lun 22 septembre 2025 - 22:09

Avec le maillet,  « Epistolæ Latomorum » frappe juste !

Entrer dans ce numéro d’Epistolæ Latomorum, qui consacre son dossier à « Le franc-maçon et son histoire » et sa rubrique « Symbolisme » au maillet – revient à franchir un seuil où la lumière consent à la mesure. L’équinoxe pose sa balance et nous respirons aussitôt la tenue d’une revue qui ne juxtapose pas des pages mais règle une cadence intérieure. Rien n’y cherche l’emphase. Tout y travaille l’exactitude.

Philippe Cangémi, Grand Maître, nous accueille avec une parole qui ne promet pas des lendemains abstraits. Elle rappelle la vocation d’une obédience quand elle sert la cité par la qualité des travaux. Nous entendons l’exigence d’une sobriété rituelle qui protège des crispations de personne. Nous recevons l’invitation à soigner le silence fondateur, à cultiver la nuance comme courage, à remettre la jeunesse en situation d’apprendre par l’exemple ce que signifie servir plutôt que paraître. Cette voix ne s’élève pas au-dessus des ateliers. Elle en épouse le pas et nous met en route. Claude Godard, rédacteur en chef, prolonge cette impulsion par une rentrée qui refuse la routine. Reprendre ne signifie pas reproduire. Reprendre signifie revenir à la source qui éclaire la forme. L’histoire y devient méthode. Le maillet y devient école de décision. La diversité y trouve sa place sans que l’exigence initiatique s’évente. Nous avançons dès lors avec un angle juste. La pensée consent à la discipline des gestes. Le chemin s’ouvre.

Pierre Franceschi donne au dossier sa ligne d’horizon en travaillant la perspective avec la patience d’un tailleur de pierre. Sa prose ne brille pas pour elle-même. Elle règle notre regard. Elle décante, elle remet droit. Nous voyons mieux ce qui fonde la durée d’une loge lorsque l’atelier cesse d’être une chronologie et redevient un organisme vivant. La loge Sagesse apparaît comme une conscience en acte. Édouard de Ribaucourt, Camille Savoire, Gustave Bastard ne sont plus des noms fixés. Ils prennent l’allure d’ouvriers dont la fidélité fait autorité. Ils ne professent pas. Ils persévèrent. Ils tiennent la règle, surveillent la qualité des gestes, gardent ce centre pragmatique qui empêche la tradition de se dissoudre dans le culte du passé. La parole de Michel Bédaton, Vénérable Maître, confirme ce tempérament. Le verbe marche à la vitesse de la main. L’expérience précède le commentaire. La noblesse d’un atelier se reconnaît alors à des signes discrets. La patience partagée. Le silence bien disposé. L’écoute qui donne du temps à la pensée. L’hospitalité qui honore la visite interobédientielle sans renoncer à l’exactitude rituelle. La conversation qui préfère la nuance à l’invective. Ainsi la tradition ne répète pas. Elle recommence.

Éric Saunier

Éric Saunier s’avance ensuite avec l’outil discret de la critique des sources. Un demi siècle de terrains impose une manière de lire qui ne se contente pas de voir. Exploiter une trace exige d’écouter la texture de l’archive. Les registres parlent par leurs pleins et par leurs creux. Les minutes instruisent par leurs silences autant que par leurs insistances. Le survol n’est pas fuite. Il devient art d’arpenter le temps à pas égaux. Naît de là une éthique du récit maçonnique. Refuser l’anecdote flatteuse. Se défier des mythes commodes. Vérifier les filiations. Exposer le travail plutôt que s’abriter derrière la source. Cette pédagogie rend la mémoire plus probante et la probité plus lumineuse.

