dim 09 mars 2025 - 22:03

« Le Fil de Pénélope » et la Franc-maçonnerie – une trame ésotérique commune

Dans les rayons des librairies spécialisées ou les bibliothèques des initiés, Le Fil de Pénélope d’Emmanuel d’Hooghvorst trône comme une énigme. Ce recueil en deux tomes – le premier publié en 1996, le second en 1998, tous deux réédités par les Éditions Beya – n’est pas un roman d’aventures, mais une plongée dans l’hermétisme, l’alchimie et la quête spirituelle.

Emmanuel d’Hooghvorst

Son auteur, un baron belge érudit, y tisse une réflexion profonde sur les fables et les mystères de l’humanité. Et si cette œuvre semble éloignée des loges maçonniques, elle partage avec la franc-maçonnerie une trame commune : celle d’un savoir caché, d’un fil conducteur menant à la lumière. À l’heure où la franc-maçonnerie française, du GODF à la Grande Loge, fait face à des scandales (comme celui d’Alain Bauer, condamné le 4 mars 2025 selon Franceinfo) et à des fake news (Sudinfo.be, 4 mars 2025), explorer ces liens offre une perspective fascinante.

Emmanuel d’Hooghvorst : un hermétiste en quête de vérité

Né en 1914 à Anvers, Emmanuel d’Hooghvorst n’était pas un écrivain de salon. Fils d’une famille noble, il se forme aux humanités classiques avant de se passionner pour les langues anciennes – latin, grec, hébreu, araméen – et les traditions ésotériques. Sa rencontre avec Louis Cattiaux dans les années 1940, auteur du Message Retrouvé, marque un tournant : il y puise une vision où art, religion et science convergent vers une vérité universelle. Le Fil de Pénélope naît de cette quête, d’abord sous forme d’articles pour La Tourbe des Philosophes et Le Fil d’Ariane, puis en volumes réunis peu avant sa mort en 1999.

Le tome 1, sous-titré Ou la Clef des Fables, est une odyssée intellectuelle. D’Hooghvorst y décrypte des contes de Perrault (Cendrillon, Le Petit Poucet), des mythes grecs (l’Odyssée), ou encore des textes sacrés comme la Genèse, avec une conviction : derrière chaque récit se cache une leçon alchimique ou spirituelle. Pénélope, tissant et défaisant son ouvrage pour attendre Ulysse, devient une allégorie de l’âme patiente, cherchant la lumière dans l’obscurité du monde. Le tome 2, plus technique, plonge dans l’alchimie : commentaires de textes médiévaux, réflexions sur le Grand Œuvre, et une vision où la transmutation du plomb en or est aussi celle de l’homme en être éclairé.

Une œuvre ésotérique, mais pas maçonnique ?

À première vue, Le Fil de Pénélope ne parle pas de franc-maçonnerie. D’Hooghvorst, discret sur sa vie privée, n’a jamais revendiqué une appartenance aux loges. Pourtant, ses écrits vibrent d’échos maçonniques. La franc-maçonnerie spéculative, née au XVIIe siècle en Angleterre et formalisée en 1717, s’est nourrie de traditions alchimiques et hermétiques. Elias Ashmole, l’un des premiers maçons documentés, était un alchimiste fervent, tandis que les symboles maçonniques – équerre, compas, pierre brute – évoquent le « travail » sur soi, thème central chez d’Hooghvorst.

Dans le tome 1, l’idée d’un « fil » reliant les fables rappelle le cordon maçonnique, symbole d’unité et de progression initiatique. Pénélope, patiente et rusée, pourrait être une figure du maçon polissant sa pierre : un labeur constant pour atteindre la perfection. Le tome 2, avec son focus sur l’alchimie, renforce ce parallèle. Selon Le Figaro (27 mai 2024), l’alchimie a influencé les hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), où la quête de la « lumière philosophale » rejoint celle de la « lumière maçonnique ». D’Hooghvorst, en citant des auteurs comme Basile Valentin ou Nicolas Flamel, s’inscrit dans cette lignée.

Pour écouter l’interprétation alchimique de la carte du tarot, La maison Dieu, telle que proposée par Emmanuel d’Hooghvorst dans son ouvrage Le fil de Pénélope :

La franc-maçonnerie et l’hermétisme : une histoire entrelacée

Série Gioviana. Cristofano dell’Altissimo, Portrait de Pico della Mirandola, vers 1552-1568.)

