ven 13 décembre 2024 - 02:12

Les personnages décapités devant les églises (Par Laurent Ridel)

Du site de Laurent Ridel decoder-eglises-chateaux.fr

Je vous invite aujourd’hui sur un sujet macabre, mais nécessaire si vous visitez les églises. Qui sont les personnages décapités que vous voyez en statue, sur les vitraux ou les peintures ? Ils sont plus nombreux que vous le pensez dans le christianisme. Je vous aide à les différencier.

Le suspect n°1

Le plus connu est probablement saint Denis, premier évêque de Paris. Il vit au IIIe siècle alors que les autorités romaines désapprouvent la religion chrétienne et en particulier les prêches du saint. Accompagné de ses compagnons Rustique et Eleuthère, Denis est arrêté et condamné à mort. La légende raconte sa décapitation sur la colline de Montmartre. Puis, miraculeusement, le saint se relève, ramasse sa tête et marche. Il s’écroule quelques kilomètres plus au nord, à l’endroit où on élèvera la fameuse basilique Saint-Denis.

De cette fin saugrenue, les sculpteurs ont tiré la figuration de Saint Denis en céphalophore (« porteur de tête »). Vous ne pouvez pas la manquer, comme au portail de la cathédrale de Paris.

Selon l’historienne de l’art Claire Boisseau, la céphalophorie — le miracle de porter sa tête — sert à « témoigner de la victoire du martyr, qui, bien que terrassé physiquement, triomphe de la mort elle-même ». Cependant, cette légende de Denis apparaît tardivement, environ 600 après sa mort. La chercheuse se demande si la céphalophorie n’a pas été inventée par les moines de Saint-Denis pour justifier la présence des reliques dans leur basilique : le saint se serait déplacé lui-même pour choisir le lieu de sa sépulture et donc son lieu de culte. La basilique peut se prévaloir d’être bâtie sur le site qui a eu la prédilection du saint.

Le second suspect

Si le décapité n’est pas mitré, vous devez vous tourner vers une autre identification. Le candidat le plus probable est saint Jean Baptiste. Cousin de Jésus-Christ, il est célèbre pour avoir annoncé la venue du Messie et pour avoir baptisé Jésus dans le Jourdain. Habituellement, on reconnaît ce saint au fait d’être vêtu d’une peau de chameau et d’être accompagné d’un agneau, symbole du Christ qu’il a baptisé.

Saint Jean-Baptiste sur le retable de l’église de Saint-Jean-de-Luz, XVIIe siècle

Cependant, les images médiévales aiment aussi le figurer décapité en référence à sa fin tragique. Selon les Évangiles de Matthieu et de Marc, Jean dénonçait ouvertement les actions immorales du roi Hérode Antipas, particulièrement son mariage avec Hérodiade, sa belle-sœur.

Le point culminant de l’histoire est la danse de Salomé, fille d’Hérodiade. Lors d’un banquet pour l’anniversaire d’Hérode, Salomé exécuta une danse si captivante qu’Hérode lui promit de lui accorder tout ce qu’elle demanderait. Influencée par sa mère, Salomé demanda la tête du calomniateur Jean Baptiste sur un plateau. Hérode, bien qu’attristé, se sentit obligé de tenir sa promesse.

La mort de saint Jean-Baptiste, haut-relief dans la cathédrale d’Amiens, vers 1500

Salomé porte la tête de Jean Baptiste sur un plateau d’argent. Faites attention à la version plus épurée, visible par exemple dans l’abbaye de Fécamp (Seine-Maritime).

La tradition chrétienne rapporte que la tête de saint Jean Baptiste continuait à parler pour faire des reproches à Hérodiade. Encore une façon de montrer la survivance du saint au-delà de la mort.

À travers les cas de saint Denis et de saint Jean Baptiste, vous êtes bien armés pour reconnaître les personnages décapités. Mais les images médiévales proposent aussi quelques « sans-têtes » qui ne sont pas des saints. Pour les comprendre, il faut alors chercher dans la première partie de la Bible.

Les méchants de l’Ancien Testament

Holopherne est un général assyrien envoyé par le roi Nabuchodonosor pour conquérir la terre d’Israël. Assiégée, la ville de Béthulie est prête à tomber. Une veuve juive, Judith, ne voit plus qu’une solution pour sauver son peuple. Elle passe dans le camp ennemi et séduit Holopherne. La nuit, alors que le général ivre est endormi, elle prend son épée et le décapite d’un coup net. Sa tête est ensuite ramenée à Béthulie comme un trophée de guerre, provoquant la panique et la déroute des Assyriens.

