ven 06 juin 2025 - 19:06

L’initiation féminine et la mixité en Franc-Maçonnerie, une histoire d’amour

Le coup de foudre spirituel

Voilà la mixité réalisée. Il suffit d’un regard pour percevoir le lien puissant unissant le Pharaon Mykérinos et la reine Khâmerernebty II, et l’union parfaite en conscience de leurs deux natures d’homme et de femme. Comme eux dans l’Ancienne Égypte, chaque égyptien et égyptienne savait se redresser pour « être debout »physiquement, moralement, mentalement, et spirituellement, se tenir pour être en quelque sorte perpétuellement « en tenue », comme disent les Maçons. En ce temps-là, les prêtres n’exerçaient aucun « droit de regard » sur la vie spirituelle de leurs semblables, car « elle ne les regardait pas ». C’est à chacun et chacune qu’il appartenait d’exercer son « devoir de regard » sur sa propre vie, précisément pour mieux se connaître et accomplir son devoir en rectifiant ses erreurs de sa propre initiative. Alors, une mixité intérieure pouvait éclore en soi-même et faire écho à la mixité extérieure réalisée à deux, dans un parfait respect mutuel amoureux.

« Aimer, s’aimer » sont les deux mouvements du cœur qui rythment nos vies et nourrissent d’amour l’existence des hommes et des femmes. Mais ils prennent une dimension particulière chez la Femme qui porte la vie et la régénère, tel un creuset vivifiant. Encore faut-il préserver ce creuset originel, que le cours de la vie elle-même malmène et rudoie, parfois jusqu’à l’anéantir. La Femme est le premier témoin de ce grand paradoxe de la vie. Elle est aussi aux premières « loges » de ce que la vie génère en son sein, la grande différentiation des sexes dont la genèse reste encore un mystère.

La Femme qui saisit ainsi de l’intérieur les grands mystères de la vie, les appréhende avant l’homme son alter-ego, avant comme lui de chercher à les connaître en passant par le prisme de la raison. Elle ressent autant de l’intérieur que de l’extérieur les évènements de la vie, deux manifestations complémentaires de la lumière symbolisés à l’Orient des Loges par une lune et un soleil. S’il est dit que la perception de la lumière lunaire atténue et précède celle de la lumière solaire, l’une et l’autre éclairent surtout deux visions complémentaires du monde, intérieure et extérieure, donnant ensemble à la vie un relief qu’elles ne peuvent saisir séparément.

Le symbolisme des Loges et des Temples au premier degré, basé sur cette répartition binaire des forces et de leurs champs d’action, se complexifie dans les degrés suivants par la mise en œuvre de forces transversales, la compréhension et l’intégration en conscience d’autres niveaux de connaissance, dits spirituels. En fait la spiritualité est cette aspiration, ce souffle vertical nourrît par le travail des Maçons sur eux-mêmes, les conduisant à toujours mieux se connaître et s’accepter en leur double dimension matérielle et spirituelle. Les deux branches d’une « croix » qui symbolisent cette évolution intérieure, la branche horizontale illustrant la matérialité binaire et évoluant sur la branche verticale à différents niveaux, se complexifient et se manifestent en conscience sous diverses formes chez les Maçons durant leur initiation.

La Franc-Maçonnerie dès sa fondation au XVIIIème siècle a intégré dans son processus initiatique cette nature humaine binaire, dont les sciences cognitives contemporaines explorent régulièrement les mystères. Leurs recherches tendent à démontrer que le cerveau humain développe deux types de pensées, le traitement logique, mathématique, séquentiel, lent et réfléchi, progressant du détail vers la complexité, étant dévolu à l’hémisphère gauche, l’hémisphère droit étant le siège du raisonnement synthétique, rapide et intuitif, fonctionnant plutôt sur la globalité, l’expérience et l’erreur, premier pas vers l’erreur « rectifiée » des Maçons. Même s’il faut se garder d’un schématisme excessif dans cette répartition des tâches, cette « latéralité cérébrale » relie les Maçons à une latéralité symbolique semblable dans l’architecture des Temples. Maçons et Maçonnes y trouvent des marques semblables, progressant pareillement sur le chemin d’un perfectionnement qui commence par une approche analytique des symboles aux premiers degrés, et conduit à la prise de conscience globale de l’état d’initié(e), en sa nature à la fois matérielle « et » spirituelle.

Hugo

« Aimer c’est plus que vivre » (Victor Hugo). Vivre initié c’est aussi pour les Maçons et Maçonnes plus que vivre, l’initiation conduisant à des prises de consciences successives qui renouvellent la connaissance de soi-même et celle du monde environnant. Comme dans la marche, déséquilibre et équilibre s’y succèdent, chaque pas menaçant de faire chuter l’initié tout en lui permettant d’avancer. Le déséquilibre dû à la vision parcellaire analytique est pareillement « rectifié » par le regard synthétique, l’un « et » l’autre activant la nature binaire matérielle des initiés. Mais l’initiation convertit aussi ces pas horizontaux en « marches » et paliers d’un escalier vertical, par un élargissement du champ de conscience dépassant la vie matérielle sous toutes ses formes et éclairant d’autres plans de vie et d’espace dans le temps dit sacré de la spiritualité.

