A l’ouverture des travaux, comme lorsqu’il convient de saluer un événement tel que l’arrivée d’un nouveau maillon dans la chaîne d’union d’une Respectable Loge, le Vénérable Maître invite à ponctuer le déroulement de la cérémonie par la formule « A moi mes Frères, par la batterie, l’acclamation écossaise et la devise ».
AU R.E.A.A. l’acclamation écossaise est, comme chacun le sait, « Houzzé, houzzé, houzzé ». Que signifie-t-elle ?

Toutes sortes de propositions ont été faites à ce sujet, se référant principalement à des origines anglaises. La plus plausible consiste à considérer Houzzé comme une acclamation de joie et d’approbation dont le livret d’Apprenti assure que l’orthographe anglaise serait une ancienne forme de Hurrah, sans véritablement expliquer pourquoi cette origine, quelle relation à la franc-maçonnerie, et pourquoi répéter ce mot trois fois.
Il semble qu’il se soit agi d’un usage emprunté aux marins lors de l’embarquement ou débarquement d’un visiteur à bord faisant ressortir l’exultation.

Notre regretté Frère Michael Segall, auteur entre autres d’un remarquable ouvrage dont la seconde édition, parue en 2014, porte le titre de Dictionnaire maçonnique : Terminologie des rituels maçonniques, penchait pour sa part pour une explication beaucoup plus simple et faisant référence à un élément du rituel que tous les Frères Maîtres connaissez bien : Hou Zé signifie en effet tout simplement en hébreu « C’est Lui ! ».
C’est lui, tout simplement.
Vous pouvez voir derrière ce « lui » le Grand Architecte de l’Univers, ou un homme particulièrement éclairé qui aurait eu connaissance de cet Absolu sacré vers lequel le Maçon tente de progresser…
Cela dit, les explications étymologiques diverses ne manquent pas d’intérêt.

Certaines sources évoquent une origine biblique, faisant référence au mot Uzza qui désigne un personnage mentionné au deuxième livre de Samuel comme ayant été l’un des deux conducteurs du chariot qui ramenait l’Arche Sainte vers Jérusalem après la victoire de David sur les Philistins.
Cependant, la référence hébraïque la plus plausible et la plus intéressante se réfère au mot « oz », qui signifie appui, soutien, force, gloire, honneur, puissance. Ce sont là naturellement des attributs que la Bible confère à l’Éternel. On peut ainsi lire dans les Chroniques 16 :28 : « Familles des peuples, rendez à l’Éternel, Rendez à l’Éternel gloire et honneur » (kavod ve oz).
C’est en tous cas la référence préférée par Jules Boucher dans son ouvrage sur La Symbolique maçonnique, en faisant un rapprochement entre force et vie, donc entre Houzzé et Vivat.
De savants auteurs ont proposé d’autres explications, sans aller jusqu’à ce que proposent certains qui se réfèrent à l’acclamation juive passée dans la liturgie chrétienne « Hosh ‘ana » pour la rapprocher d’ « Hoshé’a » (« salut, sauvetage, rédemption »), puis à « Yeshu’ah » qui signifie également « salut », « rédemption » et/ou finalement à « Yeshu’a»: « Dieu est sauveur »).

Sans aller aussi loin, citons par exemple l’origine égyptienne selon laquelle le mot Ouser signifie feu actif du monde, pouvoir vital de l’homme. On peut noter aussi le nom de Osée, un prophète hébreu qui vécut au 8ème siècle avant J-C et dont le nom signifie Yahvé sauve, Dieu sauve.
Les livres au fort contenu ésotérique de ce prophète peuvent être compris comme un symbole de la délivrance, de la sécurité
On peut également penser, selon certains, à un roi légendaire d’Israël qui se serait nommé Houzzé et qui serait associé à la tradition alchimique.
D’aucuns parlent encore du mot arabe Uzza qui est l’un des 99 noms de Dieu dans le Coran.
Il est affirmé par certains auteurs que le mot al uzza désigne l’acacia, également appelé l’épine d’Égypte, qui serait également un symbole solaire.
En fait, il semble plutôt qu’Uzza soit le nom d’une déesse pré-islamique, une des trois divinités mecquoises que la tradition nomme les « filles d’Allah ». Mahomet avait, dans une première version, recommandé qu’on leur rendît un culte, ce sont ces versets, qui furent un temps prononcés avant d’être abrogés, et que l’on connaît sous leur nom de versets sataniques, la fameuse expression reprise par Salman Rushdie.

