mer 18 juin 2025 - 21:06

Éthique et Morale

Éthique » et « morale », ces mots renvoient toutes deux aux mœurs et aux coutumes donc aux règles de conduite et à leur justification. C’est Cicéron qui, en traduisant le terme grec èthica par moralis dans la leçon i de Droit, morale et religion leur a donné une équivalence sémantique. Cependant, « morale » est le mot employé pour exprimer l’ensemble des règles ou préceptes, obligations ou interdictions relatifs à la conformation de l’action humaine aux mœurs et aux usages d’une société. La morale se définit donc principalement comme une théorie de l’obligation, ou comme un ensemble de règles de conduite d’action. 

Quant à l’ « éthique », on peut la définir comme réflexion théorique sur la morale, comme un fondement de la morale.

Il semble intéressant  de considérer ce que d’autres traditions, dont pourtant la nôtre est issue, établissent comme distinguo entre éthique et morale. Faisons donc un détour par la langue de l’Ancien Testament.

Les termes hébreux « mishpat » (justice) et « tsedek » (droiture, justice) sont souvent évoqués dans des contextes religieux et liturgiques juifs, mais ils apparaissent aussi dans certains rituels anglo-saxons influencés par la tradition biblique qui s’inspirent de l’Ancien Testament.

Plus précisément, ces concepts peuvent être mentionnés dans des rituels ou lectures bibliques lors de services religieux anglo-saxons qui mettent l’accent sur la justice divine et la droiture, tels que les offices de la Semaine Sainte ou des célébrations liées à la justice divine, ou encore certains cultes protestants ou évangéliques qui utilisent des lectures de l’Ancien Testament (notamment les Psaumes, Prophètes) où ces mots apparaissent, et enfin à certaines études bibliques ou des rituels de prière qui insistent sur la justice sociale et morale, inspirés par la Bible hébraïque

 On sait que, pour les Hébreux, la Loi (celle des tables éponymes) et la Justice, l’équité en son application (que l’on retrouve sous les noms de mishpat et de tsédeq) furent fondatrices de la gouvernance ce peuple et des relations entre eux. «Malheur à celui qui bâtit sa maison par l`injustice [littéralement sans tsédek], Et ses chambres par l`iniquité  [littéralement sans mishpat]», comme on peut le lire dans Jérémie ; 22,13. C’est  en Genèse 18 : 19, que l’on comprend cette distinction : tsédek c’est  la vertu et mishpat, la justice[1]

« Mishpat » est généralement traduit par : Jugement, justice, habitude, ordonnances, loi, le droit, les règles, la cause, le modèle, règles établies, . . . Il peut aussi s’agir de l’ action de décider d’une cause ; lieu, cour, siège du jugement ; mais aussi d’une procès, d’une procédure, d’un litige (devant des juges) ou encore d’un cas, d’une cause (présentée au jugement) mais aussi de la  sentence, de la décision (du jugement) voire de l’exécution (du jugement).

Quant à « Tsédeq », ce mot est généralement traduit par : justice, juste, innocence, se justifier, droiture, bonté, vrai, équité, salut, triomphant, bonheur. Ce qui est droit ou juste ou normal, droiture, justesse (de poids et mesures) ; Justice (d’un gouvernement). En général équité effective, du roi, de Jérusalem comme siège d’un gouvernement juste ; de l’attribut de Dieu. Equité signifie aussi justice (dans une affaire ou une cause) ; droiture (dans le discours), justice (ce qui est moralement, éthiquement droit), justice (défendue), justification (en controverse), délivrance, victoire, prospérité ? IL peut enfin s’agir de Dieu comme gardien de l’alliance dans la rédemption, ou enfin  dans le nom du roi Messianique  ainsi que du peuple qui se réjouit du salut.

On a retrouvé dans l’iconographie assyrienne antérieure, un Dieu-soleil flanqué de chaque côté par deux dieux mineurs appelés Mishpat et Tsédek.