L’Etre spirituel vit pleinement de l’intérieur cette « éclosion » du champ de conscience, et apprend, pour reprendre les mots du poète, à conjuguer « embrassement » et « embrasement ». Par l’embrassement, la nature binaire est saisie « à bras le corps » pour convertir ses deux visions parcellaires et antagonistes en duo de forces complémentaires positives au service de l’Etre dans son ensemble. Mais les difficultés pour y parvenir sont nombreuses, chacune des deux parties tendant à préserver son pré-carré et même tendre à installer sa domination sur le couple. Ces deux natures logique et intuitive qui se font face rappellent étrangement ces couples homme-femme qui s’aiment et surmontent ce qui les éloigne l’un de l’autre. Et quel que soit l’amour qui les réunit, chacun doit se connaître soi-même et s’aimer pour accepter, reconnaître et mieux aimer l’autre.

Alors, quand l’un et l’autre œuvrent au service du tout qui les dépasse, leur duo peut s’embraser, comme à la suite de frottements prolongés entre deux matières de natures différentes, l’une dure et droite, l’autre douce et ronde, entre lesquelles l’espace se réchauffe et prend feu. Peu importe le temps passé dans l’embrasement par l’initié(e), soudain plein(ne) de lui-même (d’elle-même) et de l’autre, dans un état de conscience revivifiant les perceptions immédiates, transformant le sentiment de bien-être en conscience de Bien Être. Mais l’univers morcelé et les rapports antagonistes vécus « au premier degré » « rappellent à l’ordre » binaire les initiés qui deviennent « parties prenantes » de ces deux niveaux de conscience différents et pourtant imbriqués l’un dans l’autre.

Aurobindo

« Aimer, s’aimer » sont bien ces deux mouvements du cœur des Maîtres et Maîtresses en Maçonnerie, ces battements émanant du centre de leur cercle symbolique. Aimer, s’aimer, embrasser, s’embraser, deux temps renouvelant l’oxygène en circulation dans leurs « vaisseaux » sanguins, vent nourricier soufflant sur le « vaisseau » alchimique de leur propre transformation, nourrissant leur brasier d’amour. Mais dans l’embrassement la nature binaire masculine et féminine des Maçons et Maçonnes peut s’exacerber et conduire jusqu’aux extrêmes de l’idéalisation ou du reniement de l’autre. Alors que dans l’embrasement le binaire s’estompe dans un tout renversant et renouvelant les valeurs dans l’Amour absolu. Le yogi Shri Aurobindo (1872-1950) est l’illustration vivante de cet accomplissement spirituel. « Une fois que j’ai su que Dieu était une femme, j’ai appris quelque chose de très approximatif au sujet de l’amour ; mais c’est seulement quand je suis devenu une femme et que j’ai servi mon Maître et amant que j’ai connu l’amour absolument. Cette forme qui doit manifester la force spirituelle capable de transformer les conditions actuelles de la terre, cette forme nouvelle, qui la construira, sinon les femmes ? La nouvelle espèce sera gouvernée par l’intuition, c’est-à-dire par la perception directe de la loi divine au-dedans. » (La « Mère », compagne de Sri Aurobindo, fondera Auroville, la Cité de l’Aurore, en 1968 près de Pondichéry)

Aurobindo

Autant le vécu binaire est limité dans le temps et l’espace, autant la vie spirituelle (« la vie divine » dit Sri Aurobindo) est universelle, et son vécu intérieur dont témoignent admirablement les femmes initiées traverse les Traditions et les sociétés initiatiques, la Franc-Maçonnerie en particulier. « En tant que femme, dit Judee Gee dans « Femmes et Spiritualité », la vie spirituelle est vécue dans un sens global, plus au foyer qu’à l’extérieur. Il y a différentes manières de suivre son chemin, celui de l’homme est plus droit. Il est d’une structure différente de celui de la femme qui a plus de difficulté à conserver son axe, la discipline sur le chemin, elle doit souvent apporter des soins aux enfants, aux élèves, aux patients.

« Les « maîtres spirituels » sont souvent des hommes. Les femmes cherchent plutôt à se situer dans une relation avec les autres. Elles ont plus de mal à garder leur verticalité, une relation avec elle-même, les hommes se situent davantage par rapport à eux-mêmes. Problème social mais aussi structure physique. La femme cherche instinctivement à remplir ce vide à l’intérieur de son corps, au niveau du bas-ventre. Elle est attirée par une relation horizontale mais devrait modifier cette habitude, accepter de vivre avec ce vide, le considérer comme un état positif correspondant à sa vraie nature.

Une partie de la recherche spirituelle d’une femme est de se réconcilier avec ce vide, de ne plus en faire une cause de souffrance, de le vivre comme une bénédiction. Si elle pense qu’il y a un manque, elle se sentira obligée de le remplir avec du relationnel, de l’affectif, ce qui ne manquera pas d’occasionner des souffrances supplémentaires, lorsque l’homme ou les enfants s’en iront ! La réconciliation avec ce vide peut devenir une source de puissance intuitive, d’autonomie, peut faciliter l’acceptation de son intuition, du réceptacle qu’elle est dans sa structure même, dans son corps physique et énergétique. »

« La femme vit sa relation à la spiritualité comme une rencontre amoureuse : attirance, fiançailles, mariage, enfantement, dit Théa Schuster dans son livre « D’après mon expérience ». Tout commence par une nostalgie diffuse, par le désir d’une Présence sans nom, pressentie inhérente à toute chose et pourtant totalement ailleurs. Une sensation d’être, inexplicable et privilégiée, l’émeut, parfois jusqu’aux larmes, sans raisons objectives. Une voix intérieure et impérieuse l’appelle, ne la laissant pas en paix, même si elle tente de faire la sourde oreille en s’étourdissant dans « l’agir-comme-tout-le-monde ». Rien n’y fait, cette voix intérieure exerce de plus en plus de pouvoir sur elle, comparable en cela à la présence d’un amoureux qui deviendrait chaque jour plus pressant : indispensable et inquiétant.

