jeu 21 novembre 2024 - 09:11

Le mot du mois : « Inquiétude »

La racine indo-européenne *kwei- exprime l’idée de repos.

Le latin en déroule un riche sémantisme, autour du thème *quies, préfixé et suffixé diversement. C’est le repos perçu comme calme, celui du sommeil, de la mort, de la paix. Le lieu du repos peut être une retraite, un repaire, où le chercher et le préserver.

On s’y tient coi, quiet. Ce calme est source de quiétude.

En revanche, dans nos sociétés où règne le bruit sous toutes les formes de son brouhaha, le silence peut générer une sourde inquiétude, et l’adjectif « sourd » est « parlant » paradoxalement.

Le Requiem est mis en musique par nombre de compositeurs à partir du premier mot du rituel funéraire catholique « Requiem aeternam dona eis, Domine » et procure, après l’inquiétude de l’au-delà entrevu et de la vindicte céleste, l’apaisement dans la foi. Un acquiescement, au sens propre de ce qui « fait entrer dans le repos ».

Le croyant pécheur recherche ainsi dans la foi l’apaisement des conflits, jusqu’à une forme de quiétisme, mouvement catholique du XVIIe siècle qui prône le silence intérieur pour mieux entrer dans la contemplation propice à l’extase mystique. Le but visé, dans l’au-delà, est d’être tenu quitte de ses péchés, c’est-à-dire au sens propre « dispensé de faire paiement ». Un acquittement, par l’aveu sans violence, l’acceptation, la reddition sans condition.

Acquiescer, dire oui, donner son consentement pour avoir la paix ? A quel prix ?

Souvent l’inquiétude se ressent dans des manifestations physiques ou nerveuses, désagréables au quotidien.

Au XIXe siècle, on disait fréquemment qu’on avait des « inquiétudes dans le mollet » pour désigner les crampes. On parle aussi d’« impatiences », d’autant plus ressenties dans le silence de la nuit, très désagréables.

Elle affecte aussi le mental. Le Dictionnaire de Furetière de 1690 donne cette définition : « Tenir quelqu’un en cervelle : le mettre en peine, en inquiétude, parce qu’on lui a fait espérer quelque chose dont il attend impatiemment le succès. »

Conjoncturelle, dans une attente plus ou moins fébrile, elle peut s’assortir d’une exaspération croissante, celle du départ imminent d’un train ou d’un avion qu’on va manquer si le préposé au guichet tarde à renseigner les clients précédents. L’explosion est imminente, même si on la sait inutile, voire contre-productive.

L’inquiétude peut se muer en anxiété à répétition pour l’étranger qui demande le renouvellement de son visa ou de son titre de séjour, dans ce temps de vacuité critique entre deux identités ou deux pays, parce que nulle certitude ne vient le rassurer quant à la bonne volonté des autorités à prendre en compte la légitimité de sa présence sur ce sol. Devant un préposé sourcilleux, nanti d’un pouvoir presque discrétionnaire de refus. Le roi du tampon !

Elle s’installe durablement en sourde angoisse, même sans objet précis, dans nos sociétés anxiogènes, catastrophistes, apocalyptiques. La consommation des somnifères et autres anxiolytiques en fait foi.

L’inquiétude est donc ce qui empêche d’être en repos.

Mais on peut y voir ce qui, bénéfiquement, empêche de s’assoupir dans le cocon douillet de ses certitudes, de se reposer sur des vérités sans questionnement. C’est le refus de l’affirmation gratuite, péremptoire. C’est elle qui recourt utilement à la négation, à l’interrogation, au doute fécond. Qui maintient la force vive de la vigilance.

L’antidote à l’amollissement, à l’insidieux abêtissement des sociétés sans précaution qui acquiescent aux mots d’injonction, tout en hurlant en meute contre tout et n’importe quoi, sans discernement.

« NON. L’absence de cette seule syllabe condamne tout un peuple à la servitude. »( Discours de la Servitude volontaire, publié en 1576)

Merci, Etienne de la Boétie (1530-1563), de nous le rappeler.

Annick DROGOU

L’inquiétude serait-elle comme le cholestérol dont chaque patient sait qu’il y a un bon et un mauvais cholestérol ? Pourquoi es-tu inquiet ? L’esprit toujours en mouvement, troublé, perturbé, ou seulement agité, ému, toujours éveillé, vivant.

Heureux es-tu si ton inquiétude signifie que tu as souci de ce qui t’entoure et que tu ne te laisses pas aller à un lâche et mol assouplissement. Alors oui, reste debout et inquiet jusqu’à la fin des temps, comme le veilleur, comme le marin à la barre du bateau qui répond de la sécurité de l’équipage. Et veille surtout à savoir ce que tu fais de cette bonne inquiétude qui risque de rester stérile, paralysante ou, guère mieux, de se transformer en activisme sans réel effet. 

Mais ne confonds-tu pas souvent l’inquiétude avec l’angoisse et l’anxiété, la projection de tes peurs ? La fuite en avant dans tes angoisses t’empêche de vivre le présent. Souviens-toi de l’adage populaire qui dit que la peur ne supprime pas le danger. Accepte l’incertitude de la vie, sans impatience ni résignation. De quoi es-tu inquiet ? Bien sûr, tu es inquiet pour ceux que tu aimes et que tu voudrais toujours en sécurité, à l’abri du malheur. Mais cette inquiétude d’amour est bien maladroite, impuissante, et surtout pernicieuse si elle ne connaît pas la confiance. Aime au présent, vis au présent, sans appréhension ni remords.

Au fait, as-tu mesuré récemment ton taux de cholestérol ? Je ne voudrais surtout pas t’inquiéter.

Jean DUMONTEIL

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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