jeu 19 septembre 2024 - 14:09

Cent ans de Fraternité : Histoire et renaissance de la franc-maçonnerie finlandaise

L’année 2024 marque le centenaire de la Grande Loge de Finlande dite « régulière et de tradition », une institution qui incarne à la fois l’héritage historique et les valeurs de la franc-maçonnerie dans le pays. Cette occasion spéciale offre une opportunité de revenir sur les étapes marquantes d’une organisation qui, malgré les interruptions, les persécutions et les conflits, a su renaître et prospérer. Le livre Les 100 ans d’histoire de la franc-maçonnerie finlandaise, qui sera publié en septembre 2024, constitue un jalon essentiel dans la documentation et la compréhension de ce mouvement intellectuel et philanthropique en Finlande.

Flag of Finland

Les premières fondations : Des débuts mouvementés

L’histoire de la franc-maçonnerie en Finlande commence en 1756, lorsque la Svenska Frimurare Orden, la loge suédoise, établit la loge « St Augustin », qui opérait entre Stockholm et Turku, avant de s’installer à Helsinki. À cette époque, la Finlande faisait encore partie du Royaume de Suède. Cependant, l’annexion de la Finlande par l’Empire russe en 1809 interrompit brusquement les activités maçonniques dans le pays. L’empereur Alexandre Ier interdira formellement la franc-maçonnerie en 1822, une décision qui mettra fin à toute activité maçonnique en Finlande pendant près d’un siècle.

Coat of arms of Finland

Durant cette période d’interdiction, quelques Finlandais, notamment des capitaines de marine, continuèrent d’adhérer à des loges étrangères lors de leurs déplacements, notamment en Suède, en France et aux États-Unis. Ces contacts avec des loges étrangères auront un rôle clé dans la renaissance de la franc-maçonnerie finlandaise.

Renaissance et indépendance

La renaissance de la franc-maçonnerie en Finlande coïncide avec l’indépendance du pays en 1917. Au début des années 1920, des Finlandais ayant émigré aux États-Unis et devenus francs-maçons initièrent les démarches pour rétablir la franc-maçonnerie dans leur patrie. Les efforts diplomatiques avec la Grande Loge de l’État de New York aboutissent en 1922 avec la fondation de la loge « Suomi » 1 à l’orient d’Helsinki, suivie rapidement par d’autres loges à Tampere et Turku.

La création de ces trois premières loges a permis, dès 1924, de fonder la Grande Loge de Finlande. Le premier Grand Maître, Axel Solitander, prend les rênes d’une organisation qui allait bientôt compter parmi ses membres des personnalités éminentes, dont le compositeur Jean Sibelius, qui composera la musique maçonnique rituelle.

Les défis des années 1930 : persécutions et propagande

Le développement de la franc-maçonnerie en Finlande dans les années 1930 est ralenti par les influences du national-socialisme et la montée d’une propagande antimaçonnique virulente. Des publications comme Tapparamies ou Siniristi cherchent à discréditer les francs-maçons, les accusant de diverses conspirations, allant même jusqu’à les impliquer dans l’affaire Tattarisuo, un épisode méconnu mais fascinant de l’histoire finlandaise, qui mêle sorcellerie, occultisme et intrigues policières.

La franc-maçonnerie finlandaise subit aussi les pressions de l’extrême droite locale, qui appelle à son interdiction. Malgré cette vague d’hostilité, les francs-maçons finlandais réagissent en restant discrets, tout en publiant quelques ouvrages défendant leurs principes.

La Seconde Guerre mondiale et la suspension des activités

La Guerre d’Hiver (1939-1940) et la Guerre de Continuation (1941-1944) forcent la Grande Loge de Finlande à suspendre ses activités. Le Premier ministre Risto Ryti, lui-même franc-maçon, suggère cette mesure en raison de l’alliance temporaire de la Finlande avec l’Allemagne nazie, où la franc-maçonnerie était violemment persécutée. Les activités maçonniques ne reprendront qu’en 1945, après la guerre, avec environ 200 membres encore actifs.