D’autres encore vont chercher des origines celtes faisant référence à l’Écosse ou tout simplement à l’équivalent de hourrah sans dire pour autant d’ailleurs ce que pourrait signifier Hourrah au-delà de l’acclamation de félicitations que chacun connaît.
En fait, le mot apparaît dès 1725 : « ..the Grand Lodge had chosen the Rt.Hon.Earl of Ross, Grand Master for the year ensuing and Sir Thomas Pendergrass, and Mak Morgan, Esq. Grand Wardens, and the Grand Master has appointed… at the naming of each of these, the Society gave their approbation by three Huzzas… »
(Gould’s history of freemasonry throught the world, vol. II Chapter VII Freemasonry in Ireland)
On lit également que quelques années plus tard, en 1738, lors de l’inauguration de l’Hospice Royal d’Edimbourg : « …chaque maçon frappa à son tour trois coups sur la pierre. Les trompettes sonnèrent trois fois et les Huzzas et les applaudissements des mains se firent entendre trois fois ».
Puis Huzza est mentionné pour la première fois dans un rituel en 1753 sous la forme Houzzai.
L’acclamation franchit la Manche et traverse la France, puisqu’1774, les Houzzai sont signalés dans le Compte Rendu de la Tenue d’Installation de la Loge d’Avignon. Une des hypothèses avancées est que les Houzzai ont été importés par la Mère Loge du Contrat Social.
Le Guide des Maçons Écossais, qui date de 1804, donne « Houzze! Houzze! Houzze!« . (p.87, Maître)
En 1820, Vuillaume, dans son Manuel Maçonnique, écrit: « on s’écrie ensuite par trois fois Huzza ! » Et Vuillaume précise qu’il faut prononcer houzzai.
Par ailleurs, on trouve en 1825 dans le Dictionnaire Maçonnique de Quantin, l’information selon laquelle « « Houzé »(Huzza) est le cri de joie des Maçons du Rite Écossais. II signifie Vive le roi. Ainsi, les Maçons écossais accusés d’être hostiles au trône, manifestent leur allégresse par le cri de Vive le roi. »

Enfin, en 1930 Albert Lantoine énonce que le mot Huzza (Houzé) est tout simplement synonyme de Hourra en usage en Europe centrale, et précise qu’il existe dans la langue Anglaise le verbe to Huzzah qui veut dire acclamer. Pour lui, Huzza prononcé trois fois est une vieille acclamation écossaise, dont l’origine anglaise signifie « Vive le roi » par analogie avec le terme « Vivat », plus communément pris dans le sens de « bravo », pendant que vivat garde néanmoins le sens de « vie ».
Certains rites et certaines obédiences complètent l’acclamation en disant : « Vivat, vivat, vivat, semper vivat ! » Qu’il vive, qu’il vive, qu’il vive éternellement.
C’est la formule donnée par le Régulateur du Rite Français qui date de 1801, tandis que le Rite dit « Groussier » en vigueur dans la majorité des Loges du GODF et qui date de 1938, se rallie à « Liberté-Égalité-Fraternité », qu’il qualifie de ternaire révolutionnaire.
Naturellement, un Maçon écossais ne saurait acclamer quiconque ainsi, et c’est bien de glorifier le Grand Architecte de l’Univers qu’il est question.
En tout état de cause nous retiendrons donc que cette acclamation « Houzzé, houzzé, houzzé » est une acclamation symbolique de glorification du Grand Architecte de l’Univers, commune à l’ensemble des traditions maçonniques d’origine écossaise.
Plusieurs obédiences de notre pays font suivre l’acclamation par la devise Liberté Égalité Fraternité qu’a également adoptée cinquante ans plus tard la République française.

