Philosophiquement, comme le dit Mircea Eliade, ce spécialiste de l’histoire des religions, l’initiation équivaut à une modification ontologique du régime existentiel. Ainsi l’initiation, le projet initiatique, est de provoquer une radicale et fondamentale modification de notre pensée et de notre être, de notre manière de penser et de notre manière de vivre. Il s’agit, comme le disent nos vieux rituels, «de passer des ténèbres à la lumière «et, par cette lumière qui nous illumine, de changer notre être et notre vie.
En effet, la finalité de l’initiation n’est pas seulement «théorique», mais pratique, disons «éthique». Il ne s’agit pas seulement d’aller vers la lumière et de se reposer dans une vaine et stérile contemplation, mais, par cette lumière, de nous entraîner à une action plus efficace et plus juste. Ainsi le but essentiel de l’initiation maçonnique est de changer l’homme et c’est en ce sens qu’elle est éthique, car l’éthique, c’est ce qui veut essentiellement changer l’homme ; et ne confondons pas ici éthique avec moralisme et moralisation. En employant un autre langage, nous dirions que l’initiation veut nous faire passer de l’homme de la nature à l’homme de la culture, du vieil homme à l’homme nouveau.
Cet itinéraire ne peut être accompli qu’à la première personne ; nous voulons dire que nul autre que nous-mêmes ne saurait l’accomplir. La recherche initiatique est une expérience personnelle dans laquelle on ne peut dissocier le penser et le vécu, le conceptuel et l’existentiel. Et c’est parce que, dans l’initiation ne peuvent être dissociés le pensé et le vécu, que toute initiation est au sens propre indicible, intraduisible, ineffable.
C’est pourquoi la Maçonnerie est un outil de vie avec sa capacité à s’adapter à autant de cas qu’il y a de maçons, chacun pouvant lui demander à titre particulier le même service de conseiller et d’indicateur de destin. J’appelle cette capacité « l’initiatude » de la Franc-maçonnerie.
La démarche consiste à aimanter les innombrables savoirs, de les attirer dans une explication qui ne minimise rien, qui élargit le monde.
Le symbolisme, notre langue, est une esthétique universelle à la hauteur de toutes les ambitions rationnelles et spirituelles. Il faut l’apprendre comme on apprend sa langue maternelle, pour se communiquer, pour se comprendre, pour rencontrer ce quelque chose de visible qui conduit à quelque chose d’invisible.
De son poste d’observateur dans sa chambre noire de nouvel initié, muselé par le silence du secret, le jeune sage surveille le champ ouvert de l’évidence vivante : il y a nous, l’autre et nous en tant qu’autre. Souvenons-nous que le «Nous» de Platon, mot grec signifiant «esprit» ou «intelligence», ce n’est pas seulement l’Esprit qui nous illumine, mais c’est l’Esprit qui nous transforme et qui nous transforme par cette illumination.
La domestication des idées, l’institutionnalisation des rites dissimulent l’origine initiatique. Il suffit de décaper les thèmes symboliques ou les règles de comportement pour voir réapparaître l’or du support de toutes les sagesses.

Les maîtres de la Loi ont dégagé six thèmes qui font le tour de la sagesse de la condition humaine : L’homme et la terre, l’homme et le temps, l’homme et la femme, l’homme et la société, l’homme et le sacré, l’homme et la mort. La Maçonnerie nous invite à ces voyages de réflexions et d’actions.
Les instructions reçues par la Franc-maçonnerie sont inscrites dans nos symboles et nos rituels. Elles sont reçues et retransmises. Reçues dans l’état où les sages les ont mûries, retransmises après ensoleillement nouveau dans l’esprit de chaque franc-maçon. En cela consiste la tradition, en cela consiste votre responsabilité : faire briller les éclats de lumière que vous êtes.

Les francs-maçons œuvrent telle une lentille à travers laquelle la lumière peut briller sur les ténèbres pour que les mystères de l’initiation ne restent pas seulement symboliques mais constituent une forme définie d’activité mise en action au quotidien.
Le rituel, vécu en conscience, peut être un agent grâce auquel la nature profonde de chacun tend à être éveillé et stimulé à un degré tel que le franc-maçon pourra accomplir son grade et gagner cette impulsion complémentaire qui le portera à travers ses épreuves, le rendant capable de progresser tant dans sa vision du monde que dans ses actions sur ce monde. L’initiation comme la poésie est une manière originale et spécifique de percevoir et d’appréhender l’univers et les hommes comme nous-mêmes, autrement. Et Marcel Proust ne parle pas différemment ; n’écrit-il pas, lui aussi, dans à la Recherche du Temps Perdu : «Le seul véritable voyage, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux.»
L’activité rythmique, en loge, est fondée sur la fraternité et le travail créateur de soi fondé sur le but d’amour. Cet amour n’est pas de l’ordre sentimental. Il est ce qui doit éliminer les rancœurs, le rejet de l’autre, il est ce qui doit conduire à supprimer en toi les divisions externes et faire cesser la peur qui ronge. Il est inoffensivité, silence, compréhension. L’amour est patient, il est plein de bonté, l’amour n’est pas envieux, l’amour ne se vante pas, il ne s’enfle point d’orgueil, il ne fait rien de malhonnête, il ne s’irrite point, il ne soupçonne pas le mal, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité[1]. L’amour excuse tout, il supporte tout, surtout ce qu’est l’autre, même si nous ne devons entendre par tout seulement ce qui est tolérable.
Alors, ma Sœur, mon Frère, soyons justes, soit bons, soyons cléments, ne refusons pas à l’autre ce que nous nous accordons à nous-mêmes.
La colonne du nord s’agrandit à chaque cérémonie d’initiation de la dimension du nouveau franc-maçon, puisse-t-elle prendre encore plus de grandeur dans la lumière, pour projeter sur l’humain encore un peu plus d’humain. Quelle parthénogenèse !!! L’adoubement maçonnique reçu, le franc-maçon reçoit en même temps des milliers, des centaines de milliers de Frères et de Sœurs. Quelle belle façon de se reconnaître, de s’appeler. Imaginez-le saluant son inspecteur des impôts, bonjour mon Frère !, le CRS, bonjour mon Frère !, sa boulangère, bonjour ma Sœur !, ses voisins, bonjour Frère et Sœur!, son chef d’entreprise, bonjour mon Frère !, Un prince un roi, celui qui lui ressemble le moins, bonjour mon Frère, bonjour ma Sœur !

Ce rêve est ici réalité, ici nous pouvons les rencontrer et leur dire cette parole de liberté, d’égalité et de fraternité, bonjour mon Frère, bonjour ma Sœur.
Ils vous répondront, bonjour ma Sœur , bonjour mon Frère! Et si l’un d’entre eux me dit bonjour mon frère, sans remarquer que je suis une femme, j’en serais tout particulièrement fière.
[1] 1 Corinthiens 13:4-8