ven 31 octobre 2025 - 18:10

Les vertus cardinales alchimiques

LA JUSTICE (1/4)

Tombeau-de-François-II-et-de-Marguerite-de-Foix

La Justice, la Tempérance, la Prudence, et la Force, sont quatre vertus célébrées depuis l’antiquité, les vertus cardinales (du latin « cardi« , gond, axe) qui déterminent un espace charnière où l’être spirituel s’applique à faire œuvre de Justice avec Tempérance, et à déployer sa Force avec Prudence.

Tombeau croix

Ces vertus sont représentées sur la Fontaine Saint-Michel à Paris, et aux angles du tombeau de François II et de Marguerite de Foix, édifié par la future reine de France Anne de Bretagne pour ses parents, François II et Marguerite de Foix, en la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Nantes.

Elles sont reliées et les liens des deux couples Justice-Tempérance et Prudence-Force se croisent et forment un X en reliant la tête et le pied du tombeau.

Justice Tombeau de François II

C’est la Justice, pour Platon, qui régule les relations entre la Tempérance, la Force, et la Prudence, des vertus et des concepts philosophiques nécessaires à la vie sociale des cités grecques, qui seront repris par les Pères de l’Église et deviendront des vertus chrétiennes.

Hérodote Histoires Tome 2

Mais d’où viennent ces concepts et ces vertus de Platon ?

De l’Égypte où il étudia 13 ans, comme avant lui les grands penseurs grecs comme Pythagore qui y étudia 22 ans. L’Égypte fut le terreau, la terre noire (kemet) de leurs connaissances philosophiques, scientifiques et de leur humanisme, mais à quel niveau ? À l’époque, comme aujourd’hui, il y avait deux niveaux de connaissances : exotériques délivrées au plus grand nombre, et ésotériques réservées à des initié(e)s, transmises lors de cérémonies secrètes dans des lieux où les grecs comme Hérodote, le grand historien, n’avaient pas accès. Il le dit dans son livre Histoires à propos d’un immense labyrinthe souterrain : « les Égyptiens gouverneurs du labyrinthe ne permirent point qu’on me les montrât. » Et on peut deviner pourquoi quand on met en regard la pensée égyptienne où la magie et les forces invisibles sont très actives et la pensée grecque où règne la raison.

Heka Énergie cosmique

Héka est le nom égyptien de cette énergie cosmique qu’il s’agit de canaliser pour relier le spirituel et le matériel, par la mise en œuvre de rites et de formules efficaces. Chaque Égyptien et chaque Égyptienne pouvait devenir son propre Mage et canaliser par la magie cette énergie, se renforcer ainsi physiquement et spirituellement et insuffler de l’énergie à ses actions et à ses pensées en étant plus intensément vertueux. C’est toute la différence entre la vertu grecque et religieuse, conceptuelle et statique, et la vertu égyptienne dynamique qui transforme l’être spirituel tout en étant transformée par lui. Les vertus égyptiennes sont ainsi à géométrie variable comme les temples qui s’élèvent depuis leur premier lieu d’ancrage dans un lieu chargé d’énergie invisible, par exemple près d’une source d’eau et d’une grosse pierre en puissance, leurs forces s’élevant de plus en plus haut jusqu’aux clés de voûtes où elles se croisent.

Autrement dit, les vertus cardinales sont destinées pour les grecs à maintenir l’ordre moral qui doit régner dans toute communauté, qu’elle soit civile ou religieuse, mais cette forme collective de vertu se prive de la puissance des pensées vertueuses égyptiennes dont elles dérivent.

Mâat Ordre cosmique

La Justice grecque dérive de la Mâat, la Vérité intégrale égyptienne ; la Tempérance grecque recherche l’équilibre de valeurs morales en occultant les forces qui les relient, et à l’inverse la Tempérance égyptienne s’attache aux forces qui relient ensemble ces valeurs pour mieux les « mettre en valeur », chacune individuellement ; la Force grecque est une forme allégée de Héka, la puissante énergie cosmique ; la Prudence grecque s’en remet à des connaissances rationnelles qui entravent ses pensées dans le noir de la conscience, et la Prudence égyptienne pense d’abord avec son cœur, en toute connaissance de cause, avant de reformuler sa pensée intellectuellement, elle « sait » avant de connaître.