Pascal Berjot

Ajoutons maintenant ce foyer ardent qui traverse tout le numéro et qui prend corps sous la plume de Pascal Berjot. La Maçonnerie à Lyon devient une géographie spirituelle qui nous apprend à tenir. Nous voyons la ville comme deux mains qui se rejoignent. La Saône et le Rhône dessinent une nervure double. La colline de Fourvière veille comme un sanctuaire. La colline de la Croix Rousse travaille comme un atelier. Dans cet entrelacs, la tradition ne s’installe pas en décor urbain. Elle épouse les pentes et les quais. Elle emprunte la patience des métiers de la soie. Elle avance au pas mesuré des processions et des cortèges civiques. Pascal Berjot décrit Lyon avec les mots d’un homme qui y a posé sa règle. Les rivières deviennent les branches d’un compas ouvert qui prend la mesure d’un espace humain. La ville se lit comme un temple en creux. Ses salles sont des squares et des traboules. Ses colonnes d’air portent un ciel travaillé par l’idée d’équilibre.

J.-B. Willermoz

L’histoire se déploie alors sans raideur. Les premières Loges du XVIIIe siècle tâtonnent, nomment, ordonnent, cherchent la tenue régulière. Jean Baptiste Willermoz (1730 – 1824)  s’avance très tôt, jeune négociant scrupuleux lancé vers une réforme intérieure. Il reçoit, il travaille, il collecte, puis il ordonne. Le Rite Écossais Rectifié prend racine avec la patience d’un jardinier qui greffe.

La présence de Martinès de Pasqually passe comme un vent d’Orient. Les doctrines se frottent à la pierre lyonnaise. Elles s’épurent sans perdre leur feu. Elles donnent à la cité une discipline du cœur et un goût de claire chevalerie. Rien de plaqué. Une ascèse du discernement. Une volonté de réconcilier foi, raison et conduite. À travers Jean Baptiste Willermoz, nous entendons cette voix qui demande de ne jamais séparer la doctrine du soin des Frères.

Le récit embrasse de larges siècles et garde le détail. La sociabilité bourgeoise anime cafés, salons et bibliothèques. Les Loges inventent une bienfaisance qui n’est pas l’aumône. Elles soutiennent les apprentissages. Elles allègent les détresses. Elles ouvrent des écoles d’exactitude morale. Nous croisons Claude Bourgelat qui fonde la première école vétérinaire du monde. Nous croisons André Marie Ampère qui donne à la science un alphabet nouveau. Nous retrouvons Émile Guimet, voyageur des cultes et bâtisseur de musées. Nous apercevons Ulysse Pila, pont de commerce vers l’Extrême Orient. Cette constellation révèle une manière lyonnaise d’habiter la cité. Joindre la pratique utile et la pensée longue. Tenir ensemble les soies fines et les grands desseins.

Blason de la ville de Lyon

Vient le XIXe siècle et ses secousses. Les canuts se lèvent. La Croix Rousse gronde. Les Frères descendent des ateliers et des comptoirs pour calmer, soutenir, parfois seulement témoigner. La bienfaisance se structure. L’idée d’adoption féminine affleure. Des expérimentations s’ébauchent qui annoncent le désir d’associer les femmes à l’œuvre commune. Les institutions politiques se durcissent et la Maçonnerie marche sur la corde tendue entre empire et liberté. La Troisième République confie à Lyon une charge civique. Les loges se multiplient. Elles discutent. Elles clarifient. Elles prennent position en conscience avec le souci constant d’instruction, de santé et de justice sociale. Maître Philippe et Gérard Encausse dit Papus passent comme deux étoiles contraires qui attirent et divisent. La ville accepte cette tension. Elle sait que l’expérience spirituelle et la prudence critique se cherchent et se corrigent.

