jeu 03 octobre 2024 - 22:10

Megalopolis, le dernier Copppola : Une fable maçonnique entre Lumière et Ténèbres ?

Francis Ford Coppola, un nom légendaire du cinéma, s’aventure dans les arcanes du mythe et de la science-fiction avec son film Megalopolis projet tant rêvé qu’il chérissait depuis les années 1980.

Ce film épique, empreint d’une ambition quasi démesurée, symbolise bien plus qu’un simple divertissement visuel ; il cristallise l’ultime œuvre d’un créateur qui, à 83 ans, semble vouloir transcender l’art cinématographique pour le transformer en un dialogue philosophique profond.

Francis Ford Coppola, Cannes 2001 Photo Call – Wikimedia Commons

Avec une distribution prestigieuse, un investissement personnel colossal, et une allégorie puissante à la fois de la cité et de la civilisation humaine, Megalopolis cherche à faire le lien entre la vision utopique de la reconstruction et le chaos inhérent à la nature humaine et au pouvoir.

Derrière le cadre de science-fiction, le synopsis, simple à première vue, cache une profondeur intellectuelle marquante : dans la cité de New Rome, une métaphore transparente de New York, deux figures s’opposent pour façonner l’avenir de la ville. Franklyn Cicero, le maire corrompu, et Cesar, l’architecte visionnaire, incarnent deux forces antagonistes, représentant respectivement un passé figé et un avenir idéalisé. Julia, la fille du maire, déchirée entre ces deux visions du monde, devient l’allégorie même de l’humanité, en quête de sens dans une société en ruines après une catastrophe.

Aubrey Plaza, cannes 2024

L’architecture, omniprésente, n’est pas simplement décor, mais la métaphore centrale du film, ce qui le place directement dans une réflexion maçonnique. Comme dans la tradition maçonnique, qui valorise l’art de la construction — tant symbolique que littérale — le personnage de Cesar porte en lui l’idée du bâtisseur universel, celui qui imagine une société meilleure en érigeant des structures, à la fois physiques et idéologiques. Ce n’est donc pas par hasard que Francis Ford Coppola a choisi d’inclure tant de références historiques et philosophiques dans son œuvre. Le nom même de Cesar Catilina renvoie à l’histoire romaine, et à travers la chute de la République romaine, Francis Ford Coppola nous invite à voir un miroir de l’état du monde contemporain, où les ambitions individuelles s’entrechoquent violemment avec les besoins collectifs.

L’influence de l’architecture dans Megalopolis pousse le spectateur à une réflexion plus large sur le rôle des bâtisseurs dans la société. Cesar, à l’image des grands architectes de la modernité, est un visionnaire qui aspire à une utopie. Il devient l’incarnation du franc-maçon idéal, celui qui rêve d’unir les hommes dans une cité harmonieuse, tout comme les loges maçonniques cherchaient à transcender les divisions sociales et politiques pour une fraternité universelle. Mais ce rêve se heurte aux forces de la corruption et du pouvoir, incarnées par Franklyn Cicero, lui-même figure tragique, prisonnier de ses propres contradictions et incapable de concevoir un monde au-delà de ses privilèges.

Sénat romain

La symbolique de la dualité, essentielle dans l’œuvre de Coppola, est ici magnifiée à travers cette opposition. Franklyn Cicero et Cesar représentent les deux colonnes du temple maçonnique, celle de la force et celle de la sagesse. Mais au lieu de s’équilibrer, elles s’affrontent, illustrant le drame inhérent à toute tentative de refondation utopique : le poids du passé et les entraves du pouvoir ne cessent d’étouffer les aspirations les plus nobles. Francis Ford Coppola se penche ainsi sur une réflexion presque spinoziste du pouvoir, où le désir humain, loin d’être purement créatif, est toujours corrompu par ses pulsions destructrices.