« Un jour, la femme accepte cet appel, s’y soumet et s’y engage : ce sont les fiançailles. Toute son ardeur s’enflamme au contact de l’idéal spirituel. Elle le clame, l’écrit en lettres de feu. Elle est si éprise qu’elle en devient intransigeante, ne tolérant nulle mise en question de la Présence qui l’habite. Vient le temps du mariage, plus calme, plus pondéré, avec son lot de mises à l’épreuve : l’enthousiasme juvénile s’étant assagi, la femme choisit son engagement en toute conscience et traverse à cause de cela de longues périodes de doute quant à la justesse de son cheminement. A la maturité de sa vie, son entourage la sollicite, avec insistance, lui demandant d’être présente et disponible. D’où le questionnement sur le fait de rester tournée vers l’intérieur à l’écoute de la voix de l’autre Présence qui lui parvient maintenant moins claire, comme étouffée par le bruit du monde qui l’entoure.

« Ces moments de doute sont pourtant des instants précieux : la femme vit les douleurs de l’enfantement. A son insu d’abord, une force irrépressible agit en son for intérieur, s’amplifiant de jour en jour, la transformant de force en réceptacle du Divin. La femme vit cette étape comme si elle était enceinte de Lui, le portant et l’accouchant dans les douleurs du doute, pour saluer enfin l’évidence de la Présence Divine qu’elle avait toujours portée en elle ! »

« Les femmes, dit Martine Quentric-Seguin (auteur de « Ni Maître, ni Disciple »), celles de ma génération ou celles qui vivent encore sous le regard d’une société qui les veut faibles, inférieures, illogiques, celles qui vivent une enfance, voire une vie adulte, avec des limites rapprochées, ont une chance impalpable mais certaine. Ayant appris à accepter bien avant d’imaginer oser demander, elles ont intégré les limites de leur vie physique et mentale que ni le corps, ni l’intellect ne sentaient. Elles peuvent ainsi tout naturellement comprendre que cet Essentiel qui vibre en elles n’est ni ce corps, ni ce mental. Elles ont appris que « OUI » simplifie grandement la vie en réduisant les tensions tant externes qu’internes. Elles n’ont pas eu à s’imaginer fortes, puissantes : il leur suffit de connaître la ténacité, le courage et l’oasis de la faiblesse acceptée.

Une mère et son enfant

« La maternité nous apprend le bonheur d’être habitées par la Vie en nous plus grande que nous. C’est le féminin en chacun que nous soyons biologiquement mâle ou femelle, qui s’offre, intériorise et porte à maturité. Le temps de gestation est compréhension, acceptation, patience, don jusqu’à l’abandon de soi, tendresse, dévotion car la dévotion est souvenir constant. L’accouchement de l’Etre n’est pas extériorisation mais réintégration de chaque cellule, de chaque pensée, implosion, surgissement vers le centre d’un Big-Bang inversé. La femme ou mère idéale manifesterait toutes ces qualités, c’est pourquoi les grandes figures religieuses sont nommées « Mère » et souvent « Vierge et Mère ». Virginité et maternité non pas corporelles mais ontologiques : capacité à disparaître au profit du vivant.

Main adulte avec main d’enfant

« La pratique féminine est dans l’abandon, la patience, la tendresse, le courage tenace sans masochisme, ni négligence. Il est rare qu’une femme envisage de rester sur un pied 50 ans en vue de forcer l’illumination, mais elle comprendra volontiers que laver son bol attentivement puisse ouvrir la Conscience, et c’est d’ailleurs une femme, Ste Thérèse d’Avila, qui disait : « Dieu est dans les casseroles de la cuisine ». La réalisation est amour et acceptation dans une humilité qui s’ignore elle-même. La transmission est tendre et patiente : la Mère peut changer des milliers de linges souillés, elle peut prétendre se fâcher mille fois pour que l’enfant ne mette pas les doigts dans la prise, elle supporte avec la même tendresse les baisers rageurs et les coups de pieds rageurs, elle est présente sans défaillir dans les joies et les souffrances. Les Maîtres féminins conservent un rapport si naturel avec le monde qu’il est plus difficile de percevoir leur Réalisation à qui ne vit pas dans le même Etat. »

Ce sont ces femmes spirituelles au travail qui sont l’avenir de l’homme. Le poète chante avec Aragon « La femme est l’avenir de l’homme », mais il doit se défier des grandes théories et des universalismes lénifiants qui ont ravagé le siècle passé. L’avenir est le salaire du travail présent, sur le plan spirituel en particulier, et seules concourent à sa réalisation les femmes qui œuvrent en elle-mêmes et par elles-mêmes à son avènement. Et comme en Maçonnerie, seules ont droit au « Chapitre » de l’embrassement et de l’embrasement du monde de la Rose-Croix celles qui travaillent d’abord à se perfectionner, redorant les clés d’accès à la Femme universelle qu’elles portent en elles, ravivent et régénèrent.

Cette Femme qui s’affirme par Nature et couronne le processus de Réalisation et d’Accomplissement spirituel est d’autant plus essentielle à l’homme qu’il lui devra sa survie, s’il parvient toutefois à surmonter le chaos généralisé des sociétés à travers le monde, et la destruction systématique des socles de valeurs sur lesquelles il repose. La Femme est l’avenir nécessaire de l’Homme en quête de souffle et de renouveau. « La Femme, dit Françoise Bonardel (Philosophie de l’Alchimie), peut seule transformer en rédemption le désir d’anéantissement qui assaille l’homme, selon qu’elle a ou non réalisé, au travers de l’amour, ce qu’il pouvait en être de son propre rôle concepteur. Dans un premier temps façonnée par les qualités de l’homme individué, volontaire et orgueilleux, elle finit un jour par se rebeller contre la forme particulière, contraignante, qu’a ainsi prise pour elle l’amour de cet « être-là », lui-même pris au piège de l’individuation.

