ven 30 mai 2025 - 04:05

Élucubrations au sujet de la Fraternité, par Stéphane GEBLER

Commençons par le début. La franc-maçonnerie moderne, telle que nous la connaissons, voit le jour en 1717, avec la création de la première Grande Loge à Londres, marquant l’émergence d’une franc-maçonnerie spéculative. Certains historiens préfèrent dater son acte de naissance en 1723, année de la publication des Constitutions d’Anderson, texte fondamental qui codifie ses principes. Cependant, ses racines plongent bien plus loin, s’inspirant des grands mythes fondateurs – d’Hiram, architecte du Temple de Salomon, aux légendes des bâtisseurs de l’Antiquité.

Certains initiés vont jusqu’à affirmer, avec une pointe de poésie, que la franc-maçonnerie perpétue un esprit universel, une quête de lumière présente dès l’aube de l’humanité. Souvent, on attribue maladroitement ses origines aux bâtisseurs de cathédrales, aux Templiers, ou encore aux constructeurs des pyramides. Si ces filiations historiques sont discutables, elles témoignent de la richesse symbolique de la franc-maçonnerie, qui puise dans les traditions opératives et spirituelles pour nourrir sa démarche initiatique. Portée par des valeurs humanistes, parfois teintées d’un héritage chrétien – comme la fraternité ou la recherche de vérité –, elle a pourtant été réprouvée par l’Église catholique romaine, qui, dès 1738 avec la bulle In Eminenti du pape Clément XII, excommunie ses membres, y voyant une menace à son autorité.

Parmi les rites maçonniques les plus influents, le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) occupe une place centrale. Né officiellement en 1801 à Charleston, aux États-Unis, sous l’impulsion de figures comme John Mitchell et Frederick Dalcho, ce rite s’appuie sur les Constitutions de 1786, attribuées à Frédéric II de Prusse, bien que leur authenticité historique fasse débat. Forgé dans un contexte transatlantique, entre Saint-Domingue et les Amériques, le REAA structure ses 33 degrés autour d’une quête spirituelle et philosophique, mêlant symbolisme, éthique et réflexion sur l’humain. Ainsi, la franc-maçonnerie, loin d’être une simple institution, est une voie d’initiation qui transcende les époques et les cultures. Entre mythe et histoire, elle invite chaque initié à construire son temple intérieur, tout en œuvrant pour un monde plus juste et fraternel.

Les Anglais nous reprochent une certaine irrégularité dans nos travaux et ne nous reconnaissent pas, mais tous s’accordent à dire que les valeurs de la franc-maçonnerie sont universelles. Pourtant, il n’est pas aisé de définir ces valeurs ni d’ordonner nos pensées à leur sujet. Vous me direz : quel lien avec la fraternité ? C’est précisément là que tout se rejoint. Définir la fraternité, c’est comme parler de la franc-maçonnerie : une tâche complexe. Ce terme, central en maçonnerie au même titre que l’harmonie ou le progrès, semble évident, mais sa signification nous échappe souvent. Utilisé dans la confusion, il incarne une idée que l’on croit comprendre sans jamais en réclamer une définition claire. De quoi parle-t-on, au fond ?

Le jour de mon initiation, un frère qui avait 25 ans d’ancienneté, m’a d’emblée donné les clés du secret maçonnique en m’expliquant qu’il y a une différence entre la tolérance et la fraternité. Selon lui, la tolérance c’est de savoir qu’il y a autant de cons en Franc-maçonnerie que dans les autres groupes sociaux, la fraternité consiste à ne pas les nommer.

Alain Graesel, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, nous offre une réflexion profonde et universelle lorsqu’il déclare : « Il est souvent plus aisé de donner des leçons que de donner l’exemple. » Cette sentence, qu’il s’adressait d’abord à lui-même avec l’humilité d’un initié, résonne comme un appel à l’introspection pour chacun d’entre nous, maçons ou non. Elle nous invite à dépasser les mots pour incarner, par nos actes, les valeurs que nous professons.

Alain Graesel

Pour Alain Graesel, la fraternité ne se réduit pas à une simple tolérance, attitude passive qui se contente d’accepter l’autre. Elle est bien davantage : un acte réfléchi, mûrement pesé, qui exige de conjuguer raison, amour et courage. La fraternité, dans cette vision, devient une démarche active, enracinée dans une volonté de construire des ponts entre les êtres, malgré les différences. Elle demande de la raison pour comprendre l’autre dans sa singularité, de l’amour pour accueillir sa diversité avec bienveillance, et du courage pour surmonter les obstacles – préjugés, conflits ou peurs – qui entravent l’élan fraternel.

Enracinée dans les principes fondamentaux de la franc-maçonnerie, cette conception de la fraternité s’inscrit dans le travail initiatique des loges, où chaque Sœur et chaque Frère est appelé à polir sa pierre brute pour contribuer à l’édifice commun. Alain Graesel, par ses paroles, nous rappelle que la fraternité n’est pas un idéal abstrait, mais un engagement concret, un choix quotidien qui transforme à la fois l’individu et la société. Ainsi, donner l’exemple, c’est incarner cette fraternité dans nos paroles, nos actions et notre manière d’être, pour faire rayonner la lumière d’un monde plus juste et plus uni.

