mer 18 septembre 2024 - 16:09

Mot du mois : « Restituer »

Le sémantisme indo-européen *STA– est d’une extrême profusion, amplifiée par les préfixes et les suffixes. L’idée générale est de « se tenir ferme, être debout ». Le grec *stoa, le portique, sert à nommer les philosophes stoïciens, peut-être stoïques ?

*stasis, entres autres, forme l’extase, rapt mystique où l’orant est ravi à lui-même et à son corps. Loin de l’apostasie qui marque l’éloignement de celui dont les convictions chancellent.
*stadion, le stade, lieu d’une course sans faiblesse, est cerné de colonnes, *stylos.

De l’adjectif grec *statos, arrêté, vient le français statique. Le latin enchaîne avec *statio, la station militaire debout, *status, l’attitude, donc l’état. Le stage est l’obligation faite à un chevalier de résider dans le château pour le défendre, à l’instar du suzerain. L’étage, la stance poétique, le système à instaurer.

On se restaure, quand la Révolution invente le restaurant, amélioration de la taverne trop rudimentaire.

Du latin *stare, sont issus, entre beaucoup d’autres mots qui ont tous à voir avec la position debout, être, statue, établissement, circonstance, constatation, coût, contraste, ôter et obstacle. L’obstétricien se tient devant l’accouchée. L’arrestation est imminente pour le débiteur rétif à acquitter sa dette au prêteur. Linstant est aussi fugace que les gestes du prestidigitateur. La substance de la réflexion. Etc. etc.

*Statuere signifiant « établir, poser », l’instituteur debout devant ses élèves leur apprend à en faire autant.

On restitue un bien volé, sans substitution autorisée.

La liste serait fastidieuse. Gardons l’idée de stabilité, de solidité dans l’attitude, d’insistance dans le cheminement, de résistance face à un obstacle, de constance dans les principes et leur mise en œuvre. D’où l’idée de justice, au sens propre de « droit qui se tient debout », tout comme le témoin *ter-stis, celui qui se tient en tiers entre deux opposés prêts à s’affronter, par la parole ou le geste.

Détester, au sens propre, c’est repousser le témoignage de quelqu’un, protester de sa validité.

Or il s’agit d’exister en se tenant debout, dans la justesse de son comportement, en respectant la nécessaire distance à l’Autre. Une accommodation ni aisée ni évidente, faute de laquelle on court le risque d’affrontements, qui feront vaciller la stature.

Qui dit chute sous-entend réparation du dommage.

Et voici la compensation morale, financière, une restitution exigée à plus ou moins juste titre. Comme pour effacer les instants douloureux, constatés, pour revenir à l’état antérieur.

La restitution comme une indemnisation indispensable des effets du choc.

Mais peut-on, même un bref instant, concevoir de sortir « indemne », c’est-à-dire non blessé, de ce contact, de cette friction permanente et vivifiante qu’est l’existence ? Une traversée sans heurts de la vie ? Alors que « ex-ister » signifie justement « sortir de la simple station debout », cette immobilité stérile de la statue, contraire au mouvement de la vie.

Annick DROGOU

Le double sens du verbe restituer lui procure une sorte de gravité : il s’agit d’abord de rendre ce qui ne nous appartient pas, ce que nous avons reçu ; ensuite, il s’agit de remettre la chose dans son éclat originel. Et comme tout ce que nous possédons nous a été donné, par les générations qui nous ont précédés, par nos éducateurs, par la nature – la vie elle-même, tout est don –, le plus haut devoir de l’homme se trouve dans la restitution.

Quel programme ! Mais restituer n’est pas seulement rendre en l’état ce que nous avons entre les mains comme le voleur restituerait un objet dérobé à son propriétaire. Il ne s’agit pas non plus de recréer ce qui n’existerait plus. Ainsi, comment restituer à nos frères les trésors de sagesse qui nous ont été transmis sans les déformer, sans dégrader le trésor. Restituer, c’est tenter d’extraire la pierre précieuse de la gangue des sédiments qui lui ont fait perdre son éclat. Pour cette restitution, on est un peu comme le restaurateur d’un tableau qui supprime patiemment les couches de vernis qui altèrent l’éclat de l’image, ou comme l’archéologue qui montre l’œuvre dans son état premier malgré les altérations du temps, et en restitue du moins les traces en les plaçant dans leur contexte.

Le patient travail de restitution, c’est pour soi-même qu’il faut l’exécuter, pour prendre pleinement conscience de la valeur du trésor que nous avons en dépôt. Et c’est dans le partage avec les autres que la restitution s’accomplira totalement et se révèlera, contre tous les replis d’avarice, dans une nouvelle dimension qui appelle multiplication et abondance. La restitution, le miroir du don, va toujours avec la joie et l’amour.

Jean DUMONTEIL

2 Commentaires

  1. Merci Anick et Jean pour ces excellentes contributions à nos réflexions communes . En fait trois verbes pourraient remplir tous les rayons d’une bibliothèque ou pour le moins, occuper la vie d’un homme et plus particulièrement celle d’un Maçon . Ces verbes sont : DEVOIR, RESTITUER, et DONNER. Dans la vie on reçoit , c’est donc un devoir de restituer ce que les autres nous ont apporté , mais ce qui donne sens à la vie c’est d’apporter une plus value à cette restitution , c’est à dire donner aux autres le meilleur de nous même !

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Annick Drogou
Annick Drogou
- études de Langues Anciennes, agrégation de Grammaire incluse. - professeur, surtout de Grec. - goût immodéré pour les mots. - curiosité inassouvie pour tous les savoirs. - écritures variées, Grammaire, sectes, Croqueurs de pommes, ateliers d’écriture, théâtre, poésie en lien avec la peinture et la sculpture. - beaucoup d’articles et quelques livres publiés. - vingt-trois années de Maçonnerie au Droit Humain. - une inaptitude incurable pour le conformisme.

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