« La transmutation de l’amour en caritas ne peut donc être réalisée que si la femme transforme son abandon et sa révolte contre cet abandon en sacrifice actif, découvrant ainsi qu’elle n’a pas mission d’aimer cet être-là mais l’amour même, le grand concepteur habile à contraindre à travers elle l’homme à se reconnaître à son tour homme-lige de l’amour : « La femme est à l’homme la mesure éternelle, claire et reconnaissable de l’infaillibilité naturelle, car elle est la perfection si elle ne sort jamais de la belle spontanéité où elle est condamnée par ce qui peut seul sanctifier sa nature, par la nécessité de l’amour » (Wagner). Nietzsche a remarquablement senti et décrit la transfiguration opérée par ce mouvement de vague de la Nature, revenant à elle-même purifiée et apaisée. Or, Nietzsche ne s’y est pas trompé, ce « retour » n’est ni exaltation de l’instinct retrouvé, ni acceptation passive de l’inévitable, mais processus réellement transmutateur alchimique. »

Le mariage de raison

2 femmes mûres et complices à table pour le thé
2 femmes complices à table pour le thé

Les femmes opèrent déjà cette œuvre de transmutation individuelle et de transformation collective dans les Loges maçonniques d’Obédiences exclusivement féminine ou mixtes. En France, il s’agit principalement de la Grande Loge Féminine de France, la Grande Loge Féminine de Memphis Misraïm, le Droit Humain, la Grande Loge Mixte Universelle, l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal, la Grande Loge Mixte de France, la Grande Loge Mixte de Memphis-Misraïm, récemment du Grand Orient de France et quelques obédiences aux effectifs plus marginaux. En Suisse il s’agit de la Grande Loge Féminine de Suisse et de la Grande Loge Mixte de Suisse. Dans les autres pays européens et sur les cinq continents, il s’agit du Droit Humain. Si l’histoire de la mixité en Franc-Maçonnerie illustre la résistance masculine à la présence des femmes au pouvoir dans la société, elle témoigne surtout d’une évolution irrésistible depuis les premiers temps de la Franc-Maçonnerie au XVIIIème siècle.

Cagliostro

C’est à la fin du XIXe siècle, en France, que va apparaître pour la première fois une véritable franc-maçonnerie mixte. En effet, jusque là, les formes féminines ou mixtes de la franc-maçonnerie étaient restées anecdotiques, marginales (la franc-maçonnerie égyptienne de Cagliostro), assujetties à des loges masculines aristocratiques (les loges d’adoption), ou para-maçonniques dans leurs rites et pratiques (l’ordre de l’Eastern Star aux Etats-Unis). En 1880, douze loges symboliques avaient rompu avec la « Grande Loge centrale » du Suprême Conseil de France et constitué une nouvelle obédience, sous le nom de « Grande Loge symbolique écossaise ». Certaines de ces loges approuvèrent alors le principe de l’initiation des femmes, mais ne purent aller plus loin. C’est pourquoi la loge « Les Libres Penseurs » du Pecq proclama son autonomie le 9 janvier 1882, afin d’initier le 14 janvier 1882, selon les pratiques du Rite Écossais Ancien et Accepté, Maria Deraismes, journaliste et militante féministe, remarquée par les frères pour ses talents de conférencière et son engagement militant pour la reconnaissance des droits des femmes et des enfants. Onze ans plus tard, Maria Deraismes, aidée entre autres de Georges Martin, initia rituellement 17 femmes le 14 mars 1893, puis fonda, le 4 avril suivant, une loge nommée « Grande Loge symbolique écossaise mixte de France Le Droit humain ». C’est cette dernière qui donna naissance, en 1901, à l’Ordre maçonnique mixte international « le Droit humain ».

L’histoire de la mixité témoigne aussi de l’efflorescence en matière de rituels qui a caractérisé la franc-maçonnerie française ces dernières années. Ainsi à la Grande Loge Mixte de France, crée en 1982, les Loges peuvent pratiquer au choix : le Rite Français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Écossais Rectifié, le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le Rite Émulation, et d’autres Rites tels que le Rite Anglais Ancien, le Rite d’York, le Rite Standard d’Écosse, la Marque, l’Arche Royale et le Rite Opératif de Salomon… « Efflorescence » est bien le mot caractéristique d’une époque où les femmes s’affirment par brassées dans tous les domaines de la société, rattrapant le temps perdu par leurs alter-égaux. Mais la mixité qui s’affirme « au premier degré », par nature binaire, ne change-t-elle pas de sens dans les degrés suivants de l’intériorité et du sacré ? Cette différence de sens qui ne s’affirme qu’a minima au premier degré est pourtant ressentie par les femmes dès leurs premiers pas d’initiées.

Elles témoignent auprès de François Koch, dans l’Express. « La plupart des femmes viennent chercher dans les loges des valeurs fondamentales, une écoute, une tolérance mutuelle, une réflexion constructive, un épanouissement personnel, affirme une sœur, mais aussi la compensation de frustrations pénibles et nombreuses : familles trop pesantes, époux dominateurs, schémas sociaux asservissants, rôle astreignant. » Voilà pourquoi s’est développée une maçonnerie féminine. Les « filles de la Veuve » préférant rester entre elles sont désormais aussi nombreuses que celles optant pour la mixité… alors que 93% des frères de la maçonnerie française demeurent attachés à leur atelier masculin. Chez les femmes, donc, il y a deux écoles.

