Il est des revues que l’on feuillette et d’autres qui se déploient, se donnent, s’ouvrent comme un rite. Le numéro 216 de Points de Vue Initiatiques, dédié à la thématique « Culture et Maçonnerie », ne se laisse pas simplement lire. Il se vit. Il se reçoit comme un souffle ancien revenu du fond du Temple. À mesure que les pages se tournent, c’est tout un monde souterrain qui affleure, une mémoire symbolique qui remonte en volutes, une parole initiatique qui trouve à s’incarner dans les gestes du monde.

Ce que nous appelons « culture », dans ce numéro, ne saurait être un agrégat de savoirs, un ornement intellectuel, une médaillée de la mémoire. Elle est ici chemin, épreuve, labeur. Elle est une dramaturgie de l’âme, une lente métamorphose. Elle est voix, regard, silence. Et la Franc-Maçonnerie n’est pas simple spectatrice de cette alchimie. L’Art Royal en est l’athanor.
L’éditorial d’Olivier Balaine donne le ton avec justesse. La culture, écrit-il, est « ouverture, curiosité, joie pour tous ». Une joie grave, une curiosité lente, une ouverture qui engage. Nous ne sommes pas ici dans la consommation culturelle, mais dans la respiration. Il n’est plus question de briller, mais d’habiter. De désirer ce qui éclaire au lieu de ce qui éblouit. À rebours des discours convenus, l’éditorial trace une voie austère et douce, où la culture devient un acte d’attention et de transmission.

Ce souffle s’approfondit encore dans l’entretien avec le Grand Maître Thierry Zaveroni. Ce texte n’est pas un discours, c’est une veillée. Loin des postures, il parle. Il se souvient. Il dit ce que la culture a d’intime, de vital, de spirituel. « La culture élève l’Homme au-dessus de lui-même » n’est pas ici une formule, mais un sentier de transmutation. Thierry Zaveroni nous parle d’une culture qui transfigure. Une culture qui ne sert pas à posséder, mais à transmettre. Qui ne s’accumule pas, mais se respire. Qui ne se définit pas, mais se vit.
Il y a, dans cette parole, une lenteur grave, une densité fraternelle. Le Grand Maître ne revendique rien, il se tient. Il évoque la culture comme un travail d’éveil, comme un compagnonnage intime avec l’invisible. Il n’y a pas d’exemples donnés pour illustrer, pas de thèses développées pour convaincre. Il y a la présence nue d’un homme qui a parcouru le long escalier de l’initiation, et qui sait que la culture est ce qui lie, ce qui relie, ce qui veille.
Lorsque Thierry Zaveroni parle du musée de la Grande Loge de France, il ne parle pas d’un lieu à valoriser. Il parle d’un souffle à transmettre. Les objets ne sont pas présentés comme des reliques, mais comme des fragments de mémoire, des morceaux de conscience. Chaque bijou maçonnique, chaque équerre ancienne, chaque tablier usé est une trace. Une trace d’un geste. D’un Frère. D’une pensée silencieuse.
Il insiste sur la lenteur. Sur la patience. Sur cette « culture du temps long » qui seule permet à la parole d’émerger, au silence d’enfanter du sens, au regard de devenir clairvoyance. La culture maçonnique, dans sa vision, est un refus du spectacle, une résistance à l’immédiat. Elle est une école de l’invisible.

Ainsi, l’entretien tout entier s’avance comme une procession intérieure. Un itinéraire d’âme. Ce n’est pas un texte à lire, mais à suivre. Il faut y entrer comme dans un Temple. Avec respect. Avec lenteur. Avec gratitude. Et s’y laisser traverser par une parole qui, loin d’être brillante, est vraie. Une parole qui n’explique pas, mais révèle. Une parole qui ne dit pas ce qu’est la culture, mais ce qu’elle devient lorsqu’elle rencontre un Frère en chemin.
Ce lien entre culture et verticalité prend corps dans le projet du musée de la Grande Loge de France, tel que décrit dans l’article de Marcela Louvel, conservatrice du patrimoine INP responsable du musée et Max Aubrun, délégué du Grand Maître au Musée-Archives-Bibliothèque. Le musée n’est pas un entrepôt de mémoires. Il est une chambre d’écho. Une antichambre du Temple. Chaque objet, chaque bijou, chaque outil ancien y devient message, hiéroglyphe, parabole. Conçu comme un itinéraire initiatique, le nouveau parcours muséographique, confié à François Payet, est une architecture de clarté. Le Temple y déborde dans le monde. Il rend visible le travail invisible.
Et c’est bien là le fil secret de ce numéro. Chacun des articles est une station du chemin. Musique, bande dessinée, cinéma, symboles, nouvelles technologies, histoire, architecture, logos, poésie : toutes ces entrées, si diverses, dessinent un même Temple. Non pas un Temple de pierre, mais un Temple de conscience. Tout y est appel, seuil, passage. Tout y invite à descendre en soi pour remonter dans le monde. La franc-maçonnerie, ici, n’est ni refuge ni dogme. Elle est passage. Elle est Verbe en marche.

