(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Déjà septembre et le temps de reprendre le chemin des Loges. Certaines et certains s’interrogent et songent à suspendre leur fréquentation. Un peu de lassitude, des soucis personnels, des changements dans leur vie. La motivation s’essouffle. Il faut dire que le climat général est assez déboussolant, de quelque côté que l’on se tourne, d’aussi près et d’aussi loin que l’on considère le monde. On peut, dans ces circonstances, avoir tendance à se replier sur soi-même. Il faut réagir.
Tout d’abord, la pratique régulière de la Franc-maçonnerie demeure un puissant antidote au coup de blues et un bon traitement d’appoint des mélancolies plus profondes.
J’évoquais une pratique régulière, non point au sens des obédiences qui se seraient à elles seules arrogé une reconnaissance exclusive de régularité, mais au sens d’une pratique qui suit fidèlement son calendrier.

La régularité renvoie, certes, ensuite, à la constance que l’on met dans la recherche comme dans l’application des règles que l’on entend suivre. Il s’agit d’une saine discipline de l’esprit, même s’il arrive que l’on n’en perçoive pas toujours, dans l’instant, une portée concrète possible, surtout quand on traverse personnellement ou dans son environnement des périodes troublées, bref quand on se sent un peu démuni face aux événements que l’on subit. Cependant, ce travail sur soi qui ne s’interrompt pas aide à ne pas sombrer davantage et à conserver une conscience mieux adaptée aux situations qu’on est appelé à vivre et, si possible, à transformer.

Enfin, la régularité englobe et couronne les deux acceptions précédentes quand elle en vient à qualifier cette patience qu’on appelle parfois équanimité voire à revivifier en soi ce fonds de sagesse que les traditions immémoriales n’ont cessé d’enseigner aux hommes, avec, on le sait, de trop modestes succès. Et c’est pour cette raison que l’on ne peut concéder à la barbarie, à la sottise et à l’aveuglement le déplorable abandon d’un idéal que sont parvenus à conserver, malgré tout, des êtres sur lesquels se sont abattues d’immenses calamités. C’est là, d’ailleurs, que se noue le lien avec la fraternité.
La fraternité résulte, primo, de cette solidarité originelle sans laquelle l’espèce humaine n’aurait pu apprendre ni progresser, forgeant et perfectionnant des outils de siècle en siècle et sur plusieurs millénaires.

C’est ainsi, d’ailleurs, secundo, que l’on ne saurait restreindre cette fraternité aux seuls liens de parenté naturelle ou d’étroite amitié unissant des personnes qui se connaissent mais qu’au-delà, on souhaiterait la voir régner entre les tribus et les peuples dans une aspiration commune à la justice et à la paix – jusqu’à ce rêve qui nous parcourt intimement d’être capable d’aimer tous les hommes ou d’accepter, du moins, que ce soit possible, indépendamment des cultures, des croyances et des convictions, sachant qu’irréductiblement, l’autre est notre semblable dans les aspects fondamentaux de sa vie.

C’est pourquoi, tertio, nous ne pouvons mieux employer notre intelligence qu’à cultiver les conditions de l’entente et de l’harmonie, c’est-à-dire à nous respecter mutuellement et à vivre ensemble dans un monde par nature divers mais dans un esprit de clémence et de concorde. Est-ce naïf de s’y employer sans relâche, d’autant plus que nous n’oublions pas – cruelle évidence – que l’œuvre de civilisation, à toutes époques et sous tous les cieux, n’a cessé d’être accompagnée de guerres ?
Pour finir, je vous dois une confidence sur mon inspiration de ce jour : un des premiers frères, déjà aguerri, avec qui j’avais noué des liens d’amitié quelques mois même avant mon initiation, il y a plus de quarante ans, avait énoncé avec gravité qu’il y avait trois règles en franc-maçonnerie : « la régularité, la régularité et la régularité ! », m’invitant à y réfléchir tout au long de mon parcours. Quand, vingt-cinq ans plus tard, alors qu’à soixante-seize ans, il traversait encore tout Paris en métro pour venir en loge, je rappelais à ce cher Robert D. sa sentence ternaire, il fit mine de s’en étonner et fredonna comme on le ferait d’un refrain, en adoucissant sa voix :
« Aujourd’hui, je dirais : la fraternité, la fraternité et la fraternité ! »
Je dédie cette chronique à sa mémoire car, non seulement, je la lui dois, mais, surtout, vous imaginez bien que ses simples mots, encadrant un quart de siècle, continuent de me guider.