450 est très heureux de publier un texte de Magali Aimé, une personnalité éminente dans le domaine culturel et maçonnique.
Présentation du texte sur Épicure
Le texte de Magali Aimé, « Et si Épicure était… », explore la pensée d’Épicure en mettant en lumière les malentendus fréquents autour de son hédonisme et de sa philosophie. En retraçant les origines de l’épicurisme, l’auteure expose les nuances entre hédonisme, épicurisme et eudémonisme, tout en déconstruisant la perception erronée d’Épicure comme un simple amateur de plaisirs matériels. L’essence du texte réside dans la description d’un Épicure philosophe de la modération et de la recherche d’un bonheur raisonné, en accord avec les désirs naturels et nécessaires, loin des excès souvent attribués à sa doctrine.
Le texte aborde des concepts philosophiques qui trouvent écho dans les valeurs maçonniques, notamment à travers l’idée de la quête de l’harmonie et de l’ataraxie (sérénité de l’âme), ainsi que les thèmes du labyrinthe initiatique qui résonnent avec l’expérience maçonnique. En utilisant des références symboliques et en faisant des parallèles avec des démarches initiatiques, ce texte trouve un lien pertinent avec la franc-maçonnerie, enrichissant la réflexion sur la philosophie et l’initiation.
L’approche pédagogique, l’équilibre entre histoire et réflexion philosophique, ainsi que l’application de ces concepts à une démarche de recherche de sens sont en harmonie avec les attentes d’un franc-maçon désireux de progresser dans la voie de la connaissance ésotérique. Ce texte permettrait aux lecteurs de 450.fm de découvrir ou redécouvrir Épicure sous un angle nouveau, tout en faisant des ponts vers les concepts maçonniques tels que le Devoir, la nature de l’être et la lumière intérieure.
Le texte de Magali Aimé
Hédonisme
Doctrine qui prend pour principe moral la recherche du plaisir et l’évitement de la souffrance.
Épicurisme
Doctrine, système philosophie antique ayant pour objectif principal l’atteinte du bonheur par la satisfaction des seuls désirs « naturels et nécessaires ». C’est une doctrine matérialiste et atomiste qui peut être soit qualifiée d’hédonisme raisonné, soit d’eudémonisme
Eudémonisme
Doctrine morale selon laquelle le but de l’action est le bonheur.
Différences
L’hédonisme : Pour l’atteidre, il suffit de jouir des plaisirs de la vie et de s’en épargner les souffrances.
L’épucurisme : atteindre la bonheur avec les seuls désirs et plaisirs nécessaires et naturels.
L’eudémonisme : C’est un bonheur porteur de sens, de raison d’être, de perspectives d’accomplissement.
COURANT
Morale qui se propose être la recherche du plaisir.
« La vie d’Épicure, comparée à celle d’autres hommes, nous apparaît, à cause de sa douceur et de sa modération, comme un mythe » dit Hérmarque.[1] Un de ses disciples.
La philosophie épicurienne, prônait des valeurs fondamentales et une méthodologie pour se « conformer à ce qu’il y a de meilleur, sans complaisance pour ses intérêts en se souvenant que les nobles pensées viennent du cœur ».
Mais qui était donc Épicure ? Ce philosophe qui a vécu de 341 à 270 av. J.-C. était-il le goinfre, inculte et luxurieux dont l’ont taxé ses contemporains?
Regardons comment Épicure va prôner l’Ataraxie, cet état d’âme serein ainsi que l’eudémonisme, doctrine qui vise le bonheur, sans jamais « se laisser égarer dans le labyrinthe de l’erreur. »
Un philosophe autodidacte que ce jeune garçon de 14 ans, né dans l’ile de Samos.Sa mère y pratiquait des cérémonies magiques, pour lesquelles il développa une haine bien ancrée ainsi que pour toute forme de superstition. Il connaîtra la domination macédonienne, la mort d’Alexandre, la disparition des cadres traditionnels. Tous ces bouleversements l’interpellent.
