dim 09 mars 2025 - 15:03

Sagesse, Force et Beauté, une triade philosophique et spirituelle

Sagesse, ils en ont parlé

«Rien de divin ou de bienheureux n’appartient donc aux hommes, à part cette seule chose digne d’être prise au sérieux : ce qu’il y a en nous d’intelligence et de sagesse. En effet, parmi les choses qui sont nôtres, celle-là paraît être la seule immortelle, la seule divine.» Aristote, Protreptique

Du grec σοφία, Sophia, signifiant sagesse mais aussi savoir. En Grèce antique, la sagesse n’est pas forcément l’apanage du philosophe mais aussi celui de l’homme avisé, de l’artisan, du scientifique, ou du législateur, en phase avec son époque. Pour en savoir plus, découvrez les sept sages de la Grèce antique.

La sagesse est l’un des attributs de Dieu manifesté en Chokmah, une des séphiroth de l’arbre de vie de la kabbale. En psychologie occulte, Chokmah est associée à la perception soudaine d’intuitions fulgurantes, sous le titre d’intelligence illuminante ; la sagesse de Chokmah est la capacité à examiner la réalité à son niveau d’abstraction le plus élevé, jusqu’à être capable de percevoir ce qui en fait la vérité essentielle. Le chemin de la sagesse passe de Hokhmah à Binah puis se poursuit sur la voie de l’intelligence de Binah à Daat et se continue par le chemin de la bonté de Hesed à Tiferet.

En hébreu le mot « sagesse » Hochma (החוכמ) et « le cœur » (הלב) ont la même valeur guématrique : 37.

Dans une perspective initiatique, la sagesse est une connaissance de la structure secrète de la création et des divers éléments qui la constituent, «une tension vers le savoir» comme le dit Platon. Idéal de la vie humaine, la sagesse peut se définir comme un état de réalisation qui s’appuie sur une connaissance de soi et du monde que les alchimistes recherchent dans la pierre philosophale.

De manière générale l’homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables, car il y a en lui le désir inné et indomptable de juger avant de comprendre. Sur ce désir sont fondées les religions et les idéologies. Elles exigent que quelqu’un ait raison. Discerner le Bien du Mal, être inspiré par un manichéisme où se condensent et s’alternent les contraires, où s’ouvre le passage d’une vision duale, risque de dévoiler une vérité virginale dure et froide. C’est à son mariage avec l’âme de la révéler chaude et tendre ; cette union est la fraternité. Il s’agit de faire de la justice une équité, une modération du droit objectif, de sous-tendre la rigueur par la miséricorde.  Toutes les paroles de sagesse que l’on peut lire dans les diverses traditions sont des formulations de ce lien ou de la manière de le réaliser ; on ne peut pas reconnaître la sagesse sans la pratiquer avec l’amour de l’autre.

Pour les chrétiens, la Sagesse est l’un des sept dons de l’esprit saint avec l’intelligence, la science, le conseil, la force, la piété et la crainte de Dieu. Pour eux, la sagesse est par essence divine.

«Celui-là est homme de bien qui sait unir la retenue avec l’indulgence, la fermeté avec l’honnêteté, la gravité avec la franchise, la déférence avec de grands talents, la constance avec la complaisance, la droiture et l’exactitude avec la douceur, la modération avec le discernement, l’esprit avec la docilité, et le pouvoir avec l’équité. Celui-là est, à juste titre, appelé homme sage, qui pratique constamment ces neuf vertus.» Ce texte est extrait du Chou King (p.75) qui rapporte les paroles de Kao-Yao ministre du roi Chun (3e millénaire avant notre ère) !

René Guénon affirme que vers la Connaissance il y a de nombreux chemins, mais seulement un but, la sagesse.

Pour Spinoza, à la fin de son livre L’éthique, le sage est celui qui, sans se rapporter à aucun dieu, ni aucune morale dogmatique, s’attache philosophiquement à la libération de l’être, qui affirme constamment son être et son accroissement d’être, qui expérimente le bonheur à exister. Et Comte Sponville de rajouter : avec un maximum de lucidité.