Expansion et internationalisation

Les décennies qui suivent la guerre voient la franc-maçonnerie finlandaise se renforcer et s’étendre. Des loges sont créées dans de nouvelles villes comme Lahti, Kuopio et Pori, et la fondation Humanitas est créée en 1950 pour soutenir les activités de recherche et de bienfaisance. Les années 1960 et 1970 marquent une période de forte croissance, nécessitant une restructuration de l’organisation et la création de nouveaux districts pour mieux encadrer les loges locales.

À partir des années 1980, la franc-maçonnerie finlandaise commence à s’ouvrir davantage au public et aux médias. Des conventions maçonniques sont organisées, avec un accent mis sur la transparence et l’interaction avec le grand public, rompant ainsi avec la discrétion qui avait caractérisé les décennies précédentes.

L’internationalisation : Une fraternité en évolution

Les années 1990 sont marquées par l’internationalisation croissante de la franc-maçonnerie finlandaise. Un des événements majeurs de cette période est la contribution des francs-maçons finlandais à la renaissance de la franc-maçonnerie en Estonie, après la chute du rideau de fer. En 1999, la Grande Loge d’Estonie est officiellement fondée avec l’aide de la Grande Loge de Finlande.

Les années 2000 et 2010 voient la création de loges finlandaises en Suède et l’organisation de conférences internationales à l’Université de Tampere sur des thèmes liés à l’ésotérisme et aux Lumières. Ce tournant vers l’international montre la volonté des francs-maçons finlandais de participer activement au dialogue maçonnique global.

Un siècle de bienfaisance et de fraternité

Aujourd’hui, avec plus de 7400 membres répartis dans 180 loges à travers le pays et quelques loges en Suède, la Grande Loge de Finlande continue de jouer un rôle important dans la société. En 2024, elle célèbre un siècle d’histoire marqué par des périodes de résilience, d’ouverture et de contribution à la société. Le livre de Samu Nyström, qui sortira à l’occasion de ce centenaire, apportera un éclairage inédit sur cette longue histoire, en ouvrant pour la première fois les archives maçonniques au grand public.

En dépit des épreuves, la franc-maçonnerie finlandaise a su s’adapter et évoluer, tout en restant fidèle à ses principes d’universalité et de fraternité. Ce centenaire est non seulement une célébration d’une riche histoire, mais aussi une opportunité pour l’organisation de se projeter vers l’avenir, en renforçant ses valeurs de bienfaisance et de recherche intellectuelle.

Quel est le rite pratiqué au sein de la Grande Loge de Finlande

Selon le Masonic World Guide (Lewis Masonic, 1984) de Kent Henderson, les frères pratiquent le rite américain Web form.

Toutefois, un certain nombre pratiquent aussi le Rite suédois. Ce rite, qui se distingue par son caractère profondément chrétien et ses fondements symboliques élaborés, est aujourd’hui pratiqué non seulement en Suède, mais aussi en Finlande, notamment dans les villes côtières où la communauté suédophone est bien présente.

Origines et spécificités du Rite suédois

Le Rite suédois trouve ses origines au XVIIIe siècle, principalement sous l’influence de Carl Friedrich Eckleff, qui en a structuré la base vers 1759. Il se distingue des autres rites maçonniques par sa forte orientation chrétienne. Contrairement aux systèmes maçonniques plus répandus, comme le Rite écossais ancien et accepté, qui sont ouverts à des hommes de toutes croyances, le Rite suédois exige de ses membres qu’ils soient chrétiens, et même spécifiquement baptisés dans la foi chrétienne. Ce caractère chrétien est explicitement lié à la nature spirituelle et morale de la franc-maçonnerie telle qu’elle est pratiquée dans ce système.

