dim 26 octobre 2025 - 17:10

Le Petit Poucet : un apologue initiatique aux multiples lectures

Le Petit Poucet, conte immortalisé par Charles Perrault dans son recueil Histoires ou contes du temps passé, avec moralités (1697), est bien plus qu’une histoire pour enfants. Issu de la tradition orale, ce récit s’inscrit dans la lignée des apologues, ces narrations visant à illustrer une leçon morale à travers des personnages et des situations symboliques. De l’Antiquité avec Ésope à la modernité, en passant par La Fontaine, Grimm ou Andersen, l’apologue traverse les siècles, se distinguant de l’apologie – qui défend ou justifie – par sa portée didactique.

À travers les aventures du Petit Poucet, Perrault tisse un récit riche, oscillant entre horreur historique et symbolisme ésotérique, notamment maçonnique, invitant à une quête intérieure vers la lumière. Explorons ce conte dans ses différentes dimensions : ludique, historique, philosophique et initiatique.

Couverture du Petit Poucet

L’apologue : une tradition millénaire

Un apologue est une histoire conçue pour transmettre une morale explicite, souvent incarnée par des figures symboliques – animaux chez Ésope (VIe siècle av. J.-C.), esclave grec devenu maître des fables, ou humains chez Perrault. Ces récits, accessibles en première lecture, cachent des couches plus profondes. Ésope a inspiré La Fontaine (1621-1695), dont les fables coïncident avec l’époque de Perrault, ainsi que Grimm, Andersen et d’autres, chacun adaptant ce genre à son contexte. Contrairement à l’apologie, qui vise à défendre (un acte courageux, une personne accusée) ou à justifier (un crime, une haine), l’apologue cherche à éduquer, à faire réfléchir.

Préambule : un conte ancré dans une époque sombre

Publié le 11 janvier 1697 sous le titre Contes de ma mère l’Oye, le Petit Poucet s’inscrit dans un XVIIe siècle marqué, notamment dans sa première moitié, par des famines endémiques en France. Ce contexte éclaire la misère des paysans, en particulier des enfants, thème central du conte. La victoire sur la faim y est littérale – survivre à l’abandon – mais aussi métaphorique, évoquant une faim spirituelle. Comme les fables de La Fontaine, le récit propose plusieurs niveaux de lecture :

  • une première, ludique, captivant les enfants,
  • une seconde, historique et politique, reflétant les luttes sociales,
  • une troisième, philosophique et sociétale, questionnant l’existence,
  • une quatrième, maçonnique, révélant des symboles cachés aux initiés.
Le petit Poucet

Introduction : un temps hors du temps

Les contes, avec leur incipit intemporel « il était une fois », nous plongent dans un univers suspendu, au-delà des limites matérielles. Peter Pan vole, le Petit Poucet fait des pas de géants, la Belle au Bois dormant fige le temps, et les animaux parlent – comme dans Mary Poppins. Ces récits interrogent destin, amour, bien, mal, mort et relations humaines, souvent sous un voile de magie ou de dogme. le Petit Poucet, quittant son « nid » pour une quête initiatique, incarne le pèlerin des contes, guidé par des formules comme « tire la chevillette et la bobinette cherra » (Petit Chaperon Rouge) ou « sésame ouvre-toi » (Ali Baba). Perrault s’inspire-t-il de Thésée, sauvé du labyrinthe par le fil d’Ariane, trahissant Minos par amour ? Cette faiblesse humaine préfigure les multiples sens du conte : historique, allégorique, ésotérique et maçonnique. lire ici exige plus que la simple maîtrise des lettres ; c’est une initiation.

La fée symbolise la lumière intérieure, la sorcière l’ombre et les monstres intérieurs. La forêt, lieu d’épreuves récurrent (Brocéliande, jungle de Tarzan), est un labyrinthe initiatique où l’on se perd pour mieux se retrouver, incarnant nature sauvage et transition. L’expression « c’est l’arbre qui cache la forêt » appelle au discernement. L’enfant, cœur pur, s’oppose au loup (bestialité) ou à l’ogre (avidité), comme dans le Loup et l’Agneau, où le pavé mosaïque (noir et blanc) reflète dualité. Le Petit Poucet regorge de tels symboles, à décrypter selon son niveau de compréhension.