Pour Mircea Eliade, le chemin de la sagesse ou de la liberté est un chemin qui mène au centre de son propre être.

Pour Matthieu Ricard, la sagesse est comme le soleil, ses rayons en seraient la compassion indissociable.

L’archétype de la sagesse éternelle est à la source des idées de sacré, de surnaturel, de transcendance. Il est souvent représenté par la Lumière, et suscite une réaction de respect, voire de fascination. Il peut s’exprimer à travers les imagos du vieux maître, du magicien (Merlin), du feu sacré ou, dans un registre plus féminin, de la Mère universelle (Magna Mater) ou de la connaissance de la nature.

Si le philosophe cherche la sagesse, le sage vit en la pratiquant (la phronesis). La préparation philosophique n’était pas suffisante, même comme préparation, car elle ne concerne qu’une faculté limitée qui est la raison, tandis que la sagesse concerne la réalité de l’être tout entier. Ainsi le sage meurt moins que le fou car comme l’écrit Platon dans le Timée : Lorsqu’un homme s’est donné tout entier à l’amour de la science (philo-sophia) et à la vraie sagesse et que, parmi ses facultés, il a surtout exercé celle de penser à des choses immortelles… il ne lui manque rien pour y parvenir [à l’immortalité].»

En se confrontant à sa mort, lors de la cérémonie de réception au grade de maître, le franc-maçon devient le sage qui est, d’abord et avant tout, celui qui accepte sa condition de mortel, c’est-à-dire celui qui accepte d’être lui-même et de ne pas devenir un dieu, comme Ulysse refusant l’immortalité et la jeunesse éternelle que lui offrait Calypso.

Pour cette vie limitée, le maître a apporté des réponses sur le sens de sa vie. Sa quête est un effort, une volonté de vérité; débarrassé de l’inutile par l’abandon du vieil homme, il vit dans l’essentiel.

La Sagesse est associée à l’Orient, lieu de provenance de la lumière naissante, analysée dans l’ordre humain en Pensée divine originelle. Dans le symbolisme constructif, on lui affectera le Plan qui est synonyme de Loi Universelle à laquelle participe l’Œuvrier. C’est le Roi Salomon détenteur des plans du Temple qui incarne la Sagesse antique. La sagesse est attribuée, dans la mémoire collective, au roi Salomon, celui qui l’a introduite dans les Écritures, celui qui inspirera aussi le Nouveau Testament. Influencé par la fille de Pharaon dont il fait son épouse principale, il puise ses proverbes aux sources de la morale et des livres sapientiaux égyptiens. La tradition maçonnique évoque la sagesse sous les traits du roi Salomon : «l’homme très sage» (Constitutions d’Anderson) ; Salomon, fils de David, célèbre pour sa sagesse (Rite Français) ; le sage roi Salomon (REAA) ; Salomon étant doué de la plus haute sagesse (RER).

Pour l’Ancien Testament, l’homme sage incarné par le roi Salomon est celui qui discerne le bien du mal et qui consent, par une stricte observance, à la Loi. Salomon fut exaucé en demandant la sagesse. Elle lui fut donnée comme une grâce. La sagesse fut accordée à Salomon qui, dans un rêve, ne demanda à son Dieu que de discerner le bien du mal. À son réveil, Salomon, s’aperçut qu’il comprenait le langage des oiseaux et qu’il pouvait leur parler. Ainsi couvert par la sagesse, il y a un accès à un sens qui se trouvait déjà là, sous la couche sédimentée de la différence des espèces. La sagesse permet de dévoiler de nouvelles tonalités qui échappent aux significations stéréotypées et affaiblies du quotidien. Sa sagesse s’exprime dans trois livres que la Bible retient et qui auraient été écrits par Salomon. Misleî (les Proverbes), Qohelet (l’Ecclésiaste) et le Shir Hashirim (le Cantiques des Cantiques). La Septante consacre un Livre à La sagesse de Salomon, ce texte n’a pas été retenu dans l’Ancien testament des juifs et des protestants.

