mar 22 juillet 2025 - 10:07

Se tenir ferme dans la lumière : méditation maçonnique autour de « Résister » de Salomé Saqué

Dans le vacarme des ombres, résister n’est pas crier plus fort. C’est garder vivante la flamme qui éclaire le chemin !

Je fus d’abord attiré par ce titre, court, cinglant, presque comme une déflagration : Résister. Un mot, un seul, qui se tient droit, ferme, sans ornements, tel une sentinelle. Il frappe comme une injonction et se déploie comme une promesse : celle de ne pas céder, de se dresser contre les vents contraires, de rester debout quand tout pousse à l’effondrement.

Puis mes yeux se posèrent sur le nom de Salomé Saqué. Je la suivais déjà sur « Blast – le souffle de l’info » (site de presse en ligne d’information générale et une web tv créés par le journaliste Denis Robert), dont je reçois la newsletter. Sa voix claire et décidée m’avait souvent accompagné dans ses analyses, où se mêlent rigueur et engagement, lucidité et courage. En voyant ce nom associé à ce mot, je compris que ce livre n’était pas un simple exercice journalistique, mais un manifeste. Une parole adressée à chacun de nous, une main tendue pour secouer nos torpeurs.

Ma libraire de quartier, que je soutiens chaque fois que possible, me remit l’ouvrage en souriant. « Cinq euros », m’annonça-t-elle. Pour cent quarante-quatre pages. Je crus d’abord à une erreur.

Elle m’expliqua alors que Payot & Rivages avait choisi, pour cette série de textes, un prix volontairement modeste, afin qu’aucun obstacle financier ne freine leur diffusion. Ce n’était donc pas un geste isolé de l’autrice, mais une politique éditoriale pensée pour rendre ces voix accessibles à toutes les bourses, à toutes les consciences prêtes à s’éveiller. J’y vis néanmoins un écho parfait au contenu : la résistance doit être partagée, ouverte, offerte.

Stéphane Hessel, en 2012
Stéphane Hessel, en 2012

Comme Stéphane Hessel (1917 – 2013), avec son Indignez-vous ! qui tenait en un mot et un souffle, elle inscrivait sa démarche dans cette lignée de textes brefs mais brûlants, des livres qui ne sont pas des objets mais des appels.

D’entrée, l’autrice nous plonge dans un climat glaçant : les menaces de mort reçues par des journalistes, des militants, des avocats, jusqu’aux élus. Elle ne s’en éloigne pas, elle ne se protège pas d’une distance académique : elle s’implique, elle nomme, elle regarde en face cette haine qui, sous des dehors d’opinion politique, est une machine de destruction. Nous comprenons qu’il ne s’agit pas d’un livre neutre, mais d’un cri lucide. À travers des exemples précis, elle dévoile la progression méthodique de l’extrême droite : non seulement dans les urnes, mais dans les esprits. La victoire, nous dit-elle, se prépare d’abord dans les mots, dans la banalisation du discours, dans la sape lente et efficace des valeurs républicaines.

Ce texte a une résonance initiatique. Comme dans nos cheminements maçonniques, il nous invite à regarder l’ombre : non pour s’y complaire, mais pour en déceler les rouages, afin de mieux la dissoudre. La description des mécanismes de la haine, de la manière dont le vocabulaire identitaire contamine le langage commun, agit comme une mise en garde.

Liberté, Égalité, Fraternité
Liberté, Égalité, Fraternité

Et comme dans tout chemin initiatique, il y a ici une prise de conscience : celle de la fragilité de nos piliers – Liberté, Égalité, Fraternité – et de la nécessité d’en être les gardiens vivants.

Salomé Saqué nous entraîne dans une traversée où l’information devient résistance. Elle rappelle que dans notre époque saturée d’injonctions à la rentabilité, couvrir une simple manifestation, parler des inégalités ou du climat, suffit à être catalogué militant. Résister, c’est alors simplement exercer son métier avec droiture. Et cette droiture est un risque : physique, juridique, moral. Elle nous confie cette réalité avec une pudeur qui ne masque pas la gravité. Et nous, lecteurs, sentons combien ce livre n’est pas écrit pour briller mais pour tenir bon.