Le contexte : misère et abandon

La misère des parents symbolise leur incapacité à nourrir leurs sept fils, matériellement et spirituellement. Conscients de leur déchéance, ils envisagent l’abandon, acte d’horreur dénoncé par Perrault en première lecture. Symboliquement, c’est laisser s’éteindre une flamme intérieure par négligence, une ruine morale et spirituelle. Le Petit Poucet, dernier et malingre, surnommé ainsi (diminutif de pouce), se distingue par sa curiosité : il écoute aux portes, réagissant avec des cailloux blancs – symbole de pureté, lumière et spiritualité naissante. La pierre (matière) et l’enfant (pureté) s’unissent dans cette image.

Le Petit Poucet au Lit

Abandonnés, les frères cèdent à la peur, sauf le Petit Poucet, qui suit ses cailloux pour revenir. Pourtant, l’histoire évolue : les parents, dotés d’argent (richesse spirituelle potentielle), retombent dans l’inertie. Le Petit Poucet, caché sous un tabouret, entend à nouveau leur plan. Sans cailloux, il éparpille son pain – symbole multiforme – mais novice, il sème superficiellement, et les oiseaux (mauvais augure) le dévorent. La nourriture spirituelle, semée en profondeur, est imputrescible ; la matérielle, éphémère.

L’initiation : de l’ogre aux bottes de sept lieues

Persévérant, le Petit Poucet grimpe sur un arbre, voyant une lumière – quête spirituelle – mais elle le mène à l’ogre, rustre et prédateur. Sa femme, parcelle d’humanité, retarde l’inéluctable, soumise à ses instincts. Dans la chambre, deux lits (dualité) attendent : l’un vide, l’autre avec les sept filles de l’ogre, couronnées d’or (matérialité). Le 7, chiffre d’accomplissement (chakras, péchés capitaux), évoque une loge juste et parfaite. Éveillé, le Petit Poucet échange bonnets et couronnes, rétablissant les vraies valeurs : les auras spirituelles brillent sur ses frères.

L’ogre, aveuglé par ses pulsions, dévore ses filles, éliminant sa propre bestialité. Furieux, il chausse ses bottes de sept lieues (28 km, distance initiatique) pour traquer les garçons. Endormi sur un rocher creux – cabinet de réflexion ? –, il perd ses bottes, volées par le Petit Poucet. Ce dernier ramène ses frères, faisant des « pas de géant » vers la maîtrise de soi, loin de sa condition initiale.

Devenu « grand », il voyage, rencontre la sagesse (le Roi, figure spirituelle), s’enrichit (or philosophal ?) et sauve sa famille. cette richesse intérieure – pas matérielle – évoque Ulysse, Jason ou le Graal, symboles de quête intérieure.

Conclusion : de la bestialité à la sagesse

Autour du Petit Poucet, parents et frères végètent dans ignorance et turpitude. Perrault dénonce la misère intellectuelle, source d’actes horribles. Le Petit Poucet, muet mais attentif, use de son intelligence pour triompher. Son message : chacun, quel que soit son état, peut devenir maître de soi via devoir et responsabilité, vainquant la bestialité par la sagesse. Le conte oppose maison terrestre (parents) et maison de vie (Roi), appelant à couper le cordon ombilical pour trouver son Orient.

Les ogres – avides, dominateurs – s’opposent au Petit Poucet, qui affaiblit les ténèbres sans nuire, laissant l’ignorant accéder à la lumière. La richesse intérieure enrichit l’extérieur, servant autrui avant soi. Du bonnet à la couronne, il retourne au Père, comme David vainquant Goliath, transformant faiblesses en forces. Un poème anonyme conclut :

« Parfois, c’est ce marmot qui sauve la famille. »

Bibliographie succincte

  • Les 8 contes de ma mère l’Oye (Perrault)
  • Grimm : Tom Pouce, La maison dans la forêt, Petit frère petite sœur
  • Andersen : Le Petit soldat de plomb

Réponses possibles

Dans une version, les parents dilapident l’argent en orgies, incarnant misère matérialiste. Dans une autre, l’ogre engraisse les garçons pour les saler, confirmant la vanité de la nourriture profane face à la spirituelle.

Ce conte, paru en 1697, reste un miroir initiatique, où le Petit Poucet guide vers la lumière, pierre par pierre, pour qui sait lire entre les lignes.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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