Tentons d’analyser une chose qui n’existe probablement pas, en dehors de l’esprit humain, le temps.

L’expression métaphorique, « le temps passe » nous la devons au philosophe Héraclite. Nous l’utilisons parce que nous constatons des changements. On ne voit pas le temps, ce que nous percevons, ce sont les phénomènes physiques.
Saint Augustin écrit dans le livre XI de ses Confessions : Le monde a été fait non dans le temps, mais avec le temps.
Même si comme il est probable nous ne pourrons par le seul exercice de notre raison y apporter de réponse en toute certitude, pouvons-nous espérer par notre modeste réflexion donner lieu à quelques présomptions intéressantes.
Voici l’Homme, produit d’une lente transformation, devenu sapiens par son cortex cérébral superposé à sa mémoire reptilienne prend en effet conscience d’un passé, d’un présent et d’un futur.

L’idée de présent se conçoit et se présente à nous avec un avant et un après et, s’y associe dès lors l’espace et la notion d’infini, ce qu’illustrera Bergson dans « les données immédiates de la conscience ».
Plus tard, Auguste Comte, autre éminent philosophe, qualifiera « d’âge positif » le terme de l’évolution de l’esprit humain avec la prééminence de l’esprit scientifique comme forme la plus aboutie.
Dès lors, il nous sera permis de penser que cette illusion d’un avant, d’un après, est une représentation objectivement fausse de la réalité du temps à laquelle notre intérêt est attaché plus que tout pour peu qu’elle nous protège de l’agression de la vérité sur la mort.
Le temps passe, les gens changent mais les souvenirs demeurent… Enfin, tant que le cerveau ne fait pas défaut.
Ce sont nos souvenirs qui font de nous ce que nous sommes. Et ce sont nos rêves ou utopies qui feront de nous ce que nous deviendrons. Pris dans la tenaille dont les deux mâchoires sont le passé et l’avenir, le présent n’a aucune réalité. Certaines langues d’ailleurs, refusent de conjuguer le verbe « être » au présent ; Il y a du sens à dire « je serai » ou « j’étais » ; il n’y en a pas à dire « je suis ».
Le présent est éphémère, dès qu’il est, il n’est plus
(il devient immédiatement passé).
Le début de mon exposé appartient déjà au passé.
La mesure du temps a rapidement été une préoccupation importante, notamment pour organiser la vie sociale, religieuse et économique des sociétés. C’est dès la plus haute antiquité que l’homme a senti le besoin de mesurer le temps. Cela a toujours été une des préoccupations majeures de l’humanité.
- Le temps peut être linéaire ou cyclique.
- Temps linéaire, exemples : de la naissance à la mort, succession d’événements…
- L’homme pense le temps à partir de trois mots : le passé, le présent et le futur.
- Temps circulaire (temps cyclique) exemples : alternance jour / nuit, les mois, les saisons…
La conception d’un temps cyclique ayant la forme d’une roue s’est rapidement développée dans diverses civilisations, sans doute par analogie avec les différents cycles de saisons, des lunaisons, du jour et de la nuit…C’est cette notion que Mircea Eliade nommait « Le mythe de l’éternel retour »
Le futur est un temps fondamentalement imaginaire. On ne peut que faire le pari qu’il existera. Cette partie du temps que nous nommons le « futur » n’a donc pas encore d’être. Le passé est terminé et donc n’existe plus.

Dans le Timée l’émule de Socrate enseigne déjà : « Ce que nous appelons le temps n’est autre que le reflet mouvant et irréel de l’éternité.»
Sauf qu’à quelque chose près entre « illusion » et « reflet mouvant et irréel » l’apparente symbiose de la formulation du physicien avec celle du penseur antique ne saurait nous faire oublier la vraie nature du temps réel : son irréversibilité, son indivisibilité et l’idée de mouvement contenue dans la simultanéité définie par Einstein.
Le temps existe-t-il dans les choses où est-il simplement une relation, un mode subjectif de représentation du monde par notre conscience.
Pour Newton le temps absolu, vrai, mathématique serait celui sans relation avec l’extérieur et s’écoule uniformément. Il serait un attribut de Dieu par la notion d’infini des choses qu’il suggère.

