Pour lire l’épisode précédent : ici
Guido avait emmené Caris en visite à Interpol pour faire le point avec ses collaborateurs sur les recherches qu’il leur avait confiées de la vie d’Amélie Delacroix.
– Le siège de l’organisation, situé sur le quai Charles de Gaulle, est une structure distinctive et impressionnante, avec une façade en verre et métal intégrée dans la Cité Internationale, le long du parc de la Tête d’Or, ensemble conçu par l’architecte italien Renzo Piano, celui-là même qui a réalisé, entre autres, le Centre Pompidou à Paris, ou encore le New York Times Building, à New York. Vous imaginez bien qu’en tant que siège de la plus grande organisation de police internationale, le bâtiment d’Interpol est conçu avec des mesures de sécurité avancées.
Caris fit remarquer
– Bien que Guido ait été reconnu amicalement par ceux qui sont chargés du contrôle, nous avons dû nous soumettre à de longues formalités d’accès. Munis de nos badges, nous nous sommes retrouvés, après de nombreux sas à franchir, sous l’œil de caméras de surveillance, dans son service chargé de prévenir et d’enquêter sur les crimes culturels. Cela va sans dire que Guido fut accueilli avec le manifeste plaisir de ses collègues venus l’entourer et c’était à qui se montrait le plus enjoué en l’interpellant : Commissaire Lhermitte ! Guido ! Mon ami!
Modestement Guido poursuivit
– Habituellement, nous nous appelons par nos prénoms. Je fus heureux que Caris pût mesurer nos relations amicales au sein de l’équipe par les tutoiements et les propos, tout en échangeant des accolades, vous imaginez du genre : « Tu as l’air en pleine forme, ça fait plaisir à voir ! » ; « Quelle joie de te revoir après tout ce temps ! » ; « Qu’est-ce que tu deviens ? » ; « Quel plaisir de te retrouver en chair et en os ! »… Pendant les présentations, ils eurent aussi pour elle des salutations non moins accueillantes.
Après avoir partagé qui un café, qui un thé, recueillis au distributeur de boisson, une façon de re-sceller notre entente, nous en vinrent à l’objet de ma visite : la notice bleue que je leur avais fait parvenir depuis Eaton. Je vous explique, on utilise des couleurs à Interpol pour spécifier les catégories d’enquêtes : notices Rouges pour les avis internationaux de recherche pour l’arrestation ou l’extradition de criminels ; notices Bleues pour les sollicitations d’informations sur l’identité ou les activités d’une personne en relation avec un crime ; notices Jaunes pour les avis concernant les personnes disparues, souvent des mineurs, ou les personnes incapables de s’identifier.
– « Ce ne fut pas facile à débusquer, voilà ce que nous avons trouvé, c’est chaud, tu nous diras ce que nous devons en faire, me confia mon collègue en sortant d’une armoire un dossier contenant quelques pages. » Je ne l’ai pas ouvert de suite, attendant de vous retrouver pour en partager ensemble les informations ne sachant s’il fallait interpréter « c’est chaud », comme récent ou inquiétant. Je vous passe la suite de nos échanges jusqu’au moment où nous partîmes.
– Guido m’a confié le double du dossier pour le transporter. Ne croyez pas que Guido ait manqué de galanterie. J’avais juste un sac qui pouvait le contenir.
Ajouta Caris en riant et d’aussi bonne humeur poursuivit.
– En sortant d’Interpol, longeant le Parc à pied, nous sommes passés devant la Porte des Enfants du Rhône à travers les grilles de laquelle s’apercevait, avec le lac en arrière plan, la sculpture mythologique de la centauresse et du faune dont la volupté ne doit pas laissés indifférents les lyonnais… et les lyonnaises.
– Pas que les Lyonnais, dit Guido en rougissant et par pudeur, il reprit le récit en changeant de sujet.
C’est en vélo, pris en libre service à la station toute proche, que nous avons joué les touristes dans le 6ème arrondissement, puis nous sommes rentrés jusqu’à la station du quai de Bondy où nous les avons rendus.
Avant de vous retrouver, nous avons flâné dans le quartier, empruntant des voies piétonnes aux noms si parfaitement évocateurs pour nous : rue de la Loge, rue Juiverie, rue Gadagne où quatre frères italiens, Les Pierrevive – tiens, tiens – furent les premiers occupants au XVe s. Au siècle suivant, ce fut les Gadagne, les richissimes banquiers florentins, qui achètent leur demeure aux Pierrevive et, bien que ne l’occupant que peu de temps, c’est leur nom qui passa à la postérité. Le bâtiment, après de nombreuses vicissitudes, est devenu aujourd’hui un lieu muséal, restauré, agrandi qui propose les deux grandes collections qu’il abrite : le musée d’histoire de Lyon et le musée des arts de la marionnette.
