Dans un ouvrage aussi courageux que salutaire, le Frère Marc Amani dévoile une réalité trop longtemps occultée : les maltraitances en Loge. Appuyé sur plus de cinquante témoignages anonymes, Maltraitances en Loge – Réflexion pour une Franc-Maçonnerie bienveillante (Le compas dans l’œil, 2025) explore l’ombre tapie derrière les symboles, non pour discréditer la Franc-Maçonnerie, mais pour l’élever.
Ni pamphlet ni règlement de comptes, ce livre se présente comme un appel vibrant à une fraternité vivante, exigeante, restaurée. Il invite chaque Frère, chaque Sœur, chaque instance à regarder en face ce que le silence a parfois laissé prospérer. Un miroir tendu, pour que la Lumière ne vacille plus.
La parole se libère… enfin.
Avec ce premier opus, Marc Amani brise un tabou enfoui sous les décors rituels et les silences protocolaires. Rigoureux et poignant, son ouvrage recueille des récits de souffrance : dérives psychologiques, abus d’autorité, fractures humaines, là où l’on attendait élévation et fraternité. À contre-courant des discours convenus, il scrute ce qui, dans l’ombre, menace l’idéal initiatique – sans jamais renier cet idéal.
Dans un monde maçonnique parfois réticent à regarder ses propres failles, cette enquête marque peut-être un tournant : celui d’une introspection partagée, d’une exigence éthique renouvelée, d’une volonté de faire du Temple un lieu authentique de lumière.
C’est pourquoi nous avons souhaité, pour 450.fm, rencontrer Marc Amani dans un entretien sans détour. Un échange fort, lucide, nécessaire, où il revient sur les origines de sa démarche, les résistances rencontrées, et surtout sur les pistes concrètes pour bâtir, ensemble, une maçonnerie plus juste, plus humaine, plus fidèle à son serment.
Entretien exclusif de Marc Amani
Quand la lumière vacille, la parole se libère…

Dans un univers maçonnique trop souvent idéalisé comme havre de fraternité et de bienveillance, une voix s’élève pour briser le silence. Celle de Marc Amani, auteur de Maltraitances en Loge, un ouvrage préfacé et postfacé par le chroniqueur littéraire Yonnel Ghernaouti, qui aborde sans détour un sujet aussi sensible que tabou : les violences symboliques, les jeux d’ego, les dérives de pouvoir au cœur même de l’espace sacré du Temple.
Nourrie de nombreux témoignages, son enquête conjugue rigueur et humanité pour mettre au jour une réalité longtemps passée sous silence. Elle interroge la Franc-Maçonnerie dans ce qu’elle a de plus noble – sa quête de Lumière – mais aussi de plus vulnérable – sa dimension profondément humaine.
Pour 450.fm, premier journal d’actualités de la Franc-maçonnerie, nous avons rencontré Marc Amani. Sept questions. Un entretien franc, éclairant, pour comprendre ce qui peut, derrière les colonnes, altérer le lien fraternel – et surtout, comment retrouver le sens du chemin.
450.fm : Votre ouvrage commence là où s’arrête souvent le discours officiel des obédiences. À quel moment avez-vous pris conscience de l’ampleur des maltraitances en Loge ?

