Le sujet du lien entre l’euthanasie et la Franc-maçonnerie est d’actualité, par ailleurs, il est sensible et souvent entouré de spéculations ou de polémiques.
Il nécessite une approche rigoureuse pour distinguer les faits historiques et sociétaux des accusations conspirationnistes. Des Francs-maçons, en particulier dans des pays comme la France et la Belgique, ont joué un rôle dans les débats sur l’euthanasie, notamment en promouvant l’idée d’un « droit à mourir dans la dignité ». Cet engagement s’inscrit dans leur défense des libertés individuelles, mais il doit être contextualisé pour éviter les simplifications. Voici une exploration détaillée, enrichie de citations et de références.
1. Contexte historique : des Francs-maçons et les réformes sociétales

Des Francs-maçons, depuis le XVIIIe siècle, ont souvent été associés à des mouvements progressistes en Europe, plaidant pour la laïcité, l’éducation universelle, l’égalité des genres et l’abolition de la peine de mort. Au XXe siècle, certaines obédiences, comme le Grand Orient de France (GODF), se sont tournées vers des questions éthiques contemporaines, dont l’euthanasie. Cette préoccupation s’aligne avec leur principe de « liberté absolue de conscience », qui inclut le droit de disposer de son corps et de sa vie (lire à a ce sujet le thème de l’Indisponibilité du corps humain de Wikipedia).

- Henri Caillavet, sénateur radical-socialiste et membre influent du GODF, est une figure centrale. En 1978, il dépose une proposition de loi intitulée « relative au droit de vivre sa mort », qui, bien que rejetée par le Sénat, marque un jalon dans le débat français. Caillavet, dans une interview à L’Express en 1980, déclare : « La liberté de l’individu doit s’étendre jusqu’à la maîtrise de sa propre mort. » En 1980, il cofonde l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui devient un acteur majeur du militantisme pro-euthanasie. L’ADMD, bien que non exclusivement maçonnique, attire des membres partageant des valeurs humanistes proches de la Franc-maçonnerie, comme Jean-Luc Romero, président de l’ADMD de 2007 à 2022, qui a rencontré des dignitaires du GODF pour discuter de l’euthanasie.

- Léon Schwarzenberg, oncologue et ministre de la Santé en 1988, également lié à des réseaux maçonniques, soutient publiquement l’idée d’une mort choisie. Dans son ouvrage Changer la mort (1977), il écrit : « La médecine doit respecter la volonté du patient, même lorsqu’il choisit de partir. »

- En Belgique, des Francs-maçons ont joué un rôle similaire. Le sénateur socialiste Philippe Mahoux, est le principal artisan de la loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie. Lors d’une conférence au Temple Groussier à Paris en 2015, organisée par le GODF, Mahoux déclare : « L’euthanasie est un acte d’amour et de liberté, encadré par une éthique rigoureuse. » Cet événement, auquel participent des figures comme Jean-Louis Touraine (député LREM et membre de l’ADMD) et Agnès Buzyn (alors présidente de la Haute Autorité de santé), illustre l’engagement maçonnique dans les échanges transnationaux sur ce sujet.
Les obédiences maçonniques, comme le Grand Orient de France (GODF), la Grande Loge de France (GLDF), la Grande Loge Féminine de France (GLFF) et le Droit Humain (DH), intègrent régulièrement l’euthanasie dans leurs travaux. Chaque année, les loges étudient des « questions à l’étude des Loges », et des thèmes comme la fin de vie ou la dignité humaine sont récurrents. En 2010, le GODF consacre son convent annuel à l’euthanasie, publiant un communiqué affirmant : « La franc-maçonnerie défend le droit de chacun à décider de sa fin de vie dans des conditions dignes. » Ces réflexions, bien que confidentielles, influencent parfois les débats publics via des propositions transmises aux législateurs.
2. Engagement maçonnique dans le débat public
La Franc-maçonnerie française, s’est positionnée comme un acteur visible dans le débat sur l’euthanasie, plaidant pour un cadre légal autorisant l’euthanasie active et le suicide assisté. Cet engagement s’exprime à travers des conférences, des auditions publiques et des prises de position officielles.

