lun 16 juin 2025 - 19:06

Penser l’autre au-delà du miroir : pour une éthique du pardon entre Individuation et Altérité

Le pardon est souvent perçu comme un chemin intérieur, une guérison de soi par soi. Mais je m’interroge :
Qu’en est-il de l’autre dans ce processus ?
Peut-on vraiment pardonner sans le reconnaître dans sa pleine altérité, au-delà du miroir qu’il nous tend ?
N’aurions-nous pas oublié quelque chose d’essentiel dans cette démonstration : le risque de rester en soi, pour soi, enfermés dans un repli égotique ?

Dans ce texte, je questionne une dérive des discours spirituels actuels – celle qui réduit l’autre à un simple reflet. Je plaide pour un pardon relationnel, éthique, incarné. Un pardon qui ne sauve pas seulement le soi, mais ouvre un espace de rencontre avec l’autre, dans sa complexité, sa faute, son mystère.

Pardon, altérité et individuation

Psychanalyse et Franc-maçonnerie

Il m’a été dit récemment qu’on n’éprouve plus le besoin de pardonner l’autre lorsqu’on s’est pardonné à soi-même. Dans cette perspective, le pardon se voit alors réduit à une affaire intérieure, intime où la dynamique relationnelle disparaît au profit d’un recentrage total sur le Moi. Le pardon devient une mécanique, un geste fermé sur soi, coupé du monde.

N’est-ce pas là une dérive vers une forme de narcissisme spirituel ?

Cette perspective, aussi séduisante et pragmatique puisse-t-elle paraître, pose problème : elle tend à réduire l’autre à un simple miroir de Soi, niant ainsi son altérité propre.

L’essence de l’autre est dissoute, diluée dans une vision autocentrée où il n’est plus qu’un reflet de notre propre essence. Ce raccourci évacue une vérité essentielle : l’autre n’est pas un simple reflet de nous-même, mais une présence irréductible, un sujet à part entière.

On franchit ici une ligne de crête fragile, entre individuation et reconnaissance de l’altérité, où le Moi devient toute-puissance et la quête du Soi semble s’être arrêtée aux portes de l’altérité.

Où est passé l’autre, en tant qu’autre ?

Individuation et altérité : une ligne de crête fragile

Carl Gustave Jung

En confondant individuation (ce processus d’autonomisation et d’affirmation de soi) et développement spirituel par le miroir de l’autre, nous glissons subtilement vers un solipsisme masqué.  L’erreur de perspective survient lorsqu’on ne voit l’autre que comme une surface projective – un outil, un tremplin, un écho – au lieu de le rencontrer dans sa radicale différence.

Dès lors, le monde relationnel devient alors pauvre : privé de sa richesse transactionnelle, de ses frottements, de ses silences, de ses confrontations fécondes.

Peut-on vraiment pardonner sans l’autre, sans cette reconnaissance de ce qui en lui nous échappe ?

Pardonner ne peut se réduire à une opération intérieure. Il engage le dehors, le dialogue, la reconnaissance.

Aussi, ne pourrions-nous pas penser que cette démonstration est une forme de repli sur soi ?

Un repli qui confond la découverte de son individualité dans le reflet de l’autre et une individuation véritable, qui, elle, reconnaît le monde comme lieu d’échange, de réciprocité, de transcendance possible ?

Pardonner à soi-même : une nécessité, mais non une finalité

Se pardonner, oui.

Mais se pardonner de manière inconditionnelle, sans ancrage éthique, n’est-ce pas courir le risque de justifier tout acte, jusqu’aux plus graves ?

Un tel pardon pourrait devenir un outil de déresponsabilisation, de dédouanement de Soi et par extension  de la société.

Se pardonner, certes, mais jusqu’à quel point ?
Car la quête de soi ne saurait faire l’économie d’un cadre moral et éthique.

De plus, se pardonner à soi de manière inconditionnelle, n’est-ce pas aussi la porte ouverte à la fin de toute exigence envers soi-même ? La fin d’une quête de perfectionnement de notre être, quête qui, par essence, est infinie ?

Et ce pardon n’est-il pas parfois confondu avec l’acceptation pure et simple, un renoncement à toute forme de dépassement de soi ?

Où se situe la juste limite entre soi et l’autre ?

L’autre : miroir ou mystère ?

invitaion à entrer, miroir, passage, chemins

La proposition relayée que nous ne voyons chez l’autre que ce qui fait écho en nous est séduisante, mais elle reste enfermante lorsqu’elle est poussée à l’extrême.  L’autre n’est pas seulement le révélateur de nos ombres et de nos lumières ; il est un monde en soi. À trop vouloir faire de l’autre un miroir, on oublie sa radicale altérité. On nie sa singularité, on le ramène à soi.

L’autre n’est-il pas bien plus qu’un miroir ? N’est-il pas un mystère, une énigme, un monde entier qui nous échappe — même dans la proximité la plus grande ?

Un pardon relationnel : condition de l’éthique et de la transformation

Or, le véritable pardon surgit peut-être lorsque nous accueillons l’autre non pour ce qu’il nous renvoie, mais pour ce qu’il est, dans sa différence irréductible. C’est à ce point précis que s’ancre une individuation véritable – non pas dans le repli égotique, mais dans la rencontre. Non pas dans la fusion, mais dans la reconnaissance de la séparation.

Pardonner l’autre, ce n’est pas se sauver soi-même.
C’est ouvrir un espace.
C’est choisir, en conscience, de ne pas enfermer l’autre dans l’acte qu’il a commis.
C’est peut-être cela, le pardon : un acte de reconnaissance radicale de l’humanité de l’autre, au-delà de la faute.

Car le pardon, alors, devient une reconnaissance pleine : celle d’un autre qui a existé en dehors de nous, qui nous a peut-être blessés, et que nous choisissons, en toute conscience, de ne pas enfermer dans cette blessure.

Alors peut-on vraiment pardonner l’autre sans tomber dans une vision autocentrée du pardon ?

Oui – à condition de sortir du paradigme du miroir pour entrer dans celui de la rencontre éthique.Pardonner, ce n’est pas fermer une blessure pour retrouver la paix intérieure.

C’est oser rester en présence de cette blessure, sans effacer celui qui l’a causée.

Pardonner ne veut pas dire se sauver soi-même. Cela peut aussi être un acte de reconnaissance radicale de l’autre, dans sa vérité, sa complexité, ses fautes — et peut-être sa propre quête de pardon.

Si pardonner l’autre ne peut être confondu avec se pardonner à soi, nous sommes alors devant une exigence nouvelle : celle d’un vrai pardon. Un processus lent, conscient, qui exige du temps, du silence, de l’écoute. Et une capacité à accueillir véritablement l’autre, dans toute son humanité – blessante et blessée.

C’est ce pardon qui convoque l’Âme. Non celui de Soi, qui ne fait que l’effleurer.

Elodie Herbert

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