Au Panthéon, là où la Patrie honore celles et ceux envers qui elle est reconnaissante, la République française rend hommage à deux de ses fils dont le nom illustre, chacun à leur manière, les vertus et les valeurs morales qui doivent être celles de tout citoyen libre et éclairé, au-delà de toutes les particularités qui peuvent les distinguer. Nicolas de Condorcet est un philosophe, homme politique, mathématicien et éditeur français, né le en 1743 et mort en 1794.
Représentant de la philosophie des Lumières, Condorcet est le premier à défendre le projet d’instaurer la république en France. Son combat humaniste est lui aussi très en avance sur les idées de son temps : on lui doit par exemple l’ouvrage Réflexions sur l’esclavage des nègres publié en 1781 qui dénonce la pratique de l’esclavage jugé comme un véritable crime. Son opposition à l’esclavage se fait au nom de droits naturels de l’humanité. Condorcet souligne que « l’intérêt de puissance et de richesse d’une nation doit disparaître devant le droit d’un seul homme. » Et il conclut son livre sur la place du philosophe dans la société, sur ces gens qui se doivent d’éclairer la société, qui se doivent d’être à l’avant-garde des combats, de les anticiper.

En 1792, Condorcet, devenu député, défendait l’idée d’une école publique, laïque, gratuite et universelle, chargée de former des citoyens libres, égaux et fraternels.
Pierre Brossolette quant à lui fût est un journaliste et homme politique qui fût l’in des chefs de la résistance française à l’occupant nazi. Né en 1903, ce normalien agrégé d’histoire, responsable socialiste, membre de la Ligue des droits de l’homme et franc-maçon de la Grande Loge de France, devint dès le début de l’occupation l’un des principaux dirigeants et héros de la résistance intérieure française. Dénoncé par une collaboratrice, arrêté et torturé, il choisit de se suicider le 22 mars 1944, se jetant par la fenêtre du siège de la Gestapo, avenue Foch, plutôt que de donner à ses bourreaux sous la torture le nom d’un seul de ses camarades de la Résistance.
Evoquant le transfert de ses cendres au Panthéon en même temps que de celles de Geneviève de Gaulle Anthonioz, résistante et déportée à Ravensbrück, âme d’ATD Quart-Mond ; de Germaine Tillion, ethnologue, résistante et déportée, et de Jean Zay, ministre du Front populaire, assassiné par la Milice en 1944., l’historienne Mona Ozouf a écrit « Il n’est bruit aujourd’hui que des “valeurs républicaines” et de l’urgente nécessité de les inculquer aux enfants. Si l’on veut redonner aux vieux mots d’une sentence usée – Liberté, Égalité, Fraternité – leur capacité d’élan et leur force, c’est à des exemples concrets et de telles histoires qu’il faut recourir. »
La polémique que suscita la « panthéonisation » de Pierre Brossolette a suscité de nombreuses réactions.
Parmi celles-ci, je citerai une lettre, adressée au journal Le Monde par Hélène Cusa, ancienne professeure de classes préparatoires aux grandes écoles au Lycée Henri IV : « cela symboliserait une France courageuse et unie, au-delà des divergences et des luttes partisanes, dans un même combat contre la barbarie et l’injustice. Voilà une belle occasion de rappeler aux Français les priorités, comme le fait Mona Ozouf : Liberté, Egalité, Fraternité.

Voici donc les deux personnages qui symbolisent bien les combats qu’il faut mener pour défendre ces valeurs, valeurs républicaines certes, en tous cas pour nous en France, mais valeurs universelles aussi, celles de la tolérance, du respect de l’autre, celles du « vivre ensemble » auquel chacun aspire et auquel chacun a droit.
Il faut ici évoquer la Grande Loge de France, la plus ancienne des institutions maçonniques de notre pays, puisqu’elle est la continuatrice des premières loges parisiennes de 1728, et de la première Grande Loge constituée à Paris en 1738. Sa devise se confond avec celle de la République, « Liberté – Egalité – Fraternité ». Ayant pour objet le perfectionnement de l’Humanité, exigeant de tous la tolérance, elle ne s’immisce dans aucune controverse touchant à des questions politiques ou religieuses.