Dans les rituels anglo-saxons, les deux colonnes B et J sont, avant tout, le rappel de fonctions : royale (mishpat) pour Boaz (aïeul de David et de Salomon), et sacerdotale (tsédeq) pour Jakin (prêtre assistant lors de la consécration du Temple).  

C’est ce qu’estime Paul Ricoeur lorsqu’il écrit dans Fondements de l’éthique: «  Je propose donc de distinguer entre éthique et morale, de réserver le terme d’éthique pour tout le questionnement qui précède l’introduction de l’idée de loi morale et de désigner par morale tout ce qui, dans l’ordre du bien ou du mal, se rapporte à des lois, des normes, des impératifs. »

Et de poursuivre plus loin : « On entre véritablement en éthique, quand, à l’affirmation pour soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit. Je veux que ta liberté soit. »

Ainsi, dans le champ des sciences humaines la morale prend un sens descriptif des faits et se rattache à la sociologie ; elle peut se caractériser comme phénomène universel même si s’oppose à ce phénomène universel une relativité des morales dans l’espace et dans le temps. Il vaque cette relativité des morales implique l’émergence de conflits de morales eux-mêmes fluctuant dans l’espace et dans le temps.

Michel Maffesoli
MICHEL MAFFESOLI, SOCIOLOGUE, PARIS, LE 10 AVRIL 2014.

Michel Maffesoli, dans son ouvrage « Au creux des apparences » publié en 1990, exprimait bien cette frontière -ou mieux encore le glissement – être morale et éthique : « Quand on observe tous les phénomènes de violence dont l’actualité n’est pas avare, quand on voit les valeurs sociales traditionnelles perdre de leur force, ou les diverses autorités politiques, intellectuelles, journalistiques être tournées en dérision, on peut se poser la question : existe-t-il encore une morale universelle, applicable à tous ? C’est lorsque quelque chose n’a plus de réalité qu’on en parle beaucoup. Or, la Morale représente un monde qui n’est plus. Et c’est pour cela qu’on entonne, jusqu’à plus soif, des incantations en son nom. Mais comme il faut bien vivre ensemble, on voit se développer des éthiques particulières. Celles-ci traduisant ce  » sentiment d’appartenance  » propre aux tribus postmodernes. »

Pour être concret, on peut constater que l’éthique repose sur des valeurs morales voire communautaires. L’éthique, qui porte sur ce que nous « devrions » faire, varie donc selon les individus et les groupes.

Si l’on en croit le dictionnaire Larousse, la morale est un « ensemble de règles de conduite considérées comme bonnes de façon absolue ou découlant d’une certaine conception de la vie », et l’éthique est une réflexion argumentée sur les valeurs morales.

Mais  il est facile de convenir que cette définition n’est guère satisfaisante, Surtout, l’éthique est bien plus qu’une « réflexion argumentée » : l’éthique ne commande pas, alors que la morale est effectivement un ensemble de règles. Cependant, l’éthique est bien une réflexion sur la morale, qui a trait aux valeurs qui orientent et motivent nos actions dans nos rapports avec l’autre. En fait, il n’est pas exagéré de dire que l’éthique est tournée vers l’autre, ses attentes, ses désirs,  et par tant sa liberté.

Spinoza posait sans ambiguïté la différence entre morale et éthique en postulant que la morale, c’est le système du Jugement de Dieu, le système du Jugement. Mais l’Éthique inverse le système du jugement, de sorte que la différence qualitative des modes d’existence « bon /mauvais » se substitue au système de l’opposition des valeurs « Bien/Mal ».

Les acteurs professionnels du soin et de l’accompagnement connaissent bien les grands principes de l’éthique. Outre le principe de non-malfaisance, le principe de bienfaisance et le principe de justice et de non-discrimination, ils respectent le ». principe d’autonomie qui repose sur la reconnaissance de la faculté d’une personne d’avoir des opinions, de faire des choix et d’agir en fonction de ceux-ci…

Il va de soi que ceci suppose des capacités de jugement non altérées.

