Aucune étymologie certaine, un emploi strictement latin. Le mot est péjoratif dans l’antiquité romaine. *Pudor, c’est la honte, le mouvement de répulsion que suscitent certains spectacles, paroles, comportements. « Me pudet », j’ai honte ! A tel point que les organes dénudés se nomment les *pudenda, parties honteuses.

Les Romains n’ont aucunement le culte de la nudité propre à la culture grecque des héros et athlètes masculins. La représentation du corps nu en sculpture n’interviendra qu’après la conquête de la Grèce, vers le IIe siècle avant notre ère.
Impudiques sont les femmes romaines qui osent porter des robes à transparence suggestive, fendues sur le côté jusqu’à la taille, héritées de la mode dévoyée d’Athènes ! Le moraliste Caton les fustige avec virulence comme fauteuses de tous les maux de Rome ! A tel point qu’une telle impudence ne mérite rien d’autre que la répudiation !
Dès l’ère chrétienne, le discours ecclésiastique s’acharnera contre les entorses féminines à la pudeur conjugale et sociale. D’autant plus déconcertant que la vie collective y est un déballage de crasse, de puanteur et d’immondices, dont l’exemple vient du plus haut de la hiérarchie des châteaux…
On se choque d’une parole jugée déplacée, mais aucune intimité n’est respectée dans les lieux de vie, publics et privés. Le Concile de Trente, en 1563, recommande que toute impudeur soit évitée dans l’art religieux, par exemple les fresques de la Sixtine se voient recouvertes de voiles pudiques, les statues sont drapées. Au XVIIe siècle, les Précieuses parisiennes, quant à elles, cultiveront l’art de la litote, de la métonymie, pour sublimer ce qui a trait au corps et à sa trivialité. Nourriture, sensualité, sexualité, quelle horreur ! Tartuffe, la voie est libre !
Avec l’époque victorienne en Angleterre, l’hypocrisie langagière atteindra des sommets dans le détournement du langage féminin et la détestation de tout ce qui a trait au corps, à la peau, à la lingerie. Ah ces « tuyaux de modestie » que sont pantalons et culottes…
Le mot est étrangement ambivalent, ambigu. Ce qui dénote le scrupule qu’on éprouve à l’utiliser.
Timidité, embarras, vergogne, gêne et honte. Tout autant que réserve, retenue et tact. Décence et pudibonderie.
La pudeur ressortit moins à la réalité de ce qui est dit qu’à la suggestivité qu’on peut en inférer. De l’ordre du féminin, des charmes sulfureux et diaboliques que tisse cette tentatrice. Nicolas Restif de la Bretonne (1734-1806) définit ainsi la pudeur des femmes qui « n’est que leur politique ; tout ce qu’elles cachent ou déguisent n’est caché ou déguisé que pour en augmenter le prix quand elles le révèlent. »
Pudeur, une honte honnête, disent les dictionnaires, quel bel oxymore ! Dommage que ce soient les femmes qui en fassent généralement les frais !
Nos sociétés contemporaines se montrent particulièrement impudiques dans le déballage sans vergogne de la vie privée, verbalement et physiquement, mais ne réfléchissent toujours pas aux conséquences assassines du mot…
« Un homme, ça s’empêche », merci Albert Camus.

Annick DROGOU
Dans nos temps brutaux d’exhibition permanente, réhabilitons la pudeur. Non comme un “cachez ce sein“ hypocrite, non comme un père la pudeur répressif, mais comme une respiration nécessaire. La pudeur n’est d’ailleurs pas réductible à la question du corps. C’est ce qui rend nos relations humaines respirables. C’est l’art de laisser à l’autre son mystère, son espace intérieur, son jardin secret. Pudeur des sentiments, pudeur des mots, pudeur des gestes qu’on retient pour ne pas blesser. Elle est cette délicatesse qui fait qu’on approche l’autre non pour le dévorer, mais pour l’accueillir.

La honte doit changer de camp. Elle n’est plus chez les timides, les silencieux, les discrets. Elle est chez les cyniques, les voyeuristes, ceux qui s’exposent sans pudeur, qui brutalement étalent, dénudent, déchirent, qui confondent sincérité et exhibition, et détruisent l’espace du lien. Sans vergogne.
Contre cette brutalité, nous avons besoin de voile. Voile d’Isis, ce que la nature nous montre en se cachant, ce qu’elle dévoile en se voilant. Le bourgeon fermé annonce la fleur. La brume sur la mer la rend plus vaste. Le mystère n’est pas un refus, c’est une invitation, une découverte progressive, patiente, respectueuse. Nous avons besoin de passages subtils, de la discrétion au secret, de la retenue à l’offrande, de la distance à l’approche, pour redonner à nos existences souffle, grâce et profondeur. La pudeur comme une fidélité : à soi, à l’autre, à la beauté fragile des mondes.

C’est un sujet qui me touche personnellement. Est-ce qu’on doit accepter cette honte du corps ? Est-ce que cacher n’est pas mentir? Est-ce que les femmes doivent se cacher pour ne pas affoler ces pauvres mâles en proie à leurs pulsions ?
Et si montrer, dévoiler, je dirais désensibiliser comme pour une allergie, n’était pas le remède ?
Entre la burqa et l’exhibition, y a t il un juste milieu ?
Je ne le crois pas.
Ce que je crois et vis en tant que femme, c’est de laisser chacune libre d’exprimer sa féminité : exhib, sportive, masculine, sexy, conformiste, grunge, punk, gothique….sans jugement et de pouvoir passer, évoluer d’un style à l’autre.
Les hommes portes des hauts transparents et se mettent torse nu sans honte et sans provoquer le scandale.
Je milite pour déchirer le voile qui justifie qu’un homme abuse d’une femme parce qu’elle en a trop montré et que donc elle le mérite.
Je suis pour la nudité simple et belle des camps de naturiste. Ces lieux sont des temples de la diversité au lieu de ces clones de magazines. Les corps ont toutes les formes et tailles et il n’y a rien dont nous devons avoir honte.
La honte vous rend aigris, malheureux, complexés, en colère…. Enlevons le voile et sachons nous accepter.
La respiration dont vous parlez, je l’ai quand je vois une femme fière qui ose ne pas être comme tout le monde, et quand une autre semble fendre la foule dans un conformisme qu’elle a choisi. Là, je respire et je me sens plus forte pour être moi.
Je souhaite la vérité, le respect et l’amour de soi pour toutes les femmes.