Pour le franc-maçon attaché aux «Moderns», l’idée de sagesse s’appuie sur l’apologie de la raison. «On peut parler de Sagesse, on peut d’un Sage, mais à la condition de considérer la relativité des rapports entre la sagesse et les autres valeurs, du Sage avec les autres hommes et en particulier du Héros et du Saint, etc.» (Jean Mourgues, Lettres fraternelles du travail maçonnique en Loge de Perfection, p.25.

Le vrai sage, qu’il soit maçon, moine bouddhiste ou moine chrétien -ou un voyageur ou pèlerin vers le transcendant de chaque lieu- ne néglige pas d’accueillir toute source de sagesse qui lui permet de mieux comprendre son égo et le monde avec consciosité.

On lira avec un vif intérêt dans le tome 14 du Dictionnaire de spiritualité les pages 58 à 132  qui sont une bonne approche de la notion de Sagesse.

La Force, compagne de la sagesse

La sagesse ne suffit pas pour être un initié.

La force, celle de l’esprit, conduit à la victoire de celui-ci sur la matière par une sublimation des instincts. La force morale permet à l’être humain de traverser toutes les vicissitudes de la vie.

Dans l’ancienne Égypte, les hiéroglyphes exprimaient les concepts de la force à travers plusieurs de ses aspects : force jaillissement de la force vitale (ouadj), servant également à désigner une colonne ou pilier du temple ; force équilibre et bonne santé (oudja), régulateur des feux servant à transmuter la matière dans le creuset alchimique ; force créatrice par la vision des choses (oudjat, l’œil du delta) ; force magique découlant de l’énergie lumineuse (heka), permettant de modifier le cours du destin ; force qui nourrit (ka), activant le potentiel de chaque chose.

Dans la Grèce antique, Bia est une divinité personnifiant la Force, la Vaillance, la Valeur ou la Violence. Elle est la sœur de Cratos, la puissance, le Pouvoir, la Vigueur ou la Solidité.

Gabriel, גַּבְרִיאֵל, dont le nom hébreu signifie la Force de Dieu, est un archange cité dans l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran. Maître Eckhart, parlant de l’ange annonciateur du kérigme écrit : «Dans cette naissance [annoncée de jésus] Dieu se manifestait et se manifeste encore comme force.»

Il est probable que le mot hébreu (Elohim), rendu par Dieu, soit dérivé d’un verbe qui exprime l’idée de force ; Hengstenberg et d’autres le rattachent à une racine qui en arabe signifie redoutable… Le nom d’Elohim peut donc avoir été choisi comme le plus convenable pour représenter Celui en la personne duquel toutes les forces et toutes les vertus se trouvent réunies et au plus haut degré de perfection. On pourrait le rendre par : les forces. (Commentaires psaume 19)

Dans la tradition chrétienne, l’archange Gabriel (ou Michel) terrassant le dragon est une incarnation de la force de la foi chrétienne triomphant des puissances néfastes ou des anciennes divinités de la Nature. Le lion de St Marc en est aussi un symbole.

En loge, la force est plus que l’addition de celle des francs-maçons présents ; c’est la fraternité nourrissant ceux qui participent aux travaux. Le franc-maçon se doit d’être, comme le dit Rainer Maria Rilke dans ses Sonnets à Orphée, «dans cette nuit de démesure, la force magique au carrefour des hommes et le sens de leur rencontre singulière.» La force n’a de valeur que si elle est sûre d’elle afin de s’exprimer d’une façon tranquille. Vient alors le temps de la douceur, qui n’est autre que la force tranquille qui convainc et s’assure une victoire définitive si elle est exercée dans le respect de l’autre.