Toutes celles et tous ceux parmi vous qui avez fréquenté une école, un collège, un lycée, une université ou une grande école en France, qui ont l’eu l’occasion d’entrer dans un tribunal ou une mairie, ou simplement d’observer avec tant soit peu d’attention la façade d’un édifice public de notre pays n’ont pas pu ne pas y relever la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Les historiens nous racontent comment ces trois termes ont été associés, dans cet ordre, par Fénelon à la fin du XVIIème siècle, puis par Camille Desmoulins en 1790, et quelques mois plus tard par Maximilien de Robespierre, dans le Discours sur l’organisation des gardes nationales, jamais prononcé mais rédigé mi-décembre 1790, avant qu’ils ne soient adoptés par la Commune de Paris le 21 juillet 1793 lorsqu’ils furent peints sur les murs de la mairie de notre capitale.
La devise a disparu sous l’Empire et la Restauration, pour réapparaître lors de la révolution de 1830.
Mais ce n’est finalement que le 27 février 1848 que la IIème République l’adopte comme devise officielle, à l’initiative de Louis Blanc. Dans la Constitution rédigée cette même année 1848, l’article IV précise que la République « a pour principe la Liberté, l’Égalité et la Fraternité ».

La IIème République laisse la place au Second Empire, la devise s’efface. Elle reviendra cependant et même s’installera sur le fronton de tous les édifices publics à l’occasion de la célébration du 14 juillet 1880.
Elle figure dans les constitutions de 1946 et 1958 et fait aujourd’hui partie intégrante de notre patrimoine national.
En mars 1848, Adolphe Crémieux, parlementaire puis ministre de la Justice, par ailleurs illustre Franc-maçon de la Grande Loge de France a écrit : « […] dans tous les temps, dans toutes les circonstances, sous l’oppression de la pensée comme dans la tyrannie du pouvoir, nous n’avons cessé de répéter sans cesse ces mots sublimes : « liberté, égalité, fraternité ». »
Nous aurions donc pu évoquer le « vivre ensemble » et de « liberté-égalité-fraternité » en citoyen attaché aux principes fondamentaux dont nous avons fait notre devise nationale.
Mais en tout état de cause, le sens que Crémieux comprenait de cette devise ne se limitait pas à son sens patriotique, historique ou politique. C’est en cela d’ailleurs que cette devise pourrait être celle de tout humain, citoyen d’un pays dont les libertés démocratiques sont garanties par un souverain et non pas par une Constitution républicaine.
Plusieurs pays, ne serait-ce qu’au sein de l’Union Européenne, sont des monarchies constitutionnelles, et la démocratie y est la règle comme elle l’est chez nous.
La devise « Liberté – Egalité – Fraternité » pourrait être revendiquée par les Espagnols, les Belges, les Néerlandais, les Suédois les Norvégiens et les Danois, sans oublier les ressortissants du Luxembourg, de Monaco ou du Liechtenstein, comme elle l’est dans les républiques que sont, outre la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Grèce, et les pays de l’Est de l’Europe.
Car au-delà de la portée que cette devise a pour des citoyens français, elle possède une force symbolique intrinsèque, englobant la signification républicaine de chacun de ses termes pour aller au-delà, lui ajoutant un sens moral, une valeur éthique complémentaire.
Cela dit et bien entendu, les Français font pleinement leur la devise de leur République, et les valeurs démocratiques et humanistes dont elle fait leur idéal commun.
Mais chacun de nous peut, et en fait doit aller au-delà : en fait, le premier champ d’application de cette devise est notre propre comportement. Ces trois valeurs majeures sont les premières qu’il nous faut conquérir.
La démarche première à laquelle cette devise nous invite est une démarche de libération.
Je veux être un homme libre, dégagé des préjugés et des dogmes. Et si je revendique la liberté pour moi, je me dois de la revendiquer pour chacun.

Pour tous et pour chacun car l’autre est mon égal. En tant qu’homme, je ne suis l’inférieur de quiconque, ni son supérieur. Ce principe d’égalité commande que je le respecte comme je souhaite qu’il me respecte moi-même.