- En 2013, le GODF organise une table ronde sur la fin de vie, réunissant des médecins, des juristes et des responsables de l’ADMD. Le grand maître de l’époque, José Gulino, déclare dans Humanisme (la revue du GODF) : « La question de l’euthanasie touche à l’essence de notre combat pour l’autonomie de l’individu face aux dogmes. »
- En 2023, lors de la Convention citoyenne sur la fin de vie, initiée par le président Emmanuel Macron, quatre dignitaires maçonniques sont auditionnés, représentant le GODF, la GLDF, la GLFF et le DH. Ils plaident pour une légalisation de l’« aide active à mourir ». Cette forte représentation suscite des critiques, notamment de l’Alliance VITA, qui, dans un communiqué, déplore « une surreprésentation des voix maçonniques au détriment d’autres sensibilités, comme les associations de soins palliatifs. »
- En avril 2024, lorsque le gouvernement français présente un projet de loi sur l’« aide à mourir », le GODF publie une déclaration saluant « une avancée humaniste majeure, en phase avec les valeurs de liberté et de dignité ». Cette prise de position reflète leur engagement de longue date, mais elle ravive les accusations d’influence excessive.
L’ADMD, bien que distincte des obédiences, sert de relais pour ces idées. En 2017, son président, Jean-Luc Romero, participe à une conférence maçonnique à Lille, où il affirme :
« Les francs-maçons ont été des pionniers dans ce combat, et leur réflexion éthique nous inspire. »
Des figures politiques comme Alain Claeys et Jean-Louis Touraine, auteurs de rapports parlementaires favorables à l’euthanasie, sont parfois associés à des réseaux maçonniques, bien que cela reste spéculatif faute de preuves formelles.
3. Perspectives maçonniques sur la mort et l’éthique

La Franc-maçonnerie, par sa symbolique et ses rituels, accorde une place particulière à la mort. Le mythe d’Hiram, central dans les rituels maçonniques, explore la mort et la renaissance symbolique, tandis que le cabinet de réflexion, utilisé lors de l’initiation, confronte le candidat à sa mortalité avec des symboles comme le crâne ou l’inscription memento mori. Cette approche philosophique influence très certainement la manière dont certains maçons abordent l’euthanasie.
En 2004, un document interne du GODF, cité par un auteur antimaçons dont nous éviterons la publicité, affirme : « L’euthanasie, lorsqu’elle est demandée librement, est une réponse éthique à la souffrance insupportable. » Ce texte, bien que non public, reflète une position partagée par certains maçons.
Cependant, les obédiences ne sont pas unanimes. La GLDF, plus spiritualiste, met davantage l’accent sur les soins palliatifs. En 2019, un frère de la GLDF, anonyme, confie à La Croix : « Nous ne sommes pas tous d’accord. Certains frères estiment que l’euthanasie va trop loin, tandis que d’autres y voient une nécessité humaniste. »
4. Critiques et controverses
L’implication maçonnique dans le débat sur l’euthanasie suscite des critiques, notamment de la part de groupes religieux et conservateurs, qui dénoncent une influence disproportionnée ou une vision jugée « utilitariste » de la vie humaine.
- Toujours cet ancien maçon converti par magie suite à un miracle au catholicisme, écrit : « La franc-maçonnerie, sous couvert d’humanisme, promeut une culture de mort, en contradiction avec la sacralité de la vie prônée par le christianisme. » Il cite ainsi des travaux maçonniques des années 2000 qui, selon lui, font l’apologie de l’euthanasie sans débat contradictoire.
- L’Église catholique, via des publications comme celles de Famille Chrétienne, critique l’ADMD et ses soutiens maçonniques. En 2015, un article intitulé « L’euthanasie, un combat maçonnique ? » affirme : « Le GODF et l’ADMD partagent une vision laïque qui marginalise les objections religieuses. »
- Sur les réseaux sociaux, des utilisateurs expriment des accusations plus radicales. Un post de 2023 sur X déclare : « La Franc-maçonnerie pousse l’euthanasie pour transformer la société, en éliminant les plus faibles. » Un autre, datant de 2024, qualifie l’engagement maçonnique de « programme caché pour déchristianiser la France. » Ces affirmations, bien que virulentes, manquent de preuves concrètes et relèvent souvent de la spéculation.
D’autres critiques portent sur des cas médiatiques, comme celui de Vincent Lambert (2008-2019), où certains opposants à l’euthanasie, comme l’association Je soutiens Vincent, ont accusé des réseaux maçonniques d’avoir influencé les décisions judiciaires. Ces allégations, relayées sur X, n’ont jamais été corroborées par des faits.
5. Une influence à relativiser
Malgré cet engagement, réduire le débat sur l’euthanasie à une « cause maçonnique » serait erroné. Le mouvement pro-euthanasie inclut des acteurs divers : médecins (comme Bernard Devalois, spécialiste des soins palliatifs), philosophes (comme André Comte-Sponville, favorable à l’euthanasie) et autres citoyens de tous horizons. Les sondages, comme celui d’Ifop en 2018 (89 % des Français favorables à une légalisation), montrent que le soutien à l’euthanasie transcende les affiliations idéologiques.