Plus récemment, ils ont été employés en philosophie moderne à propos des spéculations qui portaient sur « l’éthique », considérée comme le domaine de la détermination des fins de la vie humaine, des conditions nécessaires pour atteindre la vie heureuse ou des principes que doit suivre l’Homme pour mener une vie juste ou conforme à ses devoirs, dictés par la société ou par la raison.

Friedrich Nietzsche

Mais il est clair que  L’Éthique de Spinoza qui vécut au 17ème siècle, traite de la conduite de la vie humaine, tandis que Généalogie de la morale  de Nietzsche , qui vécut dans la seconde moitié du 19ème siècle, enquête sur l’origine des valeurs chrétiennes, qui pour l’auteur constituent ou fondent notre morale.

En fait, aujourd’hui, il est admis que « morale » et « éthique » ont des connotations différentes.

Le terme morale désigne l’attitude humaine face au bien et mal : ce qui est moral est bien, ce qui est immoral est mal. Evidemment, ce qui est amoral, – avec le a privatif –  n’est pas concerné par les notions de bien et de mal.
On notera que « morale » est parfois employé dans le cadre de  connotations volontiers négatives : « faire la morale », c’est donner des leçons (indûment) à quelqu’un, un « moralisateur » est une personne qui se complaît à prêcher la bonne morale. On sait aussi que la « morale » n’est pas restreint au vocabulaire religieux : on parle en France de « moralisation de la vie publique » à propos des mesures prises par les pouvoirs publics pour rendre plus acceptables la conduite des élus.

Le terme « éthique » est volontiers lié à l’activité de certains, et on parle volontiers de l’éthique professionnelle des médecins, des policiers, des journalistes…, c’est-à-dire les règles selon lesquelles un individu qui exerce l’une ou l’autre de ces professions travaille afin de ne pas se comporter injustement.

L’éthique renvoie aussi aux réflexions produites à propos de l’usage fait des nouvelles techniques scientifiques en biologie. On parle alors de « bioéthique » et de « questions éthiques », qui peuvent être par exemple : « peut-on cloner des êtres humains ? ».

On notera qu’en France, un organisme a été créé en 1983 pour conduire ces réflexions et émettre des avis : le Comité consultatif national d’éthique.

Au demeurant, la différence entre la morale et l’éthique réside dans leur nature et leur application : la morale est liée aux coutumes, normes et valeurs relatives d’une société, et varie selon les mœurs de chaque communauté. Tandis que l’éthique est une réflexion philosophique qui cherche à établir des principes universels du bien et du mal, indépendamment des normes sociales. 

Ceci a conduit certains à exprimer ainsi la différence : la morale est souvent subjective et contextuelle, tandis que l’éthique vise à définir des comportements acceptables à travers un raisonnement objectif.

Certes, l’éthique et la morale se rapprochent puisque les deux sont responsables de la construction de la base qui guide la conduite de l’homme, déterminant son caractère, son altruisme et ses vertus, et enseignant la meilleure façon d’agir et de se comporter en société.

Bien que l’éthique approuve ou justifie normalement les pratiques morales, il arrive qu’elles se rangent en opposition l’une contre l’autre.

En fait, les deux termes sont employés  différemment, pour exprimer que l’éthique est liée à l’étude du bien-fondé des valeurs morales qui guident le comportement humain dans la société, tandis que la morale est liée aux coutumes, normes, tabous et aux accords établis par chaque société.

Ainsi, l’éthique est la théorisation de la morale. Il n’est pas faux de considérer que l‘éthique aide à définir les critères sur ce qui se passe autour de nous.

Surtout, l’éthique ne fait pas de discrimination selon l’univers d’usage et les coutumes, Une telle « neutralité » n’est toujours pas valable pour la morale.

Les critères d’admission en franc-maçonnerie insistent sur le fait que le candidat doit être « libre et de bonnes mœurs ». Mœurs et morale ont une parenté qui n’est pas qu’étymologique, comme le laisse présumer le concept de « moralité ».

Une loge au XVIIIème siècle : eau-forte, aquarelle, planche dite « Cabanon », 1745 – Musée de la franc-maçonnerie.