Il y a dans ces pages une filiation discrète avec Stéphane Hessel : le titre, comme une réplique à Indignez-vous, mais en plus grave encore. Résister est un second temps : après l’indignation vient l’action, la fermeté. C’est le passage de l’émotion à la construction. Comme dans le chemin maçonnique : après la découverte vient la transformation.

Démocratie https://www.elections.interieur.gouv.fr/
Démocratie https://www.elections.interieur.gouv.fr/

Ce que nous avons particulièrement aimé, c’est ce courage de ne jamais se réfugier dans la fausse neutralité. Salomé Saqué assume : la neutralité journalistique n’existe pas lorsque la démocratie est menacée. Elle refuse le confort du ni-ni et choisit la clarté, sans pour autant tomber dans la simplification. Son écriture est directe, mais jamais brutale ; elle est informée, mais jamais froide. Elle tisse un fil entre le passé et l’avenir, entre la mémoire des heures sombres et la responsabilité de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Certes, nous aurions aimé que la bibliographie pour aller plus loin fût plus dense, plus vaste, car le sujet est grave et profond. Mais cette relative légèreté documentaire n’est pas une faiblesse. C’est le signe que le livre est conçu comme un point de départ, un élan, une porte d’entrée pour éveiller. Et si des notes en fin d’ouvrage sont présentes, elles n’étouffent jamais la lecture ; elles accompagnent discrètement, sans parasiter la fluidité du propos.

Et puis, au fil de la lecture, le mot résister prend une profondeur inattendue. Il n’est pas seulement politique, il est spirituel. Dans nos traditions initiatiques, résister signifie se tenir ferme contre les illusions, refuser les compromissions qui éteignent la lumière intérieure. Dans le silence du Temple, résister, c’est choisir la verticalité : être aligné sur ce qui est juste, même si cela nous expose. Et dans un monde où tout semble se dissoudre dans l’immédiateté et le relativisme, cette verticalité est un acte sacré.

Salomé Saqué nous rappelle que la victoire de l’ombre ne se joue pas d’abord dans les urnes ; elle s’installe dans les esprits, dans le langage, dans l’habitude. Et cela, nous le savons depuis toujours : le mal commence par la distorsion des mots, par la perversion subtile des symboles. Résister à cette distorsion, c’est préserver la pureté du Verbe. Et là, dans cet effort de préserver la justesse du langage, nous retrouvons notre rôle d’initiés : veiller à ce que la parole reste un outil de lumière, non une arme de division.

Ce livre agit ainsi comme un miroir qui nous renvoie à notre responsabilité. Car résister ne peut pas être une injonction vide. C’est une pratique, une discipline nous suggérant des gestes concrets tels informer nos proches, soutenir les médias libres, recréer du lien au lieu de laisser le mépris répondre au mépris. Ce sont de petites pierres posées sur le chemin du Temple commun. Cela rejoint la démarche maçonnique… Chaque action, même infime, contribue à édifier ou à détruire.

Il y a aussi une tonalité presque fraternelle dans ce texte. Elle nous parle comme à des égaux, jamais comme à des spectateurs. Elle propose des pistes, des réflexes, des modes d’action, comme si la lecture devait déjà être une première étape vers quelque chose de concret. En cela, elle rejoint cette dimension profondément initiatique : la réflexion n’est rien si elle ne s’accomplit pas dans l’action.

Éd. Payot
Éd. Payot

Et au cœur de cette résistance, il y a aussi une autre dimension. La joie ! Oui, car résister n’est pas seulement se battre contre. C’est aussi préserver ce qui est vivant, ce qui est beau, ce qui relie. Salomé Saqué évoque cette créativité nécessaire dans la résistance, cette capacité à inventer de nouveaux récits, à ne pas se laisser enfermer dans l’horizon sombre qu’on nous impose. Et là encore, cela rejoint l’enseignement des voies spirituelles : l’ombre ne se combat pas seulement par la force, mais par la lumière que nous faisons rayonner.