– Oui quelqu’un tire les ficelles, s’amusa Caris de la coïncidence.
– Et maintenant prenons connaissance du dossier ! Ajouta Alexander
En même temps que Caris sortait le dossier de son sac, Guido posa devant Alexander un ballotin de palets d’or et un sachet de truffes, de délicieux chocolats à la ganache et au chocolat noir, achetés spécialement chez Bernachon, ce qui avait justifié leur détour dans le 6ème arrondissement.
Alexander comprit l’affectueuse attention de Guido de lui apporter quelque douceur pour affronter ce qui suivrait dès lors qu’il s’agissait d’Amélie.
Avant de commencer à lire, Guido prit une gorgée de Comte Joseph, un brandy qu’il avait commandé à leur arrivée vespérale dans le salon de l’hôtel, se doutant de devenir un désagréable messager pour Alexander et se mit à lire à haute voix.
Service d’Enquête Criminelle de Paris Rapport n°: 2024-0710 Date: 10 Juillet 2024. Officier Responsable: Lieutenant Jean-Marc Duval Sujet: Enquête sur la conspiration de vol d’œuvres d’art
Contexte de l’enquête:
Suite à des informations, le Service d’Enquête Criminelle d’Interpol a initié une enquête sur une conspiration visant à voler des œuvres d’art. Les principaux suspects identifiés sont Silvestro Buonvincini, un homme d’affaires italien de renommée et Hircine Enhardir, un riche collectionneur d’art parisien.
Déroulement de l’enquête:
Silvestro Buonvincini:
Italien, 45 ans, riche homme d’affaires dans le milieu de l’immobilier et du BTP, connu pour ses collections d’œuvres d’art et ses connexions avec plusieurs galeries et musées à travers l’Europe. Il est basé à Milan.
Enhard Enhardir:
Libanais, 62 ans, collectionneur d’art notoire avec une réputation de probité dans le milieu des collectionneurs. D’abord soupçonné, il s’était pourtant manifesté, en tant que lanceur d’alerte, par un mail anonyme « Nous allons agir. Nous allons nous emparer des tableaux. Et pour commencer la pomme de St Martin va tomber, voilà comment…». Nous en avions avisé le commissaire Lhermitt. Il nous explique qu’il a dénoncé Silvestro Buonvincini car celui-ci lui avait vendu un ensemble immobilier qui s’avéra une escroquerie. Les constructions, sur un terrain condamné par les autorités locales pour des raisons de sécurité, durent être démolies.
Il nous dit que, révolté, il lui a rendu visite dans sa résidence au bord de l’océan où il eut une violente altercation avec l’hôte qui l’a fait chasser par un garde du corps. Selon son témoignage, c’est à sa sortie musclée de chez Buonvincini qu’il aurait été approché discrètement par un valet de Buonvincini, lui aussi révolté contre son employeur qui aurait fourni de la drogue à sa fille. Désireux de se venger, il aurait transmis à Enhardir un dossier de photos de tableaux, récupéré la veille dans le grand salon après une réunion de Buonvincini avec ses sbires, lui répétant la phrase entendu « Ce sera un autodafé des tableaux et des archives ; la pomme de St Martin va tomber ».. Une mention particulière était portée sur un portrait de Newton à voler.
Le lendemain de l’inauguration de sa nouvelle galerie, Enhardir a contacté la police pour dénoncer Buonvincini. Il s’est présenté volontairement à la Brigade Criminelle, apportant des preuves de la conspiration car il aurait été inquiet de la présence d’un visiteur qu’il a surpris près du dossier, dossier qu’il avait eu la négligence de poser momentanément sur une table. Il pensait que c’était un émissaire de Buonvincini et qu’il représentait un danger. Enhardir avait ajouté des notes sur les emplacements actuels des tableaux sur les photos jointes du dossier.
Il s’est rendu à Prague, dans les jours qui ont suivi sa visite dans nos services, intrigué par une exposition de tableaux figurant sur la liste. De là, il nous a recontacté, un rendez-vous lui a été fixé où il devait nous donné des informations complémentaires qu’il aurait trouvées. Mais depuis, nous n’avons plus aucune nouvelle de lui et nos appels sont restés lettre morte.
Investigation en cours:
La recherche d’Enhardir se poursuit. L’assassinat du conservateur du musée de Prague ne laisse présager rien de bon sur sa disparition.
Des contacts ont été établis avec les musées et les galeries concernés pour alerter les responsables de sécurité.