Feu
Flammes

« La fraternité est un sentiment vivace, impérissable, profondément humain, qui traverse le temps et les cultures avec une force indomptable. C’est une flamme ancienne, née bien avant les civilisations antiques, qui s’est transmise de génération en génération, de forme en forme, à travers les métamorphoses de l’histoire. Présente dans les traditions les plus lointaines, elle a perduré dans la civilisation chrétienne et continue de briller dans la modernité, promesse d’un épanouissement futur.

Ce sentiment, parmi les plus nobles, allie paradoxalement une âme conservatrice, qui préserve les liens fondamentaux de l’humanité, et une ardeur révolutionnaire, qui pousse à transcender les divisions pour bâtir un monde plus juste. Simple dans son essence, la fraternité est pourtant puissante dans sa portée : elle est l’un des piliers qui ont façonné l’humanité, l’ont soutenue à travers les épreuves et, sans doute, l’affranchiront demain.

Dans l’esprit de la franc-maçonnerie, la fraternité incarne une aspiration universelle, un fil d’or reliant les cœurs et les esprits au-delà des frontières, des croyances et des époques. C’est un sentiment majeur, chargé d’une grande histoire et porteur d’un avenir prometteur. Vieux comme le monde, il est aussi celui qui a fait le monde – et qui, par sa noblesse et sa simplicité, continuera de le transformer pour le rendre plus lumineux. »

J’aurais pu m’arrêter ici, car une fois l’essentiel dit, pourquoi chercher à en dire davantage ? La fraternité, à la fois pilier fondamental et mystère insaisissable, défie toute définition simpliste. Est-elle une réalité immanente, ancrée dans la nature même de l’humanité, un élan spontané qui nous relie au-delà des différences ? Ou bien est-elle une aspiration transcendante, un idéal supérieur qui nous appelle à dépasser nos limites et à tendre vers la lumière ? En d’autres termes : la fraternité existe-t-elle en soi, indépendante de nos mots et de nos pensées, ou prend-elle vie parce que nous la nommons, la cultivons et lui donnons sens ?

Posée plus simplement, la question devient : la fraternité est-elle une voie universelle, une force naturelle qui s’impose à nous pour surmonter nos divisions ? Ou n’est-elle qu’une construction humaine, un refuge face aux horreurs d’un monde que nous contribuons, souvent malgré nous, à façonner ? Est-elle une vérité profonde, inscrite dans le cœur de l’humanité, ou une illusion nécessaire pour supporter les fractures de notre époque ?

Dans l’esprit de la franc-maçonnerie, cette interrogation résonne comme un travail initiatique. La fraternité, telle une pierre brute, nous invite à polir nos certitudes pour mieux interroger notre rôle dans l’édifice commun. Elle nous pousse à agir, non pas en donneurs de leçons, mais en artisans d’un monde plus uni, où chaque geste, chaque parole, devient un pas vers la lumière. Entre réalité tangible et aspiration idéale, la fraternité nous rappelle que c’est dans l’équilibre entre l’être et le devenir que l’humanité trouve son chemin.

La Fraternité, tentative de définition

Tout le monde en parle, la fraternité est servie à toutes les sauces. Mais dès lors qu’il s’agit de définir ce dont il s’agit et bien ce n’est plus la même histoire. Difficile de penser et de mettre en action un concept sans pouvoir expliquer avec précision son sens, et il est encore plus incertain de mettre en œuvre une vertu, un sentiment sans pouvoir la parler, l’ illustrer.

« Au pire ne serait-elle qu’une variable d’ajustement à la bonne conscience collective. Cette Fraternité exigeante à laquelle on n’a jamais donné les moyens contraignants de prouver son efficacité parce que sa représentation n’est pas unilatéralement et univoquement comprise et acceptée comme principe humaniste universel. Cette fraternité, brandie régulièrement pour apaiser les tensions et réguler nos intentions vertueuses n’a pas encore atteint sa dimension de principe humaniste intangible »[1]. La fraternité est un leg, un héritage des civilisations qui nous ont précédé. Et donc, notre devoir est de perpétuer cette tradition culturelle. Encore faut-il, peut-être examiner, les formes qu’ont pris la fraternité dans l’histoire.

Un peu d’histoire des civilisations

Chez les Anciens, la société est plus mécanique que la nôtre, plus stricte, les divisions sociales sont plus marquées et plus imperméables, on ne change pas de classe sociale facilement. Les liens entretenus entre les membres d’une communauté sont plus simples. Vincent Bernard LAFOUCRIERE s’interroge de savoir si la « la fraternité n’est pas pour les Modernes qu’une religion civile pour unir des êtres atomisés ? ». La religion, dans son sens strict est le moyen de relier les hommes entre eux et avec dieu. Dès lors, la fraternité serait un moyen d’envisager les rapports sociaux et il conviendrait de regarder la manière de vivre des hommes entre eux.

Tribu Massaï

Souvent dans l’antiquité, la « mère » reste la source, certain compareront cette option avec un attachement à la terre. C’est aussi expressément nommé dans le rituel maçonnique d’initiation lors de l’épreuve de la terre. La source de la fraternité, s’impose ontologiquement, avec un début, avec une matrice matérielle, ancrée dans le sol, dont les racines se propagent, dont nous sommes tous issus, qui transcendent la vie et la mort par un renouvellement constant du même matériau : nous venons et retournons à la terre dans un cycle qui nous dépasse. La mère engendre le terreau et le terrain de l’expérience humaine, elle fait famille, elle fonde le lien qui unit les vivants et les morts.

