jeu 19 décembre 2024 - 19:12

L’hypogée de l’hiver en Franc-maçonnerie

En Franc-maçonnerie, les solstices s’enchaînent ère après ères, heure après heures. Ils rythment nos midis et nos minuits. C’est ainsi que tous les Francs-maçons des univers connus arrachent à la cruauté de Saturne, les enfants de la Veuve qu’il s’apprêtait à dévorer. Lorsque ce vaisseau de pierre que nous façonnons à notre image comme d’autres l’ont fait de leurs églises avant nous ; lorsque la Terre aura accompli sa révolution annuelle autour du Soleil ; lui-même l’amenant plus loin sur cette spirale en faisant ses ronds de Lumières dans l’Eau de la Vie, la Voie Initiatique nous aura transmuté. Nous avançons inexorablement, chaque seconde plus proche encore de notre [Oxydant], notre regard neuf d’Ermite, arcane tournée vers son [Aur-riant]… 

La nuit ne dévorera pas nos couleurs

La nuit ne dévorera pas nos couleurs si nous acceptons la transmutation.
Car, comment atteindre les feux de l’Aube rougeoyante sans se laisser draper par la Nuit ? Comment espérer atteindre le Cœur rubis tant espéré si on lui refuse la soie de la [noire-Sœur] de notre Chrysalide ?
Comment retrouver son Etoile et sa rose sans la morsure du Serpent de Jade ?

Ainsi va, comme l’univers, la roue du Tarot sur les Chemins Initiatiques en suivant le tracé au Rouge de l’arcanne du Charpentier.

Pour Voyager de merveilles en vermeil, c’est [l-a-mer] [d-é-tain] et de [mer-cure] qu’il nous faut traverser.

Alors, ce soir, au creux de l’hypogée de ce Voyage dans cette temporalité éphémère, pour espérer amorcer la ressource il nous faut aller puiser dans l’AUR, אוֹר. Ce mot hébreu qui, en substance, peut signifier à la fois Or et Lumière.

Cet Aur philosophale on le rencontre dans le regard de l’Autre. Il marque nos chairs jusqu’au plus profond de nos Cœurs. Cœur que certains nomment Cœur Droit, ce sont les joies du Voyage que de découvrir les horizons d’autres perspectives.

Cet Aur que nous magnifions, il nous vient aussi de nos anciens, de notre histoire, celle qui appartient à chacun et à chaque Loge. Mais cette Lumière d’Espoir et d’Espérance nous est aussi transmise par delà la nuit du Temps, par l’histoire devant être commune à l’esprit de tous les Francs-maçons. Cette Histoire, avec un grand H, nous vient de par delà la « nuit et le brouillard »

Ils étaient 7 et devinrent 9

C’était l’hiver. Un de ceux que connurent nos anciens durant l’ère du plomb, du sang et des cendres. 

Ils étaient 7 Frères . Ils se prénommaient Paul, Luc, Guy, Jean, Joseph, Amédée et Franz. 

La nuit ne dévorera pas les couleurs -Détail – ©Stefan von Nemau

Ils étaient unis par ce triangle rouge, pointe en bas, cousu sur le coutil de leur tenue de prisonniers politiques, les « Nacht und Nebel » selon la nomenclature administrative d’alors.

Tous les dimanches, dans la baraque 6 « ceux qui croyaient au ciel » et « ceux qui n’y croyaient pas1 » se rassemblaient pendant que d’autres faisaient le guet. 

D’un côté de la baraque deux prêtres catholiques déportés célébraient la messe, tandis que dans une autre pièce, les 7 Frères, rejoints par 2 affiliés, Jean Baptiste et Henri, traçaient sur la table un Tableau de Loge et ouvraient leurs travaux. 

La nuit ne dévorera pas les couleurs – Baraque 6 – Détail – ©Stefan von Nemau

Pas besoin d’or et de grand chose lorsque le veau minuscule s’efface devant l’Aur, devant l’Essence du Ciel.

La Loge qu’ils avaient fondé s’appelait Liberté Chérie. C’était au camp de concentration d’Esterwegen en Allemagne.

La Lumière des cendres

J’aime à croire que c’est en se réunissant autant qu’ils le pouvaient que ces Frères au sang de cendre, qu’ils aient été d’une chapelle ou d’une autre, n’ont pas laissé cette Nuit et ce Brouillard éteindre ce phare d’où rayonnait cet Aur dans l’obscurité. Elle guidait les pèlerins par delà leurs nuits de désespoir, dans le creux de leurs rêves d’espérance. 

Cette Lumière c’était cette petite lueur d’espoir qui depuis la Nuit du Temps éclaire les nuits des temps.

En ce jour où cette Lueur est matériellement la plus faible, c’est dans le photophore de nos Cœurs qu’elle éclaire nos mains tendues dans la tempête, vivifiée par le souffle de nos âmes.

La nuit ne dévorera pas les couleurs -Signature – Détail – ©Stefan von Nemau

Cette planche dessinée est signée d’une simple empreinte anonyme sur la neige. Elle est recouverte d’une rose et d’un réséda, en référence au poème d’Aragon paru dans le recueil La Diane française en 1944. Ces traces sur la neige reposent à l’ombre d’une branche d’acacia d’Or symbolisant la Franc-maçonnerie universelle. Un jour la neige aura fondu, il ne restera de tout cela que quelques fleurs à l’ombre d’un arbre éternel. 

Ainsi, plus jamais la Nuit ne dévorera les Couleurs. Passe le vent et que l’arbre repose.

La nuit ne dévorera pas les couleurs – Aquarelle et encre de chine sur papier – 30 x 40 cm – ©Stefan von Nemau

LA ROSE ET LE RESEDA

Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats

Lequel montait à l’échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Qu’importe comment s’appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l’un fut de la chapelle
Et l’autre s’y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu’elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l’un chancelle
L’autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Ils sont en prison Lequel
À le plus triste grabat
Lequel plus que l’autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l’aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Répétant le nom de celle
Qu’aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

Il coule il coule il se mêle
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas

L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera

Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda.

Louis Aragon in La Diane française – 1944

Voir aussi l’article : En Franc-maçonnerie, célébrer la Saint Jean d’Hiver c’est exalter le paradoxe de la Présence dans l’Absence

  1. La rose et le réséda – Louis Aragon in La Diane française – 1944 ↩︎

1 COMMENTAIRE

  1. Un enjambement d’une année entre ces deux textes. Il y a comme un cerne de tristesse dans les espaces blancs qui entourent les lettres de tes mots. J’ai touché ta “main tendue dans la tempête” pour un effleurement d’un battement d’aile de papillon qui n’a pas oublié que, si le pélican peut devenir phénix, il a su aussi d’un œuf devenir chenille dans sa chrysalide, transfiguré par l’amour fraternel; sa nouvelle iridescence est comme si ses ailes portaient une part de l’aurore avec elles.

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Stéphane Chauvet
Stéphane Chauvethttps://lesyeuxducyclope.fr/
« Ma quête artistique est une pratique spirituelle et une spiritualité en pratique. Le Symbole est son langage. » C'est ainsi que Stéphane Chauvet définit en deux phrases son travail initiatique et artistique. Il métabolise et fixe sa pensée par le tracé et l'image, son « labor », avant de lui souffler vie dans « l'oratoire ». Il est titulaire d'un Master 2 de photographie plasticienne délivré par l'Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles. Il signe ses œuvres graphiques du nom de son alter-égo rencontré sur le Chemin : Stefan von Nemau. Son travail artistique est présenté sur son site internet www.lesyeuxducyclope.fr

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