« Dans une assemblée mixte, les hommes confisquent la parole », affirme Laure, enseignante parisienne de 56 ans initiée à la GLFF. Membre de la même obédience, Marthe, 68 ans, renchérit : « Les femmes ne sont libres qu’entre elles et, comme elles ont une sensibilité commune, leurs travaux sont de meilleure qualité sans mecs, d’autant plus que la parole n’est pas parasitée par de vieux schémas de séduction. » « Avec des femmes, les hommes ne peuvent pas s’empêcher de se comporter en donneurs de leçons », regrette Bernadette, infirmière marseillaise et passée vénérable d’un atelier de la Grande Loge féminine de Memphis-Misraïm (GLFMM).

« Les sœurs des loges mixtes ne comprennent pas ces arguments, puisque les règles de débat maçonniques interdisent de couper la parole de l’autre et limitent les interventions de chacun. « La mixité en franc-maçonnerie est un lieu – ils sont si rares – où les hommes et les femmes se parlent en se respectant, insiste Colette, Strasbourgeoise de 51 ans, membre de la Grande Loge mixte de France (GLMF). J’admire les frères de nos ateliers : ils ont le courage de venir y perdre du pouvoir. »

« A moins d’être une féministe de type américain, c’est-à-dire qui rejette les hommes, une femme préfère la mixité », tranche avec assurance Anne, 50 ans, sœur d’une loge parisienne du DH. « Nous ne rejetons pas du tout les hommes, soutient Claude Guillaut-Darche, 49 ans, passé Grand Maître Général de la GLFMM. Mais l’initiation est une expérience intime, dans le domaine sacré, qui ne peut se transmettre qu’entre femmes. » »L’initiation n’est pas une mise à nu et peut parfaitement se vivre en mixité », rétorque Danièle Juette, 54 ans, grand maître adjoint du DH international. Deux points de vue inconciliables ? « Historiquement, l’initiation mixte n’existe pas, reconnaît l’enseignant et chercheur Yves Hivert-Messeca. Mais l’initiation maçonnique n’a jamais été très anthropologique. Parce qu’elle n’existe que dans la tête de ceux qui se prennent au jeu, c’est une initiation « Canada Dry », une tradition mystique ou de simples règles morales. »

« Les « filles de la Lumière » conservent pourtant de leur initiation en loge un souvenir souvent très fort. Mais elles la qualifient d’ésotérique… donc d’indicible. « Peut-on décrire ce que l’on ressent en arrivant au sommet d’une montagne après une randonnée pédestre ? » s’interroge Françoise, 59 ans, sœur de la GLFF. Extase ou coup de foudre ? Emotion ou désarroi ? Détresse ou paralysie ? Illumination ou renaissance ? Le rituel maçonnique, très théâtralisé, est conçu pour ne pas laisser indifférent. Sous le bandeau, Marie-France Picart s’est sentie « dans le ventre de la mère », envahie par une agréable envie de dormir. « J’avais les yeux bandés au milieu de frères et de sœurs que je ne connaissais pas et les questions fusaient de partout, se souvient Gabrielle, chef d’entreprise francilienne de 50 ans initiée au DH. Lorsqu’on m’a demandé : « Que pensez-vous de la mort ? », j’ai fondu en larmes. Mon mari était décédé il y avait à peine trois ans. »

« Le parcours maçonnique est si intense, mystérieux et incommunicable qu’il est sans doute plus facile à un franc-maçon ou à une franc-maçonne de partager sa vie avec un initié. Bien des frères de la GLDF ont ainsi incité leur compagne à rejoindre la GLFF, favorisant son développement. Les couples de maçons sont légion. Les sœurs du DH, qui représentent les deux tiers de cette obédience mixte, ont souvent pour compagnon un maçon du GO ou du DH. »

Ces couples de Maçons qui subliment par amour leur nature binaire, vivent à la fois avec l’autre et en eux-mêmes l’expérience éclairante d’une spiritualité en mouvement, leur existence matérielle commune coexistant avec une vie spirituelle plus intérieure, qui, même en communion d’esprits, éclaire sans les confondre les cheminements personnels de l’un et de l’autre. L’un et l’autre au « travail », au sens maçonnique du mot, symbolisent une autre mixité à l’œuvre intérieurement en chacun, tendant vers une unité transcendant cette mixité première. Les hommes comme les femmes, ensemble ou séparément, peuvent témoigner d’une même expérience intérieure, quel que soit leur choix de vie, en couple ou célibataire. Marie-Madeleine Davy, apôtre de l’intériorité, qui choisit le célibat, témoigne d’un cheminement et d’expériences intérieures proches de celles des Maçons et Maçonnes : « La différence entre les hommes, dit-elle, se réduit à celle-ci : la présence ou l’absence d’expérience spirituelle » et « Si lumineuse qu’elle soit, cette expérience n’est pas acquise une fois pour toutes, elle est vouée à des approfondissements successifs. »

Comme tout Franc-Maçon, membre par définition d’un ordre initiatique traditionnel, « l’homme en qui l’expérience spirituelle s’accomplit, dit-elle dans « Initiation à la symbolique romane », est attentif aux signes de présence, aux symboles qui telles des lettres lui apprennent un langage, le langage de l’amour et de la connaissance. L’homme spirituel est instruit par les symboles et quand il veut rendre compte de son expérience ineffable, c’est encore aux symboles qu’il a nécessairement recours. » « Attirée par la présence du mystère, dit-elle, je comprenais que la théologie positive, affirmative, ne me convenait pas. Je préférais la théologie apophatique, négative, qui oriente vers l’ineffable. Toute spéculation est récusée du fait de son insuffisance, alors l’inconnaissance surgit. » « Ce n’est ni l’homme ni la femme qui sont faits à la ressemblance divine, mais seulement l’androgyne, l’être intégralement bisexué. »