Ces terreaux sont en fait ce que nous nous appelons des espaces sociaux et leur rôle en tant que lieu et en tant que vecteurs de règles de vie prend alors une importance fondamentale si on veut comprendre le mécanisme de la fraternité.

Pour les stoïciens, la fraternité est la vocation de l’homme, un peu comme chez les chrétiens d’ailleurs qui reprendront cette conception car il s’agit là d’un dessein divin. Chez les platoniciens, il n’y a nul besoin de loi, car la fraternité résulte de l’ordre naturel du monde qui s’organise selon des lois cosmiques, universelles. Les chrétiens, avec le libre arbitre, ajoutent que c’est l’attitude du croyant de se rapprocher de ses semblables. Il s’agit alors d’un sentiment qui se construit, artificiel ou d’un élan naturel, inscrit dans l’humanité profonde. On retrouve ces deux pôles dans le fait que la fraternité est soit une volonté politique, soit une volonté divine, donc un choix raisonné ou une impulsion mystique.

La fraternité est au sens stricte la source des mythes grecques : Zeus et les autres dieux de l’olympe sont tous frères et sœurs. C’est la révolte parricide qui détermine la suite de l’histoire.

Bref, comme un objet curieux, « la fraternité, c’est bon pour les chrétiens, les Francs-maçons et les imbéciles »[2] citait un professeur de Philosophie dans un groupe de travail à l’IUFM.

La Fraternité et le modèle républicain

 La Fraternité trouve en partie ses origines à la fois dans les sentiments religieux et en grande partie dans la chrétienté mais aussi une tension politique plus laïque liée à la république. La fraternité s’inscrit dans la devise républicaine Liberté, égalité, fraternité. Cette formule serait due à Louis Blanc et à Lamartine et fut adoptée le 24 février 1848, donc après la révolution.

Etonnamment, la fraternité ne peut recouvrir une réalité d’ordre juridique, et aucune stipulation d’aucune loi, ne peut obliger quiquonque à considérer son prochain comme son frère et pourtant elle est bien à l’origine du modèle républicain. C’est aussi une partie (le 1/3) de l’acclamation maçonnique. On trouve une trace de républicaine de la fraternité dans le Serment de Lafayette du 14 juillet 1790, de son vrai nom Marquis Gilbert Du Motier 1757-1834. Ce serment prononcé devant le peuple et devant le roi de France est une trahison à venir, et traduit une incompréhension durable entre deux époques. La fraternité est énoncée comme la possible armistice entre le temps du tiers état et de la révolution, entre un régime politique du passé (la monarchie de droit divin) et un autre tourné vers le futur (la république) et une voie du milieu (la monarchie constitutionnelle). 1 an après la prise de la Bastille, une fête est décrétée par l’assemblée constituante et prévoit de réunir les citoyens autour du roi, de la garde nationale et des députés. Après une messe, Lafayette, alors commandant de la garde, prête serment et tous jurent fidélité au roi, à la nation et à la loi. « Nous jurons de rester à jamais fidèles à la nation, […] demeurer unis à tous les français par les liens indissolubles de la fraternité ».

Cela dit, 15 jours plus tard, en aout 1790 ; Lafayette prend part à la répression de la garnison de Nancy, et 1 an plus tard, il participe à la fusillade du champs de mars, puis finit par quitter le royaume en 1792 juste avant qu’il ne devienne une république. En décembre 1790, Robespierre dans un discours jamais prononcé au sujet de la garde nationale écrit qu’elle portera « sur leur poitrine les mots gravés le peuple français et au-dessous : liberté, égalité, fraternité »

En 1793, la façade de l’hôtel de ville de Paris est ornée de la mention : « liberté, égalité, fraternité ou la mort » qui initialement est la devise de la garde nationale et pas de la république.

En 1848, la ruche devient le symbole de la fraternité et du travail.

L’ambiguïté de la fraternité républicaine suppose de se demander si la fraternité n’engage que les citoyens ou doit-elle s’appliquer à tous les humains ? En temps de guerre, fraterniser avec l’ennemi est un crime passible de la cours martiale, n’est-ce pas ?

La Fraternité et la notion de famille 

Exemples de fratrie qui se déchirent : Cain et Abel, Rémus et Romulus, les frères KARAMAZOV, Etéocle er Polynice. Je vous épargnerai les querelles et les histoires des frères ennemis, les jalousies, les trahisons qui sont la source de la plupart des grands mythes de notre civilisation

La fraternité, du latin « fraternitas », de « frater » donc de frère est le lien de sang qui unit des frères et sœurs ou le lien existant entre des hommes et des femmes considérés comme membres d’une même famille. Il s’agit « d’un sentiment noble car il serait gratuit, mais réfléchi, car il serait volontaire. En effet, ne pouvant naitre que dans une atmosphère de liberté et d’égalité, la fraternité est un sentiment et une conduite que l’on pourrait refuser à autrui, comme la paternité et la maternité qui sont aussi des actes de reconnaissances et pas toujours des sentiments spontanés » p 379 : on ne choisit pas un alter ego, ou quelqu’un, la fraternité c’est exactement l’inverse : nous faisons le choix d’être quelqu’un capable d’accueillir une personne différente de moi. C’est le choix d’une posture pas d’un accueil.