On sait en effet que la République a adopté cette devise en 1848 alors qu’elle figurait un demi-siècle auparavant dans le Grand Livre d’Architecture de la Grande Loge de France. Mais il est juste de dire que la liberté et l’égalité avaient été posées comme principe dans l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Les trois mots Liberté Égalité Fraternité apparaissent peu après parmi de nombreuses autres formules, pendant la Révolution française, la première fois dans le Discours sur l’organisation des gardes nationales de Robespierre, jamais prononcé mais rédigé mi-décembre 1790.
En 1793, la commune de Paris impose d’inscrire « La République une et indivisible – Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort » sur la façade de l’hôtel de ville, sur tous les édifices publics de la ville et aussi sur des monuments aux morts.
Cette devise est adoptée officiellement en France une première fois le 27 février 1848 par la Deuxième République, et surtout après 1879 par la Troisième République, avant d’être inscrite aux frontons des édifices publics français à l’occasion de la célébration du 14 juillet 1880.
Albert Lantoine a écrit que l’origine maçonnique de la devise « est une légende devenue tellement vivace qu’elle est acceptée par d’excellentes gens qui ne font profession, ni de maçonnisme ni d’antimaçonnisme ».

La devise ne naquit pas en loge. Mais « Liberté, Égalité, Fraternité » est devenue la devise d’une très grande partie de la franc-maçonnerie latine, en Europe, notamment en Belgique, mais aussi en Amérique.
La patente de la loge « La bonne foy », constituée à l’orient de Saint – Germain-en-Laye, en 1688, aurait porté la devise : « Liberté, Égalité, Fraternité », mais toutes les copies produites, car il n’y a pas d’original, ont été reconnues apocryphes.
Un seul texte, fait de la liberté, de l’égalité, et de la fraternité les trois vertus cardinales à la foi révolutionnaires, et de la maçonnerie, et déclare de l’antériorité, dans la pratique, de notre Ordre en cette matière, comme le montre une planche de Saint-Jean d’Écosse du Contrat Social, en date du 20 janvier 1791.
Enfin on peut lire le Grand livre d’architecture de la Très Respectable Grande Loge de France, du 9 février 1789 au 5 juin 1798. Si nous l’ouvrons aux pages qui correspondent à l’année 1795, nous y lisons très clairement la formule « Liberté, Égalité, Fraternité »
Convenons cependant qu’en tout état de cause, le sens maçonnique de cette devise ne se superpose pas et ne doit pas être confondu avec son sens patriotique historique ou politique et c’est en cela que cette devise d’une Grande Loge peut-être celle de tout franc-maçon de toute obédience, même dans un Orient éloigné, par exemple dans un pays dont les libertés démocratiques sont garanties par un souverain et non pas par une Constitution républicaine.
Cela dit et bien entendu, les Français font pleinement leur la devise de leur République, et les valeurs démocratiques et humanistes dont elle fait l’idéal commun. Mais il nous faut aller au-delà car le premier champ d’application de cette devise est notre propre comportement. Ces trois valeurs majeures sont les premières qu’il nous faut conquérir.
La démarche maçonnique est une démarche de libération. Je veux être un homme libre, dégagé des préjugés et des dogmes. Et si je revendique la liberté pour moi, je me dois de la revendiquer pour chacun.
Pour tous et pour chacun car l’autre est mon égal. En tant qu’homme, je ne suis l’inférieur de quiconque, ni son supérieur. Ce principe d’égalité commande que je le respecte comme je souhaite qu’il me respecte moi-même.
L’Autre et moi sommes libres et égaux, comme le dit la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. L’Autre et moi, nous sommes Frères en humanité. Et cette fraternité crée le devoir de solidarité.
Notre attention portée à l’Autre est l’un des piliers essentiels de notre engagement en Franc-maçonnerie, comme le disent les Constitutions : La Franc-maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité.
Au-delà de la fraternité entre initiés, la Franc-maçonnerie invite naturellement à la fraternité entre tous les hommes, au nom des valeurs qu’elle développe chez ceux et celles qui y adhèrent et cherchent à s’y perfectionner. Il va de soi que « homme » est ici à considérer au sens générique d’ «être humain » et que nos Sœurs ne sauraient en être exclues !
