Par Robert Mingam
Le Rite Oriental de Misraïm se distingue par sa richesse ésotérique et son héritage énigmatique. Explorons cette tradition fascinante à travers la vision de Robert Mingam, figure clé de sa renaissance au XXe siècle. Fondé sur des racines prétendument égyptiennes et nourri d’influences alchimiques, occultistes et kabbalistiques, ce rite, avec ses 90 degrés, invite les initiés à une quête profonde de vérité et de transformation. Plongeons dans cette odyssée initiatique, où l’histoire, la légende et la pratique se mêlent pour éclairer les mystères d’un ordre unique.
Origines et Émergence du Rite de Misraïm

Le Rite Oriental de Misraïm trouve ses premières traces historiques autour de 1740 en Italie, bien que certaines sources évoquent des indices dès 1738. Ce rite maçonnique d’inspiration ésotérique se nourrit de références à une antique tradition égyptienne, attirant des adeptes en quête de savoirs occultes et de mystères spirituels. Un document de 1867 mentionne son existence à Zante en 1782, tandis qu’une seconde apparition est documentée à Venise en 1788, où un groupe de Sociniens – secte protestante antitrinitaire – reçut une patente de constitution de la part de Giuseppe Balsamo, mieux connu sous le nom de Cagliostro, lors de son séjour dans la ville.
Cagliostro, figure controversée du XVIIIe siècle, est souvent crédité comme un des fondateurs de cet ordre, qu’il nomma initialement « Rite Égyptien ». Le 6 novembre 1787, avec Abraham le Juif, un rabbin kabbaliste membre de la Loge Écossaise Primitive de Venise, il établit l’Ordre Oriental de Misraïm en compagnie d’initiés Chevaliers d’Orient et Philosophes Inconnus. Ce rite, enrichi par les hauts degrés hermétiques de l’« échelle de Naples » transmis par Cagliostro le 17 décembre 1789 à Trente, s’inspire des mystères antiques rapportés par des sages comme Moïse, Orphée, Pythagore et Thalès. Ces enseignements, préservés surtout en Orient, combinaient la reconnaissance d’un Dieu unique, la pratique de la bienfaisance et l’étude des secrets de la nature.
Cependant, l’arrestation de Cagliostro par la police pontificale de Pie VI en 1789 marqua un tournant. Sa « Haute Maçonnerie Égyptienne » survécut brièvement sous la direction de François de Chefdebien d’Armissan, second Grand Cophte, avant de s’éteindre temporairement. Malgré ces interruptions, le rite conserva une aura mythique, nourrie par des figures comme Louis Guillemain de Saint Victor, qui en 1787 défendit l’origine égyptienne de la franc-maçonnerie dans son Recueil précieux de la maçonnerie adonhiramite.
Une Structure Initiatique Unique