A detailed view of a Zeus sculpture in a renowned museum, showcasing classical art.

On passe de l’idée de famille, de lien du sang, d’hérédité à un lien qui unit à l’ensemble du genre humain, y compris de ceux qui ne se connaissent pas, de ceux qui se sont reconnus.

Et puis techniquement, Les francs-maçons, entre eux, ne sont pas des frères, ils n’ont pas les mêmes parents. Et même si nous nous avions les mêmes ancêtres, au mieux ça ne ferait de nous que des cousins, et encore bien éloignés, mais d’une certaine manière, en entrant en maçonnerie, on accepte de s’initier à une certaine hérédité, à une histoire commune, on accepte de se reconnaitre comme partageant une certaine communauté d’actes, de pensées. On s’inscrit dans une lignée, une filiation.

Bon ceci-dit, on ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas les membres d’une famille biologique et pourtant un lien se crée : mais comme en franc-maçonnerie c’est le désir qui anime, donne vie à la famille, le désir de se retrouver, de passer du temps ensemble, de construire quelque chose, de se multiplier, de passer du bon temps, d’être ensemble plus forts. Il y a dans ce désir à la fois une volonté de faire bloc, de se ressembler, de se prolonger, de s’aider, de survivre. La famille fait alors l’objet d’une organisation avec l’apparition de la notion de solidarité (qui est clairement la partie active, opérative liée au collectif, c’est le contrat qui lie les uns et les autres d’une manière obligatoire car ce n’est pas naturel. Pas plus que le sentiment maternel, la paternité, la fraternité est une chose qui s’apprend et parfois ne se développe pas. Il faut parfois des lois, des règles (code de la famille, le pater familias, les règlements généraux, et des justices : fraternelles par exemple). Nous ne sommes pas encore assez matures pour nous permettre de vivre nos relations sans le regard et la garantie d’un juge ou d’un rituel. La fraternité naturelle est inaccomplie, elle a besoin d’un rapport légal que l’on nomme la solidarité. La fraternité est un droit lorsque la solidarité serait un devoir ? c’est-à-dire une dette dont on se décharge, que l’on paye en contrepartie d’une autre chose mais laquelle ? l’éducation, la protection, l’acceptation dans la famille, dans la loge ?

Mais peut-on parler d’éducation en franc-maçonnerie, d’hérédité, de génétique par le transfert d’habitudes ou plutôt de tradition, de transmission ? y aurait-il une biologie constitutive des loges ? Les enquêtes préalables à la cérémonie du bandeau sont-elles une forme de séduction de ce couple qui va se constituer ? Et dans ce cas, n’y-a-t-il pas comme une forme d’eugénisme dans nos recrutements ? Ne recrute-t-on pas des partenaires qui nous plaisent et nous ressemblent ? de quelle manière et dans quelle proportion le mimétisme intervient-il dans nos recrutements ?

Ce que nous dit Georges Martin

Dans une communication écrite datée de 1910, Georges Martin explique l’intérêt de créer un Ordre mixte et international en affirmant que « Les francs-maçons ont trop d’origines diverses pour pouvoir réaliser entre eux la Fraternité universelle ; ils n’arrivent même pas à la réaliser bien souvent dans leur propre pays où les différents Ordres et les différents Rites qui existent, sont rivaux, n’entretiennent pas de relations de Rite à Rite, d’Ordre à Ordre, et se comportent comme les différents cultes entre eux, excitant même quelques fois leurs membres contre les membres des autres Obédiences, en se prétendant chacun, comme les détenteurs de la vérité maçonnique et des mystères maçonniques, comme les différents cultes religieux se prétendent tous, les seuls inspirés par le vrai dieu, et les seuls détenteurs de la vérité divine, les seuls éclairés de la lumière divine» [3]. Ce que nous dit le fondateur du Droit Humain finalement, c’est que la fraternité impose d’abord une organisation permettant une considération égale de chacun, une reconnaissance qui en terme maçonnique se traduit par une régularité. Les Suprêmes Conseils doivent veiller à ne pas disperser les maçons, doivent les réunir et non pas les opposer et que la fraternité serait un sentiment universel. Être fraternel, c’est donc non seulement une qualité recherchée mais aussi un état idéal à atteindre qui suppose une organisation, un environnement. L’échelle de la fraternité est aussi vaste que les environnements dans lesquels nous évoluons : le pays, les nations, la famille, l’entreprise, la rue et le quartier et même l’atelier sont les lieux d’exercice de la fraternité et cela suppose qu’elle y soit encouragée. La manière dont nous nous organisons aurait donc un effet sur les modalités de cette fraternité. Est-ce à dire que les lieux où s’expriment du racisme, du sexisme, du communautarisme participent, du fait de leur nature, à l’émergence de cette anti-fraternité ? parce ce que de ce point de vue, la fraternité ne serait alors que l’émanation d’un sentiment hérité des structures politiques et sociales, et dans ce cas la responsabilité des dirigeants seraient indéniables. La fraternité serait donc un choix de société.