L’Autre et moi sommes libres et égaux, comme le dit la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’Autre et moi, nous sommes Frères en humanité. Et cette fraternité crée le devoir de solidarité.
C’est ainsi qu’il faut comprendre chaque terme du triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité » et le triptyque dans son ensemble, chaque terme étant ontologiquement, c’est-à-dire ici par nature, lié aux deux autres. Pour un homme ou une femme ayant conscience de ses devoirs moraux, conscience de sa responsabilité au sein de notre société, on voit ainsi que le sens du triptyque va au-delà de ce qu’exprime tout républicain, et en fait tout démocrate. Reprenons ces termes un par un.
Le premier terme du triptyque est celui de liberté.
Deux axes de réflexion donnent à ce mot une signification particulière pour toute femme, tout homme qui entend s’engager dans la défense de cet idéal. Le premier est illustré par l’idée d’être « libre et de bonnes mœurs », ce que d’autres anciens documents traduisent par l’expression « né de condition libre ». N’oublions pas qu’au siècle des Lumières, au 18ème siècle, l’esclavage existait encore. La Révolution l’avait aboli en 1794, mais Napoléon l’avait rétabli dans les îles françaises des Antilles en 1802.

Souvenons-nous en effet que l’interdiction de la traite n’intervient qu’en 1815 et surtout en 1817, sous Louis XVIII. L’esclavage est définitivement aboli à Paris, en conseil de Gouvernement, par le décret de Victor Schœlcher, homme politique et franc-maçon, qui fait voter l’abolition de l’esclavage en France et dans ses colonies, le 27 avril 1848.
Et souvenons-nous aussi que c’est seulement par un édit signé par le roi Louis XVI le 8 août 1779 que le servage, c’est-à-dire la servitude personnelle et réelle, a été aboli en France mais que cette ordonnance a tardé à être appliquée avant la promulgation du Code Civil en 1801. En fait, la formule « être né libre » n’est devenue caduque qu’au milieu du XIXe siècle, lorsque l’on promeut l’égalité des hommes en droit et qu’on abolit l’esclavage en Europe. Le second axe de réflexion sur le sens que l’on peut donner au mot « liberté » n’est pas de l’ordre matériel, mais bien de l’ordre spirituel.
Nous voyons en effet que liberté véritable, ce n’est pas seulement l’absence de chaînes physiques. C’est avant tout la liberté de la pensée, de la parole, la liberté de l’esprit, la liberté de croyance et de convictions métaphysiques ; c’est le refus des dogmes quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, le refus du « prêt-à-penser ».
C’est de cette liberté que chacun de nous tient le privilège que constitue le fait de pouvoir véritablement se déterminer, c’est-à-dire choisir, et donc d’être par là-même responsable de ses choix, véritablement humain.
La liberté que l’on doit mettre en avant ne se situe plus aujourd’hui sur le plan social, mais bien sur le plan moral.
Cela revient à dire que n’est pas véritablement libre celui qui est esclave de ses préjugés, asservi à ses passions, incapable de privilégier l’être sur l’avoir, ni le savoir sur le pouvoir.
Mais on comprend naturellement que le fait de ne pas être libre implique de ne pouvoir être tenu pour pleinement responsable. Cela signifie de ce fait l’impossibilité à s’engager pour son idéal sans assujettissement, sans aveuglement et en pleine responsabilité.
Il faut en fait bien distinguer deux champs pour cette liberté, qui ne saurait être réduite à l’indépendance par rapport aux contraintes extérieures.
Ce n’est en effet que le premier champ de la liberté : Ces contingences externes déterminent le champ du « ce que je peux ». Ce que j’ai le droit ou la capacité de faire.
Mais le second et le plus essentiel champ de la liberté est mon degré de dépendance vis-à-vis de mes contraintes intérieures, celles qui, seules, me permettent de concevoir « ce que je veux ».

Ce que j’ai la possibilité de vouloir, de choisir, de décider.
