Halloween, la dernière nuit d’octobre, enveloppe le monde d’un voile d’épouvante et de surnaturel. Des parades spectaculaires illuminent les rues de villes entières, tandis que petits et grands se parent de déguisements qui font frissonner l’échine. Citrouilles grimaçantes, sorcières sur balais, fantômes et squelettes envahissent les quartiers, transformant la nuit en un carnaval hors normes. Contrairement à une idée reçue tenace, Halloween n’est pas une invention américaine. Ses origines plongent bien plus loin, dans les brumes celtiques d’Irlande et de Gaule, remontant à une célébration ancestrale : Samain (ou Samonios en gaulois, Saen en gaélique irlandais).
Cette fête marquait le seuil de l’hiver, un temps de rassemblement, de préparatifs et de passage où les frontières entre les mondes s’amincissaient. Esprits, êtres féériques et âmes des défunts circulaient librement, offrant un accès mystérieux à l’avenir et à un royaume invisible. Aujourd’hui, de récentes découvertes archéologiques en Irlande et en France éclairent ces racines oubliées, reliant les feux de joie modernes aux rituels préchrétiens. Suivons ce périple fascinant, des légendes américaines aux sites millénaires celtiques, pour démêler l’histoire d’Halloween.
L’Écho Américain : de sleepy hollow à l’explosion commerciale

Notre voyage commence au nord de New York, dans la petite ville de Sleepy Hollow. Ici, Halloween résonne avec une intensité particulière depuis la publication, au début du XIXe siècle, de La Légende de Sleepy Hollow par Washington Irving. Cette nouvelle terrifiante a imposé un archétype indélébile : un cavalier sans tête hantant un cimetière et les environs boisés. Une nuit, l’instituteur du village, Ichabod Crane, croise le chemin du revenant. Pris de panique, il fuit à bride abattue pour franchir une rivière salvatrice. Mais le cavalier lui lance sa tête… qui s’avère être une citrouille ! L’instituteur disparaît à jamais.
Plus de deux siècles plus tard, cette histoire reste indissociable d’Halloween aux États-Unis. Adaptée au cinéma, à la télévision, en bandes dessinées, en reconstitutions et en parcours immersifs, elle a perpétué des motifs comme le fantôme à la citrouille, les farces surnaturelles et les superstitions de fin octobre. Aux États-Unis, Halloween est devenu un univers foisonnant de spectres, démons, squelettes et sorcières – un carnaval débridé qui attire des millions. À Long Island, par exemple, des festivals illuminent des milliers de Jack-o’-lanterns (citrouilles creusées et éclairées) au pied des arbres.

Pourtant, cette americanisation masque des origines plus profondes. Halloween a essaimé dans le monde entier, mais en Irlande, il souffle un vent de « celtitude ». À Trim, dans l’est du pays, le festival de Púca attire des milliers de participants avec une parade enflammée où défilent les êtres fabuleux des mythes irlandais : la Morrigan, terrifiante déesse de la guerre, en tête. Âmes sensibles s’abstenir !
Les racines celtiques : Samain, la fête du passage

Les racines d’Halloween ne sont ni anglo-saxonnes ni américaines. Elles remontent à des centaines, voire des milliers d’années, au cœur de l’Europe celtique. Samain (Sawen en irlandais ancien) était la plus importante des quatre grandes fêtes saisonnières qui rythmaient l’année celtique : Imbolc, Bealtaine, Lughnasadh et Samain. Divisée au gré des cycles agricoles et des solstices/équinoxes, cette calendrier marquait les transitions climatiques par des foires et des rassemblements.
Samain, célébrée autour du 1er novembre, symbolisait la fin de l’été et le début de l’hiver – une « fissure dans le déroulement du temps », un « temps hors du temps ». C’était la fin de l’année païenne et le commencement de la nouvelle, un moment crucial de transition mystique. Les frontières s’effaçaient : temporelles (entre saisons), saisonnières (abondance vers obscurité) et mystiques (monde des vivants vers l’au-delà). Esprits malveillants, fées et défunts pouvaient franchir le voile, rendant la nuit périlleuse mais propice à la divination et à la communication avec l’invisible.

Le feu jouait un rôle central. Dès les prémices de l’automne, les communautés ramassaient du bois pour allumer des feux de joie – source de chaleur, de réconfort et de protection. Ces flammes repoussaient l’obscurité et les entités qui l’habitaient, invoquant parfois le soleil pour conjurer l’hiver. La tradition, vieille de plusieurs millénaires, unissait la communauté en un rempart lumineux contre les forces invisibles.
Découvertes archéologiques : des sites millénaires témoignent de Samain
À 50 km de Dublin, la colline de Tlachtga (ou Hill of Ward) est le berceau présumé de Samain, selon l’historien du XVIIe siècle Geoffrey Keating. Les druides y allumaient le feu sacré, puis le propageaient à tous les foyers d’Irlande. Des païens modernes perpétuent ce rituel, transportant la flamme jusqu’au village voisin de Athboy.
Des fouilles récentes ont révélé l’importance du site dès l’âge de pierre. Bien que peu de traces de calcination soient visibles en surface, la géophysique a détecté un monument enseveli : une tranchée ouverte dans une structure cachée a mis au jour des preuves d’activités cérémonielles, avec des feux allumés puis le site comblé rituellement. Ce pourrait être le plus ancien témoignage de Samain.