Un idéal et un choix : désir et amour

Jacques Brel (1962) (Crédit Jack de Nijs pour Anefo)

« Jojo, six pieds sous terre tu frères encore, non, Jojo, tu n’es pas mort » Jacques Brel, et pourtant, si. Jojo est bel et bien mort. Son souvenir, son image, ce qu’il reste de lui nous parviens de manière idéalisée. Là encore, c’est le désir, alimenté par le manque, qui crée le sentiment de fraternité. Le déni, le renoncement de la réalité parce qu’elle est atroce, peut nous conduire à imaginer un monde meilleur où la mort n’a pas d’effet.

André Comte Sponville évoque au sujet de la fraternité un lien avec l’amour qu’il différencie en trois concept assez distincts : l’éros, l’agapè, et la Philae. Il dit aussi qu’être fraternel est une idée et non pas une qualité humaine : « personne ne dit oh lala, untel est vraiment fraternel » sauf peut-être les francs-maçons, et encore. Il fait confiance au langage commun, à l’usage réel, et constate que la fraternité s’affiche, se prône notamment sur les frontons des établissements publics.

La Fraternité et les croyants

André Comte-Sponville

Toujours selon Comte Sponville, dans la religion chrétienne, dont on sait l’influence qu’elle a sur notre rite, les fidèles se nomment frères car dieu est le père. Dans l’évangile de Saint marc, Jésus affirme que ces frères sont ceux qui écoutent la parole de dieu, autrement dit, ce sont les croyants et particulièrement les bons croyants et donc pas les autres. Il y aurait donc deux conditions possibles pour bénéficier de fraternité : d’abord être issu plus ou moins de la même souche génétique ou sociale, et puis partager la même croyance, ou la même espérance. C’est dire donc que faire preuve de fraternité oblige à partager du sang, des pratiques mais aussi des idées.

Il n’y a donc qu’un pas à dire qu’être fraternel c’est quand nous comprenons que nous sommes tous semblables et tous différents.

La fraternité pourrait donc être un choix délibéré de considérer l’Autre comme une entité libre disposant de la faculté d’agir, d’être également à mes propres facultés. L’autre est potentiellement ce que je suis, et je lui serais redevable de mon soutien. C’est ainsi qu’au nom de la fraternité, s’organise dignement normalement une solidarité qui n’est pas de la charité dans la mesure où celle-ci est finalement très égoïste car elle a pour but de garantir l’entrée au paradis après la vie terrestre et non pas à satisfaire les besoins d’autrui.

La Fraternité et le salut : une incantation

Adgar Morin (Crédit photo Gérald Garitan)

La question du salut, c’est-à-dire de la possibilité que nos actes comptent, n’empêche pas que nous n’avons aucune idée de quand nous profiterons des actes de fraternité, de solidarité que nous mettons en œuvre. Ces actions, ce n’est pas rien, ce n’est pas pour rien. L’idée d’une possibilité d’échapper à la mort, de vivre au paradis ou de survivre sur terre est centrale dans la psyché humaine. C’est la question qui anime de près ou de loin toutes les activités humaines. Pour Edgar Morin, « en même temps que la conscience de la finitude, nous pouvons désormais gagner une conscience de notre inconscience et une connaissance de notre ignorance »[4], il ajoute et clame plus loin : « Soyons frères, non parce que nous serons sauvés mais parce que nous sommes perdus, soyons frères, pour vivre authentiquement notre communauté de destin de vie et de mort. Soyons frères, parce que nous sommes solidaires les uns des autres dans l’aventure inconnue ». Puisque sur cette terre, il n’y a aucune chance que nous puissions sauver notre peau, il est impossible d’échapper à la mort, malgré les tentatives de conquérir une certaine éternité par le biais du transhumanisme, de la technologie, nous sommes tentés de croire en une seconde chance ailleurs, hors de ce monde, plus tard, qui serait éventuellement la récompense pour des actes attendus, commandés et évalués par une entité supérieure. C’est à mon sens, exactement l’idée du grand architecte de l’univers qui a un plan pour que les choses aillent mieux et dont nous sommes à la fois l’outil et l’objet. Dans le doute, je préfère tenir compte de ce que me disait ma grand-mère quand elle me tendait quelques billets : prends-les, je ne te donnerai plus rien quand je ne serai plus là.

Concrètement Morin propose la même chose, il nous invite à soutenir autrui, à croire en la rédemption, donc d’accorder le droit à l’erreur, et même au pire des criminels, à sauver ce qui peut l’être en poétisant le quotidien, en faisant preuve de compassion, donc de partager la passion de la chose, à ne pas se leurrer sur la fin des choses en sortant des actes de gestion, en s’écartant de la tentation de penser en termes exclusivement technico économiques. Il est possible d’envisager le monde de manière simplement exaltée mais cela suppose de se former à ne plus calculer.

La fraternité invite aussi à penser en termes de sacré. L’idéal inaccessible est aussi infranchissable d’une certaine manière. Lors de la fondation de Rome, Romulus a tracé un cercle définissant les frontières de la ville. Ce trait dans la terre s’appelle le pomerium, il définit la limite urbis et orbis, le dedans et le dehors, le sacré et le vulgaire. A l’intérieur du cercle, et dans les villes antiques, les soldats, les armes et les morts n’avaient pas droit de cité. Les activités politiques et religieuses, liées par ce qu’on appelle le pouvoir spirituel, siègent à l’intérieur et gouvernent la vie des hommes et des femmes, ils font preuve de fraternité, se reconnaissent, s’épaulent et combattent ceux qui ne respectent pas les règles ou qui franchissent sans y être invités la ligne de démarcation entre ces deux mondes. Une question me vient alors à l’esprit :que sommes-nous prêts à faire par fraternité ? Pour sauvegarder une conception, une valeur, une croyance, un terrain ou un espoir, que sommes-nous prêts à accepter ? quelle horreur pouvons-nous exécuter pour défendre une communauté, un idéal ?