Pour Kant, il n’est pas davantage possible de considérer le temps comme une réalité absolue. Dans cette critique de l’infini, Kant considère le temps non comme un concept mais comme une forme a priori de la sensibilité. Ce en quoi Renouvier voit une catégorie de l’entendement lui-même et donc de la raison. Le temps serait alors une idéalité. Comme l’a bien vu Meyerson, l’idéal de la raison serait alors de conjurer l’irréversibilité temporelle et pour cela réduire et identifier les événements de l’Univers entre eux, alors le réel perdrait toute consistance !
Reconnaître à contrario l’irréversibilité, c’est admettre ce jaillissement de nouveautés engendré parfois dans le chaos, parfois par le hasard ce que révèlent aujourd’hui bon nombre de disciplines scientifiques au grand dam des déterministes, c’est la durée.

Pour Bergson, le temps réel s’identifie au mouvement réel de la vie, c’est-à-dire de la durée vécue qui est indivisible autant qu’irréversible.
Devons-nous conclure avec Bergson que l’intelligence humaine se caractérise par une incompréhension de la durée. Ce serait réduire la conscience à sa seule capacité de logique déductive, alors même qu’une autre dimension de la conscience nous confère une logique dialectique qui, par contradictions surmontées, peut nous faire saisir les lois du devenir.
Pourtant, le propre de la conscience humaine est de se projeter vers le futur. Or, la conscience de notre mortalité se pose comme une limite à nos projections dans le futur. La conséquence de cette prise de conscience, selon Heidegger, c’est le souci, les ambitions, autrement dit la préoccupation quant au sens que nous allons donner à notre existence. C’est là qu’intervient la conscience et la satisfaction de bien faire. Celui qui agit à contre sens ne leurre que lui-même et mine inéluctablement les fondations de son temple.
On peut se poser la question de savoir si l’écoulement du temps a des extrémités ? Cette question, qui renvoie aux croyances innombrables sur la genèse et la fin du monde, a été posée par de nombreux chercheurs et penseurs et religieux. Je ne vais donc pas sciemment entrer dans les théories religieuses.

Selon la théorie du Big Bang, l’Univers a eu un début, il y a environ 16 milliards d’années. C’est là que le temps aurait commencé, et que l’espace et la matière seraient apparus. Ce qui me paraît probable.
Et « avant » ? Si l’Univers a connu un instant primordial, initial, il ne s’appuie sur aucun phénomène physique, l’Univers n’existant pas encore à cet instant primordial.

De plus, outre le point de vue scientifique, comment imaginer le fait que le temps ait eu un début, et que la question « qu’y avait-il avant le début du temps ? » n’ait pas de sens ? Difficile ! Ainsi on peut dire que le temps n’existe pas dans l’univers et qu’il est une invention typiquement humaine pour marquer les étapes de notre vie.
Etrangement, la remarque essentielle a été formulée au IVème siècle par saint Augustin constatant : “Je sais que si rien ne se passait, il n’y aurait pas de temps passé.” En effet, quand rien ne se passe, quand aucun évènement ne se produit, pourquoi être assez pervers pour inventer un temps qui passé ? L’essentiel est peut-être intemporel. Réaliser un bel objet, un chef d’oeuvre, une belle théorie, c’est, il me semble, échapper au pouvoir destructeur du temps.
Là est l’intemporel.
Voyons maintenant les symboles en loge sur le temps.
Mystique par intuition, philosophe qui s’ignore, ouvrier de perfection telles sont les règles que le franc-maçon essaie d’appliquer et ou de résoudre. Chercheur de vérité et de lumière, le doute et le travail le fait avancer et le construit.