En fait, dans les premiers textes de la maçonnerie opérative il était écrit : «né libre et de bonnes humeurs» qui devient « libre et de bon renom » ensuite. Mais c’est bien pour insister sur les valeurs morales que l’exigence est devenue d’être « libre et de bonnes mœurs ». Les deux notions fréquemment accolées de mœurs et de coutumes perdurent de l’Antiquité jusqu’au 19ème siècle. Si la première regarde les manières d’être comme implicitement structurées par des systèmes de valeurs, la seconde désigne des habitudes, et donc des systèmes de pratiques.

Il existe une morale coutumière, adaptée à tel lieu et à tel temps, qui est la morale des honnêtes gens dans une société donnée. Elle traduit les bonnes mœurs qu’il est souhaitable de suivre pour l’harmonie de la collectivité ; elle est à la mesure de quiconque et ne réclame aucun élan intérieur ni vertu supérieure. C’est ce minimum de morale sociale qui est exigée ; le casier judiciaire du profane doit être vierge lors de sa demande d’entrée en Franc-maçonnerie.

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Code pénal français, justice, textes de loi,

Le droit français ne maintient plus l’interdiction de déroger aux bonnes mœurs, toutefois encore évoquée dans l’article 6 du code civil créé en 1803 alors qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public. La loi n’a conservé les bonnes mœurs que dans le code de la propriété intellectuelle et dans le code de commerce.

Cette notion apparaît en effet désuète au regard de l’évolution de la société ; la jurisprudence l’a progressivement abandonnée au profit de la notion d’ordre public dont elle n’a eu cesse de développer le contenu.

«De bonnes mœurs» est la traduction, ou plutôt l’adaptation française, de l’expression «of good report» présente dans les rituels maçonniques anglo-saxons originels et contemporains. Elle ne signifie pas «de bonnes mœurs» mais «de bonne réputation», ce qui n’est pas la même chose.

Dans les sociétés influencées par le protestantisme et le puritanisme, les deux notions sont cependant très liées. Le Convent de Lausanne en  septembre 1875 (qui réunit les Suprêmes Conseils de onze pays) proclame : «depuis la préparation au premier grade jusqu’à l’obtention du grade le plus élevé de la Maçonnerie écossaise, la première condition sans laquelle rien n’est accordé à l’aspirant, c’est une réputation d’honneur et de probité incontestée

On peut dire aussi que l‘éthique est basée sur une réflexion individuelle, tandis que la morale, fondée sur la coutume d’une société, impose ses normes et son cadre coutumier. L’éthique est peut-être cette tension même, parce qu’elle suppose le pouvoir, non sur l’autre, mais sur soi-même. Et la méthode maçonnique est, par essence, ce qui réforme de l’intérieur, ce qui reconstruit, redispose autrement la beauté intérieure. Une telle reconstruction, libre et lucide, peut-elle être « normée » autrement que par une équerre intime ?

Finalement, il peut sembler légitime de considérer qu’alors que l’éthique vise à construire des valeurs absolues, impérissables et universelles, la morale évolue sans cesse, se transformant en fonction de l’idéologie dominante des pays (ou des sociétés) et du temps qui passe….


[1] Genèse 18 : 19 : « Si je l’ai distingué, c’est pour qu’il prescrive à ses fils et à sa maison après lui d’observer la voie de l’Éternel, en pratiquant la vertu et la justice » 

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Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski
Jean-Jacques Zambrowski, initié en 1984, a occupé divers plateaux, au GODF puis à la GLDF, dont il a été député puis Grand Chancelier, et Grand- Maître honoris causa. Membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, admis au 33ème degré en 2014, il a présidé divers ateliers, jusqu’au 31°, avant d’adhérer à la GLCS. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur le symbolisme, l’histoire, la spiritualité et la philosophie maçonniques. Médecin, spécialiste hospitalier en médecine interne, enseignant à l’Université Paris-Saclay après avoir complété ses formations en sciences politiques, en économie et en informatique, il est conseiller d’instances publiques et privées du secteur de la santé, tant françaises qu’européennes et internationales.

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