Marc Amani : Dès le début de mon initiation maçonnique j’ai moi-même vécu des situations perverses et particulièrement violentes. J’ai gardé mon image de la franc-maçonnerie intacte, me disant : « la franc-maçonnerie, ce n’est pas ça ! » Apprenti, j’ai écouté, observé, je me suis rendu compte que ma loge dysfonctionnait. Compagnon j’ai voyagé, écouté, discuté, échangé, je me suis aperçue que la maltraitance dans les loges était fréquente, vis-à-vis des apprentis, souvent sans défense, privé de parole et d’action, infantilisés. Les compagnons et les maitres aussi subissent des situations compliquées. Il suffit de traverser une période difficile, d’être fragilisé, pour devenir la proie idéale pour les personnes qui ont besoin de se « décharger » de leurs propres tensions. Puis au bout de quinze années de franc-maçonnerie, la goutte de trop a fait déborder le vase ! dans la société je suis une femme qui agit, je ne suis pas un simple observateur, je suis engagée et j’essaie de bouger les choses ; Là, c’était le moment de régir en écrivant ce livre avec l’espoir qu’il sera utile aux francs-maçons. Il faut s’interroger sur ce qu’il se passe dans une loge qui dysfonctionne en analysant les faits, en observant les comportements. Parfois une situation maltraitante passe complètement inaperçue pour la plupart des membres. Comment réagir devant une situation maltraitante ? dérangeante ? Se demander pourquoi nous sommes là ? Qu’allons-nous chercher en loge ? Se taire est-il en accord avec notre engagement maçonnique ? Avons-nous toujours conscience de la portée de nos paroles et de nos actes ?
450.fm : Avec plus de cinquante témoignages recueillis, votre enquête dresse un panorama saisissant. Diriez-vous qu’il existe une forme de “MeToo maçonnique” en gestation ?

M.A. : Oui, il existe bel et bien une forme de « us too ». Car nous sommes tous concernés, tous responsables les uns vis-à-vis des autres. La franc-maçonnerie n’est pas épargnée : elle connaît aussi, parfois, ses comportements déviants. Fort heureusement, toutes les loges ne sont pas concernées ! Je connais de nombreux ateliers où règnent l’harmonie, la bienveillance et la joie fraternelle – et c’est magnifique à vivre.
Quant à votre expression « en gestation », je ne suis pas sûr de la comprendre. Parlez-vous d’un mouvement comparable à « Me Too », qui a permis à tant de femmes de briser un silence séculaire ? Ce que j’ai observé, en effet, c’est que certains frères, profondément blessés, n’osaient plus parler. J’ai reçu des témoignages bouleversants : des frères en pleurs, détruits par ce qu’ils ont vécu. Cela existe. Et cela appelle une réponse.
Depuis les plus anciens textes maçonniques – le Regius (1390), les statuts de Ratisbonne (1498), ceux de Strasbourg (1563), ou encore les Constitutions d’Anderson (1723) – une éthique du comportement en loge est pourtant affirmée. Mais les ego, parfois, l’emportent. Ce livre peut devenir un point d’appui pour dire ce qui a été tu, partager ce qui a été subi, nommer ce qui fait mal.
En l’achetant, les lectrices et lecteurs pourront entrer en contact avec moi s’ils le souhaitent. Non pour porter plainte, mais pour témoigner, se confier, échanger. Peut-être, à terme, pour créer un espace de parole fraternel. Des ateliers pourraient aussi être organisés dans les loges, pour travailler ensemble sur les principes de bienveillance, de respect et de vigilance partagée. Il est temps de lever le voile sur les dysfonctionnements, sans jamais perdre de vue notre idéal de fraternité.
450.fm : L’institution maçonnique repose sur la discrétion, parfois confondue avec l’omerta. Comment concilier cette culture du silence avec l’exigence éthique de protéger les membres ?

M.A. : Nous sommes invités à garder le silence pendant notre apprentissage, au profit de l’écoute, et de l’observation, de l’intégration des valeurs qui sont exposées tout au long des rituels. Nous jurons de garder le silence, de ne pas divulguer les travaux que nous avons partagés. Cela remonte aux temps anciens où les francs-maçons n’avaient pas le droit de se réunir, le pouvoir royal craignait qu’ils diffusent des idées subversives. Nous jurons de ne pas divulguer le nom de nos frères et de nos sœurs. Nous ne jurons pas de garder le silence sur les déviances, sur les manipulations, sur les maltraitances de personnes qui n’ont pas intégré les valeurs de la franc-maçonnerie. Garder le silence sur des comportements inadaptés, malveillants c’est se rendre complice de ces comportements. Un Vénérable Maître se doit d’être bienveillant avec tous. Les Surveillants ont un devoir de protection, de neutralité, de tolérance vis-à-vis des apprentis et des compagnons qui sont sur le chemin de l’intégration des valeurs maçonniques, qui sont la fraternité, la dignité, la tolérance, l’entraide, l’engagement, la solidarité l’honnêteté, le respect, l’ouverture à l’autre, l’amour de l’autre. On apprend à ne pas juger hâtivement une situation, on apprend à regarder « le revers de la médaille », on apprend à apprécier, à remercier simplement, à aimer, à développer une intelligence du cœur. Nous sommes tous à égalité sur ce terrain-là. Un travail se fait toujours dans le sens de la recherche de compréhension, de la recherche de valeurs universelles acceptables pour tous. Signaler des comportements inappropriés c’est protéger ses frères et ses sœurs.