Pour quelles raisons devrais-je être fraternel ?

Qu’est-ce que je gagne en me comportant de manière fraternelle ? La question mérite d’être posée finalement. Soit, je crois gagner mon salut pour plus tard, alors j’emmagasine du bonus que je présenterai devant un juge divin, soit je me prépare à l’épreuve du miroir quotidien, je veux me regarder en face chaque matin. Ceci dit, je ne vous cache pas que quand j’ai pris le dernier bonbon dans le paquet, sachant bien que mon frère ou ma sœur, en aurait voulu un aussi, je n’éprouve finalement qu’assez peu d’ingratitude, le reflet du miroir est largement acceptable. Mes horreurs personnelles sont des banalités avec lesquelles je me suis assez habitué à vivre. Mais au final, c’est bien la question de l’individu qui thésaurise qui me taraude, je fais ceci en vue de cela. La dimension projective de ce moi qui ne pourra jamais être un autre, un autrui, est naturellement égoïste. Si je te donne quelque chose, j’espère, en retour, obtenir, à un moment futur, une autre chose dont je pourrai avoir besoin. La fraternité n’est pas gratuite, elle se construit sur une espérance de récompense ultérieure. J’avais oublié de vous préciser que je ne crois pas que l’homme, le frère, soit bon ou mauvais, il est simplement motivé par des ambitions de survie personnelle, et il sait aujourd’hui que seul on ne va pas bien loin, nous avons besoin des autres. La fraternité est une monnaie d’échange qui permet de parier sur l’avenir. C’est une convention indéfinissable, multiforme, idéalisée qui me permet de motiver des actions vis-à-vis de mon semblable, qui d’ailleurs n’est pas non plus mon exact égal, puisqu’il dispose d’une ressource dont je ne dispose pas. Soit, il a besoin de moi, il dispose de la nécessité de mon intervention à son égard donc, soit, il dispose d’une possibilité de satisfaire un de mes besoins. La fraternité est un échange de bons procédés.

La Fraternité est un symbole mixte 

La fraternité est-elle un devoir ? André Comte Sponville dit qu’on ne nourrit pas ses enfants par devoir mais par amour. Quand l’amour est là, on n’a pas besoin de morale, de droit ou de devoir. Et même quand il y a de l’amour, nous avons vu qu’il en existe plusieurs formes, mais j’ai aussi oublié de dire que cet amour n’est jamais, ou rarement, tout à fait équilibré. Il y en a toujours un qui aime plus l’autre, qui est prêt à donner plus. La fraternité est une conscience morale, , elle se réfléchit. Est-ce à dire que la fraternité n’étant pas de l’amour, ni de la générosité car quand on donne c’est par amour(la générosité est la vertu de donner à ceux qu’on n’aime pas), est une simple construction mentale de celui qui accepte qu’autrui lui ressemble et partage la même réalité dans un temps donné ? parce qu’évidemment, la fraternité est un acte du temps présent, on n’est pas fraternel par procuration ou rétrospectivement, à moins de vouloir justifier une action dont on désespère de trouver une raison. Comte Sponville explique aussi que la morale voudrait qu’on aime tout le monde mais ce n’est pas possible, on peut à la limite aimer ses proches alors elle il nous faut trouver un moyen de faire semblant : cela passe par la fraternité qui nous oblige à respecter la loi, à être poli. Il fait aussi la différence avec la solidarité qui elle est une manière de garder un bénéfice au don. Quand je donne généreusement 1 euros à quelqu’un j’ai un euro de moins, quand je donne un euro par solidarité, j’espère en retour que cet euro va me bénéficier, soit parce que j’achète ma place au paradis, soit parce que je vais être reconnu par les autres membre soit parce que j’achète la paix sociale et mantiens un équilibre qui pourrait tourner mon avantage. L’intérêt commun est la convergence de mon incapacité à aimer tout le monde, de ma volonté de ne pas pouvoir donner à tout le monde, et parce que le droit, la loi ne peuvent me forcer à faire ce que je ne veux pas, alors je crée la solidarité. Cela dit, cette fonction appartient à l’organisation, qu’il s’agisse de l’état, de la loge ou de l’obédience. Chez les Francs-Maçons c’est le tronc de la veuve qui fait office. Communier c’est partager sans diviser. Là, il s’agira de calculer non pas quantitativement (quand on partage un gâteau on divise la taille de la part de chacun) mais qualitativement : c’est ton plaisir issu du partage qui augmente mon plaisir bien que j’aie une plus petite part. c’est passer du temps du temps ensemble qui compte à ce moment. Venir en loge c’est prendre du temps sur son plaisir personnel, c’est retirer du temps à ceux qu’on aime, à notre famille, à notre travail, aux choses qui comptent. La fraternité maçonnique c’est aussi du temps passé aux agapes, c’est cette communion qui produit un bénéfice collectif en sachant bien que cette comptabilité implique de retirer quelque chose à quelqu’un pour le donner à d’autres. C’est un choix. Et donc une certaine injustice.

