Le dernier numéro de Points de Vue Initiatiques (#213), intitulé “La beauté, un idéal ?”, publié en septembre 2024 par la Grande Loge de France, s’articule autour d’une réflexion profonde et universelle sur la beauté, en tant qu’idéal et en tant que quête spirituelle, humaine et philosophique. S’engageant pleinement dans une exploration complète de ce que représente la beauté, son essence et sa transcendance.
L’éditorial ouvre cette réflexion avec des interrogations fascinantes. Olivier Balaine nous plonge dans une analyse complexe de la beauté, qu’il décrit comme un « universel », une quête commune qui transcende les cultures et les formes.
Dès le début, Olivier Balaine insiste sur la multiplicité des expériences de la beauté, mettant l’accent sur le fait qu’elle est souvent ressentie avant d’être conceptualisée. Dans son texte, il évoque également cette capacité de la beauté à éclairer l’expérience humaine, en la comparant à la lumière qui renaît constamment. Il y a dans ses propos une métaphore importante : la beauté comme un éclair de vérité qui transcende le temps et nous lie à l’essence même de l’humanité. Cette fulgurance de la beauté semble être au cœur du propos du magazine, un élément qui nous touche au plus profond de notre âme.
Thierry Zaveroni, dans son mot en tant que Grand Maître de la Grande Loge de France, approfondit cette réflexion en introduisant une dimension philosophique plus accentuée. Il fait écho aux idées de Platon et Socrate, pour qui le beau et le bien sont inséparables, suggérant que l’ascension vers le beau est également une ascension morale. Thierry Zaveroni convoque également des figures littéraires et philosophiques, telles que Victor Hugo, pour développer l’idée que la beauté touche à quelque chose de transcendant et d’inexplicable, qu’elle nous dépasse, nous émeut et nous élève au-delà de nous-mêmes. Le texte met également en exergue la manière dont la beauté s’inscrit dans une harmonie universelle, reliant toutes les parties du monde et créant une cohérence qui, bien que parfois mystérieuse, semble évidente à ceux qui la contemplent. Cette harmonie n’est pas purement esthétique mais engage une dimension morale et éthique, essentielle dans le parcours initiatique maçonnique.
Beauté : Lumière de l’âme, éclat du monde
Le sommaire de l’ouvrage nous dévoile une exploration multidimensionnelle de la beauté. Plusieurs articles, entretiens et réflexions philosophiques sont organisés autour de cette thématique centrale, abordant la beauté sous des angles variés. On trouve ainsi des analyses sur l’harmonie comme expression de l’ordre du monde, la relation entre l’homme déchiré et la beauté, et même des réflexions sur la beauté des rites et des formes architecturales. Chaque contributeur semble apporter une couche supplémentaire à cette quête de compréhension.
Albert Valren, par exemple, dans « L’harmonie, expression de l’ordre du monde », suggère que la beauté émerge du chaos pour créer une forme d’équilibre. Ce propos est d’une résonance particulière, car il associe la beauté à la construction du monde et à son agencement harmonieux, presque comme un acte créateur. La beauté, dans cette vision, devient une force organisatrice, reliant les humains à une dimension supérieure.
François Bénétin, dans « L’homme déchiré et la beauté », propose une réflexion plus douloureuse, où la beauté coexiste avec l’horreur. Il interroge cette dualité, cherchant à comprendre comment le beau et l’abject peuvent cohabiter dans la même réalité humaine. Cette exploration de la beauté à travers la souffrance semble rappeler l’idée de la beauté tragique, une forme esthétique qui révèle des vérités profondes sur l’existence humaine.
D’autres articles, comme celui de Christophe Picot, « La beauté sauvera-t-elle le monde ? », s’interrogent sur le rôle de la beauté dans la rédemption et la transformation du monde. Picot semble questionner le lien entre la beauté et une forme de salut universel, évoquant peut-être une transcendance spirituelle qui pourrait guider les hommes vers une compréhension supérieure de leur existence.
L’ouvrage ne se limite pas à une simple réflexion théorique. Il fait appel à l’histoire, à l’art et à l’architecture pour enrichir son propos. L’entretien avec Jean-Paul Deremble, par exemple, explore comment la beauté, la spiritualité et l’humanisme se rencontrent dans la lumière traversant le vitrail, un symbole puissant de la manière dont l’art peut canaliser la beauté vers des idéaux plus élevés. De même, Stéphane Bousquet, dans son article sur « L’art du trait », analyse la beauté géométrique et scripturale, depuis les pétroglyphes jusqu’aux formes plus modernes, révélant une continuité esthétique à travers l’histoire humaine.
