Du nomadisme, analyse l’évolution des sociétés contemporaines en montrant que la modernité fondée sur la stabilité, la rationalité et l’individualisme cède désormais la place à une postmodernité marquée par la mobilité, l’émotionnel et le communautaire. Le nomadisme que décrit Michel Maffesoli n’est pas seulement un déplacement géographique : il est un style d’être caractéristique de notre époque, un mode d’existence fluide où l’on se déplace entre identités, groupes, pratiques et expériences.
L’auteur explique que la société moderne, héritière du projet rationaliste, valorisait l’enracinement, la planification et le progrès linéaire. À l’inverse, la postmodernité se reconnaît dans le présentisme, la recherche d’intensité et la multiplication des appartenances provisoires. Les individus deviennent des “tribus postmodernes”, des groupes affinitaires éphémères soudés par le partage d’émotions, de signes ou de rituels communs. Ce phénomène est au cœur du nomadisme contemporain : on circule d’une tribu à l’autre selon ses affects.
Michel Maffesoli insiste sur l’importance du sentiment d’appartenance et de la socialité quotidienne. Le nomade postmoderne ne cherche plus à s’affirmer par une identité unique et stable, mais par un ensemble d’identités fragmentées qu’il mobilise selon les contextes. Cette pluralité identitaire reflète un basculement de notre rapport au monde : on privilégie l’expérience vécue plutôt que l’idéologie, l’esthétique plutôt que la morale, le partage émotionnel plutôt que la construction rationnelle.
La mobilité n’est donc pas seulement physique : elle est symbolique, culturelle, affective. Le nomadisme est une réponse au désenchantement moderne, c’est-à-dire à la perte de sens liée à une vision du monde trop rationalisée. Les nouvelles formes de socialité postmoderne réenchantent l’existence par le jeu, la fête, la convivialité, les rassemblements informels et les pratiques communautaires. Elles permettent de recréer du lien là où l’individualisme moderne avait isolé les personnes.
Pour Maffesoli, ce nomadisme s’exprime aussi dans la manière dont nous consommons, travaillons et vivons nos relations. Le travail devient fragmenté, flexible, parfois instable ; les carrières linéaires sont remplacées par des parcours multiples. Les relations affectives suivent la même logique : on passe d’une conception durable de la famille ou du couple à des formes plus fluides, recomposées ou temporaires. Cette fluidité n’est pas un signe de désordre, mais l’expression d’un nouvel équilibre social, plus plastique et adaptatif.
L’auteur parle également d’un retour du polythéisme des valeurs : au lieu d’un principe unique structurant la société (comme la raison, le progrès, l’État), divers systèmes de valeurs coexistent, parfois contradictoires. Le nomade postmoderne navigue entre ces univers, sans chercher à les unifier. Cette multiplicité reflète la complexité contemporaine et le refus des discours totalisants.
Le rôle des technologies — réseaux sociaux, mobilité numérique, communication instantanée — accentue encore ce mode nomade. Elles permettent de créer des tribus à distance, de circuler entre plusieurs mondes, de vivre dans une simultanéité d’espaces symboliques. Pour Maffesoli, il ne s’agit pas d’un simple changement technique, mais d’une transformation profonde de notre imaginaire collectif.
Le nomadisme met aussi en cause la rigidité des institutions modernes. Celles-ci continuent de fonctionner sur un modèle centralisé, hiérarchisé, alors que la société vit désormais sur un mode horizontal, relationnel, parfois anarchisant. L’auteur voit dans cette tension l’une des grandes lignes de fracture de notre époque. Là où les institutions cherchent à fixer, la culture nomade cherche à circuler.
Enfin, Michel Maffesoli interprète ce mouvement comme un retour à l’archaïque, non pas comme régression, mais comme réactivation de structures anthropologiques anciennes : le goût du partage, la vie en groupe, le symbolisme, l’émotionnel. Le nomadisme postmoderne réunit ainsi tradition et innovation, instinct et technologie, local et global. Il marque le passage d’une société de l’“avoir” et du contrôle vers une société de l’“être-ensemble”.
Du nomadisme apparaît ainsi comme une réflexion majeure sur la transformation des mentalités et des formes de vie, proposant une lecture sociologique du monde contemporain fondée sur la fluidité, la sensibilité collective et les micro-communautés.
L’Auteur
Michel Maffesoli est Sociologue, professeur émérite en Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur d’une œuvre fondamentale. Il a récemment publié aux éditions du Cerf :
* Le temps des peurs
* Apologie – autobiographie intellectuelle
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