Dans le silence solennel du Temple, alors que les colonnes vibrent encore du souffle des anciens, une question s’élève : que signifie la chevalerie pour l’Apprenti du premier degré du Rite Écossais Ancien et Accepté ? La réponse pourrait sembler prématurée, audacieuse même.
Et pourtant, n’est-ce pas dans les commencements que se dessinent les lignes maîtresses de la quête ?
Le REAA, étendu sur trente-trois degrés, emprunte à la tradition des bâtisseurs du Moyen Âge. Les outils qu’ils maniaient avec ferveur nous sont transmis, mais non pour tailler la pierre brute du monde : ils sont destinés à polir celle, plus récalcitrante encore, de notre intériorité. À la cathédrale de pierre, nous substituons le Temple intérieur. Et, au-delà de cette construction sacrée, un souffle, une présence : celle de l’esprit chevaleresque.

Dans l’imaginaire collectif, la chevalerie évoque des figures nobles, héroïques, flamboyantes. Hommes d’honneur et de droiture, défenseurs des opprimés, les chevaliers symbolisent un idéal moral intemporel.
Mais derrière l’image romancée, la légende s’élargit : des cavaliers indo-européens, les Kshatriya, formés dans le secret des ashrams, jusqu’aux druides celtiques qui enseignaient le combat intérieur et l’équilibre des forces. Le mythe d’Achille éduqué par Chiron, le récit zoroastrien de Yima recevant l’anneau, l’alliance et l’épée, autant de fragments de cette arche universelle.
La tradition chevaleresque s’est incarnée de manière éclatante dans la Table Ronde. Au cœur du récit, le Graal — émeraude de la couronne luciférienne, taillée par un ange fidèle, confiée à Adam et transmise par Seth. Puis Joseph d’Arimathie, dépositaire du secret, en poursuivit la garde. À travers Galaad, Merlin et la Massenie du Saint Graal, un fil d’or relie les constructeurs de cathédrales aux porteurs d’épée.

L’Ordre du Temple, fondé pour protéger les pèlerins, s’enracine dans la même tradition. Son idéal de pureté, sa mission ésotérique — rebâtir symboliquement le Temple de Salomon — font écho à l’esprit des Assacis musulmans, gardiens eux aussi d’une Terre Sainte intérieure. Une convergence frappante des structures, des fonctions, des vertus.
Dante, dans son architecture céleste, place la chevalerie sous la sphère de Mars, gouvernée par les vertus théologales et cardinales. Le feu, la justice, l’espérance et l’action y président. Et que dire des figures féminines ? Les Chevalières de la Hache ou de la Cordelière, Clorinde ou Anne de Bretagne, toutes ont brandi l’épée au nom d’un idéal supérieur.
Au REAA, les degrés chevaleresques abondent : Rose-Croix, Kadosch, du Soleil, du Serpent d’Airain…représentant près d’un tiers des degrés. Ils rappellent que l’Art Royal n’est pas seulement œuvre de bâtisseur, mais aussi de combattant spirituel.
Qu’en est-il alors au premier degré ?

L’Apprenti ne manie pas encore l’épée, mais le maillet et le ciseau. Il n’a pas encore juré sur le glaive, mais il chemine, déjà, sur la voie du chevalier. Le Cabinet de Réflexion, où il médite sur le V.I.T.R.I.O.L., équivaut à la veillée d’armes de l’écuyer : retraite intérieure, prière silencieuse, descente dans les ténèbres du moi pour en tirer la lumière.
Les trois voyages qu’il effectue — bruyants, puis modérés, enfin silencieux — rappellent la tripartition de l’être : corps, âme, esprit. Ils évoquent aussi les trois fonctions : producteur, guerrier, prêtre. Le chevalier, ici, est à la fois celui qui maîtrise son corps, élève son âme, et tend vers l’esprit.
Et que dire du cheval, fidèle compagnon ? Il est l’âme portée par le corps, l’élan vers le but. Avec ses ailes, il devient Pégase : instrument d’ascension, messager entre les mondes. Victor Hugo écrivait : « les animaux ne sont autre chose que les figures de nos vices et de nos vertus, errantes devant nos yeux ». Le chevalier, uni à sa monture, unit ainsi chair et idéal.

La cérémonie d’initiation lie le maillet du constructeur à l’épée flamboyante du Vénérable Maître. Cette épée n’est pas neutre : elle rappelle celle qui garde l’entrée du Jardin d’Éden. Elle est la vigilance, la coupure entre le profane et le sacré. Les officiers de la Loge, armés, incarnent cette garde sacrée. En cas de profanation, l’ordre est donné : « Frères, armez vos glaives ! » — non pour un combat extérieur, mais pour intensifier la lutte contre les passions.
Ainsi, dès le premier degré, le REAA nous enseigne que la quête maçonnique n’est pas seulement une édification intérieure. Elle est aussi un engagement, une chevalerie de l’âme. Le combat est spirituel, mais il rayonne dans le monde. L’épée de lumière complète le maillet du constructeur.
Notre chemin ne s’arrête pas à nous-mêmes. Il tend vers la cité céleste, la Jérusalem nouvelle, cubique, parfaite, descendue du ciel — image du Temple achevé.
L’Art Royal est donc aussi l’art de la chevalerie.
Car il s’agit de bâtir, pierre après pierre, combat après combat, une humanité réconciliée, une société juste, un monde où l’invisible éclaire le visible.
Et l’Apprenti qui entre dans la Lumière n’est-il pas déjà, en germe, le chevalier de demain ?
Quel plaisir de lire cette exposé qui souligne et explique en quelques mots l’histoire d’un monde, celui de la chevalerie ancestrale, que nous portons chacun d’entre nous, au plus profond de notre âme.
Félicitation à tous ceux qui auront contribué à la réalisation de cette oeuvre et dans l’espoir de pouvoir continuer la lecture, j’adresse à tous mes amis Chevaliers-Maçons, l’expression de mon amical souvenir.
E K – Pegasus