Le Rite de Misraïm se distingue par sa structure en 90 degrés, une échelle initiatique complexe qui reflète une progression spirituelle plutôt qu’une hiérarchie de pouvoir. Ces degrés, loin d’être de simples grades à acquérir, sont des étapes d’évolution personnelle, chacune associée à des responsabilités et des devoirs. Parmi eux, les 20e, 28e, 66e et 90e degrés occupent une place particulière, conférés en récompense de la valeur, des connaissances et de la fidélité des maçons. Le 90e degré, sommet de cette pyramide, confère le titre de Grand Conservateur, permettant de siéger au Conseil des Sages.
Cette structure s’inspire des mystères antiques, intégrant des éléments alchimiques, kabbalistiques et théurgiques, notamment à travers les Arcana Arcanorum – les degrés terminaux de l’échelle de Naples (87e au 90e). Ces arcanes, décrits comme une voie interne (Nei Tan) par Jean-Pierre Giudicelli de Cressac Bachelerie, ouvrent la porte à des ordres plus secrets, tels que l’Ordre des Rose-Croix d’Or ou les Frères Initiés d’Asie, échappant souvent à l’histoire officielle. Cette richesse symbolique, héritée de textes de Plutarque, Apulée, Jamblique ou Plotin, fait du Misraïm un rite à la croisée des traditions occidentales et orientales.
Renaissance sous Robert Mingam
Au XXe siècle, le Rite de Misraïm, après des périodes de déclin et de fragmentation, connaît un renouveau grâce à des figures comme Robert Ambelain, qui en hérita les archives après la guerre de 1939-1945. Face aux dissensions au sein de la Grande Loge Française de Memphis-Misraïm dans les années 1990, Ambelain, conscient de l’héritage précieux du Misraïm, décida de le réveiller. En février 1996, sous son autorité, quatre loges – Le Scarabée d’Or, Khepri, Aménophis III et le Sphinx – furent consacrées à Paris, marquant la fondation de la Grande Loge Française de Misraïm, enregistrée à l’INPI le 17 avril 1997.
Robert Mingam, aux côtés de Jean-Marc Font et André Jacques, fut élevé au 90e degré le 3 avril 1996 par Ambelain, formant un nouveau Grand Conseil. Le 19 mai 1997, peu avant sa mort, Ambelain délivra une patente officielle à Mingam, officialisant cette transmission. Cette décision, motivée par un désir de préserver l’esprit initiatique contre les dérives administratives ou hiérarchiques, reflétait une vision démocratique du rite, où la liberté des loges primait sur une autorité « de droit divin ». Mingam, en tant que Patriarche et Grand Conservateur, s’engagea à faire vivre cet héritage, malgré les scissions ultérieures, comme celle menée par Philippe Vinet avec l’Ordre Ancien du Rite Oriental de Misraïm (OAROM).
Symbolisme et Pratique du Rite

Le Rite Oriental de Misraïm se caractérise par un agencement spécifique de ses temples, inspiré des anciens sanctuaires égyptiens. Le temple, orienté vers l’Orient – symbole de la lumière et de l’Égypte – comprend un Naos pointé vers le haut, contrastant avec d’autres rites comme Memphis-Misraïm. La salle hypostyle, bordée de colonnes papyriformes et lotiformes, évoque la dualité de la Haute et Basse Égypte, tandis que le pavé mosaïque de 108 cases ancre les travaux dans une symbolique cosmique. L’autel des serments, inversé et centré sur le Delta Lumineux, reflète une spiritualité invocatoire, où le Vénérable Maître prie le Suprême Architecte en communion avec l’Occident.
Les rituels, riches en invocations et en références aux Hermetica d’Hermès Trismégiste, s’ouvrent par des acclamations comme « Alleluia ! » et s’appuient sur les trois grandes lumières – l’équerre, le compas et la règle – recouvrant la Bible comme règle initiatique. Cette pratique, distincte des autres rites maçonniques moins tournés vers la haute spiritualité, met l’accent sur la transmission des arcanes avec circonspection, préparant les successions avec soin.
Héritage et Défis Contemporains
Malgré son ancienneté et sa profondeur, le Rite de Misraïm peine à s’imposer face aux rites plus répandus en France, comme le Rite Écossais Ancien et Accepté. Depuis le décès d’Ambelain en 1997, son héritage, porté par Mingam et ses successeurs, doit naviguer entre préservation et adaptation. Les 90 degrés, bien que riches en enseignements, restent un défi pour une pratique régulière, et les scissions ont fragmenté son unité. Pourtant, cet ordre conserve une vitalité, incarnée par des loges comme Hatshepsout, qui travaillent dans l’esprit de 1820, fidèle à ses origines.

Le Rite Oriental de Misraïm, sous l’impulsion de Robert Mingam, demeure un témoignage vivant des aspirations spirituelles du XVIIIe siècle. Il invite les maçons à transcender les contingences matérielles, à explorer les mystères de la nature et à perpétuer une tradition initiatique unique. Que ce rite continue de briller comme un phare ésotérique, reliant les âmes à travers les âges, dans l’honneur de ses fondateurs et de ses gardiens dévoués.
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