Surveillance de Buonvincini: Une surveillance discrète de Buonvincini et de ses complices a été mise en place.
Des écoutes téléphoniques et des filatures sont en cours pour recueillir des preuves supplémentaires.
Amélie Delacroix:
Au cours de l’enquête a été mis en évidence le rôle d’une tierce personne Madame Amélie Delacroix, 32 ans, décédée à Istanbul alors qu’elle était à bord d’une chaloupe lors d’une tempête sur le Bosphore en compagnie de Monsieur Alexander Van De Meïr qui fut sauvé par les garde-côtes.
Enfant, Amélie Delacroix fut maintenue dans l’illusion de sa toute-puissance par son grand-père. Les limites éducatives que ses parents voulurent lui donner furent abolies par cet homme qui lui accordait et même encourageait tous ses caprices À cause de cette permissivité excessive, ainsi formée (déformée), confite dans sa fausse omnipotence, elle développa l’outrance d’un narcissisme pervers. Son égoïsme indépassable fut pire que celui d’Anastasie de Restaud et de Delphine de Nucingen réunies selon les dires de sa propre mère que nous avons interrogée.
Nous avons pu contacter sa colocataire de l’appartement loué à Paris pendant ses études à l’École du Louvre ; c’est ainsi qu’elle décrit Amélie Delacroix: « Son cerveau n’est qu’un muscle qui a remplacé le cœur, qui n’a comme seul objectif que de se pavaner en se mettant en scène par tous les moyens de la séduction qu’elle a réduit aux apparences. Pensant être spéciale et unique et ne pouvoir être admise ou comprise que par des institutions ou des gens spéciaux et de haut niveau, elle montre un besoin immodéré d’être admirée. Pensant que tout lui est dû, elle s’attend sans raison à bénéficier d’un traitement particulièrement favorable et à ce que ses désirs soient automatiquement satisfaits, absorbée par des fantasmes de succès illimité, de pouvoir, de splendeur, de beauté ».
C’est lors de l’année de son doctorat à Milan qu’Amélie fit la connaissance de Silvestro Buonvincini qui la séduisit par tout ce qu’il représentait d’idéal masculin pour elle. Un riche homme de pouvoir, qui plus est bel homme, mâchoire carrée, regard perçant et sûr de lui, aux yeux d’un bleu profond, brillant et cultivé, pouvant discuter d’une variété de sujets allant des affaires internationales à l’art contemporain, à la volonté de puissance affirmée, avec une capacité à créer ses propres valeurs indépendamment des normes conventionnelles ou morales imposées par la société.
Il lui fit connaître son penthouse à Milan, son chalet à Gstaad et sa résidence Renaissance au bord d’océan. Nous avons pu le savoir par le témoignage du personnel. Il lui offrait de coûteux cadeaux, entre autres la montre cartier panthère couronnée de fins diamants dont on a retrouvée la facture. Elle en fut flattée, éblouie et, éperdument amoureuse de cet ostentation matérielle ; elle tomba sous son emprise. Fut-il réellement attaché à cette brillante et belle jeune femme, on ne peut le dire. Mais, aux vues du rapport de police de Prague sur le meurtre du conservateur du musée, il est certain qu’elle devint sa complice par jeu dans le projet de cet homme que nous avons identifié comme le chef d’un groupe menaçant de s’emparer des tableaux de la liste fournie par le commissaire Lhermitt recoupée par celles d’Enhard Enhardir.
Conclusion : Le témoignage d’Enhard Enhardir a été déterminant pour cette enquête. Les informations qu’il a fournies corroborent des soupçons antérieurs sur les activités illégales de Buonvincini. L’enquête se poursuit avec une attention particulière portée aux institutions mentionnées et à la sécurisation des œuvres d’art concernées.
Recommandations:
Intensifier la surveillance autour de Buonvincini et de ses associés.
Renforcer les mesures de sécurité dans les musées listés.
Continuer à collecter des preuves et préparer des mandats d’arrêt pour Buonvincini et ses complices potentiels.
À peine eut-il fini de lire qu’Alexander avala d’un seul coup le reste du verre placé devant Guido.
– Attention, Alex c’est du cognac !
– T’inquiète, c’est juste pour aseptiser mes dernières illusions. Je comprends mieux ses dernières paroles. J’ai de la peine seulement pour elle.
Les convives se taisaient par pudeur comme si ce récit n’appartenait qu’à Alexander. Il comprit leur délicatesse et ce fut donc à lui de rompre le silence.
– Et dire que cet Enhardir m’avait fait une mauvaise impression, alors que nous lui devons l’initiation de nos recherches !
La suite la semaine prochaine