Les quatre Éléments

Déjà pointait à l’horizon la pensée occidentale écartelée entre l’universalité de la sagesse égyptienne et l’universalisme enchâssé dans les dogmes idéologiques et religieux à venir. Les grands penseurs grecs présocratiques assurèrent la dispersion des éléments fondateurs de la pensée antique comme les quatre Éléments, l’Eau, le Feu, l’Air, et la Terre, et se les réapproprièrent à tour de rôle, le recyclage et l’appropriation de la pensée égyptienne étant la marque de la pensée occidentale dès sa naissance : l’Eau pour Thalès, le Feu pour Héraclite, l’Air pour Anaximène, et les quatre Éléments ensemble (en rajoutant la Terre) pour Empédocle. Ils désagrégèrent ce corps de sagesse antique comme le corps d’Osiris fut démembré, sans jamais lui permettre de se reconstituer en un tout autonome et rayonnant.

Matière noire

Mais la pensée magique et hermétique enseignée dans les Écoles de Mystères égyptiennes est passée à travers les filets de la raison grecque et les interdits des dogmes monothéistes, car elle dépasse l’entendement rationnel. La pensée rationnelle, par nature masculine et dominatrice, fait croire qu’elle « pense à tout », qu’elle « pense tout » même amputée de la pensée intuitive plutôt féminine, comme les hommes de science ont pensé l’univers et découvert ses lois jusqu’au siècle dernier sans tenir compte de la matière noire et de l’énergie sombre, qui constituent pourtant 95% de la matière de l’univers, donc en ne raisonnant qu’à partir des 5% restants.

De la même manière, depuis 2000 ans en Occident, 5% de pensées rationnelles feignent d’ignorer l’existence des 95% de pensées restantes, qu’elles soient subconscientes, intuitives, irrationnelles, ou autres, et si les pensées monorationnelles et les religions monothéistes dirigent encore le monde aujourd’hui, c’est à contre-courant d’une pensée scientifique spiritualisée qui les a supplantées dans le cœur intelligent des êtres spirituels de notre temps.

Les anges attentifs

Leur cœur intelligent sait voir derrière les apparences qui voilent la réalité et troublent le regard, jusqu’à voir s’animer le marbre du tombeau de François II et de Marguerite de Foix, sa seconde épouse. Ce chef-d’œuvre de la Renaissance fut sculpté par Michel Colombe, sur des plans de Jean Perréal, alchimiste, de 1502 à 1507 en collaboration avec des artistes italiens. Et il s’agit bien de renaissance, puisque nous retrouvons les amoureux François et Marguerite, morts aux apparences et en sur-vie dans une dimension invisible en soi-même, sous la bonne garde des quatre vertus cardinales. Sous le regard attentif et attendri des anges, les amoureux prient et communient ensemble dans une même prière, et de leurs deux cœurs en symbiose émanent des ondes qui les élèvent vers d’autres niveaux de conscience en soi-même.

Épée de la Justice

À leur tête, près de François II, veille la Justice armée d’un glaive massif tenu verticalement. Sa lame lève le voile qui dissimule la vérité éclairée par le soleil rayonnant de son pommeau. Sa lame en losange aplati est si large qu’elle renvoie comme un miroir deux images de cette vérité aussi vraies l’une que l’autre, mais elle ne tranche ni d’un côté ni de l’autre et se maintient verticalement car la seule vérité qu’elle retient est renvoyée par l’arête centrale verticale. Par elle souffle l’esprit de justice inspirant une vision juste de la réalité quelle qu’elle soit, celle des conflits ou celle d’une vie pacifiée, celle du chaos ou celle de l’ordre. Tout doit se voir en vérité, en croisant les deux aspects d’une même réalité, quitte à se détacher de la justice humaine et des contingences terrestres. Car la justice humaine horizontale qui applique les lois et résout les conflits est complémentaire de l’esprit de justice qui souffle verticalement en vérité.

