signifie gouverner au contact d’une population diverse sans que la règle commune perde sa clarté.

Refusant toute posture de tribune, il a préféré livrer des lignes de force issues du terrain. Son axe central s’est détaché avec netteté. La loi de 1905 doit être appliquée dans son intégralité, sans découpe opportuniste. Il a insisté sur l’équilibre des deux exigences, la neutralité de l’institution et la garantie active de la liberté de conscience. Méfiant face à la multiplication des adjectifs accolés à la laïcité, il a rappelé que l’esprit de 1905 suffit à guider l’action publique, à condition de ne pas en fragmenter le sens.

Gaylord Le Chequer – compte X ex-Twitter.jpg

Son intervention a donné chair à ces principes à travers des situations concrètes, notamment dans les services au contact des enfants et des jeunes. Il a évoqué la nécessité de tenir la règle sans raideur, d’expliquer sans humilier, de rappeler que la neutralité de l’institution protège la liberté de construction des mineurs et la dignité de tous. Cette pédagogie, a-t-il reconnu, exige une formation solide des agents et un travail de consolidation intellectuelle pour les élus eux-mêmes. Il a souligné l’importance d’outils municipaux de réflexion sur le fait religieux, et la nécessité de rappeler inlassablement un principe simple, ne jamais cibler une religion mais faire vivre une règle générale et égale pour tous. Dans une conclusion à la fois lucide et fraternelle, il a exprimé sa préoccupation face aux crispations nationales et aux accélérations médiatiques, tout en affirmant sa confiance dans la capacité des acteurs locaux, associatifs et éducatifs à maintenir une culture partagée du vivre-ensemble.

Laïcité livret individuel

La troisième séquence du matin, « Le principe de laïcité au quotidien ? Parlons-en ! », conduite par Michel Roux, membre du conseil collégial de l’Amicale Laïque d’Île-de-France, a déplacé le centre de gravité vers l’action éducative. En présentant une structure née en 2023 d’une volonté de transmission et organisée de manière horizontale, indépendante de toute obédience et de tout parti, il a insisté sur une ambition de terrain, faire comprendre la laïcité avant qu’elle ne devienne un sujet de fracture. L’association revendique une méthode fondée sur l’expérimentation et des projets pilotes, avec une pédagogie concrète à destination des élèves, notamment au moment charnière du cycle 3 et de l’entrée au collège, grâce à des expositions itinérantes, des supports d’échanges, des quiz et des dispositifs participatifs menés en lien direct avec les équipes éducatives.

Cette intervention a été enrichie par des prises de parole complémentaires qui ont donné chair à l’ensemble. Valéry, professeur de collège, est ainsi intervenu pour évoquer la réalité du terrain scolaire et rappeler combien la laïcité se joue dans une matière sensible, les dynamiques de groupe, la construction identitaire à l’adolescence, la nécessité d’un cadre clair pour préserver un espace d’apprentissage apaisé. Son rappel du contexte historique ayant conduit à la loi du 15 mars 2004, après une accumulation de tensions depuis la fin des années 1980, a montré que l’école demeure un observatoire décisif de la République en action.

Un témoignage féminin est venu compléter ce tableau avec une tonalité très incarnée. Il a mis l’accent sur les pressions possibles dans certains environnements sociaux et sur la valeur protectrice d’une règle commune stable, pensée non comme une contrainte abstraite mais comme une condition d’émancipation. En filigrane, cette parole a rappelé que la laïcité scolaire peut être un rempart discret contre les formes d’influence coercitive et un levier d’égalité réelle quand elle est expliquée avec justesse et appliquée avec constance.

Kakémono-Laïcité

Au total, cette séquence a offert à l’Agora un ancrage précieux. Elle a montré comment une démarche associative, modeste par ses moyens mais claire dans sa boussole, peut rendre à la laïcité une existence quotidienne, non polémique et profondément formatrice. En reliant la règle républicaine à des outils de compréhension et à la parole d’un enseignant de terrain, puis à un témoignage de vie, Michel Roux et les intervenants ont donné à la matinée une densité très concrète, une laïcité non seulement dite, mais éprouvée, transmise, et rendue intelligible.