J’avoue n’avoir jamais vu cette scène représentée dans les églises, mais elle est célèbre dans la peinture, notamment à travers cette œuvre dramatique du Caravage.

Judith et Holopherne, huile sur toile, vers 1600, galerie d’art ancien, Rome

Avant l’épisode de Judith et Holopherne, on trouve un autre décapité célèbre dans l’Ancien Testament : Goliath. Ce géant philistin — il mesure plus de deux mètres — défie les soldats israélites qui en sont terrifiés. David, un jeune berger, se porte volontaire pour l’affronter. Armé seulement d’une fronde et de quelques pierres, il frappe le géant, lui emprunte son épée puis le décapite.

Cette victoire improbable devient un symbole de la puissance de la foi et de l’intelligence face à la force physique. Dans les églises, vous repérerez la scène par le contraste de taille entre les deux protagonistes, comme ci-dessus dans la basilique de Vézelay. David a dû trouver des appuis pour s’élever au niveau de son adversaire.

Les pièges

On a fait le tour des suspects ? Pas totalement, car l’histoire de Denis de Paris a nourri l’imaginaire si bien que l’Église a appliqué le motif de la céphalophorie à la fin d’autres saints. Le christianisme en compterait plus de 120 !

Méfiez-vous donc. Selon la région que vous visitez, des saints porteurs de têtes sont plus populaires que saint Denis. Dans le nord-est et le nord, pensez par exemple à saint Nicaise. On le devine sur ce panneau funéraire dans la cathédrale de Saint-Omer (Pas-de-Calais).

Ailleurs, vous rencontrerez saint Marin (en Savoie), saint Lucien (à Beauvais), saint Clair (en Normandie)…

Dans quelques cas, nous pouvons être choqués par la crudité de certaines scènes : la tête est tranchée, les chairs découpées sont apparentes, le sang jaillit du cou.

En revanche, les artistes témoignent d’une certaine réserve dans l’horreur quand il s’agit de femmes. Plusieurs saintes, à l’exemple de sainte Catherine d’Alexandrie, ont subi la décapitation lors de leurs martyres sans pour autant être représentées la tête décollée. L’épée mise dans la main de sainte Catherine suffit à suggérer la décapitation. Mais j’ai trouvé le cas dissonant de sainte Valérie dans l’église abbatiale de Chambon-sur-Voueize (Creuse).

Wikimedia Commons

La légende explique que, décapitée, Valérie saisit sa tête comme saint Denis et l’apporta à l’évêque de Limoges Martial pendant la messe. Le genre de cadeau encombrant.

Vous voilà familiarisé avec le peuple des « sans-têtes ». François Hollande aurait sûrement préféré vous parler des « sans-dents ».

Améliorez-vous !
Si vous avez apprécié cette exploration, j’ai une bonne nouvelle pour vous ! Pour ceux qui souhaitent aller encore plus loin et affûter leur regard sur les images et les symboles présents dans les églises, je vous invite à découvrir ma formation « Décoder les images des églises ». Dans cette formation numérique, vous apprendrez à :Identifier et comprendre les symboles utilisés dans l’art chrétien.Reconnaître les attributs des saints et autres figures bibliques.Interpréter les scènes bibliques et hagiographiques représentées sur les vitraux, les peintures, et les sculptures.Apprécier la richesse iconographique des églises et améliorer vos visites.
Afin de ne pas vous farcir la tête (que vous avez bien sur les épaules, à la différence de saint Denis), je traite uniquement des 120 personnages, symboles et scènes les plus courants. La formation est conçue pour être accessible à tous, que vous soyez novice ou déjà passionné par le patrimoine religieux. Pour vous entraîner, je joins plus de 200 images que vous devrez décoder. Attention, l’offre promotionnelle de la formation se termine aujourd’hui, dimanche 4 août. Ne manquez pas cette chance de donner plus de sens à vos visites d’églises ou de musée. Pour en savoir plus et vous inscrire, rendez-vous sur ce lien.  Exceptionnellement, il n’y aura pas d’infolettre la semaine prochaine. Je vous donne donc rendez-vous le dimanche 18 août.  
Laurent Ridel, le décodeur d’églises et de châteaux 

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