jeu 31 juillet 2025 - 12:07

Que pensent les protestants français de la Franc-maçonnerie ?

Du site officiel du museeprotestant.org

La relation entre les protestants français et la franc-maçonnerie constitue un chapitre fascinant de l’histoire religieuse et sociale de la France, marqué par des convergences idéologiques, des tensions historiques et une évolution au fil des siècles. Depuis l’émergence de la franc-maçonnerie au XVIIIe siècle, les protestants, en particulier ceux issus de l’Église réformée, ont joué un rôle significatif dans son développement, contribuant à façonner son caractère humaniste et ses valeurs de liberté.

Cet article explore les origines de cette connexion, les influences réciproques, les défis rencontrés et la situation actuelle de cette alliance spirituelle et philosophique.

Des racines communes dans les idéaux des lumières

L’histoire de la franc-maçonnerie en France prend forme à une époque où les idées des Lumières commencent à transformer la société européenne, au début du XVIIIe siècle. Cette période coïncide avec un regain d’intérêt pour la tolérance religieuse et la raison, des principes qui résonnent profondément avec les protestants français. Persécutés sous l’Ancien Régime après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, beaucoup d’entre eux avaient fui vers des pays comme la Suisse, les Pays-Bas ou l’Angleterre, où la franc-maçonnerie avait déjà pris racine. Ces exilés, souvent des intellectuels et des artisans, ont été parmi les premiers à intégrer les loges maçonniques, attirés par leur promesse d’un espace de réflexion libre, débarrassé des dogmes imposés par l’Église catholique dominante.

La franc-maçonnerie, avec ses rituels symboliques et sa quête de perfectionnement personnel, offrait un cadre qui s’alignait sur les valeurs protestantes d’interprétation personnelle des Écritures et de responsabilité individuelle. Dès les années 1730, des figures protestantes comme Jean-Théophile Desaguliers, un pasteur et scientifique d’origine française établi en Angleterre, ont contribué à structurer les premières loges. En France, malgré les persécutions, des protestants ont discrètement rejoint ces cercles, voyant dans la maçonnerie un refuge intellectuel et un lieu de fraternité au-delà des divisions confessionnelles.

Une influence mutuelle dans la lutte pour la liberté

Marquis A.F. de Jaucourt © S.H.P.F.

Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, la franc-maçonnerie et les protestants français ont partagé un combat commun pour la liberté religieuse et civile. Après la Révolution française de 1789, qui a aboli les discriminations contre les non-catholiques, les protestants ont vu leur situation s’améliorer, et beaucoup ont renforcé leur présence dans les loges. Ces dernières, souvent perçues comme des foyers de pensée libérale, ont accueilli des pasteurs, des médecins et des enseignants réformés qui y trouvaient un espace pour débattre des droits de l’homme, de l’éducation et de la laïcité.

Cette période a également vu des échanges intellectuels fructueux. Les loges maçonniques, avec leur accent sur la morale universelle et l’éthique, ont influencé les communautés protestantes en les encourageant à adopter une vision plus inclusive de la spiritualité. En retour, les protestants ont apporté à la maçonnerie une rigueur théologique et une sensibilité à la justice sociale, notamment dans les luttes contre l’esclavage et pour l’égalité des sexes, des causes qui ont trouvé un écho dans certaines loges progressistes.

Des tensions avec l’église catholique et des défis internes

Tablier de maçon © Collection Château de Coppet

Malgré ces affinités, la relation entre protestants et franc-maçonnerie n’a pas été exempte de tensions, en particulier en raison de l’hostilité de l’Église catholique. Cette dernière, qui dominait la sphère religieuse en France jusqu’au XXe siècle, a souvent dénoncé la maçonnerie comme une organisation anticléricale, une accusation qui a parfois éclaboussé les protestants membres des loges. Au XIXe siècle, le Vatican a publié des encycliques, comme Humanum Genus en 1884, condamnant la franc-maçonnerie et, par extension, ceux qui y étaient associés, y compris les protestants. Cette opposition a créé un climat de méfiance, obligeant les loges à rester discrètes et renforçant leur image de société secrète.

À l’intérieur même de la communauté protestante, des divergences sont apparues. Certains pasteurs et fidèles conservateurs voyaient d’un mauvais œil l’adhésion à la maçonnerie, la considérant comme une déviation spirituelle ou une concurrence avec la foi chrétienne. D’autres, plus libéraux, y voyaient au contraire une extension naturelle de leur quête de vérité et de fraternité. Ces débats internes ont parfois fracturé les Églises réformées, notamment au moment de la séparation de l’Église et de l’État en 1905, où la laïcité, soutenue par de nombreux francs-maçons protestants, a été un enjeu majeur.

Une présence contemporaine et un dialogue renouvelé

Jean Théophile Desaguliers © S.H.P.F.

Aujourd’hui, la franc-maçonnerie en France compte encore un nombre significatif de membres protestants, bien que leur proportion exacte reste difficile à établir en raison de la discrétion des loges. Les Églises réformées, réunies au sein de l’Église protestante unie de France depuis 2013, adoptent une attitude généralement ouverte envers la maçonnerie, reconnaissant sa contribution à la laïcité et aux droits humains. Des pasteurs continuent de participer à des loges, souvent celles d’obédiences comme le Grand Orient de France ou la Grande Loge de France, qui privilégient une approche philosophique plutôt que religieuse.

Cette coexistence s’accompagne d’un dialogue interconfessionnel enrichi. Des initiatives comme les rencontres entre loges et communautés religieuses cherchent à démystifier les préjugés et à promouvoir une compréhension mutuelle. Par exemple, des conférences organisées conjointement explorent des thèmes communs tels que la justice sociale, l’éthique environnementale et la liberté de conscience, montrant que les valeurs partagées peuvent transcender les différences doctrinales.

Une réflexion sur un héritage vivant

La connexion entre les protestants français et la franc-maçonnerie illustre une histoire d’adaptabilité et de résistance face aux défis imposés par une société souvent hostile. Elle reflète également une quête commune de sens dans un monde marqué par la diversité des croyances. Si les stéréotypes persistent – images de complots ou de rituels obscurs –, les témoignages comme ceux de Vilaseca en Bolivie ou les analyses historiques en France rappellent que la maçonnerie, du moins pour ses membres protestants, est avant tout un espace de réflexion et de fraternité.

Dans un contexte où la laïcité française continue d’évoluer, cette relation pourrait inspirer de nouvelles formes de dialogue entre spiritualité et sécularisme. Que cette alliance perdure comme un vestige historique ou qu’elle se réinvente pour répondre aux enjeux modernes, elle demeure un témoignage de la capacité de l’humanité à chercher la lumière, qu’elle soit religieuse, philosophique ou simplement humaine.

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour
    Voyez mon livre La Franc-maçonnerie des Premiers Temps – Chronique d’une idée, Ephaestos, Londres, 2021. qui montre le lien consubstantiel entre la première maçonnerie écossaise du « mot de maçon » et l’implantation de la Réforme en Ecosse entre 1520 et 1560 et son rôle ensuite dans la préparation de la Glorieuse Révolution de 1688.

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