La trame narrative de Megalopolis explore également un thème central de la franc-maçonnerie : la quête de la lumière, c’est-à-dire la recherche de la connaissance et de l’élévation spirituelle. Julia, partagée entre les deux hommes de sa vie, symbolise cette quête. Sa position est celle du disciple en pleine initiation, cherchant à comprendre où réside la vérité. Si son père représente le monde des ténèbres, corrompu et rétrograde, Cesar est celui qui incarne la lumière, la promesse d’un renouveau. Mais Francis Ford Coppola ne fait pas de cette quête une simple opposition manichéenne. Comme dans tout processus initiatique, la lumière ne peut être atteinte sans un passage par les ténèbres, sans une confrontation aux forces destructrices qui hantent l’humanité. L’échec de Cesar à convaincre l’ensemble de la ville de se rallier à son projet utopique montre que la quête maçonnique est longue et difficile, semée d’embûches.

Trilith Soundstages

Le personnage de Wow Platinum, animatrice de télévision interprétée par Aubrey Plaza, est une figure tout aussi intéressante, car elle incarne la modernité et la superficialité de notre ère médiatique. En la contrastant avec les architectes du futur, Francis Ford Coppola semble dénoncer la vacuité des discours de masse, l’instrumentalisation de la culture populaire au détriment de la véritable réflexion intellectuelle. Wow Platinum représente cet écran qui sépare l’homme de la connaissance, un voile d’illusion que seul l’initié, dans son parcours vers la lumière, parviendra à lever.

Sur le plan esthétique, le film s’inscrit également dans une dimension hautement symbolique, qui va au-delà de la simple représentation visuelle. Le choix de Coppola d’utiliser la technologie d’écrans LED et les effets spéciaux traditionnels renforce le caractère dystopique du film, tout en créant un lien avec les classiques du cinéma de science-fiction. La direction artistique et les décors participent à cette impression d’un monde à la fois familier et étranger, une ville où le passé et le futur s’entrelacent, créant une réalité intemporelle. La photographie de Mihai Mălaimare Jr. accentue cette dichotomie par l’usage des lumières et des ombres, conférant au film une dimension quasi mystique, où chaque cadre devient un symbole.

Cependant, cette ambition démesurée semble avoir été l’épée à double tranchant du film. Les critiques qui ont accompagné sa présentation au Festival de Cannes sont sévères. On reproche à Coppola d’avoir produit un film confus, parfois lourd dans ses symboles et ses dialogues. Cette chute d’un projet aussi ambitieux, décrite par certains comme un « opéra bouffi », souligne peut-être l’incapacité même de l’artiste à répondre aux aspirations qu’il a lui-même élevées. Comme un architecte qui, à force de vouloir bâtir une cathédrale vers les cieux, perd de vue les fondations mêmes du bâtiment. Toutefois, au-delà de cette incompréhension critique, _Megalopolis_ reste avant tout un film qui appelle à la réflexion, une fable qui, dans son échec apparent, invite le spectateur à méditer sur la faillite des utopies et les éternelles contradictions de la condition humaine.

En définitive, Megalopolis est l’œuvre ultime d’un auteur visionnaire qui, à travers son film, interroge le sens même de l’existence, du pouvoir et du rêve. Comme dans la franc-maçonnerie, il s’agit ici de bâtir, non pas une simple cité, mais une société idéale où la lumière triompherait enfin des ténèbres.

Sous un regard plus maçonnique encore…

Megalopolis se présente comme une œuvre riche en symboles et en allégories initiatiques, que l’on peut interpréter à travers les enseignements de la franc-maçonnerie. Pour un initié, ce film s’apparente à un parcours spirituel, où la reconstruction de la cité n’est pas seulement matérielle, mais aussi une métaphore pour la transformation intérieure de l’être humain et de la société dans son ensemble.

La figure du bâtisseur

Cesar, l’architecte, incarne un archétype maçonnique central : celui du bâtisseur. Dans la tradition maçonnique, le bâtisseur ne construit pas seulement des édifices physiques, mais élabore également des structures morales et spirituelles. La franc-maçonnerie, souvent décrite comme un ordre de constructeurs, prône la perfection de l’âme par le travail sur soi. Cesar, dans sa quête de recréer New Rome après la catastrophe, est l’incarnation moderne du maître maçon, cherchant à ériger une cité idéale, un temple symbolique où règnent l’harmonie et la justice.