- Marie de Hennezel, psychologue et spécialiste des soins palliatifs, écrit dans Nous voulons tous mourir dans la dignité (2013) : « Le débat sur l’euthanasie ne peut être confisqué par un groupe, qu’il soit maçonnique ou religieux. C’est une question universelle. »
- En Belgique, où l’euthanasie est légale depuis 2002, l’influence maçonnique est réelle mais limitée. Wim Distelmans, président de la commission de contrôle de l’euthanasie, n’est pas affilié à la Franc-maçonnerie et le débat belge a été porté par des partis politiques variés.
6. Diversité des positions maçonniques
La Franc-maçonnerie n’est pas un bloc monolithique. Les obédiences divergent sur des aspects précis de l’euthanasie, comme son application aux mineurs ou aux personnes atteintes de troubles psychiatriques.
- Le Droit Humain, dans un communiqué de 2022, insiste sur « un équilibre entre l’euthanasie et le développement des soins palliatifs, pour éviter toute dérive. »
- L’association Ultime Liberté, plus radicale, prône un accès large au suicide assisté, y compris pour les personnes non malades. Bien que soutenue par certains maçons, elle ne représente pas l’ensemble des obédiences.
- En 2023, une loge du GODF à Lyon organise un débat interne où des frères expriment des réserves sur l’euthanasie pour les cas non terminaux, montrant la pluralité des opinions.
7. Pour terminer…
Faire le lien entre l’euthanasie et la Franc-maçonnerie repose sur un engagement historique et éthique, incarné par des figures comme Henri Caillavet, Philippe Mahoux et des obédiences comme le GODF. Leur défense de l’euthanasie s’inscrit dans une vision humaniste et laïque, centrée sur la liberté individuelle et la dignité. Cet engagement s’est traduit par des propositions de loi, des conférences, des auditions publiques et un soutien à des associations comme l’ADMD. Cependant, leur influence, bien que réelle, doit être nuancée : le débat sur l’euthanasie mobilise des acteurs variés, et l’opinion publique y adhère largement, indépendamment des réseaux maçonniques.
Les critiques, souvent portées par des groupes religieux ou conservateurs, accusent la Franc-maçonnerie de promouvoir une « culture de mort » ou d’exercer une influence excessive, mais ces allégations manquent parfois de fondement. La Franc-maçonnerie, par sa diversité et ses débats internes, n’est pas un acteur uniforme, et ses positions reflètent des sensibilités plurielles.
Pour approfondir, vous pourriez explorer les travaux de l’ADMD, les rapports parlementaires (comme celui de Claeys-Leonetti en 2015).
Références supplémentaires
- Posts sur X (2023-2024), analysés pour les critiques et spéculations.
- Caillavet, H. (1980). Interview dans L’Express, « La mort choisie ».
- Schwarzenberg, L. (1977). Changer la mort. Albin Michel.
- Welinski, M. (2018). La Franc-maçonnerie expliquée. Dervy.
- De Hennezel, M. (2013). Nous voulons tous mourir dans la dignité. Robert Laffont.
- Humanisme (revue du GODF), n° 298, 2013, « La fin de vie en débat ».
- La Croix, 2019, « Les francs-maçons et la fin de vie : un débat nuancé ».
- Famille Chrétienne, 2015, « L’euthanasie, un combat maçonnique ? »
- Communiqués du GODF (2010, 2024) et du Droit Humain (2022).
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Petite erreur sur l’audition des obédiences par le Président de la République.
La GLDF s’est démarquée des autres obédiences en étant réservé sur les conditions de cette futur loi.
Être pour une loi sur l’euthanasie sans plus est grotesque.
Tout dépend des détails et des gardes-fous dans la loi.
Et le problème avec cette future loi, c’est qu’elle a supprimé tous les gardes-fous.
Mais pour le savoir, il faut avoir étudié le sujet.