Je ne peux pas toujours choisir ce que je peux. Je suis assujetti à des réalités, des déterminants dont je ne suis pas maître. Mais je peux – et en fait je dois – toujours choisir ce que je veux. L’esprit de liberté, la conquête de sa propre liberté, sont au cœur de toute démarche de perfectionnement de soi. Une telle quête est dans tous les cas d’abord une entreprise de libération spirituelle, avec, vous l’avez compris, des implications à la fois individuelles et collectives. Une autre liberté à laquelle il convient d’être attaché, et qu’il nous appartient de défendre est la liberté de parole.
Non pas parler de tout et de n’importe quoi, mais bien revendiquer et assumer la liberté de parole, c’est-à-dire le fait de pouvoir parler librement, la liberté de langage, la franchise. Aujourd’hui, on dirait le « parler-vrai ». Parler vrai, c’est pratiquer une parole droite et directe, c’est parler sans arrogance. C’est l’inverse des discours de flatterie, des exercices de persuasion ou même de démonstration.
Cette parole vraie, c’est celle qui suscite la réflexion plus qu’elle ne cherche à convaincre, celle qui respecte celui qui écoute, sans ériger celui qui parle en détenteur de la vérité.
Le philosophe Michel Foucault a beaucoup écrit sur cette parole de vérité, en rappelant que parler vrai, c’est être acteur de la transformation de soi. Pourquoi ? Parce que parler vrai, parler avec sincérité, implique une remise en question constante, mais surtout implique une vigilance permanente à l’égard du monde, des autres et de soi-même.
En fait, il ne faut pas seulement être attentif et vigilant ; il faut aussi être audacieux, avoir le courage de devenir autre, dans un monde autre.
Aller à la recherche de la vérité et l’assumer en la partageant suppose donc un certain courage.
Parler vrai, dire la vérité, toute la vérité, c’est prendre le risque de déplaire, et parfois d’être rejeté, condamné, emprisonné, en tous cas blâmé. Chacun, chacune, doit avoir le courage de ses opinions, et les assumer pleinement, quoi qu’il puisse lui en coûter. La liberté est donc essentielle. Mais il s’agit d’une liberté réfléchie, consciente, et non d’une invitation à l’anarchie, au désordre et au chaos, sous prétexte d’individualisme et de liberté de chacun à faire ce qui lui plaît.
Cela revient à poser la question : la liberté, MA liberté, est-elle infinie ?
En d’autres termes, suis-je libre de faire n’importe quoi ?
Evidemment non. Chacun connaît sans doute cette maxime : ma liberté s’arrête là où commence celle des autres, ou comme l’énonce la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. »
Il faut s’interroger sur le paradoxe apparent qui semble résulter du fait de revendiquer pour tous la liberté et d’accepter d’être assujetti à des règles, à tout un ensemble d’obligations, telles qu’elles nous sont imposées, que nous soyons étudiants ou enseignants, salariés, ou simplement citoyens de notre pays, soumis à toute sorte de codes et de règlements.
En d’autres termes, on peut s’interroger sur cette apparente limite à ma liberté qu’est est le choix que j’ai fait d’adhérer à un groupe, ou simplement que je sois né au sein d’un groupe, d’un collectif, car qui dit groupe dit règles.

Si l’on est suis membre d’un collectif, d’un groupe quel qu’il soit parce qu’on a choisi d’y adhérer, d’en faire partie, les choses sont simples : dès lors que notre choix d’y adhérer a été fait en toute liberté, sans contrainte ni sujétion, nous en acceptons librement les règles. Ces règles deviennent nos règles, et comme le dit Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat social, « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».
Si notre appartenance à un groupe, à un collectif quel qu’il soit, n’est pas de notre fait, n’est pas lié à un choix personnel, il nous faut accepter d’en suivre les règles si l’on souhaite bénéficier des bénéfices que l’on peut espérer du fait de cette appartenance. La concession – à la règle – n’est que la contrepartie à ce que chacun retire de son appartenance à ce collectif. Terminons cette partie de notre propos consacrée à la liberté par la liberté de croyance. Nous ne pouvons être véritablement libres que si nous sommes libres de nos pensées en général et de nos convictions en matière spirituelle en particulier. Cette liberté de pensée, c’est la véritable laïcité.