L’après-midi a prolongé ce mouvement avec une thématique volontairement accessible et fédératrice, « Sport, laïcité, même combat ? »

L’après-midi a prolongé ce mouvement avec une thématique volontairement accessible et fédératrice, « Sport, laïcité, même combat ? ». La table ronde est partie d’une évidence que l’Agora a tenu à formuler sans détour. Le sport, lui aussi, rassemble. Il traverse les territoires, unit des publics très différents, joueurs professionnels ou amateurs, bénévoles, éducateurs, supporters. À ce titre, il demeure l’un des laboratoires les plus concrets du vivre-ensemble. Mais parce qu’il se situe à la jonction du service public, de l’espace public et de la sphère sociale, il devient aussi un observatoire sensible des tensions contemporaines. Il peut unir, et parfois diviser, en raison même de sa puissance identitaire et de ce qu’il met en jeu de visibilité, d’appartenance, de reconnaissance.

Les échanges ont ainsi posé une question simple et structurante. Le sport est-il toujours ce terrain d’apprentissage de la tolérance et du compromis auquel nous aimons croire. Comment contribue-t-il aujourd’hui à la vie collective. Jusqu’où le fait religieux vient-il interroger l’universalité de la pratique sportive. Ce questionnement n’était pas un prétexte de polémique, mais un effort de lucidité. Les signes ostentatoires sont plus fréquents, les pratiques rituelles s’invitent de plus en plus dans certains contextes, la mixité et la place des femmes redeviennent des sujets de tension ou de débat, comme si le corps sportif devenait parfois le théâtre d’un affrontement symbolique qui le dépasse.

C’est ici que la formule la plus nette de la séquence a pris tout son poids. Un terrain de football, un stade, un gymnase, un dojo, une piscine ne sont pas des lieux d’expression religieuse ou politique. Ce sont des espaces de neutralité, où ne doivent primer que les valeurs du sport, l’égalité, la fraternité, l’impartialité, le respect de soi et de l’autre, le dépassement de soi. Cette neutralité n’est pas une froideur. Elle est une protection active du commun. Elle empêche que la compétition devienne concurrence identitaire, que la cohésion d’équipe se transforme en logique de clan, et que la règle sportive soit supplantée par la revendication d’une visibilité particulière.

La table ronde a également assumé une nuance importante. Le principe de laïcité est clair, mais il reste objet d’interprétations multiples, parfois contradictoires. Les cadres internationaux évoluent. Le mouvement olympique autorise aujourd’hui le voile. La FIFA autorise le voile ou le turban. Mais l’Agora a tenu à refuser un débat réduit au commentaire des règlements. Au-delà des textes, il faut regarder les personnes, leurs trajectoires, leurs choix, leurs aspirations. Comprendre les tensions, mais aussi les chemins d’émancipation. Et surtout, écouter les femmes, parce que ce sont souvent elles qui portent, dans la réalité de terrain, les arbitrages les plus délicats entre liberté, tradition et autonomie. Elles inventent parfois, avec lucidité et courage, des solutions de conciliation pragmatiques qu’il faut entendre, sans renoncer à la clarté du cadre, et sans céder à l’aveuglement des jugements rapides.

Ainsi, la laïcité appliquée au sport est apparue comme une architecture très concrète, appuyée sur trois piliers, la raison, la tolérance et le droit. Une philosophie républicaine solide et un cadre juridique clair. Elle ne vise ni à effacer les convictions, ni à humilier les personnes. Elle vise à conserver au sport ce qu’il est censé transmettre à la cité, une discipline du respect, une école de coopération, une manière d’apprendre à être citoyen en action. Dans cette articulation, le sport doit rester un levier d’intégration, de lutte contre l’échec scolaire, d’émancipation personnelle et de réduction des inégalités sociales et culturelles.

Cette séquence a ainsi donné à l’Agora un souffle particulier. Elle a rappelé que lorsque nous pratiquons un sport, nous ne sommes ni de telle origine, ni de telle opinion, ni de telle croyance. Nous sommes simplement des femmes et des hommes qui essayent de donner le meilleur d’eux-mêmes. Et si cette évidence vient à être contestée, alors oui, il nous appartient de réagir, non par réflexe d’exclusion, mais par intelligence de la règle commune, par pédagogie du cadre partagé et par volonté de préserver l’universel vivant que le sport peut encore incarner.