Il ira quérir des réponses auprès de ses professeurs. Aucune ne lui conviendra, pas plus que les discours et écrits des philosophes. Sa curiosité précoce l’orientera vers la philosophie en refusant de « se forger des idoles humaines ».
Des interrogations: d’où vient tout ce chaos dont parle Hésiode dans la Théogonie[2] ? D’où sortent toutes choses ? Comment accéder au bonheur sur cette terre ?
La pensée épicurienne, nous la découvrons au travers des échanges et des travaux développés dans le Jardin, situé à Athènes, où Épicure philosophait avec ses amis (306 av. J-C.). Ce lieu devient par métonymie « l’école du Jardin » et se distinguera de l’Académie de Platon et du lycée d’Aristote (vers 301av. J-C.) par la vie communautaire, solidaire et fraternelle qui allait bien au-delà de la transmission et du partage du savoir. La vie se devait d’y être frugale et d’une extrême simplicité. La politique en était bannie.
Cette « école » tenait du divin, car située à l’orient, à l’image du Jardin d’Éden.
Contrairement à L’Académie et au Lycée[3], le Jardin accueillait hommes, femmes, personnages illustres, esclaves et courtisanes[4]. Accepter femmes, esclaves et étrangers, voilà qui nourrit la rumeur et fit du Jardin un lieu de débauche, alors qu’Épicure espérait tout simplement la liberté, la fraternité et l’égalité entre ses adeptes.
Les disciples du Jardin étaient liés par un contrat, résumé en 3 maximes :
- 1/. il existe un droit naturel en vertu duquel se reconnait ce qui est utile pour ne pas se faire tort mutuellement
- 2/. il n’y a ni dommage ni injustice, si aucun contrat n’a été conclu entre les deux parties
- 3/. il n’existe pas de justice en soi, mais relative au contrat.
Taxé de décadent négligeant le dionysiaque[5], Épicure attirera des regards bienveillants sur la fécondité de certaines de ses théories :
- l’indifférence aux dieux.
- la gratitude envers la nature
- l’école du Jardin en tant que rêve d’une amitié constructrice et nécessaire.
Aristote[6], suivi par d’autres philosophes sur ce chemin, se heurta à des critiques concernant la doctrine de l’eudémonisme. Sénèque[7] en pessimiste disait « après le plaisir vient l’ennui, et après un premier élan, le bonheur se flétrit ».
Le bonheur vu par Épicure reste une approche conjoncturelle, personnelle, relative et contingente car « l’univers ne peut être admiré qu’en proportion de notre faiblesse ». Cette faiblesse nous met face au labyrinthe dont les chemins symbolisent l’essence de la vie. Attention aux méandres qui conduisent à des égarements.
La philosophie épicurienne tente d’éviter ces égarements par la connaissance de la nature, par les devoirs des adeptes entre eux, par le Devoir d’un vivre ensemble harmonieux et égalitaire.
Comment atteindre le bonheur pendant la vie sur la terre?
Tout d’abord, se référer au Tétrapharmakon[8] qui est un quadruple remède à appliquer:
- Les dieux ne sont pas à craindre
- La mort n’est pas à craindre
- Le bonheur est facile à atteindre
- La douleur facile à endurer
Puis, hiérarchiser les plaisirs:
- Les plaisirs naturels et nécessaires,
- Les plaisirs naturels et non nécessaires,
- Les plaisirs non naturels et non nécessaires.
Réfléchir enfin sur Trois thèmes fondamentaux:
- l’éthique
- Le physique,
- Le canonique[9].
L’éthique, élément fondamental, s ‘appuyait sur la solidarité, l’attention et l’amitié, liens indispensables pour unir les disciples entre eux. Et surtout « écouter tous les humains avec attention et déférence », étant nécessaire et évident. Pour Épicure, cette phrase était essentielle.