La spiritualité, pour celui ou celle qui revendique la pleine liberté de sa conscience, est une spiritualité ouverte, plurielle, tolérante, par opposition à des démarches radicales, qui voient la religion la seule voie vers la plénitude, ou au contraire comme une limitation du champ de la liberté de pensée.
A dire vrai, on peut estimer que ces démarches radicales confondent laïcité et laïcisme, c’est-à-dire une option philosophique et une option politique.
Chacun doit être libre de s’engager dans une démarche de perfectionnement personnel fondé sur la spiritualité, sans imposer mais sans non plus critiquer ni rejeter aucune foi particulière.
Chaque être humain doit être libre de ses convictions et de sa pratique religieuse. S’il est possible de se retrouver dans l’idée qu’un principe de cohérence régit notre univers, chacun doit être libre de donner à ce principe la dimension qui correspond à ses propres convictions métaphysiques ou spirituelles.
Ce principe de cohérence, c’est ce qui fait qu’un atome sur le Terre a la même structure qu’un atome sur un corps appartenant à une galaxie située à 4 milliards d’années-lumière de notre planète. Nous pouvons en être certains, car s’il en était autrement, les rayonnements qu’il émet ne nous seraient pas perceptibles.
Être libre au sens de la liberté de conscience et de croyance, c’est avoir de ce principe la perception que l’on veut, celle d’un Dieu qui s’est révélé à sa Création et que l’on peut louer, prier ou invoquer, ou celle d’un ensemble de lois mathématiques, physiques, qui organisent l’Univers et son évolution depuis le Big Bang initial.
Une véritable spiritualité laïque, ce n’est pas celle qui s’oppose aux religions, ni qui les critique, c’est celle qui, ne soutenant aucune conviction métaphysique et ne dépendant d’aucune d’entre-elle, ne rejette cependant aucune des religions, aucun des enseignements de ces religions, dès lors qu’ils ne prétendent pas à l’exclusivité de la connaissance et du chemin vers l’Absolu, l’inconnaissable.

La liberté de pensée, c’est de ne contraindre personne à adhérer à aucune vérité dogmatique à laquelle chacun devrait se soumettre. Mais c’est aussi reconnaître à chacun le droit d’adhérer pleinement à ces vérités, et à guider sa conduite selon leurs enseignements.
Affirmer que l’univers est organisé, cohérent, ordonné selon des règles que l’on peut décrire par les outils des sciences, ne suppose ni n’interdit aucune croyance, ne requiert ni ne fait obstacle à aucune foi particulière ni aucune pratique religieuse quelle qu’elle soit.
C’est donc bien le contraire d’un enfermement dogmatique. Enfin, il va de soi que cette liberté de pensée, de parole, de croyance, de pratique ou de non pratique religieuse que je revendique pour moi, je dois la consentir absolument à autrui. Sans limite, sans réserve d’aucune sorte. Seul est exclu du champ de la liberté ce qui fait obstacle à la liberté. L’autre a la même valeur que moi, et de ce fait les mêmes droits. Parce que l’autre et moi sommes égaux.
Nous en venons donc naturellement au second terme du triptyque, « égalité ».
L’égalité signifie la conscience de l’identité de sa valeur propre avec celle de chaque autre membre de la communauté humaine, avec chaque créature sur cette terre.
Les convictions d’autrui, ses choix, ses caractéristiques quelles qu’elles soient, valent les nôtres, par principe. Et méritent d’être respectées comme telles et doivent pouvoir être exprimées. Ce qui ne nous empêche pas de nous y opposer. Ou en tous cas de faire valoir ce que nous estimons juste, vrai et bon.
Dans l’Esprit des lois, Charles de Montesquieu écrit : « Autant le ciel est éloigné de la terre, autant le véritable esprit d’égalité l’est-il de l’esprit d’égalité extrême. Le premier ne consiste pas à faire en sorte que tout le monde commande, ou que personne ne soit commandé ; mais à obéir ou à commander à ses égaux. Il ne cherche pas à n’avoir point de maître, mais à n’avoir que ses égaux pour maîtres. »
Et Rousseau écrit dans la conclusion de son célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes : « L’inégalité morale, autorisée par le seul droit positif, est contraire au droit naturel.[…] il est manifestement contre la loi de nature, de quelque manière qu’on la définisse, qu’un enfant commande à un vieillard, qu’un imbécile conduise un homme sage et qu’une poignée de gens regorge de superflus, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire».