The Edinburgh Register House (1696), le premier catéchisme maçonnique connu, laisse entendre que les noms de Boaz et Jachin étaient liés aux rituels des apprentis et des camarades, tandis qu’un premier exposé, The Grand Mystery of Free-Masons Discover’d (1724) expliquait que «Iachin et Boaz» représentent «Une force et une stabilité de l’Église à tous les âges». Un autre exposé, The Whole Institutions of Masonry (1724), a fait remarquer: «L’explication de nos secrets est comme suit : Jachin signifie Force et Boaz Beauté Lorsque les rituels maçonniques ont été traduits en français, le mot force a été rendu par force, comme on le voit dans le premier manuscrit rituel maçonnique français connu, le Rituel Luquet (vers 1745). Il déclare que la signification du mot Jakin est «La force est en Dieu»(La force est dans Dieu, p.3). En l’espace d’une vingtaine d’années, les deux mots significatifs ont été inversés, mais les significations ne l’ont pas été. (Arturo de Hoyos, Albert Pike : On Freemasonry & Force)

«La Force se traduit en Action, soit la réalisation matérielle et concrète d’une Pensée proportionnée et contenue par l’Harmonie-Beauté. La Force est ici la réalisation et le maintien d’une potentialité lumineuse contenue dans le Verbe. Pour le constructeur c’est l’usage «éclairé» de l’outil et de l’instrument contenu dans les limites du compas et de l’équerre. La persistance à bâtir et rebâtir le Temple sera vue comme la détermination à faire apparaître l’esprit dans la matière et ceci par des actes positifs, ce qui au plan humain revient à admettre la présence de la Lumière en soi. Autrement dit, et selon le roi Salomon, «la Force accompagne la Sagesse chez le Sage».

La Beauté fait grâce à la Sagesse et à la Force

«La grandeur et la beauté des créatures font, par leur analogie, contempler leur créateur»

La beauté, esthétique de l’action, est la fierté de l’ouvrage bien fait, c’est l’insertion harmonieuse de l’action dans son environnement. Comme accomplissement de l’harmonie et de la concorde universelle. La beauté n’est pleinement réalisée qu’en s’unissant, dans un entrelacs brunnien, à la sagesse qui mesure, conçoit et invente et à la force qui exécute et crée.

Une séphira au cœur de l’arbre de vie, rayonnante et reliante porte le nom de Beauté : Tipheret, la 6e Séphira, est située sur l’axe central de l’Arbre de Vie, elle est le reflet de Kether, la source divine.

Définie par Platon comme celle des figures, droites ou cercles et de tout ce qui en provient, surfaces ou volumes, au moyen de compas, de règles, … elles ne sont pas belles les unes par rapport aux autres, elles le sont en elles-mêmes et pour toujours ; le «Beau est la splendeur du Vrai»  disait-il. Dans le dialogue entre Socrate et Hippias majeur, Platon nous interroge sur ce qu’est le Beau.

Le mot grec kalokagathia (formé sur καλός kalos, «beau», et ἀγαθός, agathos, «bien»), fait du «Bon» et du «Beau» les deux versants d’un seul sommet.

L’amour du beau s’appelle la philocalie.

Plotin s’interroge sur ce qu’est la beauté pour conclure :»il faut dire que le Beau intelligible est le lieu des idées, que le Bien, placé au-dessus du Beau, en est la source et le principe; ou bien placer dans un seul et même principe le Bien et le Beau, mais en regardant ce principe comme le Bien d’abord, et seulement ensuite comme le Beau» (Première Ennéade, livre VIe, Du Beau).

Dans une civilisation théocentrique, l’art se rattache à l’ésotérisme, dimension la plus intérieure de la tradition. La grâce, la beauté en hébreu se dit hèn (חן), dont les lettres sont les initiales (notarikon) de hochmat hannistar, la sagesse secrète.

S’inspirant de Vitruve, Alberti conçoit la beauté comme un «je ne sçay quoi» qui résulte de la conjonction de trois facteurs : «beauté est un accord, ou une certaine conspiration (s’il faut parler ainsi) des parties en la totalité, ayant son nombre, sa finition, & sa place, selon que requiert la susdicte correspondance, absolu certes & principal fondement de nature» (lire avec plaisir le texte Alberti et l’harmonie spatiale, miroir de l’harmonie cosmique).