Le projet de Cesar est une utopie, un idéal presque inaccessible, qui rappelle la démarche initiatique maçonnique. Tout comme le franc-maçon qui doit sans cesse se perfectionner, Cesar cherche à créer une société qui dépasse les limites de l’imparfait et du corrompu. Ses efforts pour convaincre la ville de se rallier à cette vision utopique sont symboliques du défi auquel fait face tout initié : celui de transformer le chaos en ordre, le matériel en spirituel, tout en affrontant les résistances inhérentes à la nature humaine.

La dualité et les colonnes du Temple

Un des symboles centraux de la franc-maçonnerie est celui des deux colonnes, Jakin et Boaz, qui marquent l’entrée du temple de Salomon. Ces colonnes représentent la dualité de la nature humaine, l’équilibre entre la force et la sagesse, entre l’ombre et la lumière. Dans Megalopolis, cette dualité est incarnée par les personnages de Franklyn Cicero, le maire corrompu et conservateur, et Cesar, l’architecte progressiste et idéaliste. Franklyn incarne la colonne de la force, celle qui, dans sa forme dégradée, devient autoritaire, voire destructrice, tandis que Cesar représente la sagesse et l’aspiration à la lumière.

Pour un initié, cette opposition n’est pas simplement politique, mais revêt une dimension spirituelle. Tout parcours maçonnique est une quête d’équilibre entre ces deux forces. Le maire, ancré dans le passé et la corruption, refuse l’évolution et le progrès, ce qui symbolise l’attachement aux ténèbres et aux illusions du pouvoir terrestre. Cesar, quant à lui, cherche à amener la cité vers un futur plus éclairé, où la vision utopique transcende les limites matérielles et morales imposées par l’ordre établi. Cette tension entre le passé figé et le futur éclairé est une constante dans le cheminement maçonnique, où l’initié doit sans cesse naviguer entre l’ancien et le nouveau, entre les traditions et l’innovation.

La quête de la lumière

Dans la franc-maçonnerie, la quête de la lumière est centrale. Elle symbolise la recherche de la connaissance, de la vérité et de l’élévation spirituelle. Le personnage de Julia Cicero, qui se trouve au carrefour entre les deux hommes de sa vie, son père et son amant, représente cette quête. Elle est l’initiée, déchirée entre deux mondes : celui de l’ignorance et de la corruption représenté par son père, et celui de la lumière et de la transformation incarné par Cesar. Julia incarne l’humanité en transition, celle qui cherche à se libérer des ténèbres de l’ignorance pour s’élever vers la connaissance et la sagesse.

Le cheminement de Julia est celui de l’initié maçonnique, qui, pour atteindre la lumière, doit d’abord passer par les ténèbres, par l’épreuve et la confrontation avec ses propres doutes et contradictions. Le lien symbolique avec la franc-maçonnerie devient alors évident : la reconstruction de la cité n’est que le reflet de la reconstruction intérieure que tout initié doit entreprendre, une refonte de ses propres croyances et valeurs pour accéder à un niveau supérieur de conscience.

La cité idéale : le Temple de Salomon

La cité que Cesar souhaite reconstruire est, pour un maçon, une métaphore directe du Temple de Salomon, symbole ultime de l’édifice parfait dans la tradition maçonnique. Ce temple, à la fois physique et spirituel, représente l’aspiration à une société où règne l’harmonie entre les hommes, où chaque pierre est parfaitement taillée et où l’architecte divin — c’est-à-dire la raison, la justice et l’amour fraternel — préside à l’organisation sociale.

Le projet de Cesar est donc un écho direct à ce grand idéal maçonnique. La catastrophe qui détruit New Rome représente les forces destructrices et entropiques à l’œuvre dans le monde profane, un monde où le désordre et la corruption règnent. Pour un initié, cette destruction est nécessaire avant de pouvoir reconstruire un monde meilleur. Le processus de déconstruction-reconstruction est essentiel dans la franc-maçonnerie, car il représente la purification nécessaire avant l’érection du véritable temple, celui de l’âme et de la cité.