L’ouvrage prend ainsi la forme d’une réflexion profondément maçonnique, où la beauté est non seulement une recherche esthétique, mais aussi un moyen de transmission et d’élévation spirituelle. La beauté, telle qu’elle est décrite dans les divers textes, est à la fois individuelle et collective, relevant de l’expérience intime tout en étant une quête partagée par toute l’humanité. Elle est un lien entre le matériel et le spirituel, entre l’éphémère et le divin, entre la contemplation et l’action.
Sans oublier les chapitres « Histoire » et « Portrait d’initié » qui, sous la plume érudite de Jean-Pierre Thomas » sont consacrés à « L’Atelier de Gustave Courbet » et à « Isidore Taylor ou la découverte de la beauté des monuments historiques ».
En plongeant dans l’analyse de l’œuvre de Gustave Courbet, nous sommes invités à dépasser l’iconographie superficielle pour découvrir un monde de figures symboliques et de sous-entendus philosophiques. La représentation de personnages, dont certains sont des allégories manifestes de la société et de la politique de l’époque, est un jeu entre l’apparence et la profondeur.
Gustave Courbet ne se contente pas de peindre une scène réaliste ; il propose une véritable radiographie de la société, déployant une vision presque prophétique de ce qui allait advenir politiquement et culturellement. Son tableau « L’Atelier du peintre » ne se contente pas d’être une simple peinture : il devient une métaphore vivante, un manifeste de ce qu’est l’artiste dans le monde moderne – un créateur, un observateur, mais aussi un provocateur capable de dévoiler les contradictions sociales.
Quant à Isidore Taylor, franc-maçon influent qui a joué un rôle majeur dans la découverte et la sauvegarde du patrimoine monumental en France, Jean-Pierre Thomas nous dresse un portrait initiatique. Celui d’un homme animé par une passion pour la beauté historique et artistique, et dont la quête a permis de préserver des trésors aujourd’hui considérés comme indispensables à notre compréhension du passé. La démarche de Taylor ne s’inscrivant pas uniquement dans une logique de protection des pierres, mais aussi dans une véritable quête de sens.
Focus sur l’entretien avec Jean-Paul Deremble
Dans le cadre de Points de Vue Initiatiques, cet entretien se présente comme une exploration subtile et érudite de la beauté à travers la lumière et la spiritualité, spécifiquement autour du rôle des vitraux. Cet échange, recueilli par Olivier Balaine, offre une réflexion profonde sur l’iconographie médiévale, la théologie et l’interprétation des images sacrées, avec une attention particulière portée à la lumière qui traverse le vitrail comme un symbole transcendantal.
Jean-Paul Deremble, théologien et historien d’art, spécialiste de l’iconographie chrétienne et des vitraux, engage une réflexion qui ne se contente pas de la surface esthétique de l’objet étudié. Il inscrit le vitrail dans un cadre conceptuel complexe, où la beauté devient une médiation entre le texte et l’image, entre le sacré et l’humain. La lumière, dans cette vision, n’est pas seulement un phénomène physique, mais aussi une manifestation spirituelle, capable de dévoiler le divin dans l’immanent.
La première partie de l’entretien met en lumière le parcours intellectuel de Jean-Paul Deremble, caractérisé par une formation pluridisciplinaire en théologie, philosophie et sociologie. Il fait preuve d’une vision claire et structurée de sa démarche intellectuelle, tout en expliquant le rôle fondamental de la théologie dans l’articulation d’une pensée sur la transcendance et la beauté. Il propose une réflexion sur la verticalité de l’âme humaine, et sur l’importance de la tradition chrétienne dans la construction de cette pensée. Cette tradition, dans laquelle le vitrail joue un rôle central, est profondément liée à la manière dont la beauté et le sacré se manifestent dans le monde.
Un des moments clé de cet entretien se trouve dans la réflexion sur le structuralisme, cette approche théorique qui, bien que puissante, est perçue par Jean-Paul Deremble comme parfois trop figée. Il remet en question une lecture trop rigide des textes et des images, prônant une interprétation plus vivante et fluide, capable d’inclure plusieurs niveaux de lecture. C’est ici que sa vision du vitrail comme “texte visuel” prend tout son sens : chaque image de vitrail, chaque détail, est à la fois instantané et éternel, et s’offre à une interprétation multiple, comme une lecture continue des éléments du sacré. Le vitrail, selon Jean-Paul Deremble, est une forme d’art qui dépasse la simple esthétique pour entrer dans le domaine de l’émotion pure, du sensible, tout en restant ancré dans une structure théologique et philosophique rigoureuse.
