« Ici, tout est symbole », nous dit-on dès nos premiers pas en Loge. Depuis notre entrée dans le Temple, chaque objet, chaque représentation nous parle à travers le voile du symbolisme, révélant à la fois le visible et l’invisible, la présence et l’absence. Nos regards se posent sur des formes tangibles – les Colonnes, le Pavé Mosaïque, le Delta Lumineux – dont les significations profondes, souvent cachées, s’offrent à nous au fil de notre quête initiatique. Ce soir, je vous propose de réfléchir à un élément essentiel mais absent à nos yeux : le quatrième pilier.
Les trois piliers visibles : Sagesse, Force, Beauté

Lorsque nous pénétrons dans le Temple, trois piliers se dressent devant nous, disposés en équerre au centre et aux angles du tapis de Loge : l’un à l’Orient septentrion, l’autre à l’Occident septentrion, le troisième à l’Occident midi. Ils soutiennent le Temple, incarnant les vertus cardinales de la Maçonnerie : Sagesse, Force et Beauté. Dans les premiers rituels du REAA, ces piliers portaient une symbolique trinitaire explicite : la Sagesse représentait le Père, la Force le Fils, et la Beauté le Saint-Esprit. Ainsi, ils évoquent une divine harmonie, un écho de la Trinité soutenant l’univers, une structure sacrée où l’humanité trouve son reflet.
Chaque pilier est aussi une synthèse des quatre éléments : la base ancrée dans la Terre rappelle le cabinet de réflexion ; la colonne s’élance dans l’Air, portée par l’élan spirituel ; le chapiteau évasé suggère l’Eau, fluide et nourricière ; et le Feu, couronnant l’ensemble, relie ces formes aux étoiles de la voûte céleste. Leur allumage lors de chaque Tenue réactualise la lumière primordiale, ce Fiat Lux qui ordonne le chaos. Mais une question surgit : un Temple, rectangle ou carré long, peut-il tenir debout sur trois piliers seuls ?
L’invisible quatrième pilier

Le Temple, image du cosmos, semble incomplet sans un quatrième pilier. Pourtant, il existe, invisible à nos yeux profanes, situé hors du plan matériel, dans une dimension qui transcende notre perception immédiate. Ce pilier, que certains nomment Binah dans la Kabbale – l’Intelligence Suprême dégagée de toute matérialité – est le lien entre le manifeste et l’immanifeste. Il n’est pas absent ; il est occulté, exigeant de nous un élargissement de la vision, un passage de l’analyse rationnelle à l’intuition spirituelle.
Les trois piliers visibles impliquent sa présence virtuelle. Nos déplacements en Loge, marquant quatre angles, tracent un carré symbolique, suggérant que ce quatrième soutien est là, implicite mais essentiel. Lors de la Chaîne d’Union, nous unissons les vivants et les disparus, reliant le visible à l’invisible dans une communion intemporelle. De même, dans une Tenue funèbre, la chaise vide du Maître passé à l’Orient Éternel, ornée de ses décors, témoigne de sa présence au-delà du voile. L’étoile flamboyante sur le plateau du V∴ M∴, lumière éternelle, nous le rappelle : l’invisible est plus dense de sens que le visible.
Une colonne fluidique et mystique

Ce quatrième pilier n’est pas de pierre, mais d’esprit. Impalpable, fluidique, il échappe à nos sens pour habiter notre conscience. Il est l’axe mystique, une Kundalini maçonnique, une colonne vertébrale par laquelle circulent nos pensées, nos énergies créatrices, reliant le bas et le haut. Comme le dit Hermès Trismégiste : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. » Ce pilier invisible est le trait d’union entre la Terre et le Ciel, entre l’univers matériel et le divin.
Il s’élève sans chapiteau, libre de toute limite, car il n’est ni allumé ni éteint par nos mains. Nous n’avons pas de pouvoir sur lui ; il existe dans l’esprit de celui qui le conçoit, qui y pense – comme nous le faisons ce soir. Le penser, c’est le faire vivre, le rendre réel dans l’égrégore de la Loge, cette fusion d’énergies où se mêlent les inspirations des Maîtres anciens, du GADLU, et nos travaux actuels. Ce va-et-vient génère une harmonie palpable, un bien-être commun qui transcende les individus.
Le quatrième pilier : miroir de l’initié

Ne serions-nous pas, nous-mêmes, ce quatrième pilier ? Il incarne notre quête intérieure, notre aspiration à la perfection. Les trois piliers visibles – Sagesse, Force, Beauté – sont les étapes de notre progression : l’Apprenti polit sa pierre brute avec Force, le Compagnon la façonne avec Beauté, et le Maître la parfait avec Sagesse. Mais c’est le quatrième, invisible, qui couronne ce chemin : l’Intelligence suprême, synthèse de l’Unité, but ultime de l’initiation. Il relie notre Temple intérieur au cosmos, faisant de l’Homme le pont entre le chaos matériel et la perfection spirituelle.
Si ce pilier était matérialisé, la quête perdrait son sens. L’initiation n’impose rien ; elle invite à chercher au-delà des apparences, à pénétrer l’impalpable. « Ne te fie pas à tes yeux, tout ce qu’ils te montrent, ce sont des limites », nous enseigne un proverbe soufi. Regarder avec l’esprit, c’est découvrir que l’invisible :
– comme la foi, l’intuition, l’égrégore
– est le véritable soutien du Temple.
Conclusion : un appel à la quête
Le quatrième pilier est une énigme vivante. Il nous défie de dépasser le visible pour toucher l’essence de notre démarche. Il est le Shekinah, la demeure de l’Intelligence divine au cœur des adeptes, le feu secret qui anime Sagesse, Force et Beauté. Ce n’est pas parce qu’on ne le voit pas qu’il n’existe pas, tout comme l’absence de preuve n’annule pas la foi. Par nos réflexions, nous construisons ce pilier, colonne de lumière reliant la pierre brute à la voûte étoilée.
Ainsi, il nous guide vers l’envol, vers cet Orient Éternel où tout s’éclaire.
J ai beaucoup appris. Merci pour la symbolique de ce pilier.
Une belle planche tracée sur le symbolisme avec ce quatrième pilier invisible et pourtant cardinal.
Un éclairage particulièrement lumineux pour ce qui me concerne.
Merci pour cet éclairage…