« Une Étoile guidant la science et la marine au XVIIIe siècle »
L’histoire de la Franc-maçonnerie française est marquée par des loges qui ont joué des rôles clefs dans diverses sphères de la société, notamment dans les sciences et la navigation maritime. Parmi ces loges, l’Étoile Polaire de Paris, fondée à une époque où la France cherchait à affiner son savoir naval, se distingue par son engagement dans la recherche scientifique, particulièrement autour du calcul de la longitude. Cet article explore l’histoire de cette loge toujours en activité avec sa centaine de membres, son impact sur la science de l’époque et les personnalités qui l’ont animée.
I. Origines et Fondation
L’Étoile Polaire de Paris naît dans un contexte où les sciences exactes et la navigation se trouvent au cœur des préoccupations de la France maritime. Fondée probablement avant 1769, selon les documents de Christophe de Brouwer, la loge aurait reçu sa patente de création de la Grande Loge de France le 14 mai 1766. Toutefois, des doutes subsistent quant à la date exacte de sa création, certains suggérant une patente antidatée pour assurer la régularité de la loge pendant une période de vacance du pouvoir maçonnique central.
II. Les Membres et Leur Contribution
Les membres de l’Étoile Polaire étaient des hommes de science, de navigation et de divers corps de l’État, unis par un intérêt commun pour l’avancement des connaissances maritimes. Parmi eux, Guy-Alexandre Pingré, un astronome et chanoine, est souvent cité comme fondateur. Pingré, avec son élève Jean-Théodore Bouin, contribua à la précision des observations astronomiques, essentielles pour le calcul de la longitude.
Charles-Pierre Claret de Fleurieu était un officier de marine qui s’est illustré dans la mise au point des horloges marines, cruciales pour naviguer avec précision. Son rôle dans l’expédition de l’Isis en 1768-69 fut décisif, testant les chronomètres de Ferdinand Berthoud.
Pierre-Julien Leroy, un horloger royal, apporta son expertise dans la conception des horloges marines, participant ainsi directement à l’innovation technologique maritime.
Bernard Peyrilhe, un médecin pionnier dans la recherche sur le cancer, et Michel-Louis Le Camus de Limare, un collectionneur de livres dont la bibliothèque enrichit la Bibliothèque nationale de France, illustrent la diversité intellectuelle au sein de la loge.
III. L’Expédition de l’Isis et le Calcul de la Longitude
La mission de l’Isis, menée par Fleurieu, visait à tester les nouvelles horloges marines pour améliorer la navigation. Le calcul de la longitude, un défi majeur pour la navigation de l’époque, nécessitait une précision horaire que seule une horlogerie avancée pouvait fournir. L’expédition fut un succès, permettant à la France de rattraper son retard sur l’Angleterre dans ce domaine. La loge l’Étoile Polaire était donc au cœur de cette avancée scientifique et technologique.
IV. La Loge dans le Contexte de la Révolution
La fin du XVIIIe siècle fut tumultueuse pour la France, et la loge l’Étoile Polaire ne fut pas épargnée par les bouleversements politiques. Beaucoup de ses membres naviguèrent à travers la Révolution avec des fortunes diverses. Des figures comme Fleurieu connurent l’emprisonnement avant de retrouver des positions éminentes sous l’Empire. D’autres, comme Froger de l’Eguille, périrent pour leur allégeance royaliste. La loge elle-même semble avoir disparu au début de la Révolution, mais ses membres continuèrent souvent à être actifs dans la franc-maçonnerie, contribuant à la réorganisation des loges après cette période.
V. Refondation et Héritage
La loge fut refondée en 1839, près de cinquante ans après sa disparition, sous le nom de l’Étoile Polaire. La question de savoir si cette nouvelle loge est une véritable continuation de l’originale reste ouverte, mais il est clair que ses membres revendiquaient une filiation morale avec l’ancienne. Cette refondation montre comment les idéaux et l’esprit de la loge ont perduré, même si les structures et les membres ont changé.
L’Étoile Polaire, loge du Grand Orient de France, toujours en activité, illustre parfaitement comment la franc-maçonnerie pouvait servir de creuset pour la science, la technologie et la fraternité dans une France en pleine mutation. Ses membres, par leur engagement dans des expéditions scientifiques, ont contribué à l’avancement de la navigation maritime, incarnant ainsi les principes de progrès, de solidarité et de connaissance qui sont au cœur de la philosophie maçonnique.
Références et Bibliographie :
de Brouwer, Christophe. Les débuts de la R.L. l’Étoile Polaire de Paris.
d’Eveux de Fleurieu. Voyage fait par ordre du Roi en 1768 et 1769, à différentes parties du monde pour éprouver en mer les horloges marines inventées par M. Ferdinand Berthoud. 1773.
Le Bihan, Alain. Francs-Maçons parisiens du Grand Orient de France. 1966.
Vergé-Franceschi, Michel. La marine française au XVIIIe siècle. 1996.
Dossiers et archives de la BnF, notamment le tableau de la loge de 1773.
Cet article n’est qu’une fenêtre sur une histoire bien plus vaste, invitant à une recherche continue pour comprendre comment des institutions comme la franc-maçonnerie ont façonné la science et la société française.