L’actualité de ce Discours ne vous échappera pas…

L’homme éclairé doit respecter chaque homme autant qu’il doit se respecter lui-même ; il doit accepter toute opinion comme recevable autant que la sienne propre.
En cela, il reconnaît à chacun une égale valeur. Plus encore, il doit s’efforcer de lutter contre les inégalités en ce qu’elles sont discriminantes.
Ainsi, chacun de ceux que nous croisons est-il bien notre égal, notre opinion n’a ni plus ni moins de poids que la sienne ; et si l’un ou l’autre d’entre nous porte un titre, c’est davantage l’insigne d’une charge que celui d’un honneur. Et ce qui vaut au sein de l’Université, par exemple, vaut tout autant au dehors, dans la société tout entière : égalité de chances, équité de traitement, oui; nivellement des talents et des aptitudes, non. Au-delà, l’homme éclairé doit surtout veiller à ce que ses jugements et ses conduites soient justes et équitables. L’équité, au-delà de l’égalité, signifie l’harmonie, l’équilibre, la justesse. Venons en enfin au troisième terme du triptyque, « Fraternité ».
Fraternité signifie naturellement non seulement compassion mais aussi solidarité, don de soi.
La fraternité est le lien fraternel et naturel ainsi que le sentiment de solidarité et d’amitié qui unissent ou devraient unir les membres de la même famille que représente l’espèce humaine. Elle implique la tolérance et le respect mutuel des différences, contribuant ainsi à l’harmonie et à la paix entre les hommes et entre les peuples. La fraternité implique la solidarité, mais elle va au-delà. La fraternité ne peut méconnaître l’objectif d’une plus juste répartition pour le plus grand bien de tous. Parler d’universalité et d’universalisme n’a de sens que parce que l’humanité est une, et que nous appartenons à une seule et même espèce.
Parler d’universalité, se réclamer de la Fraternité, c’est en fait simplement nous relier à notre origine commune, tous engendrés que nous sommes par le principe de cohérence, que l’on peut nommer Dieu, principe créateur, Grand Architecte de l’Univers. Peu importe en fait le nom que nous humains lui donnons. L’essentiel est d’en reconnaître la marque dans tout ce qui nous entoure, dans l’univers régi par des lois dont nous devons constater qu’elles sont aussi immuables qu’universelles…

Un article paru dans le numéro de février 2011 de la Revue Maçonnique Suisse résume assez bien ce que doit être le rapport du Franc-maçon à l’Autre : « Dans un siècle d’égoïsme, le franc-maçon a le devoir minimum de s’inquiéter, de se soucier au-delà même de son frère, sur l’Autre, sur le prochain qui est aussi son frère en humanité. »
Naturellement aucun groupe, aucune école de pensée ne peut prétendre posséder le monopole de cette tension vers l’Autre. L’œuvre de Montaigne, ou plus près de nous celle d’Emmanuel Lévinas, sont des références immanquables sur le sujet.
En fait, il semble bien exister pour l’homme éclairé deux exigences simultanées, et probablement conjointes.
D’une part, nous ne pouvons imaginer progresser, nous perfectionner, aller vers davantage de conscience, aller plus loin sur les voies de la connaissance, sans commencer par un juste inventaire de qui nous sommes, sans se connaître soi-même. Ce qui signifie aussi sans se défaire de la complaisance envers soi-même, en cultivant le narcissisme ou l’égoïsme.
Certes, les philosophes anciens nous ont appris que la connaissance de soi était la source de la sagesse. Mais si nous gagnons en sagesse, ce n’est pas pour la thésauriser égoïstement. Bien au contraire, c’est pour la partager, faire rayonner autour de moi la part de Lumière dont nous nous efforcons de devenir porteur.
Dès lors, il importe de se tourner vers l’Autre. Pour aller vers lui, il nous faut le considérer, le respecter, l’aimer ; et pour l’aimer, il nous faut le connaître. L’homme éclairé que nous voulons être doit donc s’efforcer de se connaître lui-même en même temps qu’il doit s’efforcer de connaître l’Autre. Nous devons nous aimer – au sens de faire en sorte d’être digne de notre propre estime -, en même temps que nous devons aimer l’Autre.
