« S’engager, partager, se ressourcer » – Saint-Ouen, 3 décembre 2025
Mercredi 3 décembre 2025, l’hôtel de la préfecture de la Région Île-de-France, 2 rue Simone Veil à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), a accueilli le 2e Colloque des référents laïcité. Sous la houlette du philosophe Pierre-Henri Tavoillot, référent laïcité de la Région, la journée a rassemblé une centaine de référents issus de la fonction publique, de l’école, du monde associatif, du sport et de l’entreprise, autour d’un objectif clair : passer de la prise de conscience à l’outillage concret.

Une ouverture placée sous le signe de l’alerte et de la mobilisation
En ouvrant les travaux, Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, rappelle que la première édition, en 2024, avait posé « la pierre de la prise de conscience ». Cette année, explique-t-elle, il s’agit d’entrer dans « le temps de l’action, du réseau et des outils ». Elle décrit une pression identitaire croissante, des revendications religieuses plus sophistiquées, des accommodements et renoncements trop fréquents, tandis que plus de 80 % des Français disent percevoir la laïcité comme en danger.

Face à la montée des modèles communautaristes, la responsable francilienne réaffirme le choix d’un modèle républicain universaliste, qui n’oppose pas les appartenances mais protège la liberté de chacun. Elle revient sur les décisions prises par la Région : charte régionale des valeurs de la République et de la laïcité conditionnant les subventions, formation des agents, vigilance dans le sport et les lycées, grande cause régionale 2025, et grande campagne de sensibilisation par le dessin de presse auprès des lycéens.

Surtout, Valérie Pécresse présente deux outils structurants promis lors du premier colloque et désormais opérationnels : le LaïcoScope, baromètre et recueil de cas concrets de terrain, et une plateforme numérique de soutien aux référents, destinée à rompre leur isolement et à harmoniser les réponses. Aucun référent, insiste-t-elle, ne doit plus « être seul face à la vague ».

La journée se conclura, annonce-t-elle déjà, par un hommage à Samuel Paty avec la remise du premier Prix national de la laïcité de la Région à Émilie Frèche, Muriel Mayette-Holtz et Carole Bouquet pour leur pièce Le Professeur, consacrée aux derniers jours de l’enseignant assassiné.
Matinée : penser la laïcité, du texte au terrain
La première table ronde, « La nécessité d’un réseau des référents laïcité », réunit Astrid Panossyan-Bouvet, ancienne conseillère d’Emmanuel Macron, députée de Paris de juin 2022 à octobre 2024 puis ministre du Travail et de l’Emploi dans le gouvernement Michel Barnier puis dans le gouvernement François Bayrou et députée (membre de la Commission des affaires étrangères), Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – opérateur principal de la direction générale des étrangers en France (DGEF) qui conçoit et pilote les politiques d’immigration et d’intégration en France –, et Mejdi Jamel, directeur général éthique et conformité de la RATP et référent laïcité de l’entreprise. Les intervenants reviennent sur la longue histoire des « actes laïcs » – état civil, école, hôpital – qui ont progressivement soustrait la vie commune à l’emprise d’une religion unique. La laïcité apparaît moins comme une doctrine abstraite que comme une architecture patiente de libertés concrètes.
Mais tous constatent un retour offensif du religieux dans l’espace public et la montée d’un individualisme qui oppose systématiquement « mon choix personnel » à l’intérêt collectif. La difficulté actuelle, soulignent-ils, tient à cette tension : comment rappeler que les comportements individuels ont un impact sur le bien commun, sans basculer dans la stigmatisation ? La laïcité, insistent-ils, n’est ni hostilité aux croyances ni neutralisation des identités, mais protection d’un espace partagé où chacun peut exister à égalité.
La seconde table ronde, « Charte et règlement intérieur de son organisation », met au travail deux juristes de haut niveau, Richard Senghor, conseiller d’État et référent laïcité de la juridiction administrative, et Jean-Pierre Hunckler, président de la Fédération française de basket-ball. Ils analysent la prolifération de chartes, guides et règlements : s’ils témoignent d’un engagement réel, ils créent parfois un « bavardage normatif » qui brouille la hiérarchie des normes et peut conduire les juges à censurer des chartes mal rédigées ou excessives. D’où un message clair aux référents : revenir au droit positif, mutualiser les ressources plutôt que réinventer chacun son texte, et veiller à la cohérence entre principes affichés et pratiques effectives.
La fin de matinée est consacrée à des ateliers de mises en situation. Par groupes de quatre, les participants jouent des cas réels construits avec le Conseil des sages de la laïcité : agent portant un signe religieux en service, demandes de congés pour motifs cultuels, usager contestant une règle de neutralité, etc. L’enjeu n’est pas de trouver « la bonne réponse », mais d’oser se confronter à l’ambiguïté, de comparer les réflexes et de voir combien la laïcité s’apprend dans l’épaisseur des relations humaines plus que dans les seuls textes.