L’éthique, permet de parachever la connaissance de la nature. L’âme et le corps étant solidaires, nature, physique et éthique ne se dissocient pas et pour « entrer » en philosophie, tout comme pour entrer en Maçonnerie, il faut changer son mode de pensée « Le philosophe doit harmoniser ses pensées avec ses actes et ses représentations. (Maxime capitale XXV). Il est bon aussi d’accepter la formule de l’homme d’Abdere[10], ce penseur présocratique qui dit que « L’homme est la mesure de toute chose : de celles qui sont, du fait qu’elles sont, de celles qui ne sont pas, du fait qu’elles ne sont pas.» Accepter aussi un ascétisme raisonné, sachant qu’ « un raisonnement sobre chasse les opinions par lesquelles le trouble le plus grand s’empare des âmes » (écrit Épicure à son ami Ménécé.)
Ces thèmes philosophiques, issus de l’éthique et de la physique, nous ramènent vers le labyrinthe, qui conduit notre cheminement vers le centre. Hésitation et errance restant les éléments fondateurs de la démarche initiatique à l’aide de nos propres ressources et de nos outils.
Le Maître maçon, redevenu apprenti une fois maître secret, devant ce nouveau labyrinthe de connaissances à découvrir, encore un autre chemin qui s’ouvre devant lui, dont un des Devoirs consiste à aller vers l’ÊTRE dans son universalisme.
Le physique expliqué à Hérodote[11] :
L’univers est infini, les corps sont formés d’une multitude d’atomes, les atomes se meuvent de tout éternité. C’est la déclinaison spontanée des atomes ou Clinamen qui permet leur rencontre, donc leur modification.
Pour Épicure l’atome porte trois propriétés :
1 Grandeur
2 Forme
3 Pesanteur
À partir de ces constatations, sans les déclinaisons des atomes, la nature n’aurait jamais rien pu créer. Une raison pour laquelle Épicure s’attache à démontrer la nécessité, l’évidence et le rôle des sensations.
Émanent de la physique des corps, les sensations sont fiables, seule une mauvaise interprétation conduit à une erreur de jugement. Nous savons que « Nos meilleures pensées viennent du cœur », le cœur n’est-il pas le centre de notre corps et de nos sensations ? D’où l’objectif de la recherche du centre, et de l’issue au sein du labyrinthe de la vie vers la lumière.
Réfléchir sur la privation de sensation, permet aussi de se libérer de la peur de la mort : « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous, car tout bien et tout mal résident dans la sensation: et que la mort est l’éradication de nos sensations. La mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers et que les seconds n’existent plus ». (Lettre à Ménécée).
«Le critère du Canon », gnoséologique[12], Canon au sens de mesure, de fil à plomb pour ne pas dévier de la règle du nécessaire et de l’évident. « Le devoir est pour nous aussi exigeant que la Nécessité »[13]
Le reste : passé, avenir, supputations de la raison, délires de l’imagination, illusions du désir étant vains et n’existant pas à proprement parler : Seul reste vrai l’individu dans ses sensations immédiates de plaisir et de déplaisir.
(L’ataraxie,) la sérénité de l’âme et (l’eudémonisme,) l’accession au bonheur se résument en quatre canons symétriques, faisant appel à la tempérance, la prudence, la force, la volonté et la justice.
- Prenez le plaisir qui ne doit être suivi d’aucune peine.
- Fuyez la peine qui n’amène aucun plaisir.
- Prenez la peine qui vous délivre d’une peine plus grande, ou qui peut être suivi d’un grand plaisir.
- Fuyez le plaisir qui doit vous priver d’une jouissance plus grande ou vous causer plus de peine que de plaisir.
Une apparente simplicité pour « ne pas s’égarer dans le labyrinthe de l’erreur ». Labyrinthe symbolique que l’on retrouve chez Lewis Carroll, Kubrick, Kafka et bien d’autres, tous à la recherche de l’issue, du centre, du chemin, de la lumière, de l’équilibre au milieu des dédales jonchés d’erreurs à éviter.