À 100 km au nord, le fort de Navan (Emain Macha), en Ulster, offre une autre clé. Occupé dès 3000 av. J.-C. et culminant à l’âge du fer, ce n’était pas un fort défensif (fossé intérieur, talus extérieur) mais un containment pour empêcher les forces libérées de déferler sur le monde. L’archéologue Patrick Gibson a cartographié via géophysique des complexes antérieurs (700-100 av. J.-C.) : un bâtiment en forme de 8 symbolisant le cosmos – un cercle pour le monde humain, l’autre pour le divin, leur jonction comme passage de la mortalité à l’immortalité. Une structure massive de 40 m de diamètre, avec pieux concentriques, fut construite puis intentionalement brûlée et comblée de calcaire – une « porte vers l’au-delà ».
Samain y était un grand rassemblement, comme dans la légende du roi Conchobar Mac Nessa (Ier siècle) : absents risquaient folie et mort. Le fort évoque les assemblies royales (óenaig) et les dangers surnaturels de la nuit.Plus au sud-ouest, le cercle de pierre de Grange (Grange Stone Circle), daté de 4000 ans (Néolithique), s’aligne non sur le solstice d’été mais potentiellement sur le coucher du soleil à Samain, via la pierre 69. Les bâtisseurs observaient la métamorphose saisonnière : chute des feuilles, gelées, migrations d’oiseaux.
La Jack-o’-Lantern et les rituels alimentaires : de l’Irlande à l’Amérique

L’icône d’Halloween, la citrouille lumineuse, tire son nom de la légende irlandaise de Jack, un cordonnier rusé. Ayant piégé le diable dans un fauteuil magique, Jack erre après sa mort avec un navet contenant un charbon ardent. Les villageois creusaient des navets pour l’égarer, mimant des feux follets. Exposé au Musée de la Vie Rurale Irlandaise, un moule en plâtre d’un navet de 1903 (comté de Donegal) témoigne de cette tradition. Les citrouilles, plus faciles à sculpter, ont remplacé les navets aux États-Unis au XIXe siècle.
Les denrées d’Halloween portaient une magie divinatoire. Regina Sexton, spécialiste du folklore alimentaire, explique : pommes et noix n’étaient pas de simples gourmandises mais outils rituels. Peler une pomme en un seul ruban, le jeter par l’épaule : la forme formait l’initiale du futur conjoint. Manger une pomme à minuit face à un miroir invoquait le promis dans le reflet. Le barmbrack (gâteau aux fruits) cachait des objets prophétiques : alliance (mariage), chiffon (pauvreté), dé à coudre (célibat), bâton (violence conjugale, aujourd’hui abandonné). Le colcannon (purée de pommes de terre au chou, beurre et lait) était offert aux fées en migration d’été à hiver, pour s’attirer leurs faveurs.
Déguisements, farces et l’autre monde

Pour se fondre parmi les esprits, on se déguisait : peaux d’animaux, masques (comme un en peau de lièvre au musée). Cela permettait farces et transgressions, imitant les tours des entités surnaturelles.L’« autre monde » (Sí en irlandais) était gouverné par les Tuatha Dé Danann, immortels majestueux repliés dans les collines après l’arrivée des Gaëls. La Morrigan, déesse polymorphe de guerre et destin, en sortait à Samain via la grotte d’Oweynagat (Cave of the Cats) à Rathcroghan – portail légendaire d’où surgissaient monstres et guerriers.

Dans Les Aventures de Nera (récit médiéval, potentiellement plus ancien), Nera attache un pendu à Samain ; le cadavre revit, boit et tue une famille par regurgitation (pour avoir négligé le ménage rituel : disperser cendres et eaux usées). Nera suit une armée dans l’autre monde, épouse une femme qui révèle une illusion et prévient d’une attaque future. Écho chamanique : trance, visions, dialogue avec l’inconscient.
Des fouilles à Oweynagat datent un passage artificiel d’au moins 650 ans (calcite via uranium-thorium), potentiellement médiéval pour réconcilier païen et chrétien. À proximité, une idole en chêne de 3 m (encoches comme côtes décharnées) évoque sacrifices contre famine.
Liens Gaulois et Européens : le calendrier de Coligny

En France, à Coligny (Ain), un calendrier bronze du Ier siècle (découvert fin XIXe) inscrit en gaulois (écriture latine) mentionne Samoni – homologue de Samain, fin d’été/début hiver. Trinox Samoni (« trois nuits de Samain ») correspond à l’irlandais tráth na Samhna. Produit par des druides gaulois (attestés par César), il prouve une célébration ternaire commune aux Celtes insulaires et continentaux.Des chemins en bois comme Corlea (Irlande, âge du fer) ressemblent à ceux d’Allemagne, avec totems sangliers. Tourbières comme portails intermédiaires.
De la famine irlandaise à l’americanisation

La Grande Famine (1840s) force deux millions d’Irlandais à émigrer aux USA, emportant Samain. Avec pommes et noix, ils recréent jeux et veillées. Halloween explose : à Atlanta, mêmes divinations aux pommes. La sorcière à chapeau pointu vient d’Écosse (procès XVIe), pas d’Irlande (pas de chasses). À Salem, festivals honorent ancêtres, mais l’image est littéraire.
Conclusion : un héritage universel

De feux païens à cercles de sorcières modernes, Halloween franchit frontières. Sites comme Castro de Baroña (Galice) ou Porte des Enfers à Hiérapolis (Turquie, gaz CO2 toxique sacralisé) montrent un besoin humain universel : contacter l’invisible face à l’incertitude.
Samain/Halloween nous rappelle notre fragilité saisonnière et existentielle. Des festivals de Púca aux citrouilles de Derry, célébrons comme bon nous semble – en honneur à ces ancêtres qui, face à l’hiver, allumaient des lumières pour défier les ténèbres.
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