Marie-Madeleine Davy est restée célibataire, un choix de vie sur lequel elle s’est exprimée à maintes reprises : « Il existe deux types de mariage, l’un lié à la chair, l’autre à l’esprit. Ce dernier se présente comme un authentique mariage. Du point de vue charnel, le philosophe se doit de choisir le célibat. Cependant, il va contracter un mariage secret. » « Abandonner la féminité consiste à passer du plan terrestre au plan céleste. C’est uniquement au niveau céleste que se réalise l’unité. » « L’homme essentiel est toujours seul. Pas de rencontre de l’Absolu sans solitude, pas de solitude sans esseulement. J’ai épousé la solitude comme d’autres prennent un compagnon de route. »

L’union sacrée

Dans l’expérience mystique chrétienne, le sujet est féminin, qu’il soit homme ou femme : c’est l’âme féminine qui deviendra l’épouse de l’Unique Époux. « Le mariage spirituel est symbolisé par l’amour mutuel de l’Époux et de l’Épouse et par leur union. A ce moment l’Épouse ne cherche plus, elle possède une présence qu’elle ne veut plus quitter. » Cependant, la Présence dont elle a reçu l’appel n’est pas celle du Christ Époux, mais celle de la Sophia, ou du Christ Sagesse. Dès lors le sujet de l’expérience est masculin, puisqu’il prétend à une union avec une Personne qui n’est ni Dieu, ni le Christ, ni l’Esprit, mais bien la Sophia divine. Il existe de rares représentations du Christ Sophia. Elles n’en ont que plus de sens pour qui a reçu l’appel de la Sagesse divine.

Fragment d’un manuscrit d’Eckhart, le maître de la mystique spéculative

Dans l’expérience sophianique, l’homme doit connaître sa propre âme féminine, et quant à la femme, elle doit devenir virile. Que l’on soit homme ou femme, c’est l’état de l’homme intégral qui est visé finalement, celui de l’Adam primordial, d’avant la naissance d’Eve, et non la condition de l’homme et de la femme avant la chute. « L’âme doit se dépouiller de sa féminité afin de vivre dans l’Esprit. » En d’autres termes, pour s’unir à la Sophia divine, que l’on soit homme ou femme, il faut devenir cette « vierge masculine » dont parle Jacob Boehme. Alors, l’homme devenu intégral peut prétendre à une union sophianique, qui célèbre les noces de l’homme androgyne, de la femme devenue mâle, avec la Sophia.

Cette expérience de l’union sophianique pour la Femme est fondamentale, car l’âme est féminine et capable d’engendrement. C’est la notion de « puer aeternus », d’ »Enfant d’éternité » que l’on rencontre chez Maître Eckhart, et à laquelle Marie-Madeleine Davy, en tant que femme, sera sensible. « La femme enceinte sait qu’elle porte dans ses flans un embryon qui deviendra un enfant. Dans le cas du « puer aeternus », l’ »Enfant d’éternité », l’enfantement se déroule dans le secret le plus absolu. Il y a bien initialement une semence. Elle provient du monde invisible. Le réceptacle existe. Il ne réduit pas à un corps animé, pourvu d’un nom. Le fond de l’être expérimente une vasteté, une immensité sans frontières. »

Dans cet autre espace vole et plane l’oiseau, son emblème. « L’oiseau, on le sait, symbolise l’âme. Lorsque celle-ci s’intériorise, elle devient profonde. Un trajet s’accomplit allant de la périphérie au centre (vers le centre du cercle du Maître, disent les Maçons). Véritable voyage comportant différents relais ; des épreuves jalonnent le périple. Il convient d’évoquer le mental, de découvrir le chemin conduisant au cœur, qui, peu à peu va pouvoir se liquéfier et favoriser la poussée des ailes (celles du pélican et du phénix au degré de Chevalier Rose-Croix). Celles-ci accompagnent la naissance de l’esprit que de nombreux mystiques « situent » à la fine pointe de l’âme (et les Maçons à la pointe de leur « épée flamboyante »). Ainsi l’esprit provient d’un engendrement de l’âme qui contient virtuellement l’esprit. Tout spirituel est invité à devenir la mère du « puer aeternus », l’ »Enfant d’éternité », l’Enfant divin. On rejoint ici un thème cher à Maître Eckhart, celui de l’homme devenu « mère de Dieu ». Désormais, l’oiseau intériorisé cesse de symboliser l’âme, il signifie l’esprit. »

Dans cet accomplissement spirituel, l’union mystique prépare l’union sophianique. L’union mystique, qui est l’union de l’âme avec l’Époux divin, forme le plan de l’âme, ou de la religion de l’âme, ne s’écarte pas en tant que telle de l’Église visible, et ne dépasse pas réellement l’ordre du salut, ou de l’exotérisme. Et l’union sophianique qui constitue le plan de l’Esprit, de la Religion divine, introduit la notion de l’Église invisible, ou de l’ésotérisme chrétien.