450.fm : Vous évoquez dans le livre les “boucs émissaires”, les comportements manipulateurs, voire des dérives autoritaires. Ces mécanismes relèvent-ils selon vous de dynamiques de groupe universelles, ou d’un fonctionnement propre aux Loges ?

M.A. : Ces comportements existent dans tous les groupes, les associations, les familles, les entreprises, dès qu’il y a un groupe, une dynamique s’installe, en fonction des personnalités qui interagissent entre elles, des activités, en fonction des évènements etc…Les groupes connaissent des périodes agités, des périodes calmes.
450.fm : Vous proposez trois voies possibles face à la maltraitance : partir, rester, ou quitter la Franc-Maçonnerie. À qui s’adresse votre livre : aux victimes ? Aux obédiences ? Aux Frères et Sœurs complices malgré eux ?
M.A. : Mon livre s’adresse à toutes celles et ceux qui participent à la vie d’une loge, sans distinction de fonction, de grade ou d’obédience. Il n’est ni un réquisitoire, ni un règlement de comptes, mais un appel à la lucidité, à la responsabilité et à la fraternité réelle. Nous sommes tous, à un moment ou à un autre, concernés par ces dynamiques : nous pouvons être victimes, puis sans le vouloir devenir complices, voire même – c’est plus rare mais cela arrive – adopter nous-mêmes des comportements maltraitants.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais de prendre conscience que personne n’est à l’abri. C’est cela, le vrai message : les mécanismes de pouvoir, les frustrations personnelles, les blessures d’ego non travaillées peuvent s’exprimer même dans les lieux où l’on recherche la Lumière. Et si nous ne les identifions pas, si nous ne les nommons pas, alors nous courons le risque de les voir se reproduire, parfois à bas bruit, parfois dans des violences symboliques destructrices.
Toutes les obédiences sont concernées, aucune n’est épargnée. Mais il ne s’agit pas d’accuser les structures. Ce ne sont pas les institutions maçonniques qui maltraitent ; ce sont des individus, souvent blessés eux-mêmes, qui parfois agissent mal. Et ce sont aussi des collectifs qui, par déni, par peur du conflit ou par culture du silence, laissent faire.
C’est pourquoi je rappelle une phrase à laquelle je tiens profondément :
« La Franc-Maçonnerie ne nous décevra jamais. Ce sont les francs-maçons qui, parfois, peuvent nous décevoir. »
Cette maxime, souvent citée mais trop peu méditée, invite à faire la part des choses entre l’idéal que nous portons et les limites humaines que nous incarnons.
Enfin, ce livre s’adresse aussi aux frères et sœurs qui hésitent : faut-il partir ? rester ? parler ? se taire ? Ce sont des questions difficiles, douloureuses parfois. Mais c’est aussi en les posant franchement qu’on peut retrouver le sens de notre engagement. En travaillant ensemble, sans crainte de secouer certains conformismes, nous pouvons retrouver le chemin de la Lumière – ensemble.
450.fm : Certains diront que cet ouvrage pourrait nuire à l’image de la Franc-Maçonnerie. Que leur répondez-vous ?