La Fraternité, si elle est un choix, une croyance repose-t-elle alors sur la raison ?

Question douloureuse s’il en est, parce que j’ai conscience que choisir c’est aussi renoncer, comment faire le choix le plus raisonnable ? comment être sûr et certain que le pari de faire fraternité est la solution, la bonne manière de faire les choses ? Comme l’indique Francis WOLFF en novembre 2021, la raison est capable de calculer et de résoudre un problème technique mais elle ne nous renseigne aucunement sur la portée de nos actes et de nos choix. La raison s’applique à gérer un problème : elle est aussi efficace à permettre à des centaines de migrants de trouver refuge en Europe après avoir traversé la méditerranée qu’à élaborer un mécanisme d’extermination dans un camp miséreux de Pologne. C’est un instrument qui nécessite pour conserver toute sa valeur une rencontre, dans une réciprocité assumée et voulue.

Selon WOLFF, c’est la perfectibilité qui anime l’acte fraternel du fait de sa capacité à nous plonger dans l’autre, à croiser notre « je » dans un « tu ». La fraternité commencerait donc par une proximité, un rapprochement qui ne se fie pas aux origines, aux genres, aux classes sociales, ni à la géographie mais à la conscience qu’un certain nombre d’entre nous ont choisi de suivre une voie et aspirent à un échange de bons procédés, cherchent à se côtoyer régulièrement. La Fraternité serait alors assiduité et dépôt des métaux à l’entrée du temple. Entrer en maçonnerie c’est se faire reconnaitre par d’autres qui ont auparavant fait aussi ce choix. Ce serait prendre sur son temps personnel, sur ses loisirs, sur l’amour de ses proches dont on est en droit de d’attendre, ce serait une remise à niveau. La fraternité ça serait alors tutoyer sa propre humanité, et le jeu commence vraiment quand on doit voter pour faire reconnaitre celui qui nous est inconnu, qu’on ne connait pas, qui nous est étranger, qui est tellement différent mais qui nous ressemble malgré tout. Alors bien sûr, quand les femmes ne sont pas initiées, cela pose la question de savoir si elles peuvent vraiment être les bénéficiaires de notre fraternité. En gros, est ce que ma sœur, bien qu’elle fasse partie du genre humain, bien qu’elle ait fait son choix, bien qu’elle vive les mêmes espérances que moi, donc pour revenir à la question, est-ce que je peux dire qu’une femme peut être mon frère ? là encore, ce n’est pas la raison, c’est la grammaire, l’orthographe qui me susurrent à l’oreille que cette femme n’est pas mon frère mais ma sœur, mais au-delà des mots, ce qui est valable pour le genre, pourrait bien l’être pour un autre motif. La fraternité est réciprocité et réflexion, pensée et sensations, discours et actes. La mixité, l’acte de ne pas juger l’autre par la longueur de son sexe, par la taille de ses fonctions sociales, par l’utilité sociale est une des fondations de la fraternité et doit servir de modèle, c’est-à-dire de représentation de la réalité idéalisée, comme un but à atteindre.

Une alternative à l’improbable fraternité : la convivialité selon Ivan Illitch

« La fraternité peut-elle ou doit-elle rester l’affaire de quelques moments éblouissants, n’occuper que le temps imparti aux dimanches de la vie, sans concerner le cours de l’existence ordinaire, comme si on devait économiser sur sa dépense, comme s’il en fallait, mais pas trop, quitte à admettre qu’elle soit réservée à quelques moments ou êtres exceptionnels, mais qui n’auraient pas vocation à influer sur la vie quotidienne de la cité ? »[5].

« Les monstres sont trop peu nombreux pour être vraiment dangereux ; ceux qui sont le plus dangereux sont les hommes ordinaires » écrivait Primo Levi, rescapé de l’enfer »[6]. Les guerres, les atrocités quotidiennes, les violences institutionnelles, les formes d’esclavages, d’exclusion, aussi variées que terribles n’ont pas disparues avec le temps. Mieux, nous sommes maintenant capables d’exterminer rapidement et sans efforts un grand nombre.

« Le renforcement des mécanismes d’usure menace le droit de l’homme à sa tradition, son recours au précédent à travers le langage, le mythe et le rituel »[7]. Selon Thierry PAQUOT, le mot de « convivialité » exprime d’abord un état d’esprit qui alimente le gout de la réunion en permettant aux participants des échanges réciproques et aimables. Il ne s’agit pas d’homogénéiser, mais de de pacifier les relations humaines. Pour ILLITCH, le monde dans sa version industrielle, devient convivial quand « l’homme contrôle l’outil ». De ce point de vue, il ne s’agit pas seulement de courtoisie mais d’une notion bien plus exigeante, proche de la notion de l’art de vivre caractérisée par une volonté farouche de survivre en suivant une voie équitable et favorisant une autonomie créatrice, où les groupes humains fraternisent dans l’intérêt général lorsqu’ils en ont besoin et quand ils en sont capables sans que, ni l’un ni l’autre, ne soit lésé par le don ou l’effort consenti. Il s’agit finalement d’une gentillesse, dans le sens noble du gentilhomme. La question de la convivialité porte alors sur le comment, sur le rapport l’homme à son outil parce que selon lui, nous vivons dans un environnement où l’outil produit l’effet inverse de sa conception : il nuit à l’homme qui l’utilise. Dans ce sens, la fraternité est-elle l’outil de la franc-maçonnerie ou est-ce l’inverse ? Parce que la question se pose in fine. Entre-t-on en Franc-maçonnerie pour servir la fraternité ou pour bénéficier de Fraternité ? On est bien tenté de répondre les deux mon colonel. Ne sommes-nous pas venus chercher la lumière ?