Lyon, les pentes de la Croix Rousse

La blessure du siècle suivant traverse ces pages avec gravité. Listes infamantes, scellés, temples sous séquestre, Frères arrêtés, exils, déportations. Lyon apprend la fidélité silencieuse. Le retour ne triomphe pas. Il rétablit. Il reconstitue des archives. Il visite des familles. Il rouvre des portes. La Maçonnerie retrouve sa voix, plus basse, plus juste. Pascal Berjot souligne la patience de la reconstruction et cette manière lyonnaise d’éviter les querelles de préséance pour privilégier la qualité des travaux. Nous reconnaissons une éthique. S’effacer pour que l’atelier vive. Préférer la tenue régulière au bruit. Laisser la fraternité recoudre ce que l’histoire a rompu. Le regard se tourne vers la carte contemporaine. Les obédiences trouvent à Lyon un terrain d’équilibre où l’exigence symbolique demeure. Les loges fréquentent les musées. Elles investissent les bibliothèques. Elles s’aventurent dans des débats où les valeurs se clarifient à l’épreuve de la contradiction loyale. La ville demeure matrice du Rite Écossais Rectifié sans se réduire à un conservatoire. Les héritages deviennent méthodes. Étudier. Transmettre. Éprouver par la vie. Les deux collines reprennent sens. Fourvière rappelle l’axe intérieur. La Croix Rousse garde le goût du labeur et de la justice sociale. Entre elles, la confluence dit la vocation d’unir ce qui sépare. Voilà la signature de Lyon. Une métaphysique pratique. Un art d’accorder contemplation et responsabilité.

Le maillet reçoit ensuite une attention qui n’a rien d’ornemental. La Loge Excalibur rappelle que le symbole ne surplombe pas l’objet. Il naît de lui. Le maillet parle par son poids et par sa tenue. Par l’élasticité du bois. Par la manière dont la main amortit ou casse le choc. Par le son qui s’enfouit dans la matière. Les métiers de la main lui confient une puissance apprivoisée. Menuisiers, tonneliers, sculpteurs, tailleurs de pierre ont appris la mesure par l’oreille autant que par l’œil. Ce détour profane purifie le regard rituel. Frapper en loge ne signifie pas seulement signaler un ordre. Frapper signifie libérer une énergie tenue qui se règle pour ne pas blesser. L’outil enseigne la tempérance active. Il dirige sans brutalité. Il touche sans meurtrir. Pierre Franceschi prolonge la méditation avec le couple maillet et ciseau. Le maillet donne l’impulsion. Le ciseau dessine la forme. La pierre consent quand la cadence est juste. Trois coups mettent le temps en ordre et l’Apprenti s’y mesure. L’autorité découvre sa propre limite. Trop fort la pièce se fissure. Trop faible la pierre demeure muette. Au moment opportun la figure s’avance. Nous quittons la mécanique. Nous entrons dans une politique de l’âme. Une alchimie discrète affleure. Un premier choc noircit l’informe. Un second blanchit la face. Un troisième rougit l’instant où la forme apparaît. Rien de plaqué. Une expérience de main et de cœur. Le symbole advient parce que le geste a été vrai.

Nous saluons brièvement ces deux artisans majeurs que ce numéro place au travail. Pierre Franceschi, maçon chercheur familier de l’histoire des rites, écrit au plus près des ateliers et des archives. Il conjugue enquête historique et lecture symbolique avec une probité qui élève la conversation. Pascal Berjot, ancien Grand Maître de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra, fait de Lyon une carte d’orientation et un exercice d’humilité. Officier, pédagogue, conférencier, il parle au citoyen autant qu’au compagnon. Tous deux donnent l’exemple d’une érudition gouvernée par la vie.

Nous refermons le volume comme nous remettons un Temple en ordre. Le monde extérieur nous paraît moins confus. Nous portons la mémoire d’une ville qui unit prière et labeur sans confusion. Nous gardons en main un outil qui commande la mesure et qui protège de l’orgueil autant que de l’inaction. La tradition ne marche pas derrière nous. Elle marche à nos côtés. Elle oriente, elle tempère, elle oblige. Nous avançons avec cette clarté qui naît lorsque la pensée consent à la justesse du geste, et chaque pas fait monter une figure plus nette dans la pierre de nos jours.

EPISTOLAE LATOMORUM – Dossier : Le franc-maçon et son histoire / Symbolisme : Le maillet

La revue de la Grande Loge Traditionnelle et Symbolique Opéra

Conform édition, N°72, Équinoxe d’automne 2025, 64 pages, 14 €

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Chroniqueur littéraire, animé par sa maxime « Élever l’Homme, éclairer l’Humanité », il est membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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