“Dans la mesure où l’art s’apparente à la contemplation, il est connaissance ; la beauté étant un aspect de la Réalité, au sens absolu du terme. L’expérience du beau est une mise en relation profonde de l’être avec la dimension sacrée de l’existence, expérience physique et spirituelle à la fois qui procure apaisement et émerveillement. La beauté ne prend sens que lorsqu’elle est appréhendée, intériorisée par une âme humaine” (François Cheng).

L’ordre de la beauté de la forme n’est pas issu du sensible venant de lui-même parce qu’il doit venir de ce qui Un par excellence et qui se nomme chez les philosophes Idée ou Esprit (Geneviève Trainar, Transfigurer le temps).

Dans son Discours de 1730, le Chevalier de Ramsay précise que la beauté est celle du génie (dans sa conclusion).

En quoi le Second Surveillant est-il associé à la Beauté ? Un ancien rituel donne cette explication : – Pourquoi le pilier de la Beauté est-il attribué au Second Surveillant ?- Parce qu’il se tient au Midi, qui est la beauté du jour, pour appeler les ouvriers au repos et les rappeler au travail, afin que le Maître en tire honneur et contentement» (Jean Ferré, Dictionnaire des symboles maçonniques, 1997).

«La Beauté qui naît de l’harmonie implique la morale du Beau et du Bien (éthique), mais aussi la proportion idéale qui accompagne et dessine la Volonté née de la pensée. Cette Beauté est la représentation mentale d’une forme parfaite inspirée d’une pensée idéale ou divine. Pour le constructeur c’est la divine proportion symbole de perfection qu’il peut trouver au centre de lui-même. La Beauté est née de la Sagesse, elle est selon le roi Salomon «une couronne pour la tête du Sage».

La beauté est partout dès lors qu’elle est dans le regard de celui qui observe.

Visionner les Entretiens d’été du 20 juillet 2023 de l’Académie maçonnique : La beauté

Sagesse, Force et Beauté, une triade philosophique et spirituelle

Invoqués dans la prière initiale des Old Charges, les trois piliers se nommaient Sagesse, Force et Bonté. Y aurait-il eu un glissement de la morale vers l’esthétisme ? La bonté suprême, c’est cette générosité d’un principe de vie qui se donne indéfiniment. Si la bonté donne parfois l’idée d’une obligation morale, d’un devoir, la beauté la transforme en une présence attirante qui inspire le désir d’y adhérer, de l’aimer. « La bonté est garante de la qualité de la beauté ; la beauté, elle, irradie la bonté et la rend désirable. »

Calvin, dans son commentaire du Psaume 19 de la Bible écrit : «les cieux ont été merveilleusement fondés ab opifice praestantissimo», et de rajouter : «lorsque nous avons reconnu Dieu comme mundi opificem, c’est-à-dire Architecte de l’univers, nous ne pouvons qu’admirer sa sagesse, sa force, sa bonté.» Ne trouve-t-on pas ici la source de l’expression «Sagesse, Force et Beauté», beauté étant l’équivalant de «bonté» dans les Old Charges ?

Comme cela était déjà écrit en 1390 dans le plus vieux exemplaire des Olds Charges : «la force du père des cieux, la sagesse du fils glorieux et la beauté du saint esprit», l’origine de cette triade serait chrétienne.

Comme l’explique Roger Dachez : « Dans le système de la Maçonnerie anglaise de la première moitié du XVIIIe siècle, il y a 2 chandeliers à l’Est et 1 au Sud-Ouest. Ils symbolisent le Soleil, la Lune et le Maître de la Loge ce qui en rapport avec la culture chrétienne commune de la théologie médiévale qui associe le soleil à la nature divine du Christ, la lune à sa nature humaine et l’étoile à l’annonce de la venue du Sauveur… Quant à la formule Sagesse, Force et Beauté qui apparaît dans la Maçonnerie spéculative en 1727, elle est déjà présente dans les Anciens Devoirs (Force du Père, Grâce du Fils, Bonté du Saint-Esprit) à l’image des spéculations de théologiens, tel Pierre Lombard au XIe siècle et des ouvrages de pitié populaire du XVe siècle. »  

À ces Trois mêmes Vertus, Dante fait correspondre saint Pierre, saint Jacques et saint Jean, les Trois Apôtres qui assistèrent à la Transfiguration (note 25, L’Ésotérisme de Dante, René Guénon, éd. Gallimard, 1957).