Pourquoi croire que le bonheur dépend du toujours plus pour en avoir plus ?
Peut-être devrions-nous suivre le conseil de Michel Onfray[14] et construire à partir de soi des Jardins d’Épicure nomades en produisant le monde auquel on aspire et en évitant celui que l’on récuse.
Créer une ataraxie individuelle en veillant de ne pas s’égarer dans les dédales du labyrinthe, en « ne prenant pas les mots pour des idées », en appliquant les paroles du Zohar[15] « Le sens littéral de l’Écriture c’est l’enveloppe, et malheur à celui qui prend cette enveloppe pour l’Écriture même ».
Accepter que « ce qu’un homme ne sait pas ou ce dont il n’a aucune idée, se promène dans la nuit à travers le labyrinthe de l’esprit », comme le dit Goethe. Une pensée qui doit nous inciter à accomplir « le Devoir parce qu’il est le Devoir » et chercher à travers les dédales du labyrinthe, les voies qui conduisent à l’ÊTRE universel et à la Vraie Lumière.
[1]1Maxime I. Ép., 36.
[2] La Théogonie : œuvre du poète grec Hésiode (VIIIe siècle av. J.-C.),qui joue un rôle fondateur dans l’élaboration de la mythologie grecque. Le terme « théogonie » vient du nom Θεός / theós qui signifie « dieu » et du verbe γεννάω / gennáô qui signifie « engendrer ». Il s’agit donc d’un récit de l’origine des dieux.
[3] L’Académie de Platon et le lycée d’Aristote.
[4] Dans Grèce Antique appelées Hétaïres
[5] [5] Dionysiaque en opposition à L’apollinien qui prône ordre, méthode et stabilité. Selon Nietzsche, le dionysiaque correspond à une forme d’enthousiasme.
[6] Aristote (384-322av.J-C.), disciple de Platon, contemporain d’Épicure
[7] Sénèque, 1eS av. J-C. « De la vie heureuse »
[8] Tétrapharmakon: chez Epicure: quadruple remède. Pharmacon veut dire à la fois remède et poison: question de dosage, de circonstance, d’accointance, en un mot de Kairos.
[9] 5Conforme aux règles de l’église, qui pose les règles de la grammaire, modèle de représentation mathématiques. Donc la canonique c’est être conforme aux règles.
[10] Protagoras d’Abdére, dit l’Homme d’Abdére, penseur présocratique, 490-420 av.J-C.
[11] Homonyme du philosophe. On n’en connaît pas ses origines.
[12] Gnoséologie, théorie de la connaissance
[13] Rituel du Maître secret. REAA.
[14] [14] Michel Onfray, Contre-histoire de la philosophie. 2002-2003, Archipel Chrétien.
[15] Zohar, « le SeferHa Zohar » ou livre de la splendeur, ouvrage majeur de la kabbale juive rédigé en araméen. Exégèse ésotérique et mystique de la Torah ou Pentateuque.
Merci à 450 FM et ses auteurs de nous donner de beaux articles et nous raffraichir la mémoire.
“Épicure était-il l’épicurien que l’on croit ?”… Hummm, j’espère que les lecteurs de 450FM étaient au courant… Mais j’ai trouvé dans cet article peut-être la raison de la détestation de ses contemporains, qui surnommaient ses disciples “les pourceaux d’Épicure” : Épicure admettait tous dans son jardin : esclaves, femmes (dont pallaque et hétaïres) etc. Jésus a fait pareil, mais ça s’est plus mal passé pour lui et ses premiers disciples. [je ne plaisante pas, un ami, le philosophe Jean-Marc Giovenco, marxiste, auteur de “La conspiration de Juda” me déclarait que Jésus avait été le premier et plus important révolutionnaire, réhabilitant les esclaves, les femmes (déconsidérées), les collabos (publicains récoltant le tribu des occupants), etc. Et, “comme Gramsci l’a montré”, il a établi une révolution des esprits pour que puisse survennir la révolution matérielles …]