Salomé Saqué, par ce livre, s’inscrit dans la lignée de ces voix qui refusent la résignation. Journaliste économique et politique, formée au droit international, passée par Le Monde diplomatique et France 24, elle s’est révélée au grand public en couvrant le mouvement des gilets jaunes, en explorant les zones d’ombre du pouvoir et en donnant une place aux invisibles. Aujourd’hui, elle poursuit son travail avec Blast, où elle éclaire les enjeux sociaux et environnementaux avec la même exigence. Résister est à la fois une synthèse de ce parcours et un prolongement : une invitation à ne pas se taire, à ne pas céder.

Nous refermons ce texte avec le sentiment d’avoir reçu un appel. Non pas un appel désespéré, mais un appel à la vigilance, à la responsabilité. Résister n’est pas ici un mot héroïque réservé aux grandes heures de l’Histoire : c’est un verbe du quotidien, un verbe humble mais essentiel. Se tenir contre, rester ferme. Comme un maçon qui tient son fil à plomb, même lorsque les vents veulent le dévier.

Et dans le silence du Temple, nous entendons ce mot résonner comme une oraison : résister, c’est garder vivante la flamme qui nous a été transmise. C’est refuser la banalité du mal, refuser l’oubli, refuser le renoncement. C’est demeurer dans la lumière, même vacillante, car elle seule éclaire le chemin. Et c’est peut-être cela que Salomé Saqué nous offre : un rappel que cette lumière est encore possible, qu’elle dépend de nous, et que la première pierre à poser, c’est la conscience.

Alors, refermons ce livre comme on referme la porte d’un Temple après une Tenue grave, mais lumineuse. Résister… ce verbe s’élève en nous comme une colonne invisible, une force qui ne se dit pas mais se vit. Il nous rappelle que chaque époque connaît ses épreuves, ses ombres, ses dérives, et qu’aucune victoire n’est acquise pour toujours.

Résister, c’est maintenir vivante la vigilance, cette garde intérieure qui empêche la pierre de se fissurer.

Dans la symbolique maçonnique, nous savons qu’il n’y a pas de lumière sans ombre – pour ne pas dire ténèbres –, pas de construction sans épreuve.

Résister, c’est accepter cette tension, ne pas la fuir. C’est se tenir au milieu du chaos et y porter une parcelle d’ordre. C’est refuser que les mots soient pervertis, que les symboles soient détournés, que la fraternité soit profanée par la haine. Et dans ce refus, il y a déjà une offrande : celle de notre force intérieure, humble mais indéfectible.

Ce livre nous enseigne que la résistance n’est pas un acte héroïque isolé, mais un fil continu, tissé par des gestes simples : dire non à l’inacceptable, préserver la vérité, tendre la main quand tout pousse à la division. Il nous invite à nous souvenir que la Liberté, l’Égalité, la Fraternité ne sont pas des ornements sur les frontons de nos mairies, mais des mots vivants qu’il nous appartient d’incarner.

Ainsi, dans le silence de notre conscience, dans la méditation des colonnes du Temple, nous pouvons entendre ce murmure.

Résister, c’est demeurer fidèle. Fidèle à la lumière, fidèle à la dignité humaine, fidèle à la part la plus haute de nous-mêmes. Et à ce moment, nous savons que ce livre n’est pas seulement un essai politique. Il est une pierre posée sur le chemin de ceux qui refusent de renoncer.

Car résister, c’est encore croire qu’un autre monde est possible, et avoir la patience de le bâtir, pierre après pierre, mot après mot, geste après geste.

Résister

Salomé SaquéPayot, 2025, 144 pages, 5 €

Site Payot éditions
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1 COMMENTAIRE

  1. On connaît les opinions de cette journaliste engagée à gauche. Pour ces gens là , la haine vient toujours de droite. Qui aujourd’hui à part l’extrême gauche ,islamo gauchiste transmet et transpire la haine ? L’anti semitisme et met le foutoir à la assemblée nationale ?
    Je ne lirai pas ce livre .
    Dans la vie il faut être impartial et objectif , surtout si l’on est journaliste.
    Moi … je résiste à tous ceux qui veulent mettre la France parterre et détruire notre laïcité.

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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