jeu 30 janvier 2025 - 21:01

Neurosciences ou neuro-fakes ?

Albert Moukheiber douche un peu les espoirs que le cerveau se laisse comprendre et réparer à la manière d’une mécanique.
Il explique le vrai et le faux.

Avant, tout était simple. Il y avait les croyances, religieuses ou idéologiques entre autres, et puis la science. Cette dernière dispose d’une méthode éprouvée : toute théorie doit être vérifiée par essais concrets et les résultats doivent être reproductibles. Si ces conditions sont scrupuleusement respectées, alors seulement la théorie peut être autorisée à formuler des prédictions.

Tout cela marche admirablement pour les sciences dites exactes : mathématiques, physique, chimie,… L’affaire se complique dès qu’on touche au vivant : celui-ci semble prendre un malin plaisir à se rebiffer, mettant souvent la reproductibilité à mal. C’est que la complexité du vivant, et peut-être l’humain encore plus, fait qu’il n’y a jamais deux situations identiques. Et, de plus, tous les processus biologiques ont des boucles de rétroaction.

Malgré tout, les sciences humaines ont connu de beaux progrès, à commencer par la médecine.

Un précieux outil pour cela est constitué par la science statistique. Les stats ont aussi aidé la sociologie à objectiver les données. En effet, dès qu’on approche l’humain, les émotions émergent, colorant les perceptions, et risquant de fausser les conclusions par nos biais de raisonnement. Le terrain le plus mouvant à explorer serait bien la psychologie . Une grande partie du processus se déroule dans le cerveau, assemblage opaque de milliards de neurones et quelques autres types de cellules.

C’est là que les neurosciences arrivent, avec la promesse d’avoir enfin une preuve biologique des théories qui se sont bousculées jusqu’ici. Nous connaissons bien sûr la psychanalyse freudienne et ses variantes telles que la psychologie jungienne ou l’analyse transactionnelle. Il y en a bien d’autres, mais beaucoup ont formulé une découpe du cerveau en fonctions, pour ensuite chercher à les localiser.

Quelques exemples de ce localisme .

Exemple 1 : nous aurions en fait 3 cerveaux : le système reptilien, siège des pulsions, le système limbique, siège des émotions, et le système cortical, siège du raisonnement. Ce découpage se base sur des arguments évolutionnistes. Exemple 2 : nous connaissons aussi les distinctions entre les fonctions du cerveau droit et du cerveau gauche . Le gauche paraît plus spécialisé dans les traitements analytiques et le droit plutôt holistique.

On voit poindre là le danger : on peut le nommer le réductionnisme, le plus courant étant le localisme. Le réductionnisme provient de notre tendance naturelle à découper un problème en sous-problèmes que l’on résoudra séparément avant de réassembler le tout : le meccano, quoi. Le risque est évidemment lié à la perte de la vue d’ensemble en cours de route. Une voiture avec ses quelques milliers de pièces, l’ingénieur maîtrise, mais un cerveau avec des milliards de neurones que rien de distingue, avec chacun plein de synapses, c’est une autre paire de manches.

L’outil privilégié des neurosciences c’est l’ IRMf, IRM fonctionnel.

On demande à un sujet d’effectuer une tâche manuelle ou intellectuelle, tout en observant le taux d’activité des neurones de chaque zone du cerveau. Et on en déduit par exemple que le striatum est le siège du plaisir immédiat et des addictions, et que leur vecteur est la dopamine.

Jusque-là, il y a une utilité, par exemple pour ceux qui ont subi des dégâts dans certaines zones de leur cerveau. Mais pour aller plus loin, problème, la dopamine joue aussi un rôle dans d’autres affects, et n’est pas le seul vecteur dans les addictions. Entre temps, les spéculations vont bon train : notre circuit de la récompense ( striatum + dopamine ) est sensible aux stimuli extérieurs. Et ce serait inclus dans les algorithmes commerciaux sur internet. Nous serions donc dorénavant, via une compulsion à l’achat-plaisir, devenus les esclaves soumis des multinationales. Voilà pourquoi nous serions devenus incapables de modifier nos habitudes pour « sauver la planète ».

Albert Moukheiber, dans son Neuromania, nous met en garde contre ces lectures simplistes.

Le comportement d’un individu est toujours tributaire de 3 piliers : le cerveau, le corps et l’environnement. Négliger l’un des trois mène à de grossières erreurs. De même, les fonctions de raisonnement ( système 2 ) et d’affects ( système 1 ) ne jamais indépendantes l’une de l’autre. Lorsqu’aucun dommage ne semble affecter le corps, nous, mais aussi une part du corps médical, à cataloguer un problème comme purement psychologique, ce qui est une erreur. C’est le cas des troubles psychosomatiques. L’environnement joue aussi un rôle important, par exemple lorsqu’il est stressant.

Nous vivons dans une société individualiste qui nous incite à être chacun performants. Pour ce faire, tout un monde de méthodes de développement personnel tente de nous vendre ses recettes payantes. Pourtant, beaucoup de ces théories n’ont jamais pu être validées par les méthodes statistiques de la psychologie.

En Franc-maçonnerie aussi nous partons du connais-toi toi-même.

Nous sommes donc également tentés d’expérimenter ces méthodes. Certaines prophéties sont auto-réalisatrices, ainsi va la psychologie humaine, et cela peut brouiller les résultats.

Il convient donc de rester prudent et de regarder la réalité en face : les neurosciences ont encore un long chemin à parcourir. Un phénomène apparemment simple comme la douleur n’est pas encore mesurable de manière objective.

Et nous, maçons avides de tout comprendre et savoir sur nous-mêmes, alors ? Eh bien, nous devrons encore patienter un moment avant de disposer de toutes les données fiables nécessaires. Mais que cela ne nous empêche pas de continuer à réfléchir et agir ! 

Une petite dernière à propos des méthodes de développement personnel. Il a été démontré que, si elles obtiennent quelques résultats positifs, c’est dû pour une bonne part à leurs tests de personnalité. En effet, ceux-ci nous placent dans des catégories dans lesquelles nous ne sommes pas seuls, et grâce à cela nous nous sentons normaux. Pensez-y !

Texte garanti sans IA !

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Patrick Van Denhove
Patrick Van Denhovehttps://www.lebandeau.net
Après une carrière bien remplie d'ingénieur dans le secteur de l'énergie, je peux enfin me consacrer aux sciences humaines ! Heureux en franc-maçonnerie, mon moteur est la curiosité, et le doute mon garde-fou.

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