Mais la moindre des choses, la première étape, c’est bien d’avoir un comportement véritablement fraternel à l’intérieur de la Loge, vis-à-vis de chacun de ses Frères ou Sœurs.
Il n’est pas possible de se contraindre à avoir la même sympathie, la même affection pour chacun. Avoir un comportement fraternel c’est respecter son Frère ou sa Soeur pour ce qu’il est, aller vers lui, lui prêter attention et assistance si cela est nécessaire.
Vous voyez ainsi que le sens du triptyque pour un Maçon écossais va au-delà de ce qu’exprime tout républicain, et en fait tout démocrate.
Nous voyons en effet que liberté pour le franc-maçon écossais c’est liberté de la pensée de la parole, la liberté de l’esprit, la liberté de croyance et de conviction métaphysiques ; c’est le refus des dogmes quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, le refus du « prêt-à-penser ». C’est de cette liberté que je tiens le privilège que constitue le fait de pouvoir véritablement me déterminer, c’est-à-dire choisir, et donc d’être par là-même responsable de mes choix, véritablement humain.
Nous voyons qu’égalité signifie conscience de l’identité de sa valeur propre avec celle de chaque autre membre de la communauté humaine, avec chaque créature sur cette terre. Les convictions d’autrui, ses choix, ses caractéristiques quelles qu’elles soient, valent les miennes, par principe. Et méritent d’être respectées comme telles et doivent pouvoir être exprimées. Ce qui ne m’empêche pas de m’y opposer.
Ou en tous cas de faire valoir ce que j’estime juste, vrai et bon.
Nous voyons enfin que fraternité signifie naturellement non seulement compassion mais aussi solidarité, don de soi. Nous sommes Frères et Sœurs en humanité, et de cette fraternité découle un devoir de solidarité.
Gardons à l’esprit que la Fraternité va au-delà de la solidarité.
L’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée à Paris le 10 décembre 1948 précise à cet égard que « »Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, […] »
La fraternité est le lien fraternel et naturel ainsi que le sentiment de solidarité et d’amitié qui unissent ou devraient unir les membres de la même famille que représente l’espèce humaine. Elle implique la tolérance et le respect mutuel des différences, contribuant ainsi à l’harmonie et à la paix entre les hommes et entre les peuples.
On voit donc que le mot fraternité a donc bien une signification qui va au-delà de la seule solidarité. La fraternité ne peut méconnaître l’objectif d’une plus juste répartition pour le plus grand bien de tous.
Précisément, la fraternité se distingue de la solidarité par la dimension affective de la relation inter-humaine, liée au sentiment d’appartenance à la même espèce.
Parler d’universalité et d’universalisme n’a de sens que parce que l’humanité est une, et que nous appartenons à une seule et même espèce.
Parler d’universalité, se réclamer de la Fraternité, c’est en fait simplement nous relier à notre origine commune, tous engendrés que nous sommes par le principe que nous appelons Grand Architecte de l’Univers.
L’objet de cet article a été de mettre en évidence que pour les Maçons écossais que nous sommes, les deux éléments que sont l’acclamation écossaise et la devise sont deux réitérations, joyeuses et collectives, de l’invocation énoncée par le VM consacrant nos travaux « à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers ».
Houzzé, houzzé, houzzé est une acclamation symbolique de glorification du Grand Architecte de l’Univers.
Liberté, Egalité, Fraternité sont pour le Maçon écossais trois valeurs, trois vertus qui rendent compte de son aspiration à reconnaître en lui comme en chaque autre être vivant la marque du même principe créateur.
Voilà ce que chacune et chacun peut et doit avoir à l’esprit à chaque fois que le Vénérable Maître inviter à ponctuer nos travaux par la batterie, l’acclamation écossaise et la devise, ces éléments basiques de nos rituels qui n’ont de portée que si nous en ressentons le sens à chaque fois que nous les prononçons.
J’apprécie et salue le contenu de cette publication d’autant qu’elle vient édifier la lanterne de nous autres qui aspirons à rejoindre cette prestigieuse institution qu’est La Grande Loge Mixte De Côte d’Ivoire.
Mes salutations distinguées…