Les épreuves initiatiques

Tout au long de Megalopolis, les personnages, en particulier Cesar et Julia, traversent des épreuves symboliques, qui rappellent les étapes du processus initiatique maçonnique. La lutte entre Cesar et Franklyn, ainsi que les dilemmes moraux et émotionnels de Julia, ne sont rien d’autre que des épreuves initiatiques. Ces épreuves sont conçues pour tester l’engagement des personnages, leur capacité à transcender leurs propres limitations et à évoluer vers un état de conscience supérieur.

Dans la franc-maçonnerie, chaque degré initiatique est marqué par des épreuves, souvent symbolisées par les éléments (terre, eau, feu, air) ou par des situations où l’initié doit faire preuve de courage, de discernement et de sagesse. De la même manière, les protagonistes de _Megalopolis_ sont confrontés à des choix qui déterminent non seulement leur avenir personnel, mais aussi celui de la cité. L’issue de ces épreuves détermine leur capacité à être des bâtisseurs, non seulement dans le sens matériel, mais aussi dans le sens spirituel et moral.

En conclusion

Pour un initié, Megalopolis est bien plus qu’un film de science-fiction. C’est une œuvre allégorique qui reflète les grands principes de la franc-maçonnerie : la quête de la lumière, la dualité entre les forces créatrices et destructrices, la nécessité de l’épreuve et la reconstruction d’un temple, qu’il soit intérieur ou collectif. À travers ses personnages et sa trame narrative, Francis Ford Coppola invite les spectateurs à réfléchir sur le rôle de l’individu dans la société, sur la nature du pouvoir et sur l’importance de l’idéalisme face à la corruption.

Un œil de type delta doré
Œil rayonnant

L’utopie que Cesar cherche à créer n’est pas seulement un idéal politique ou architectural, mais un modèle de société juste, fondée sur les principes d’harmonie, de justice et de fraternité, des valeurs profondément maçonniques. Si la cité utopique de Cesar échoue dans le film, cela reflète une réalité maçonnique : l’œuvre de perfectionnement est perpétuelle, inachevée, et chaque génération d’initiés doit reprendre le flambeau pour continuer à bâtir un monde meilleur.

Nous tenons à exprimer nos sincères remerciements à la production de Megalopolis pour avoir permis à 450.fm de visionner ce film en avant-première. Cette opportunité exclusive nous a offert un moment privilégié de réflexion profonde, en résonance avec nos valeurs et nos aspirations. Votre geste témoigne non seulement de leur générosité, mais aussi de leur ouverture à un dialogue spirituel et philosophique que ce film incarne admirablement.

1 COMMENTAIRE

  1. Excellent commentaire dans lequel j’abonde après avoir vu le film, qui pour moi est une œuvre surréaliste au sens de son premier manifeste.

    Une mise en abîme…
    Cependant, même si on ne peut pas tout raconter, tu as oublié de parler du vertige sociétal sur lequel repose la lutte de ces deux personnages. Le monde vertigineux de l’argent roi et du vide intersidéral de ses privilèges creux et obscènes de quelques uns… Reflets à peine caricaturé de l’égo “tout à l’égout” de nos démesures humaines.

    Une mise en abîme…
    Je ne suis pas au bout de mes réflexions sur ce film tant il est profusion mais… Il a, à ce jour, plus à voir avec la Chute d’une Rome occidentalo-centrée attendant son Néron qu’avec la construction du Temple de Salomon… Si je devais le symboliser par une arcane du tarot je verrais bien La maison Dieu…

    Une mise en abîme…
    Mais, bien sûr, ceci n’est qu’une perception de cette oeuvre protéiforme qui, comme nos Rituels, demandera plusieurs lectures pour être embrassé.
    Cette oeuvre cinématographique a pour moi un symbolisme et une résonnance très forte avec notre pratique, nos idéaux et, surtout, nos contradictions.

    Vertige ascensionnel de la chute…
    J’ai vu ce film hier après midi et j’en suis sorti comme après d’opulentes agapes. Ce matin, après avoir digéré, je trouve cette oeuvre symbolique, surréaliste (cf 1er et 2nd manifeste) et initiatique.

    Un parfait reflet du miroir, perçu au coeur du cabinet de réflexions de nos salles obscures…
    Une mise en abîme donc…

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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