Dans le prolongement naturel de cette Agora, un repère éditorial de la Grande Loge Mixte Universelle

Ce repère vient, fort justement, donner à la journée une profondeur supplémentaire et une cohérence de fond. Le numéro spécial Le fil à plomb 2024, « Laïcité : une éthique politique et une éthique de vie – Culture de la guerre, culture de la paix – Universalisme » (collectif, 89 pages, publié en septembre 2024, en téléchargement gratuit sur le site de l’obédience), apparaît comme un véritable arrière-plan intellectuel et symbolique de l’initiative du 6 décembre 2025. Là où l’Agora fait vivre la parole dans la cité, la revue organise la mémoire, stabilise les repères et propose une respiration longue, presque une méthode de discernement à l’usage des temps troublés.

Le choix du titre est déjà un engagement. Le fil à plomb est l’outil de la rectitude et de la vérification, celui qui révèle l’inclinaison avant qu’elle ne devienne fracture. Appliqué à la laïcité, il dit une exigence simple et forte, tenir la ligne juste, ne pas laisser le principe pencher sous les pressions identitaires, les simplifications médiatiques ou les adjectifs trop faciles qui découpent la laïcité en chapelles concurrentes. La GLMU rappelle ainsi que 1905 n’est ni une relique ni un slogan. C’est une architecture de liberté qui protège sans humilier, qui garantit la liberté de conscience sans confondre convictions intimes et loi commune, qui rend l’universel habitable parce qu’elle en refuse l’appropriation partisane.

La revue inscrit cette vigilance dans une filiation assumée. La mémoire d’Éliane Brault et de Raymond Jalu, fondateurs de l’obédience, traverse l’ensemble comme une boussole morale et politique. Elle rappelle que la mixité, l’égalité, le refus de tout dogmatisme religieux ou politique ne sont pas des formules d’identité, mais des conditions de travail sur soi et sur le monde. L’éditorial de Bernard Dekoker-Suarez prolonge ce même souffle en liant la laïcité à une culture de paix, comprise non comme une incantation, mais comme un effort collectif de lucidité, de méthode et d’humanisme, face aux crispations contemporaines.

Le fil à plomb 4e de couv

Ce numéro donne aussi une place importante à une réflexion très concrète sur les dérives possibles, celles qui voudraient transformer la laïcité en outil d’exclusion, ou au contraire la dissoudre en principe vague, sans prise sur la réalité. L’entretien croisé de Pierre Juston et Corine Marcien souligne avec justesse que la laïcité n’a pas besoin d’être “ouverte” pour être juste. Elle est un socle républicain autosuffisant dès lors qu’elle demeure fidèle à sa promesse d’égalité et à sa vocation protectrice. Dans ce cadre, la vigilance n’est pas une posture défensive mais une responsabilité civique, celle de refuser les entorses ordinaires à l’égalité, y compris dans les domaines où elles se masquent sous des habitudes, des pressions sociales ou des accommodements locaux.

En reliant enfin la laïcité à l’universalisme et à la culture de la paix, Le fil à plomb ne propose pas un simple dossier thématique. Il suggère une éthique de vie et une méthode d’élévation. La loi de 1905 y apparaît comme une promesse à reconduire, une pierre d’angle qui ne tient pas par la seule commémoration, mais par la transmission, l’éducation et la pratique quotidienne du commun. À la lumière de l’Agora, cette revue prend alors tout son sens. Elle ne vient pas après l’événement comme un supplément. Elle en est l’écho profond et le soubassement, une manière de prolonger la chaîne d’union dans l’espace civique, en rappelant que la laïcité n’est pas seulement une thématique de plus, mais une des formes majeures de notre raison de vivre républicaine.

Œil, Grand Temple GLMU

Au terme de cette Agora, une évidence s’impose sans emphase. À la GLMU, la laïcité n’est pas une rubrique commémorative mais une manière de tenir droit, ensemble, dans la cité. Entre parole publique et exigence intérieure, elle apparaît comme une éthique de liberté de conscience qui refuse les simplifications et choisit la vigilance fraternelle. Une journée qui rappelle, avec une tranquille fermeté, que 1905 demeure une lumière vivante quand on accepte de la faire servir, humblement, au bien commun.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Charles-Albert Delatour
Charles-Albert Delatour
Ancien consultant dans le domaine de la santé, Charles-Albert Delatour, reconnu pour sa bienveillance et son dévouement envers les autres, exerce aujourd’hui en tant que cadre de santé au sein d'un grand hôpital régional. Passionné par l'histoire des organisations secrètes, il est juriste de formation et titulaire d’un Master en droit de l'Université de Bordeaux. Il a été initié dans une grande obédience il y a plus de trente ans et maçonne aujourd'hui au Rite Français philosophique, dernier Rite Français né au Grand Orient de France.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES