Hiram entre Histoire, mythes et légendes
Une des caractéristiques essentielles de la Franc-maçonnerie est le recours au symbolisme, faisant appel à des représentations, à des archétypes, pour accompagner l’initié sur les voies de la connaissance, connaissance de lui-même, de ses rapports à l’Autre et au monde qui l’entoure.
Ces symboles sont, au moins, de deux types.
Certains, notamment ceux que découvre l’Apprenti dès le cabinet de réflexion ou dans le Temple illuminé sitôt après son initiation, sont des figures géométriques, des objets, des outils. Pour autant qu’ils soient simples, banals, ils sont porteurs de sens, et leur signification pour le franc-maçon peut être fort riche, voire complexe.
L’autre type de représentations archétypales auquel la franc-maçonnerie fait appel offre à considérer une formidable galerie de personnages.
Eux aussi sont pour l’initié les figurations de vertus ou de vices, de valeurs ou de faiblesses, qui sont ceux de l’homme en général, et de l’initié auquel ils sont successivement proposés comme sujets de méditation en particulier. Certains de ces personnages ont une historicité indiscutable, même si l’image que retient d’eux la geste maçonnique est fragmentaire, redessinée à dessein, pour mieux servir le propos pédagogique du degré auquel ils interviennent.

D’autres, sans qu’il importe de discuter ici de leur historicité avérée, ont à ce point laissé une empreinte profonde dans notre conscience collective qu’ils ont en tous cas valeur de personnages historiques, du moins dans le monde occidental marqué par l’héritage judéo-chrétien et la culture qui en a découlé.
D’autres encore sont de pures créations des fondateurs de nos rites et rituels, façonnés de toutes pièces ou ayant leur origine dans un personnage historique ou culturellement connu. Pour autant que le nom du personnage puisse être retrouvé dans les écrits et les récits fondateurs de notre culture partagée, les attributs de ces personnages, leurs traits de caractère, comme leurs actes, faits et gestes sont de pure invention.
Ils sont ainsi les héros symboliques de notre geste initiatique.
Ils donnent un support, une figure humaine, aux attitudes et aux comportements que nous voulons explorer en nous, que nous proposons d’explorer en eux à ceux qui entament après nous ce cheminement à la fois exigeant et exaltant.
Il est dans cette galerie de portraits un personnage singulier ; sans aucun doute, le plus connu de tous ces personnages, commun aux divers Rites, reconnu par les Anciens autant que par les Modernes, les réguliers tout comme ceux qui ne le sont pas, les déistes, les théistes, mais aussi les athées et les agnostiques.
Il s’agit d’Hiram.

Hiram Abif, Hiram le Maître Architecte chargé par le Roi Salomon de bâtir non pas un temple quelconque, ni même le plus grand ou le plus beau des temples, mais Le Temple, celui qui devait être la demeure de l’Eternel, celui où la parole de l’Eternel gravée sur les tables de pierre enfermées dans le Tabernacle devait être abritée et vénérée.
Hiram, le personnage clé de la Franc-maçonnerie, celui dont la mère, veuve, est aussi notre mère puisque nous sommes ses Enfants, n’est-il donc qu’un héros imaginaire ?
Pas tout à fait, bien sûr, puisque la Bible fait mention spécifiquement d’un Hiram parmi les artisans réunis par le Roi Salomon pour construire et orner le Temple et ses abords.
Mais nullement dans le rôle prééminent que lui attribue la tradition maçonnique.
La question se pose dès lors de l’appropriation par la Franc-maçonnerie de ce personnage, afin d’en comprendre le sens et la portée.
En d’autres termes, de réfléchir à la construction d’un mythe, du mythe central de la Franc-maçonnerie spéculative. Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler ici quelques éléments caractéristiques d’un mythe.
Un mythe peut être défini comme un récit fondateur et explicatif d’un comportement social.
Il se distingue d’une légende en ce que celle-ci se réfère à certains éléments factuels, même s’ils sont largement déformés.
Je précise à cet égard que si je privilégie le terme de « mythe » à propos d’Hiram, c’est que la transformation d’un habile artisan fondeur de bronze en l’unique maître architecte chargé de conduire l’érection du Temple est plus qu’une déformation, une transformation significative.
Le Hiram de la Bible et le Hiram de la Franc-maçonnerie ont en commun un prénom, une époque et un chantier. Mais finalement guère plus.

On peut dire des récits mythiques qu’ils ne sont pas de simples récits romanesques, ni poétiques. Rien n’est gratuit ni arbitraire dans leur construction. Ils véhiculent et utilisent des archétypes, qui s’avèrent communs à toutes les sociétés, à toutes les cultures, à toutes les époques. Les mythes racontent une histoire ancienne, à laquelle est conférée une dimension sacrée.
Mircea Eliade, que d’aucuns considèrent comme proche de la Franc-maçonnerie alors que plusieurs de ses écrits sont sinon anti-maçonniques du moins assez méprisants pour la maçonnerie, considérée comme simpliste dans ses jugements, a en tous cas été un contributeur indiscutable à l’étude du sacré, des mythes et des croyances religieuses. Eliade explique qu’un mythe est construit pour être exemplaire. Et il précise que « le mythe est assumé par l’homme en tant qu’être total, il ne s’adresse pas seulement à son intelligence ou à son imagination. ». Cela signifie que le mythe demande à être cru : l’adhésion au mythe est l’acte de foi initial, le pré-requis indispensable à l’intégration parmi les adeptes.
Paul Ricoeur a joliment écrit que « le mythe est une espèce de symbole en forme de récit, articulé dans un espace – temps hors de l’histoire et de la géographie », en tous cas qui s’affranchit de l’histoire et de la géographie
Comme le notait Raoul Berteaux, « le mythe est historiquement faux, mais psychologiquement réel. Il n’y a pas réalité historique, mais réalité psychologique ».
En fait, les mythes diffèrent des légendes par plusieurs critères. Pour Ralph Stehly, professeur d’histoire des religions à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, il y a trois critères principaux de différentiation :
1) Le caractère sacré des mythes. Le mythe est une histoire sacrée. Non seulement le thème des mythes n’est pas ordinaire, mais leur narration même est considérée comme ayant quelque vertu en elle-même.
2) Le mythe n’est pas raconté n’importe quand, mais pendant les cérémonies d’initiation, pendant le rite.
3) La thématique a toujours trait aux origines : comment et aux termes de quels enchaînements on est arrivé à l’environnement existentiel qui caractérise la situation d’aujourd’hui. Le thème des mythes a toujours trait à un commencement ou à une transformation.

Le mythe d’Hiram appartient à la catégorie des mythes d’identité. Il devient véridique dès lors qu’il est répété par les membres du groupe qui se reconnaissent en lui et se réclament de sa postérité. Pour s’en tenir au mythe d’Hiram et à sa construction, il faut naturellement commencer par évoquer ici le Hiram mentionné par la Bible. Le roi David, l’ancien berger vainqueur de Goliath, le poète auteur des Psaumes, avait formé le projet de construire un temple pour l’Éternel, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui avait fait sortir son peuple Israël d’Égypte sous la conduite de Moïse.
Mais David n’avait pu mener son projet à bien. Son fils Salomon entreprit donc de bâtir l’édifice. Il s’adressa au roi de Tyr, prénommé Hiram. En échange d’une portion du territoire de Galilée, qui appartenait au royaume d’Israël, et de quantités de blé et d’huile vierge, Hiram roi de Tyr fit abattre et livrer à son voisin d’importantes quantités de bois de cèdre et de genévrier. Il lui loua également les services de plusieurs artisans, maîtres dans l’art de la construction. Le Livre des Rois (I Rois, VII, 13-45) rapporte que parmi eux, Salomon demanda d’engager le fils d’un tyrien, artisan du bronze, décédé, et dont la veuve était une Israélite de la tribu de Nephtali. Succédant à son père, le fils, lui aussi prénommé Hiram comme le roi de Tyr, était devenu à son tour fondeur et sculpteur de bronze.
Hiram le bronzier réalisa divers ornements essentiels de la Maison du Seigneur voulue par Salomon, et en particulier les deux colonnes dressées à l’entrée du Temple ainsi que la Mer d’airain.
On trouve une seconde mention d’Hiram dans le corpus biblique.
Plus de trois siècles après la rédaction du Livre des Rois que nous venons d’évoquer, fut rédigé le Livre dit des Chroniques. Dans ce texte Hiram, dont le nom est devenu Houram, (avec un vav à la place du iod: 2Chroniques ; 2, 12-13). Il y est le fils d’une femme, d’entre les filles de Dan, sans mention de son ascendance paternelle.Il y est un personnage plus important que dans le récit des Rois : de spécialiste du bronze, il est devenu maître – artisan expert en de nombreuses techniques.

Salomon demande en effet à Hiram roi de Tyr de lui envoyer un «homme qui s’entende à travailler en or, en argent, en airain, en fer, en écarlate, en cramoisi, et en pourpre, et qui sache graver, [afin qu’il soit] avec les hommes experts que j’ai avec moi en Judée, et à Jérusalem, lesquels David mon père a préparés. » (2 Chroniques 2-7).
Et le roi de Tyr lui répondit : « Je t’envoie donc un homme habile et intelligent, Huram-Abi, fils d’une femme d’entre les filles de Dan, et d’un père Tyrien. Il est habile pour les ouvrages en or, en argent, en airain et en fer, en pierre et en bois, en étoffes teintes en pourpre et en bleu, en étoffes de byssus et de carmin, et pour toute espèce de sculptures et d’objets d’art qu’on lui donne à exécuter. Il travaillera avec tes hommes habiles et avec les hommes habiles de mon seigneur David, ton père. (2 Chroniques 2- 13et 14).
En trois siècles de transmission, Hiram a pris de l’importance, de l’épaisseur. Il semble donc qu’une légende autour de ce personnage se développa dès l’Antiquité.
Cela dit, en dehors de cette mention, et de la liste des pièces de bronze poli fondues par l’artisan, aucun détail n’est donné sur la vie d’Hiram, et pas davantage sur les conditions de sa mort.
Un Midrash – commentaire herméneutique d’exégèse biblique – raconte seulement qu’alors que tous les ouvriers qui avaient participé à la construction du Temple furent tués, selon l’usage instauré par les Égyptiens pour les ouvriers des Pyramides, Hiram fût appelé directement au ciel, comme Énoch l’avait été avant lui.
Se pose donc bien la question de l’intrusion d’Hiram dans le corpus maçonnique.
Il faut rappeler que les Maçons opératifs se référaient déjà à diverses légendes, et parmi celles-ci, divers récits liés à la construction du Temple de Jérusalem, faisant allusion à David et, bien davantage, à Salomon. La Maçonnerie ne comportait alors que deux degrés : Apprenti et Compagnon. Lorsque le grade de Maître devint le degré fort de la maçonnerie symbolique, la légende d’Hiram prit l’importance que nous lui connaissons aujourd’hui.

Philippe Langlet, dans son livre Sources chrétiennes de la légende d’Hiram a recherché la trace d’Hiram à travers plus de cinquante versions différentes, afin d’en trouver le fil conducteur, la trame unificatrice. Son travail « piste » ainsi Hiram, ou plutôt son mythe ou sa légende des sources les plus anciennes jusqu’aux rituels d’aujourd’hui.
Notre Frère Philippe Langlet montre dans cet ouvrage comment, à partir du 17ème siècle, la vie et la mort d’Hiram tel que la Bible les évoque, ou plutôt ne les évoque pas., ont été adoptés par les Maçons. Il présente la suite des enrichissements légendaires qui, progressivement, vont façonner le mythe initiatique qui inspire nos rituels et nos Rites. Car s’il existe des variantes d’un Rite à l’autre, les constantes invariantes dominent.
Pour s’en tenir à ce qui est sérieusement documenté, on retrouve la première mention connue du mythe d’Hiram dans la divulgation Masonry dissected de Samuel Prichard publiée en 1730. Il est question ici d’Hiram comme héros emblématique dont le sacrifice servira d’ossature à la légende du troisième degré et, s’agissant du REAA, de point de départ à tout le moins aux 11 degrés suivants.
Il n’existe aucun document connu à ce jour nous éclairant sur la genèse de la référence hiramique et son introduction dans le corpus fixé depuis longtemps de la maçonnerie de métier. Tout au plus quelques écrits légitimant l’adjonction au cadre maçonnique traditionnel la thématique de la mort et de la résurrection.

La légende des Quatre Fils d’Aymon fait assassiner Renaud de Montauban, trop travailleur, trop parfait, pour n’être pas gênant. Mais plus encore, on peut évoquer aussi bien la mort et la résurrection du Christ que celles d’Osiris, ou encore de Maître Jacques, que la mythologie compagnonnique fait mourir sous les coups de cinq compagnons. Le fond du mythe est bien un archétype, que l’on retrouve dans de nombreuses traditions, à de nombreuses époques : un homme instruit des mystères, un homme éclairé, meurt sous des coups portés avec une violence aveugle.
Les ténèbres semblent triompher de la lumière.
Naturellement, les exégètes et les commentateurs ne manquent pas de relever que si Hiram, son œuvre achevée, était mort dans son lit longtemps avoir été fêté et récompensé par Salomon, il n’aurait pu devenir le héros de la dramaturgie maçonnique.
Il faut au mythe une dimension sacrificielle. La mort, brutale, violente, cruelle, est nécessaire, pour sublimer l’individu.
Osiris sera déchiqueté par Typhon, le Phénix se consume face au Soleil dans une agonie atroce.
Il faut qu’il y ait un crime rituel pour qu’Hiram accède à sa véritable dimension.
On pourrait au demeurant dire la même chose du Christ, de Jésus flagellé et crucifié.
Au reste, il me semble bien que notre Frère Michaël Segall ait fait en son temps ce parallèle, aucunement blasphématoire : la mort d’Hiram paraphrase la mort du Christ qui elle-même apparaît selon les plus antiques civilisations dans le trépas d’un dieu.
Dans le contexte initiatique qui nous concerne, et pour supporter l’une des idées forces qui fondent notre idéal et notre ambition, il faut voir en Hiram le symbole de la connaissance qui ne peut être abolie, de la lumière qui ne peut être éteinte malgré les agressions et les complots. Hiram est ainsi l’archétype de l’initié qui accepte de mourir, qui fait le choix de mourir, pour pouvoir renaître.
En tout état de cause, on trouve une brève évocation d’Hiram dans les Constitutions d’Anderson dans leur édition première de 1723, où il est simplement mentionné comme l’homonyme du roi de Tyr et le maçon le plus parfait de la Terre. Rien de plus dans l’édition de 1738, qui évoque pour la première fois un troisième degré établi à Londres en 1726.
En 1726, précisément, est rédigé le manuscrit Graham. Le cadavre d’Hiram et ce qu’il en advint y figurent explicitement.
Le célèbre Discours du chevalier de Ramsay de 1736 évoque l’« illustre sacrifice » d’Hiram, « premier martyr de notre Ordre ».
Le rituel dit Three Distinct Knocks de 1760 fait la même référence dans la description
d’une cérémonie d’initiation au 3ème degré et en fait remonter la pratique aux Loges des Antients, donc probablement avant 1717.

On peut citer encore l’une des versions les plus anciennes de ce récit, qui apparaît dans L’ordre des francs-maçons trahi et leur secret révélé (1744) : Adoniram, Adoram ou Hiram, à qui Salomon avait donné l’intendance des travaux de son Temple, avait un si grand nombre d’Ouvriers à payer qu’il ne pouvait les connaitre tous ; il convint avec chacun d’eux de Mots, de Signes et d’Attouchements différents, pour les distinguer…
Je le répète ici : si Hiram était mort comme on dit « de sa belle mort », honoré et couvert de gloire une fois son œuvre achevée, il ne serait en aucune manière le héros de notre cheminement spirituel.
Il faut donc déjà l’admettre : il fallait qu’Hiram meure prématurément, laissant son œuvre inachevée.
Pour conclure, tentons de replacer le mythe d’Hiram dans une perspective élargie, celle d’une légende fondatrice, celle d’un deuil consécutif à un meurtre, présente dans de très nombreuses traditions.

Certains auteurs, comme Julien Behaeghel, ont proposé de faire une analogie entre le mythe d’Hiram et le mythe osirien. Julien Behaegel, né en 1936, fut pendant un an moine dans une Trappe cistercienne. Puis il entreprit une longue quête existentielle, un voyage initiatique dans une perpétuelle recherche de sens. Franc-maçon initié à la R. :L. : L’Équité de la Grande Loge de Belgique, son œuvre, tant littéraire qu’artistique, est toute entière tournée vers l’exploration du symbole. Il a enseigné la psychologie du symbole à Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Julien Behaeghel est mort en juillet 2007. Dans son livre Osiris, le dieu ressuscité (Berg, 1995), il s’efforce d’élucider le mythe fondateur sans lequel, dit-il, on ne peut rien comprendre au sacrifice divin. Et il évoque là l’importance de Jung et de son douloureux divorce d’avec Freud. “Même athée, on est dualité, matière et esprit. Rencontre des contraires, ombre et lumière. On porte tous en soi une déchirure, et le désir de faire l’unité, c’est-à-dire de reconstruire l’homme total.” Selon Behaeghel, par rapport au mythe d’Isis, le mythe d’Hiram est dénaturé par l’absence de la vierge initiatrice, représenté par Isis dans le mythe égyptien. Or il y a bien une vierge dans l’histoire de la construction du Temple, la reine de Saba, proche de Salomon et dont Behaegel fait l’hypothèse que, dans la fiction hiramique construite par les fondateurs de la franc-maçonnerie, elle n’aurait pas manqué d’avoir été en relation avec Hiram, l’architecte et le maître d’œuvre devenu intime de Salomon.

Il faut rappeler en effet qu’Isis, femme-sœur d’Osiris, reconstitue Osiris (elle rassemble ce qui est épars), non pas afin qu’il reprenne vie lui-même sur Terre, mais pour qu’il règne au ciel. Isis ressuscite Osiris pour que son expiation devienne exemplaire. L’être humain ne peut s’améliorer qu’en connaissant ses limites et ses fautes, qu’en connaissant le drame. Mais l’espoir – d’aucuns parlent ici d’espérance – doit prendre le pas sur le désespoir : Isis la veuve va donner vie à Horus pour venger Osiris. Les divers Rites maçonniques ont repris, comme nous le savons, ce thème de la vengeance.
D’où la proposition de Julien Behaegel de rétablir le mythe dans son intégrité, c’est-à-dire dans ce qu’il présente comme sa quaternité fondamentale (Seth – Osiris – Horus – Isis). Dans la pensée égyptienne traditionnelle en effet, la cosmogonie ne peut se réaliser ni se vivre que si sa structure est quaternaire. La quaternité, et non la trinité, était considérée en Egypte comme l’espace de la Manifestation.
De là l’idée qu’il ne peut y avoir d’initiation véritable sans mort symbolique suivie d’une résurrection spirituelle par la ” Sagesse ” de la vierge de régénération. C’est cette solution ” quaternaire ” qui serait à même de reconstruire le mythe et d’en rétablir la force initiatique primordiale.
Behaegel considérait que l’initiation est une quête de l’âme, qui requiert des voies pour accéder au centre du monde et de la création. Ainsi la mythologie se donne-t-elle à lire selon plusieurs degrés. “Plus on avance dans l’interprétation symbolique, plus elle est infinie. C’est savoir, lors même que nous sommes dans les ténèbres, que la lumière brille. C’est une discipline de vie librement consentie. On ne peut être heureux que si l’on fait ce qu’on a le sentiment d’avoir à faire.”
On peut également faire un rapprochement entre le mythe d’Hiram et celui d’Hermès, Toth pour les Égyptiens. Toth est l’architecte du monde et au Commencement, il est le Verbe. Toth, comme Hiram, représente la force de la construction, la connaissance de l’architecture, symbolisant la construction du Monde. D’autres auteurs ont montré que la légende ou le mythe d’Hiram tel que la Franc-maçonnerie l’a façonné a pu être inspiré par l’Énéide de Virgile, notamment les livres 3 et 6.

Virgile, dans cette fresque prodigieuse, nous raconte comment Énée, dans sa descente aux Enfers, à la recherche son père Anchise, prit un rameau d’or. Compte tenu du lieu où l’histoire se déroule, on peut penser qu’il s’agit d’un rameau d’acacia. Plus tard, Enée retrouvera également le corps de Polydor, le fils de Priam, grâce à un rameau arraché à un buisson.
Notre Frère suisse Jean-Daniel Graf, co-rédacteur de la revue Masonica – la revue du Groupe de Recherche Alpina – a relevé d’indiscutables analogies entre le sens initiatique du mythe d’Hiram et celui des personnages successivement rencontrés par l’impétrant au cours des initiations tantriques.
Dans ces diverses traditions, la mort violente du héros mythique est une mort libératrice, qui en quelque sorte va condamner les disciples à la liberté. Et l’on pourrait ajouter que les assassins, qui représentant la transgression, la révolte, la désobéissance, ont par là même un rôle symbolique que l’on retrouve lui aussi dans de très nombreuses cultures.
Terminons en évoquant la version du mythe d’Hiram écrite par Gérard de Nerval dans le chapitre Histoire de la reine du matin et de Soliman de son ouvrage Le Voyage en Orient, Les nuits du Ramazan écrit en 1850, Nerval offre un récit où se retrouvent toutes les passions, tous les sentiments, qui vont nourrir les degrés successifs proposés à l’initié pour lui permettre de les reconnaître en lui et de les contrôler. Amour, passion, fanatisme, envie, jalousie, amour propre, orgueil et lâcheté sont mis en scène dans une transposition superbe, qui renvoie le lecteur, bien sûr, à ses propres limites, à ses propres vices.
Hiram est un archétype. Les archétypes sont porteurs de sens bien au-delà de ce que la réalité historique pourrait donner à considérer. Grâce à la mort du Maître, qui est la condition nécessaire pour qu’il puisse être transcendé par la grâce de la résurrection ou plutôt de la renaissance, la construction de notre édifice vertueux peut se poursuivre.
Hiram doit mourir, il doit mourir tragiquement. Hiram doit être assassiné !
Car l’objet même de notre engagement maçonnique est là : fuir le vice et pratiquer la Vertu. Le mythe d’Hiram est dans notre tradition le vecteur de son enjeu essentiel, la lutte du Bien contre le Mal.
Le Livre des Rois, au reste, rapporte cette requête explicite de Salomon à l’Éternel : « Accorde à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner le Bien du Mal. ». Comme tout processus initiatique, le nôtre doit être marqué par la mort du Viel Homme. Hiram a été choisi, construit, pour être le héros mythique dont le Rite a besoin pour prendre son sens. Au terme de la cérémonie d’initiation au 3ème degré, le Bien a triomphé du Mal puisque à travers le nouveau Maître, Hiram va reparaître « aussi radieux que jamais »…
Le mythe d’Hiram est le récit fondateur, initiateur, du parcours, sa condition nécessaire. C’est sur ce mythe primordial que les divers systèmes de grades et de degrés prennent appui.
La progression de l’Initié ne s’arrête pas là pour autant
Mais ceci serait une autre histoire…
Oui Hiram doit être tué ! Aussi peut-on s’interroger sur le rôle des mauvais compagnons qui accomplissent cette nécessité : https://450.fm/2021/06/07/y-a-t-il-de-mauvais-compagnons/