À ce degré de vie spirituelle, dans l’union sophianique, le philosophe abandonne sa tente de nomade et pénètre dans la maison de la Sagesse, ultime étape pour l’homme androgyne uni à la lumineuse Sophia. Toute la Femme est là, en nous tous et tous en elle, et particulièrement en Franc-Maçonnerie où Frères et Sœurs travaillent à la Gloire d’un Grand Architecte de l’Univers, la Sophia leur inspirant même l’idée, à ce degré ultime d’initiation, d’en féminiser le nom en « Grande » Architecte… Mais sans travail, point de gloire. C’est parce qu’ils travaillent à leur transformation intérieure qu’ils œuvrent en glorifiant l’Architecte, tendant à relier en Force et en Beauté la Sagesse à la Sophia ultime, couronnement de leur parcours initiatique.

La « mixité absolue » régnant à ce stade ultime de spiritualité n’implique pas la mixité des Loges maçonniques où travaillent ensemble Frères et Sœurs. Les traditions initiatiques commencent par séparer physiquement les hommes et les femmes pour mieux réunir leurs principes masculin et féminin au terme de leur réalisation intérieure. Six tapisseries médiévales symbolisent ce parcours au musée de Cluny à Paris, les cinq premières exaltant les cinq sens, la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher, le goût, la sixième représentant leur quinte-essence symbolisée par « La Dame à la Licorne » et sa devise « A mon seul désir ». Les hommes et les femmes « disjoints » de leur « conjoint » et leur « moitié » devraient ainsi revivifier leurs cinq sens et transformer de l’intérieur leur perception et leur rapport à l’autre, leur moitié, pour atteindre un Autre, « l’autre Un » fruit essentiel de leur désir.

Ce modèle enjoint les hommes et les femmes à se disjoindre de leur moitié pour mieux la reconnaître, et initier par là même le cercle vertueux de la re-connaissance. Séparer pour redécouvrir et renouveler toute la saveur du fruit du désir relève de disciplines remontant à la plus haute antiquité et relie paradoxalement les esthètes et les ascètes. Les esthètes, dont le nom vient du grec « αἰσθητής, aisthêtês, qui perçoit par les sens », cultivent par le goût du beau le sens matériel et spirituel de la beauté de la vie. Les ascètes, dont le nom vient du grec « ἄσκησις, askêsis, exercice » se mettent à l’épreuve par le renoncement matériel pour tendre vers une perfection spirituelle. Si les uns savourent les plaisirs de la vie quand les autres s’en écartent, les uns et les autres cultivent l’art d’une certaine distanciation, d’un recul nécessaire pour mieux connaître sa « matière » et la maîtriser, comme l’artiste au travail prend régulièrement du recul pour re-voir, re-connaître et « saisir » l’objet de son désir.

Femme d'âge mûr souriante
Femme sage

En Franc-Maçonnerie cette distance culmine en l’absence du Maître intérieur dans le sentiment douloureux du vide laissé par sa disparition. Les Rites qui structurent de l’intérieur les Obédiences, les Loges, et le travail de chaque Frère et Sœur, et mettent en perspective les degrés symboliques de leur perfectionnement, tendent à combler ce vide en suscitant et re-suscitant par des rituels successifs et différents le désir de le re-trouver et le « ressusciter ». Ce Maître absent et présent, suscité et ressuscité, habite Frères et Sœurs de toutes Obédiences, mixtes ou non, évoluant symboliquement entre la Sagesse évoquée aux premiers degrés des Rites maçonniques et la Sophia des degrés initiatiques ultimes. La première mixité est ainsi spirituelle et verticale, mettant en perspective le Maître intérieur et la Sophia.

Mais cette mixité relève du secret le plus profond et ne saurait attirer les foules. L’autre mixité s’inscrit dans l’évolution globale d’une société tendant à reconnaître en la femme la semblable de l’homme, sa pareille dans les tous les secteurs de la société. Le fossé entre les droits des hommes et des femmes tend à se combler par la loi, mais la tâche reste immense et la tentation est grande dans les Loges de polariser l’attention et la réflexion des Maçons sur cette injustice, leurs travaux contribuant parfois efficacement à faire évoluer la société. Mais ils masquent l’essentiel de la structure binaire, masculine et féminine, qui anime de l’intérieur les Obédiences, les Loges et les Maçons, et se réalise dans le ternaire « parité, mixité, polarité » : la « parité » donne du grain à moudre aux Obédiences à vocation sociétale ; la « mixité » détermine ou non la présence de Maçons de l’autre sexe dans la Loge ; la « polarité » cultive un champ de conscience entre les deux pôles masculin et féminin de la personnalité de chaque Frère et Sœur.

Une réflexion sur cette mixité « horizontale » évolue donc entre les pôles « parité » et « polarité », entre une aspiration à la loi civile ou religieuse venant d’en haut pour faire évoluer la société, et une inspiration née « en » chacun, venue de l’intérieur pour éclairer le travail des deux pôles positif et négatif, yang et yin, masculin et féminin, de leur personnalité. Et c’est cette double polarité qui stimule les pensées et met à jour les idées des Maçons en les responsabilisant de l’intérieur, les rattache à la colonne vertébrale de leur vie maçonnique, le Rite structurant et éclairant leur perfectionnement. Deux modes de réflexion en Loge sont ainsi sous-jacents au choix ou non de la mixité, selon que l’on se repose sur l’idée d’un dogme paritaire ou que l’on aspire au dynamisme de la polarité, en séparant les pôles l’un de l’autre pour les conduire à mieux se désirer, se re-connaître, s’accepter et s’aimer enfin.