D’aucuns ajouteraient ici que c’est en aimant les autres que l’on peut arriver à s’aimer soi-même…
A dire vrai, aimer l’Autre n’est pas une sorte de luxe que l’on s’offrirait, ni une charité qu’on consentirait à cette tierce-personne. C’est un besoin, une impérieuse nécessité pour qui veut réellement progresser. C’est le sens de la phrase d’Antoine de Saint-Exupéry dont on nous donne en général une version fautive et reconstruite, mais dont l’original, dans « Pilote de Guerre » est « celui qui diffère de moi, loin de me léser, m’enrichit ».
En fait, l’Autre nous est indispensable.
La sincérité est évidemment essentielle. Elle est le corollaire obligé de toute démarche de quête de la vérité.
Comment pet-on prétendre rechercher la vérité si l’on se masque la sienne propre ?
La dissimulation, l’hypocrisie, la langue de bois, les faux-semblants, les mensonges par omission, tous ces travers largement répandus dans le monde extérieur n’ont pas leur place dans la démarche de celui ou de celle qui, de son plein gré et avec détermination. Il ou elle s’oblige à la franchise, à la sincérité, à cette parrésia, cette parole de vérité que j’évoquais tout à l’heure.
Nous voici parvenu au terme de mon propos.

Retenons donc quelques éléments qui paraissent résumer le sens et la portée que l’on peut donner à cette devise « Liberté, Egalité, Fraternité », devenue la devise de la République.
A côté ou au-delà du sens politique de ce triptyque, il faut en retenir le sens philosophique.
Parce que nous voulons mériter le nom d’homme, au sens d’être doué de conscience et de raison, nous travaillons à la libération de notre pensée, à l’abolition de ce qui l’aliène, la conditionne, l’encadre ou simplement la limite. Nous pensons que pour l’homme éclairé la liberté n’existe vraiment que par les devoirs qui lui incombent envers lui-même, envers les autres hommes, et envers le monde. Tel est l’objet de la démarche à laquelle il nous semble fondé d’inviter toute femme, tout homme : gagner progressivement une meilleure emprise sur soi-même, fruit du travail sur soi.
A l’inverse de ce qui caractérise les démarches sectaires, un tel parcours est une émancipation, une conquête progressive de la liberté intérieure. L’homme ou la femme éclairée que nous souhaitons devenir pour nous-même, comme nous souhaitons à chacune et chacun de pouvoir le devenir lui ou elle aussi, n’est pas asservi à une idéologie mais fondamentalement libre, pour créer davantage de liberté donc de responsabilité. Sa première responsabilité est de partager la part de sagesse à laquelle il accède peu à peu.

Toutes les cultures, sur tous les continents, toutes les traditions ont vu des hommes et des femmes s’engager sur cette voie de sagesse, d’accomplissement de l’humain en soi, ce que les philosophes de la fin du 18ème siècle ici en Occident ont appelé la voie des Lumières.
Ce désir ardent de progresser vraiment en tant qu’humain n’est pas réservé à une élite. Au contraire, il doit être accessible à tous. C’est donc à chacun des membres de notre société qu’il faut s’adresser. S’adresser, ce ne veut pas dire dispenser un enseignement, diffuser un dogme quel qu’il soit, et pas davantage porter une morale.
S’adresser, ici, c’est questionner, inciter à penser, faire percevoir la liberté au bout du questionnement, aider à rendre chacun conscient de l’apport des autres, faire découvrir la générosité de l’esprit, qui doit fonder celle du cœur.
Agir ainsi, faire preuve d’exemplarité, c’est concourir à freiner la régression de l’humanité vers la bestialité, la barbarie, le « tout-à-l’ego » ou la passivité et la résignation.
Il s’agit d’être engagés dans le monde et la société qui nous entoure, et d’y être les défenseurs des valeurs humanistes et civiques fondamentales.
Nous devons nous efforcer sans cesse de donner leur plein sens à ces trois mots qui sont au fronton de nos édifices publics : Liberté, Egalité, Fraternité, pour que la République ne les oublie pas.