Nous parlions tout à l’heure d’économie, ILLITCH résume sa pensée conviviale en parlant d’ascèse, non pas au sens chrétien du terme qui penche plutôt du côté de la restriction, de la privation mais davantage au sens grec. Pierre Rabhi, parle lui de sobriété. C’est-à-dire que l’ascèse initialement était destinée aux athlètes qui se préparaient à une épreuve, ils s’entrainaient, ils travaillaient sur eux, ils développaient leurs propres forces durant une période plus ou moins longue. C’est cet ascétisme dont ILLITCH nous parle pour parvenir à une certaine convivialité. Elle est faite d’efforts sur soi, mais ne prive pas de plaisir, elle est au contraire la possibilité du plaisir à venir, et à force de faire, elle devient même la source du plaisir. La discipline, l’exercice de la répétition, comme nous le pratiquons avec notre rituel est une entame de convivialité. C’est la première voie d’accès vers un sentiment fraternel authentique. D’une certaine manière, la fraternité impose de la rigueur, de la présence, de l’assiduité aux entrainements. La convivialité comme la fraternité résultent d’un entrainement obstiné et répété, et pas seulement d’actes isolés d’héroïsme, de réussites spectaculaires, de résistance au confort de la facilité et du renoncement, d’un entêtement à affronter les difficultés du vivre ensemble en loge. ILLITCH soulignait les propos d’un moine médiéval qui disait que « vivre en communauté avec autrui est la plus rude pénitence que l’on puisse s’infliger »[8]. C’est de ce point de vue que j’affirmerai que la franc-maçonnerie n’a pas vocation à sauver le monde, mais pas non plus, à seulement, faire des francs-maçons capables de vivre ensemble. Pour ILLITCH, le nombre, le « faire » relèvent de la productivité alors que « l’être » et le devenir sont issus de la convivialité. En gros, pour améliorer le monde, il faut d’abord s’améliorer soi-même et seuls les changements profonds sont durables, le reste peut bien finir gravé sur une façade pour éviter l’oubli.

La plupart du temps il convient d’éviter que la fraternité ne soit qu’un vœu pieu ou une simple forme de politesse, souvent abrégée d’ailleurs, comme si cela indiquait que l’écrire en entier impliquerait que l’on ait saisi la totalité du sens qu’elle porte. A la fois porteuse d’une reconnaissance, donc d’une naissance désirée mais hasardeuse, la fraternité devrait à un moment donné devenir un acte.


[1] LA FRATERNITE Un Mythe, un leurre ou une utopie ? Gérard PALLEAUX (1) (Conférence du 12 décembre 2017, Université Populaire, Guéret).

[2] Penser la fraternité, Bruno Mattéi, Institut Universitaire de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) de Lille.

[3] Georges MARTIN Franc-maçon de l’universel, Tome1, Editions DETRAD, 1988, Marc GROSJEAN, citant Georges Martin une communication daté de septembre 1910, p133.

[4] Terre-Patrie, p197, Edgar MORIN, éditions le Seuil, 1993.

[5]Penser la fraternité, Bruno Mattéi, Institut Universitaire de Formation des Maîtres (I.U.F.M.) de Lille.

[6] L’Observateur du 30 novembre 2017, Primo LEVI, n° 2769.

[7] La convivialité, Ivan ILLITCH, in Œuvres complètes, Vol.1, Fayard, P 509, Paris, 2004.

[8] Ibid. p 456.

2 Commentaires

  1. « Au terme de la lecture, la fraternité demeure un idéal insaisissable : tantôt mythe, tantôt leurre, tantôt utopie, mais rarement un principe opératoire ou un horizon concret d’action. » C’était bien le but mon cher Charles.
    Ouvrir des portes, et n’en refermer complètement aucune. Continuons d’avoir faim …En tout cas, merci pour votre retour 🙂

  2. Ce texte fleuve de Stéphane Gebler capte d’emblée l’attention par la richesse de ses références et la sincérité de sa réflexion.
    L’auteur puise dans l’histoire, la philosophie et la tradition maçonnique pour nourrir une interrogation profonde sur la fraternité, tout en assumant une posture de doute et de remise en question permanente.
    Cependant, cette abondance se retourne parfois contre le propos !
    Le texte souffre d’une dispersion excessive, d’un scepticisme omniprésent et d’un certain flou conceptuel.
    Il suscite la réflexion, mais laisse le lecteur sur sa faim, faute de propositions structurées et d’une véritable prise de position.
    Au terme de la lecture, la fraternité demeure un idéal insaisissable : tantôt mythe, tantôt leurre, tantôt utopie, mais rarement un principe opératoire ou un horizon concret d’action.

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