M.A. : Je comprends cette inquiétude, mais je crois profondément qu’elle repose sur une confusion. Ce livre ne peut en rien nuire à la franc-maçonnerie, bien au contraire. Il s’inscrit dans l’éthique même de notre démarche initiatique : regarder en face, sans fard, ce qui doit être transformé ; affronter la réalité, non pour la condamner, mais pour la transmuter. Refuser d’aborder les dysfonctionnements, c’est les laisser prospérer dans l’ombre. Les nommer, les analyser, les comprendre, c’est déjà commencer à les dépasser.
La franc-maçonnerie n’a jamais prétendu être parfaite. Elle est un chemin de construction, une voie de perfectionnement – individuel et collectif. Mais encore faut-il accepter de voir ce qui entrave ce chemin. C’est ce que ce livre propose : un recentrage. Une réintégration de nos valeurs fondamentales dans nos pratiques concrètes. Un rappel à la cohérence entre nos discours et nos actes. Rien de plus. Mais rien de moins non plus.
Nous sommes invités à travailler, sans relâche, nos comportements, nos engagements, nos postures. Nous sommes appelés à l’exemplarité, mais nous sommes faits d’humain. Et l’humain, parfois, trébuche, s’égare, se perd. Ce n’est pas en niant ces failles que nous les guérissons, c’est en les reconnaissant. Et cela, à mes yeux, est profondément maçonnique.
Alors non, ce livre ne dévalorise pas la franc-maçonnerie. Il ne fait que lui tendre un miroir. Et si certains reflets dérangent, c’est peut-être le signe que nous avons encore du travail à faire. Non pas pour renier nos idéaux, mais pour mieux les incarner.
450.fm : Dans les dernières pages, vous invitez à repenser la fraternité comme un acte vivant, exigeant, non un simple mot d’ordre. Que faudrait-il changer pour qu’un Temple reste un lieu d’élévation et non de souffrance ?

M.A. : Oui faire acte fraternité c’est exprimer des sentiments des intentions. La fraternité c’est un lien de solidarité de bienveillance. C’est une valeur qui s’apprend. La fraternité est l’un de piliers de notre devise républicaine et de notre devise maçonnique « liberté égalité fraternité » La capacité d’empathie n’est pas donnée à tout le monde. Et l’empathie ne suffit pas toujours pour déclencher une fraternité authentique. L’école, la famille, transmettent des valeurs de respect, de tolérance, d’entraide. La franc-maçonnerie aide à combattre les préjugés, l’individualisme, elle encourage à des actions collectives solidaires. La fraternité est vivante, elles se construit tout au long des situations que nous pouvons vivre, à l’intérieur de la loge, comme à l’extérieur. Qu’éprouvons-nous lors de nos chaînes d’union ? Oui il faut penser la fraternité, la cultiver, ne pas oublier pourquoi nous venons en loge. Nous sommes là pour nous dépasser, nous élever grâce à notre éthique que nous avons développée depuis plus de trois cents ans, nous nous sommes engagés à respecter et transmettre nos valeurs dans le monde profane qui a besoin de repères, de valeurs universelles, de respect de tolérance de bienveillance. À nous d’être vigilants dans nos loges à nous de respecter nos propres engagements, d’être cohérents. Donnons-nous la main et continuons alors de tailler notre pierre !
En conclusion
À travers ces pages et ces mots, c’est une voix qui s’élève, non pour accuser, mais pour réveiller. Une voix qui ne condamne pas la Franc-Maçonnerie, mais qui la convoque à son plus haut niveau d’exigence. En révélant les dysfonctionnements, Marc Amani œuvre non contre l’Ordre, mais pour lui, en rappelant que la fraternité ne se décrète pas : elle se construit, elle se défend, elle se vit.
450.fm tient à remercier très chaleureusement Marc Amani pour son courage, sa rigueur et son appel à une vigilance fraternelle partagée.
Que son livre soit entendu comme un signal d’éveil, une main tendue et une invitation à replacer l’humain, dans toute sa dignité, au cœur de nos Temples.
Maltraitances en Loge – Réflexion pour une Franc-maçonnerie bienveillante
Marc Amani – Le compas dans l’œil, 2025, 220 pages, 20 €
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