Pour comprendre ce lien, un détour historique s’impose. La franc-maçonnerie moderne, si elle se revendique aujourd’hui laïque au GODF ou spirituelle à la Grande Loge de France (GLDF), puise ses racines dans les guildes médiévales et les cercles ésotériques de la Renaissance. L’hermétisme, avec ses textes attribués à Hermès Trismégiste (le Corpus Hermeticum), a fasciné des penseurs comme Marsile Ficin ou Pic de la Mirandole, influençant les premiers maçons. Au XVIIIe siècle, des loges comme celles du Rite de Memphis-Misraïm intègrent explicitement des références alchimiques, tandis que le GODF, sous des figures comme Alain Bauer (2000-2003), explore des débats philosophiques proches de ceux de d’Hooghvorst.

L’analogie ne s’arrête pas là. Le « travail » maçonnique – réflexion en loge, rituels symboliques – fait écho au labeur alchimique de d’Hooghvorst : purifier, distiller, transformer. Dans Les Aphorismes du Nouveau-Monde, il écrit : « La lumière de nature est dans la pierre brute » – une phrase qui pourrait sortir d’une tenue du GODF. De même, son rejet de l’interprétation rationaliste au profit d’une lecture sensible rappelle la pédagogie maçonnique, où le symbole prime sur le dogme.

Une résonance contemporaine

Guillaume Trichard, ancien Grand Maître du GODF, plaidait en novembre 2024 pour une « démystification » (Sud Ouest, 26 novembre 2024) ; d’Hooghvorst, lui, propose une remystification, un retour aux sources ésotériques. Son « fil » pourrait être une réponse aux maçons déboussolés : chercher la lumière non dans les réseaux d’influence, mais dans la patience et la méditation.

Une œuvre initiatique pour maçons et profanes

Le Fil de Pénélope n’est pas un manuel maçonnique, mais il en partage l’esprit. Pour un frère de la GLDF, il pourrait enrichir les travaux en loge, notamment sur les grades alchimiques du REAA. Pour un profane, il offre une plongée dans un univers où les contes d’enfance deviennent des leçons de vie. Les Éditions Beya, qui rééditent l’œuvre, soulignent son universalité : « Une initiation par le texte », selon leur site.

Reste une question : d’Hooghvorst était-il maçon ? Rien ne le prouve. Sa discrétion, typique des hermétistes, laisse le doute. Mais son frère Charles, préfacier du tome 1, et son cercle proche gravitaient dans des milieux où la franc-maçonnerie belge (proche du GODF) était influente. Qu’il ait porté le tablier ou non, son œuvre tisse un pont entre l’alchimie et la maçonnerie, deux traditions unies par un même fil : celui de la quête de la lumière.

Conclusion : un fil à suivre

À l’heure où la franc-maçonnerie française oscille entre héritage et controverse, Le Fil de Pénélope invite à un retour aux fondamentaux. Emmanuel d’Hooghvorst, mort il y a 26 ans, n’imaginait sans doute pas que ses écrits résonneraient avec les défis de 2025. Pourtant, entre les scandales d’Alain Bauer et les rumeurs en ligne, son message – patience, symbolisme, transformation – offre une boussole. Pour les maçons comme pour les curieux, ce fil mérite d’être suivi, ne serait-ce que pour voir où il mène.


Sources :

  • Le Figaro, « La franc-maçonnerie sous Bauer », 27 mai 2024.
  • Éditions Beya, Le Fil de Pénélope, tomes 1 et 2, notices éditoriales.
  • Franceinfo, « Bauer condamné pour favoritisme », 5 mars 2025.
  • Sudinfo.be, « Fake news et franc-maçonnerie bruxelloise », 4 mars 2025.
  • Sud Ouest, « Trichard démystifie la franc-maçonnerie », 26 novembre 2024.

1 COMMENTAIRE

  1. Bravo et merci pour ce magnifique article ! Je pense moi aussi que la Franc Maçonnerie pourrait être véritablement revivifiée par la pensée d’Emmanuel d’Hooghvorst. Merci pour ces réflexions passionnantes !

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.
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