Le Rite suédois se compose de dix degrés

Chacun avec une signification symbolique et spirituelle profonde, répartis en trois classes principales :

1. Les trois premiers degrés bleus. Ces degrés correspondent aux grades de base de la franc-maçonnerie universelle : apprenti, compagnon et maître ;

2. Les grades intermédiaires (4e à 6e degrés). Ces degrés constituent une transition vers les aspects plus ésotériques et chrétiens de la franc-maçonnerie. Ils introduisent le membre à des enseignements plus mystiques et à une compréhension plus profonde des symboles maçonniques.

3. Les hauts grades (7e à 10e degrés). Ces degrés sont réservés à une élite au sein de la franc-maçonnerie suédoise. Ils sont hautement rituels et sont centrés sur une recherche spirituelle chrétienne plus intense. Le 10e degré est le plus élevé et est uniquement conféré aux membres du Conseil suprême de l’Ordre.

Le Rite suédois en Finlande

Nous l’avons dit, la franc-maçonnerie suédoise en Finlande a une histoire qui remonte à 1756, lorsque la loge « St Augustin » a été fondée à Helsinki sous l’égide de la Svenska Frimurare Orden. Cette loge a été l’une des premières à introduire le Rite suédois en Finlande, à une époque où le pays faisait encore partie du Royaume de Suède. Cependant, les activités maçonniques finlandaises sous ce rite furent interrompues pendant plus d’un siècle après l’annexion de la Finlande par l’Empire russe en 1809.

Un modèle unique de maçonnerie chrétienne

L’un des aspects remarquables du Rite suédois est son insistance sur la foi chrétienne comme fondement de la progression maçonnique. Chaque degré est conçu pour approfondir la compréhension de la spiritualité chrétienne et des valeurs éthiques associées à la franc-maçonnerie, telles que la charité, l’intégrité et la fraternité. Cette orientation chrétienne se reflète dans les rituels, les symboles et les enseignements, qui puisent largement dans la tradition chrétienne et mystique occidentale.

Le Rite suédois a une structure hiérarchique rigide et ses rituels sont entourés d’un grand mystère – les rituels ne circulant pas du tout. Les loges sont dirigées par des membres ayant atteint les hauts grades, et les cérémonies sont réputées pour leur solennité et leur complexité. En Finlande, les loges qui pratiquent ce rite attirent des membres principalement issus de la communauté suédophone, ce qui en fait une composante importante de la franc-maçonnerie biculturelle du pays.

Le rôle de la charité et de la bienfaisance

Comme d’autres rites maçonniques, le Rite suédois accorde une grande importance à la charité et à l’aide aux plus démunis. En Finlande, la Granatenhjelms Stiftelse, fondée en 1913, reste active en tant qu’association pour la gestion des activités financières liées à la franc-maçonnerie suédoise, jouant un rôle essentiel dans le soutien caritatif et l’aide sociale.

En conclusion

Le Rite suédois incarne une forme particulière de franc-maçonnerie en Finlande, alliant tradition chrétienne, spiritualité et engagement envers la fraternité. Sa présence continue dans les régions côtières et son influence sur la culture maçonnique suédophone soulignent son rôle historique et contemporain dans la société finlandaise. Alors que la Grande Loge de Finlande célèbre son centenaire, le Rite suédois rappelle que la franc-maçonnerie finlandaise est le produit d’une riche tradition biculturelle, à la croisée des mondes suédois et finlandais, et ancrée dans des valeurs partagées de fraternité et de bienfaisance.

Pour mémoire, en juillet 1928, la Grande Loge de Finlande a demandé à la Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises (GLNIR), créée le 5 novembre 1913, d’être reconnue comme régulière. Depuis 1929, la notion de « régularité maçonnique » est définie par la Grande Loge Unie d’Angleterre (GLUA) dans ses Basic Principles. La GLNIR, qui prit le nom de Grande Loge Nationale Française (GLNF) en 1948, a reconnu la Grande Loge de Finlande en octobre 1928.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, directeur de la rédaction de 450.fm, est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

Abonnez-vous à la Newsletter

DERNIERS ARTICLES