(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Le 1er novembre, dans la tradition catholique, à la différence du 2 novembre qui commémore les défunts, célèbre la vie, celle multiple qui, en actes comme en pensées, s’est élevée vers Dieu, vers plus grand que soi, vers la cause et la finalité de tout. C’est donc une fête joyeuse qui vibre de tous les échos du temps qui passe, à l’approche de l’hiver.

La terre entre dans un temps de repos, dans l’obscurité des lentes gestations, dans le repli silencieux des promesses inconnues qui, pourtant, se renouvellent, d’année en année. Les défunts, nos morts et les morts de nos morts, sont partout, dans ce que l’on a détruit comme dans ce que l’on a construit. Les morts, s’ils avaient su, s’ils avaient accepté qu’ils mourraient un jour, auraient-ils mieux vécu ? Auraient-ils mieux propagé un sens plus profond et, en définitive, plus aigu du savoir vivre (sans trait d’union, c’est-à-dire en les renforçant tous), à défaut d’un savoir mourir qu’on n’appréhende réellement qu’avant la nuit ultime, celle des adieux à tout ce que l’on a connu ?

Je suis assez vieux pour me souvenir du rythme des saisons, comme on le ressentait autrefois, dans la France agraire, lente et muette, soumise à de multiples servitudes – vies collées au rythme des terroirs, des semailles et des sonnailles… On n’y vivait pas dans les mirages de la télé-réalité, mais dans la rude simplicité du réel. Il y avait une sagesse du labeur et du laboureur, liée au cycle des saisons, aux caprices de la Nature, à un sourd consentement aux conditions de la vie.
Ce n’est que dans les rituels de la Saint-Jean d’été que l’on retrouve la mouvante combinaison des forces de la Terre, suivant l’orbite elliptique de notre globe. Nos rituels ordinaires sont abstraits, sur ce plan. Ils témoignent de l’expérience des bâtisseurs. Ils sont imprégnés des rigueurs de la pierre taillée qui résiste au temps. Il est vrai que, le moment venu, la terre ne nous reçoit pas comme une semence, mais nous dissout à jamais.

Quoi qu’il en soit, le parcours s’arrête et nous le savons. La mort toute récente de mon Frère Georges D. me le rappelle encore. Pour autant, je ne sais pas si nous savons mourir. J’aimerais y croire. Mais je sais que la mort, comme fait inéluctable, devrait nous apprendre à vivre, nous incliner à la modestie, ou plus justement à l’humilité[1], au sentiment de la terre d’où tout jaillit, où tout s’ensevelit. Nous inciter à cultiver les vertus qui rendent la vie gracieuse, propice au partage. Ce n’est pas trop de dire que l’élévation de l’esprit peut contribuer à l’élargissement de la conscience, au conciliant embrassement de la diversité, mêlant aux lumières du passé les flamboiements de l’avenir. Bref, ce que l’on appelle le présent dans sa combustion perpétuelle.
Et au-dessus, juste au-dessus, l’idée que nous pourrions être tous saints et saufs.
[1] L’humilité qui dérive du latin humus (« terre ») est définie dans la 8e édition du Dictionnaire de l’Académie française, comme une « vertu qui nous donne le sentiment de notre faiblesse, qui réprime en nous les mouvements de l’orgueil ». Elle abaisse, en fait, la considération de soi à la mesure de ce que l’on est réellement sur terre. Elle se distingue ainsi, comme sentiment intime, de la modestie qui en est la manifestation sociale, se prêtant aisément elle-même à d’hypocrites démonstrations, attitude que l’on stigmatise d’ordinaire, sous le vocable de « fausse modestie », quand quelqu’un minimise son rôle, d’une manière affectée, sans en penser un traître mot.