Une autre réflexion fascinante se trouve dans l’opposition entre le texte et l’image. Jean-Paul Deremble explique que si un texte peut être déchiffré, interprété et ressenti à travers la lecture, l’image, quant à elle, propose une expérience plus immédiate. Il s’agit d’une séduction instantanée, qui transcende les mots et touche directement à la sensibilité humaine. Cette opposition entre le visuel et le textuel est cependant nuancée, car l’image – et plus spécifiquement le vitrail – est capable de parler d’une manière profonde à l’âme humaine, tout en nécessitant une préparation spirituelle et intellectuelle pour être pleinement comprise. Cette complémentarité des deux médiums invite le lecteur à reconsidérer la manière dont nous percevons l’art et la beauté dans un cadre spirituel.
Le contrôle des images dans l’histoire religieuse est également abordé, avec un éclairage particulier sur la manière dont les vitraux échappaient parfois à la censure, du fait de leur caractère officiel et institutionnel. Jean-Paul Deremble met en lumière la complexité du rapport de l’Église à l’image, où les vitraux jouaient un rôle à part, devenant un support de transmission non seulement théologique mais aussi émotionnelle. L’image vitrée, contrairement à d’autres formes artistiques, détenait un pouvoir d’influence tout particulier du fait de sa place dans les églises, où elle était contemplée dans un contexte liturgique et sacré.
L’analyse se prolonge ensuite sur le rôle du vitrail dans l’édifice chrétien. Jean-Paul Deremble explique que le vitrail est un médium qui sublime la lumière naturelle pour en faire un vecteur de transcendance. La lumière devient alors une métaphore du divin, filtrée à travers la matière pour révéler des vérités spirituelles profondes. Le vitrail, par cette mise en lumière sacrée, devient une porte ouverte sur l’invisible, une manière de rendre palpable le mystère du divin dans un monde matériel. Cette réflexion rejoint une vision quasi platonicienne de l’art sacré, où la beauté sensible révèle une beauté supérieure, intelligible.
L’entretien touche également à la question de la destruction des images au Moyen Âge et des multiples vagues iconoclastes. Jean-Paul Deremble rappelle que si certaines images ont été détruites, les vitraux de Chartres, eux, ont échappé à cette fureur destructrice. Il y a ici une forme de préservation miraculeuse de ces œuvres, qui traversent les siècles et continuent de transmettre leur message spirituel, témoignant de l’importance capitale que la beauté et la lumière revêtent dans la culture chrétienne.
En conclusion, cet entretien avec Jean-Paul Deremble propose une réflexion riche et nuancée sur le rôle du vitrail dans la spiritualité chrétienne. À travers une analyse érudite et subtile, Jean-Paul Deremble nous invite à voir le vitrail comme un pont entre le visible et l’invisible, un médium où la lumière, la couleur et la forme se combinent pour dévoiler une beauté transcendante. L’image vitrée, plus qu’une simple œuvre d’art, devient dans cette vision un vecteur de sens, une porte d’accès vers la contemplation du sacré.
En somme, ce dernier numéro de la revue de la GLDF propose une exploration riche et nuancée de la beauté, abordée sous toutes ses formes – artistique, philosophique, spirituelle et architecturale. Il nous invite à repenser la place du beau dans nos vies, à le reconnaître non seulement comme un idéal esthétique, mais aussi comme un chemin vers la sagesse et la plénitude. Dans ce sens, la beauté devient un idéal non pas inatteignable, mais à rechercher inlassablement, un éclat de lumière qui illumine notre quête de sens et d’élévation.
Points de Vue Initiatiques
Depuis sa création en 1965, Points de Vue Initiatiques (PVI) s’est affirmée comme un véritable outil de travail, destiné autant aux francs-maçons qu’aux profanes. Rédigée principalement par des auteurs francs-maçons, la revue présente également des contributions de personnalités extérieures, toujours avec l’objectif de favoriser la réflexion spirituelle et intellectuelle. Chaque numéro s’articule toujours autour d’un grand thème.
La revue propose une approche à la fois accessible et profonde, rendant ces sujets complexes à la portée d’un public élargi, tout en restant fidèle aux valeurs et aux traditions de la Grande Loge de France.
Pour vous abonner, acheter un numéro ou consulter les anciennes éditions, rendez-vous sur la boutique en ligne de la Grande Loge de France ou sur la page Facebook dédiée à Points de Vue Initiatiques.
Points de Vue Initiatiques #213-« La beauté, un idéal ? »
Revue de la Grande Loge de France – Vivre la tradition
Collectif – GLDF, Septembre 2024, 120 pages, 8 €
honneur’ bien cordialement à tous ceux qui ont servi à la nation mondiale initiatique bien à la tradition grande loge de France . ***