Le monde vit manifestement une phase difficile, délicate. Certains évoquent un climat de fin de cycle, de décadence comme celle qui a accompagné et sans doute entraîné la chute de l’empire romain. La dérégulation de l’économie et des marchés financiers a débouché sur une mondialisation et une globalisation sans réserve ni limites, Les conflits et les tensions ne s’apaisent pas. Au contraire, ils s’exacerbent. Dans notre pays, ces tensions ont pris la forme de discours virulents, d’affrontements violents, de communautarismes exacerbés, de sectarismes clivants. Le pacte social est menacé, certains assurent qu’il est rompu. La république, comme mise en commun, comme partage d’un socle de valeurs et d’objectifs, est fragilisée.

Notre devise, « Liberté, Egalité, Fraternité » semble avoir perdu son sens, sa capacité à rassembler et à transmettre des valeurs. Croire en la liberté, en l’égalité, en la fraternité, et œuvrer pour qu’elles s’épanouissent en réalités quotidiennes, c’est courir le risque de se faire traiter, le plus souvent, de naïfs, d’idéalistes, d’utopistes par les sceptiques, les dogmatiques et les extrémistes de tous bords. L’actualité ne nous le montre que trop.
Notre action doit donc être permanente et vigilante, en faisant le choix de nous engager dans une démarche spirituelle, dont le but est l’accomplissement de soi-même, qui passe par la conquête de sa liberté intérieure. C’est cet accomplissement progressif de soi-même qui permet, mais aussi qui impose, de se mettre réellement au service de l’Autre.
Cette démarche est accessible à toutes et tous. Elle n’a de sens et de portée que si elle est sans exclusive, sans rejet de quiconque a priori, donc si elle est profondément humaniste, au sens où elle prend l’Homme pour fin, en visant à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité.
Il faut revendiquer pour chaque individu sur cette planète une réelle égalité des droits, en refusant tout distinguo fondé sur l’origine, le genre, les croyances ou le statut social. Et il faut reconnaître que la parole et la pensée d’autrui valent la nôtre en tant qu’il peut différer de nous.
L’universalité, l’Unité du Tout, n’exclut pas la diversité. Au contraire, la diversité est une richesse.
C’est sur ces valeurs qu’il faut fonder notre existence, dans notre vie de tous les jours, dans notre entourage, dans notre vie professionnelle, dans la cité.
Cela signifie s’engager et être exemplaire. C’est faire vivre la liberté, l’égalité et la fraternité dans le quotidien, c’est défendre la justice et les droits de l’homme, c’est combattre les discriminations quelles qu’elles soient, c’est défendre la liberté de conscience, de pensée et d’expression, c’est lutter contre l’intolérance sous toutes ses formes.
N’attendons pour cela aucune instruction, aucun mot d’ordre. N’attendons pas que tel collectif, tel parti, telle chapelle, émette des consignes ou rédige des communiqués enflammés. Engageons-nous au nom de notre conscience.
La devise « Liberté – Egalité – Fraternité » est à l’évidence, comme toute devise ou tout idéal, menacée de banalisation voire de fossilisation, c’est-à-dire soit de perte totale de sens soit d’obsolescence absolue.
Elle demeure cependant, aujourd’hui comme hier et à n’en pas douter comme demain, l’expression d’un idéal toujours en chantier.
S’il est vrai que l’indifférence, le doute ou pour certains le rejet qu’elle suscite paraissent menacer le triptyque « Liberté-Egalité – Fraternité » dans sa cohérence voire dans son existence même, ces signes eux-mêmes montrent la nécessité d’en restaurer et d’en préserver la logique et l’intégrité…
Dans le monde agité, incertain, en quête de valeurs et de sens qui est le nôtre, travaillons résolument à défendre une certaine idée du « vivre ensemble », fondé sur la liberté de chacun, l’égalité de tous, et la fraternité qui nous réunit au-delà de nos différences.
Article en relation avec le sujet paru sur le journal : https://450.fm/2023/07/14/liberte-egalite-fraternite-de-lideal-au-reel-en-franc-maconnerie/