Michel Camatte explore la musique comme un langage sacré du silence. Christophe Bourseiller interroge la voie initiatique à partir de l’expérience artistique. Max Aubrun médite sur les objets et les territoires comme porteurs d’une culture vivante. Fabien Brial relie l’Orient et l’Occident à travers le Logos. Didier Convard place la bande dessinée au rang d’expérience symbolique. André Ughetto sonde l’ouverture spirituelle du cinéma. Jacques Morel-Jean décrypte les nouveaux défis posés par l’intelligence artificielle à la démarche initiatique. Hugo Billard approfondit le V.I.T.R.I.O.L. comme promesse d’une transformation intérieure et vigilante. Jean-Pierre Thomas analyse la notion même de culture maçonnique et en trace les origines. Claude André Vuillaume est présenté comme figure fondatrice d’une codification rituelle. Daniel Sygit donne à voir, à travers l’image, la fragmentation du réel. Robert de Rosa rend un bel hommage aux Loges de recherche de la Grande Loge de France, comme autant de phares éclairant l’horizon symbolique. Sans oublier le quiz de Patrick Joinié-Maurin, les recensions, la bibliographie, et un poème d’une rare intensité.
Car ce que dit Thierry Zaveroni, c’est cela : la culture est le Verbe lorsqu’il touche l’épaulette d’un Frère silencieux. Elle est ce qui fait de l’homme un veilleur, un bâtisseur d’instants sacrés. Elle ne s’enseigne pas. Elle se murmure. Elle ne se possède pas. Elle se reçoit. Elle est, dans le vocabulaire initiatique, une lumière seconde, celle qui n’éblouit pas, mais éclaire. Elle est, dit-il encore, un sablier à l’envers, un temps de l’âme.
Dans cette veine contemplative, les Frères contributeurs de ce numéro tissent à leur tour, chacun selon leur art, les fils d’une culture initiatique en partage.

Ainsi la revue ne propose-t-elle pas un simple dossier culturel. Elle ouvre un monde. Elle tisse entre ses pages une arche. Elle crée un lieu. Ce lieu, c’est celui d’une culture qui initie. D’une culture qui, loin de flatter, appelle à se dépouiller. D’une culture qui est lenteur, amour, silence, verticalité. Une culture maçonnique, oui. Parce qu’elle fait passer de la matière au sens. Du multiple à l’unité. Du savoir au mystère.
Et c’est en cela que ce numéro est une réussite rare. Parce qu’il ne proclame rien. Il écoute. Il n’expose pas. Il accompagne. Il ne démontre pas. Il laisse advenir. Il ne ferme pas. Il ouvre.
Oui, ce Points de Vue Initiatiques n°216 est une chambre haute. Un porche vers le Temple. Un espace pour se souvenir que la culture, lorsqu’elle est vécue, devient un autre nom pour l’amour.
Et déjà, la revue annonce son prochain numéro, à paraître en septembre 2025, consacré à ce thème bouleversant : « Tout est sacré ». Il y a là une promesse. Une verticale. Une intensité. Car si tout est sacré, alors tout est Temple. Chaque pierre, chaque mot, chaque respiration. La culture n’est pas un domaine : elle est un regard. Elle est une manière d’aimer le monde.
Ainsi, Points de Vue Initiatiques n°216 ne propose pas une réflexion sur la culture. Il en incarne le souffle. Il en révèle la lumière lente. Et il prépare, déjà, l’espace pour une nouvelle élévation.
Points de Vue Initiatiques -Vivre la tradition
Revue de la Grande Loge de France
Culture et Maçonnerie – Grande Loge de France, #216, juin 2025, 120 pages, 8 €
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