Après-midi : la boîte à outils et le réseau
La reprise s’ouvre sur la table ronde « La boîte à outils du référent laïcité ». Emma Boissier, référente laïcité à la préfecture de région, présente le Conseil départemental de la laïcité mis en place à Paris : deux réunions par an, réunissant administrations, établissements scolaires, RATP, SNCF, missions locales, etc., pour partager diagnostics, bonnes pratiques et difficultés. De ces rencontres naissent des outils très concrets : affiche type de présentation du référent, mail standardisé expliquant sa mission, harmonisation de supports pour les journées de la laïcité.
À ses côtés, Benoît Drouot, du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, expose l’arsenal disponible pour l’Éducation nationale : vade-mecum laïcité, puis un second dédié à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, fiches pratiques, statistiques mensuelles des atteintes à la laïcité. Il rappelle que ces atteintes prennent des formes répétitives : port de signes ou tenues religieuses, contestation de cours, refus d’activités, pressions sur les commémorations de Samuel Paty ou Dominique Bernard. Mais, insiste-t-il, la plupart des situations se résolvent par le dialogue pédagogique, avant toute sanction.
Une intervention du Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) détaille ensuite l’offre de formation pour les agents publics : apports juridiques, études de cas, MOOC, formats courts, actualisation régulière des connaissances. Il s’agit de renforcer la posture professionnelle des agents – impartialité, respect, sens du collectif – autant que leur maîtrise des textes. Les référents laïcité, souvent isolés, trouvent là un appui pour diffuser une véritable culture de la laïcité au sein de leurs services.
Moment attendu de la journée, la présentation de la plateforme numérique R-Laïcité concrétise la promesse faite un an plus tôt. Réservée aux référents dûment nommés, cette plateforme sécurisée permet de s’identifier entre pairs, d’échanger sur des cas (sans jamais nommer de personnes ni d’organisations), de partager documents, retours d’expérience et actualités. R-Laïcité se veut à la fois centre de ressources, forum et outil de veille, prolongeant à distance l’esprit de cordée évoqué le matin.
Le LaïcoScope, enfin, est présenté comme un baromètre évolutif : à partir de situations fréquentes – agent public, association subventionnée, entreprise délégataire – il indique, en un tableau, le cadre légal applicable et les réponses possibles. L’outil n’a de sens que nourri par le terrain : les référents sont invités à y verser leurs propres cas, à signaler les phénomènes émergents, en particulier dans le champ éducatif où un groupe de travail spécifique sera constitué.

Grands témoins : une laïcité offensive, projet de société
La dernière table ronde, « Grands témoins – la nécessité des référents laïcité et d’un réseau sur le terrain », donne la parole, entre autres, à Jean-Michel Blanquer, ancien ministre de l’Éducation nationale, à Juliette Méadel, ancienne secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Aide aux victimes sous mes gouvernements Manuel Valls et
Bernard Cazeneuve et ancienne ministre déléguée chargée de la Ville dans le gouvernement François Bayrou, et au journaliste, poète et écrivain franco-syrien Omar Youssef Souleimane. Tous trois replacent la laïcité dans une perspective de longue durée : elle n’est pas seulement un garde-fou juridique, mais l’ossature d’un projet de civilisation où la liberté de conscience, l’égalité des citoyens et la fraternité construisent une espérance politique.
Jean-Michel Blanquer insiste sur la nécessité de sortir d’une laïcité seulement défensive : sans récit positif ni horizon désirable, les extrémismes prospèrent. Il plaide pour une laïcité « offensive », capable de parler à la jeunesse, de montrer que derrière les débats parfois techniques se joue rien de moins que la possibilité de vivre libre ensemble. Il rappelle la création du Conseil des sages de la laïcité, des équipes « Valeurs de la République » et d’outils pédagogiques comme la « fresque de la République », qui donnent chair à ces principes dans la vie quotidienne des élèves.
Les interventions croisent ainsi les regards de la ville, de l’école et des médias : la laïcité apparaît comme un bien commun fragile, particulièrement exposé dans les quartiers populaires et dans l’espace numérique, mais aussi comme une ressource pour résister aux logiques de séparatisme et de haine.

Un esprit de cordée républicaine
En clôturant la journée, Valérie Pécresse revient sur le fil rouge du colloque : rompre la solitude des référents laïcité. Réseau francilien, LaïcoScope, plateforme R-Laïcité, formations, conseils départementaux, Conseil des sages : autant de pierres qui, ensemble, dessinent une véritable cordée républicaine, pour que chaque agent, chaque bénévole, chaque responsable associatif puisse trouver soutien, expertise et fraternité lorsqu’il se heurte à des tensions autour de la laïcité.
Ce colloque montre combien la laïcité n’est pas un dogme figé, mais une démarche vivante de discernement, faite de textes, certes, mais surtout de rencontres, de paroles partagées, d’expériences mises en commun. Une manière de rappeler, au-delà des appartenances religieuses ou philosophiques, que la République n’est pas seulement un cadre juridique : elle est aussi une école de liberté intérieure, où chacun est invité à faire de la neutralité de l’espace commun non une contrainte, mais une chance d’élévation pour toutes et tous.
Rendez-vous en 2026 !