Le grand mystère de l’esprit juste n’est pas qu’il souffle en vérité, mais qu’il souffle où et quand il veut. Il ne suffit pas d’être vertueux pour être et penser « en vérité », il faut qu’un esprit supérieur le souffle en soi-même, et ce moment ne se décrète pas, il se reçoit et se recueille comme un don du ciel, le Don de Dieu des grands penseurs de la Renaissance et des Alchimistes. « Dieu, disent les maîtres, donne la sagesse à qui il lui plaît et la transmet par l’Esprit-Saint, lumière du monde ; c’est pourquoi la Science (l’Alchimie) est dite un Don de Dieu. » (Fulcanelli, Les Demeures Philosophales)

Balance de la Justice

La balance tenue en main gauche par la Justice l’exprime autrement, en pesant à la fois les pensées et les actions de l’être moral en société, et les prises de conscience de l’être éthique intérieur. Les choix de l’être moral, ses principes et ses règles de vie sont identifiables et ne concernent que des secteurs de vie particuliers : la santé, le travail, l’argent, alors que les prises de conscience de l’être éthique sont imprévisibles, car elles sont dues souvent à des évènements imprévus : chocs émotionnels, épreuves physiques, révélations spirituelles. Elles impactent tous les secteurs de vie en même temps, leurs marques en mémoire sont définitives et entraînent de profonds bouleversements intellectuels et spirituels.

L’être moral et l’être éthique forment ensemble une globalité et un tout « doué de vie » (formule d’eulogie des Anciens Égyptiens), doué de propriétés propres que n’avaient ni l’être moral ni l’être éthique pris séparément. Autrement dit, de leur union « émerge » un Esprit nouveau de justice, une surconscience qui s’affirme à mesure que se développe la conscience d’une justice absolue pesant et jugeant globalement tous les choix de l’être effectués consciemment et subconsciemment sur tous les plans, physique, moral, mental, et spirituel. Ce principe de justice transcendante, à l’œuvre pareillement en soi-même comme dans tout l’univers, est celle de la déesse égyptienne Mâat, principe d’ordre de l’univers, à l’œuvre depuis sa création.

Mâat

« En » la Mâat, la connaissance est conscience, la vie de l’âme est à la fois terrestre et céleste, et participe à l’inévitable évolution de la création, transformant la vie créative en re-création et en récréation et le principe d’ordre de la Mâat en facteur de joie intérieure. « En » la Mâat, la conscience est holistique et l’être fait l’expérience exaltante de sa propre méta-morphose, et même d’une méga-morphose renforcée par la vie ritualisée des Égyptiens, retenant le temps et allégeant l’espace, suspendue en cet espace/temps régénéré.

Cette conscience holistique de la Mâat se réduit à « la plume de Mâat«  lors de la pesée du cœur des défunts au moment du Jugement d’Osiris, un jugement qui prépare, s’il est positif, le passage des défunts dans un au-delà cosmique commun qui se mérite individuellement. Mais ce Jugement n’est pas le Jugement Dernier des religions monothéistes, car il n’a rien de définitif, la vie matérielle et spirituelle ici-bas et au-delà formant un tout indissociable en continuité l’un de l’autre où une même vie spirituelle se perpétue.

Tribunal dOsiris

Pour en prendre pleinement conscience, l’être spirituel doit travailler régulièrement à coordonner les propriétés des quatre vertus cardinales, car activées par une pensée morale et une conscience éthique revivifiées, ces vertus conditionnent le passage du visible à l’invisible, d’une vie naturelle à une sur-vie surnaturelle puissante et lumineuse.

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Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

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