Jean-Baptiste Willermoz complète ce ternaire par la nature, la raison et la justice ; le spirituel, l’animal et le matériel ; l’intelligence, la conception et la volonté.

La capacité d’intelligence, la force de volonté et la hauteur de caractère, étaient nécessairement constatées pour accueillir l’adepte à l’initiation des cultes antiques.

L’énumération sagesse, force, beauté, dans cet ordre, apparaît successivement dans : Le Wilkinson (1727) [à partir de cette date, il ne variera plus] qui précise «Sagesse pour inventer, Force pour soutenir, Beauté pour orner» ; le Masonry Dissected (1730) qui reprend la même séquence ; le Discours de Ramsay (1737) parlant d’un «ordre dont la base est la sagesse, la force et la beauté du génie» ; le Catéchisme des Francs-Maçons (1744)  qui dit la même chose ainsi que la Déclaration Mystérieuse (1743), le Sceau Rompu (1745).

 «Sagesse, force, beauté», peut être rapporté à d’autres ternaires, à vous de les associer !Ainsi, la Franc-maçonnerie bleue (celle des trois premiers degrés) s’articule autour de ternaires parmi lesquels la triade sagesse-force-beauté qui rappelle ses valeurs philosophiques et spirituelles, physiquement représentées par les trois piliers.

Les textes maçonniques, que ce soit le Rituel de Berne de 1740, celui des Trois coups distincts de 1760,  le Catéchisme adonhiramique de 1787, ceux du rite français comme ceux du RER, tous les désignent par trois grandes colonnes. Le Manuscrit Wilkinson les désigne par trois grands piliers. Le REAA parle de trois forts piliers, le Règlement général de la  franc-maçonnerie de 1805 précise, quant à lui, trois grands Chandeliers, portant chacun un flambeau. Quels que soient les termes employés, les 3 piliers signifient toujours  Sagesse, Force, Beauté. Ainsi, on trouve dans les rituels, comme dans l’instruction au 1er degré du REAA : D – Quels sont les appuis de votre Loge?  R-  Elle est fondée sur trois forts piliers.  D – Quels sont-ils ? R – Sagesse, Force, Beauté.

Le vénérable et les deux surveillants ne sont pas l’incarnation des constituants du ternaire. Quand on élève  le temple sur la base de ce ternaire à l’ouverture des travaux, les trois officiers n’en sont que les œuvriers qui lui permettent d’être un ternaire vibratoire de lumière par leurs proclamations, qui bien que variant selon les rites, signifient toujours la même chose à savoir que la sagesse illumine nos travaux, que la force les soutienne, que la beauté les orne mais surtout que chacun les accueille en lui !  Cela est si vrai que le vénérable est, selon les instructions du premier grade, une des trois lumières de la loge avec la lune et le soleil, il n’est donc pas la sagesse, c’est son flambeau qui la porte.

Il persiste que les flammes, appelées étoiles, allumées sur chacun des piliers/flambeaux, tracent un écrin  de lumière pour le tableau de loge, le spiritualisant par la triade sagesse-force-beauté qui est notre création intérieure, véritable fondation sur laquelle se construit le temple personnel.

«Les significations hautes des trois vertus SFB, leurs essences, convergent vers un point d’intersection intérieur qui est la conscience de l’homme agissant dans un réel. Cette conscience agissante prend en compte trois notions fondamentales : 1/ soi, les autres le monde, 2/ l’origine du monde et de l’homme, 3/ le tout et l’unité.» Un ternaire pour une «musculation existentielle» !

Ne pourrait-on pas considérer ce triptyque comme l’influence des trois courants : le judaïsme avec la sagesse du roi Salomon,

la justice canonique avec la force,

et la pensée grecque avec la beauté ?


[1] Étienne Hermant, 1717. Nous tenons Loge ce soir, Le chapelain de la Loge Saint-Paul, 2019.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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