Pour le Franc-maçon, le Chantier s’ouvre à Midi et se ferme à Minuit.
Il est habité par le « Qui suis-je ? D’où je viens ? Où vais-je ? » Et il essaie d’y répondre à partir de sa condition d’éveillé par l’initiation.
Notre vie maçonnique a commencé dans le Cabinet de Réflexion, là où l’on se sent « hors du temps », ne le maîtrisant absolument pas, là où il est impalpable.
Nous sommes entrés dans le temps sacré qui n’a ni commencement, ni fin.
Les symboles, eux, par contre sont intemporels.
On a tous médité sur le symbole le plus représentatif du temps : le sablier.
Celui-ci interpelle beaucoup, car il est indissociable d’une conception cyclique du temps.
Illusion du temps, mais surtout certitude de brièveté : le sablier n’est pas une invitation à désespérer, mais au contraire, nous invite à nous hâter de bâtir notre Temple intérieur.

Dans le cabinet de réflexion, on trouve aussi le dessin d’une faux, symbole de mort, signifiant l’inexorable finitude des hommes. La faux peut être un instrument de châtiment, elle peut trancher la vie, mais aussi les illusions, les erreurs. Elle sert aussi à couper les récoltes ! Je ne citerai que le blé pour illustrer qu’après la coupe des épis, les grains re-semés vont repousser. Ne dit-on pas aussi que tout finit, afin que tout recommence !… Tout comme un jour, nous avons dû mourir à notre vie profane, pour vivre notre vie d’initiée.
Lors de chaque Tenue, nous évoquons souvent la notion de temps : nous ouvrons et nous refermons les Travaux. Il y a le temps du Travail et le temps du repos. Entre Ouverture et Fermeture des Travaux se situe le Temps sacré, renouvelé à chaque Tenue. Une parenthèse dans nôtre vie.

Tout comme les dimensions du Temple sont sans limites réelles, la voûte étoilée en témoigne, de même nos références chronologiques se situent en dehors du temps profane. C’est ainsi que les Ouvriers que nous sommes travaillent allégoriquement de Midi à Minuit.

Lorsque le Franc-maçon entend « Il est Minuit ! », c’est l’heure de terminer les Travaux, qui ont commencé à Midi. Pourquoi commencer à Midi et terminer à Minuit, dans une culture moderne de loisirs et d’horaires variables ? L’explication historique venant à l’esprit est simple. Les rites maçonniques sont des rites solaires. Midi est l’heure où le mouvement visible du soleil est suspendu. C’est aussi le moment qui ne varie pas, par rapport au lever et au coucher du Soleil qui se déplace au fil des jours.
Il faut remarquer que Midi est le moment où l’ombre portée par le corps est minimale ; c’est donc le temps de l’illumination maximale. Quant à Minuit, dans la mesure où le monde profane est celui des Ténèbres, en tout cas par opposition à la Lumière à laquelle accède l’Initié, il est normal que le retour à ce monde profane se fasse à l’heure où règne l’ombre absolue.
Le temps en Loge est au-delà du temps. La Loge est une représentation du cosmos, dans l’espace et le temps universels. Tout comme dans l’univers le temps n’existe pas.
Dans le Temple, espace sacré, c’est le rituel qui nous plonge dans ce temps mythique. Par sa tradition initiatique et symbolique, la Loge nous permet de prendre la juste mesure du temps grâce aux outils. Le rite sacralise le Temple et le temps, entre la découverte et le recouvrement du Tableau de Loge.
On ouvre, et on ferme les travaux, il y a le temps du travail et le temps du repos.

En tenue nous partageons aussi un temps important : le temps de parole. Savoir attendre, réfléchir, ne pas se précipiter, sont autant de gages de bonne gestion du temps. Savoir être circoncis pour ne pas pénaliser le temps de parole de ses frères mais aussi savoir se taire. La capacité de différer à sa prise de parole est le moyen d’apprendre à se projeter, et ainsi à construire de façon plus solide.
Ensuite la règle, qui est divisée en 24 parties égales, rappelant les 24 h d’un jour. Jour, où brillent tour à tour le soleil et la lune.
Elle symbolise aussi l’œuvre : commencement et fin.
Ensuite les grenades, symbole végétal rappelant entre-autres le cycle des saisons : le rythme cosmique de mort et de renaissance ; tout comme l’alternance de l’été et de l’hiver, ponctuée par nos chers Solstices.
Nos deux St Jean illustrent bien le processus du temps qui recommence sans cesse.