Ces deux mixités « verticale » et « horizontale » s’ignorent le plus souvent dans la société et en chacun, chacune apportant la perspective spirituelle ou matérielle nécessaire à toute personne en recherche d’épanouissement. Nécessaire mais pas suffisante, car la Maçonnerie initiatique, c’est-à-dire au sens premier celle des hommes et des femmes qui ne deviennent Maçons et Maçonnes qu’en étant initiés aux « mystères » de la Franc-Maçonnerie, dépasse le simple cercle de l’épanouissement personnel. Par l’initiation, à la fois progressive et globale, chaque Frère et Sœur accroît le rayon d’un champ de conscience où ne s’ignorent plus ces deux mixités conjuguant leurs perspectives, en concordance avec l’existence, le travail intérieur et l’évolution de chacun. C’est du croisement de ces deux axes vertical et horizontal que naît la croix traditionnelle, symbole universel et intemporel de libération et de rayonnement. Si la croix a pu devenir à l’inverse symbole d’oppression et de soumission aux dogmes, elle reste la clé d’accès de l’homme et de la femme à leur humanité globale, à la fois matérielle et spirituelle, la clé de leur cœur rayonnant.

Et cette croix est douée d’une vie propre, symbolisée par la Roue, quand ses branches viennent à tourner autour de son moyeu central. Tous les paradoxes de la vie se cristallisent en ce point doué à la fois, disent les Traditions, de mouvement et de repos. Ce point emblématique d’une spiritualité active marque de son empreinte subtile le centre du cercle des Maîtres Maçons et tous les tracés d’architecture de la Géométrie sacrée, éclatant en rayons lumineux dans les édifices sacrés, en particulier les rosaces des cathédrales, ces hymnes de pierres au divin de la Tradition chrétienne. Quels que soient la terre et le pays où elles s’élèvent, ces chefs-d’œuvre sont dédiés le plus souvent à la Femme représentée en son centre, tenant son enfant dans ses bras, Notre-Dame. C’est d’elle qu’émane leur lumière douce, filtrant les rayons solaires du dehors pour éclairer ses « fidèles » au-dedans et les inviter à respirer la rose d’Amour divin.

Sa Beauté spirituelle s’affirme d’elle-même et n’a nul besoin de Force matérielle ou de discours dogmatique pour se faire entendre et imposer sa marque dans les cœurs, les éclairer et les embellir. Mais il leur faut au préalable se préparer à l’accueillir dans un espace intérieur net des scories de l’âme, celui des chaumières des contes et légendes où s’affaire traditionnellement la Femme, plus habile que l’homme à mettre en valeur son « intérieur », en arrondir les angles et convertir ses creux accueillants et ses ombres en nids d’amour. « Tout est relié » disent les Traditions, en particulier cet amour féminin et celui émanant du centre des rosaces, par un lien subtil immédiat dévoilant les arcanes de l’existence et de la destinée humaine.

Il faut se laisser prendre le cœur pour aimer être là et s’aimer contemplant le centre de la rose ; aimer, s’aimer, embrasser, s’embraser pour la Dame des cieux, celle qui en nous concentre les valeurs qui élèvent et embellissent l’esprit en quête de sens. Il suffit d’un pas en avant pour être saisi par le cœur et projeté dans sa rose immense, saisi par l’envie d’y rester, blotti en son sein. Comme il suffit d’un pas vers nos Sœurs en Loges pour être saisi par la Femme active en elles, en soi et en tout. Avec elles, dit le poète, « Formons la chaîne qui ose / Et parcourt les degrés du Rite / Un parfum d’Amour se dépose / Vient des roses qui se méritent. »

2 Commentaires

  1. Beaucoup d’éléments intéressants, bien sûr dans ce texte (et beaucoup d’érudition), malheureusement cela se voit (ou se ressent) beaucoup trop qu’il est écrit par un homme (je veux dire un mâle), et ce texte transpire le patriarcat (beaucoup trop) fortement…, devenant plus intéressant lorsqu’il laisse s’exprimer des Soeurs.
    Fraternellement vôtre,
    Jérôme Lefrançois

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Patrick Carré
Patrick Carré
Patrick Carré est un poète, philosophe et franc-maçon français, connu pour son œuvre mêlant littérature, spiritualité et symbolisme maçonnique. Initié à 23 ans à la Grande Loge de France, passé membre de la Juridiction du Suprême Conseil de France, il est à présent à l'OIAPMM (Ordre Initiatique Ancien et Primitif de Memphis Misraïm) membre de la Loge de recherche Imhotep à l'Orient de Nice, Souverain Grand Inspecteur Général (33è degré), et Sublime Prince de la Maçonnerie, Grand Régulateur Général de l'Ordre (87è degré).. Son travail explore l’initiation traditionnelle et la quête spirituelle, notamment à travers des poèmes et textes philosophiques. En 2023, il publie L’épopée alchimique des Maçons et Maçonnes (LiberFaber, 228 pages, 25 €), un recueil de plus de 1000 vers qui retrace les degrés maçonniques du premier au dix-huitième, accompagné d’un CD de textes lus et mis en musique par Gérard Berliner. Patrick Carré a également écrit d’autres ouvrages maçonniques, comme Francs-Maçons Alchimistes et Nous sommes tous androgynes, enrichis de contenus multimédias sur le tarot (chaîne youtube Le Tarot de la Renaissance, 12h de vidéos et 800 illustrations). Son œuvre met en lumière les liens entre franc-maçonnerie et alchimie, célébrant la transformation personnelle et spirituelle. Il fut Itinérant en 1980 durant 6 mois à l'Union Compagnonnique des Compagnons du Tour de France des Devoirs Unis, et Potier tourneur 5 ans dans une poterie artisanale et Artisan créateur indépendant.

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