Quand on est dans une St Jean, on ne peut voir l’autre St Jean. Il faut mourir pour renaître, c’est pourquoi Jean Le Baptiste : vieillard symbolisant le temps passé, cède la place à Jean l’Evangéliste : jeune et représentant l’avenir. Et ainsi de suite…Il en est de même en loge où les ouvriers se remplacent et où les anciens cèdent la place aux plus jeunes. En cela, ils sont un peu comme JANUS, dieu ambivalent à deux faces adossées qui marque l’évolution du passé à l’avenir, sans pour autant, remarquons le : figurer le présent !!

Notre chaîne d’union concrétise un moment qui unit passé et présent.
Elle anéantit le temps, et unit le visible à l’invisible.
Au regard de l’humanité, nous ne sommes que l’empreinte d’un pas sur le sable de la mer ; aujourd’hui contentons nous d’essayer d’être meilleurs, pour que demain notre microscopique semence d’amour enrichisse « l’autre ». Le maillon seul n’est rien, seule la chaîne compte au fil du temps. L’Ecclésiaste note avec amertume : « Le sage meurt aussi bien que le fou. »
Le Franc-maçon doit donc s’affairer à répercuter au-dehors, ce qu’il a acquis au-dedans et ce, en permanence, 24 heures sur 24.
A quoi servirait-il de plancher sur des thèmes séduisants si c’est pour ne pas être sensible à ces valeurs dans la vie profane ? L’éphémère plaisir de posséder des degrés ne saurait remplacer la satisfaction du devoir accompli dans le monde profane. Le Franc-maçon doit répondre à tous ses engagements et responsabilités dans ses deux vies totalement liées et qui semblent indissociables.
Le Franc-maçon construit. Il a un idéal, qui bien loin d’être atteint, reste une magnifique ambition et une direction à suivre. Son action s’accomplit donc au présent sans ignorer l’apport d’hier mais tout en considérant l’incertitude de l’avenir.

Que restera-t-il de nous après être passé à l’Orient Eternel, si ce n’est l’empreinte de nos actes ?
N’est-on pas Maçon toute sa vie ? Chaque jour et à chaque heure du jour ?
Le temps reste le temps, surtout présent, et on peut le qualifier de « maçonnique » parce que nous avons été initié.
Au terme du parcours, quand le temps aura fait son œuvre sur nous, essayons tout de même de garder le lyrisme bon de St Exupéry dans « Le Petit Prince » En effet, dans le passage où le renard apprend au Petit Prince comment aimer, il lui explique que « c’est le temps « perdu » pour quelque chose, ou pour quelqu’un, qui le rend important. »
Tous les éléments qui composent notre vie sont expériences et repères ; mais ils ne sont pas « nous », ce ne sont que nos révélateurs. Ils nous inscrivent dans le temps, ils sont notre empreinte. Nous sommes tous dans une tenaille dont les 2 mâchoires sont le passé et l’avenir.

Le présent n’a aucune réalité durable. C’est juste un petit pont jeté entre passé et avenir. : « Tout s’écoule », proclamait Héraclite.
Comme le demandait à l’Éternel le Roi Salomon « Accorde donc à ton serviteur un cœur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner le Bien du Mal. ». Conformons-nous, en toute circonstance, au Bien, sans complaisance pour nos préjugés et nos intérêts. Souvenons nous que les nobles pensées viennent du cœur et que l’accomplissement du Devoir exige souvent un sacrifice. Ayez toujours présentes à l’esprit la brièveté de la vie humaine et l’immense tâche que nous devons accomplir. Ne vous attardez pas dans les sentiers fleuris, mais hâtez vous de gravir les pentes abruptes de la montagne, de crainte que la Mort ne vous surprenne avant que vous n’ayez approché du sommet.
Alors, ne perdons pas de temps !