mar 10 septembre 2024 - 02:09

« Les oubliettes des châteaux forts, un mythe à oublier ? » : Par Laurent Ridel

Du site decoder-eglises-chateaux.fr – Par Laurent Ridel

Il y a une dizaine d’années, je suis la visite guidée d’un château fort. Le guide s’arrête auprès d’une grille dans le sol : « Dessous, se trouvaient les oubliettes ». Et les visiteurs de se pencher pour essayer de juger la profondeur.

Devant cet exposé, je ricanais (intérieurement). Des oubliettes dans un château ! Encore un de ses mythes qui circulent sur l’obscur Moyen Âge. Cependant, aujourd’hui, je ricane moins. 

Au sens premier, les oubliettes sont des puits, des fosses dans lesquels on jetait certains prisonniers. Soit ils mouraient immédiatement en étant précipités au fond. Soit ils mourraient lentement par la faim. Dans tous les cas, les malheureux tombaient dans l’oubli. 

Ce type d’oubliettes est une invention du XIXe siècle, au temps où les romantiques aimaient frémir à l’idée d’un Moyen Âge lugubre. Viollet-le-Duc avertissait déjà les crédules : ces puits ne sont en fait que des latrines, des fosses d’aisance à usage de dépotoir. En les fouillant, l’architecte retrouvait en abondance des os de lapins, de lièvres, quelques pièces de monnaie, des tessons et des momies de chats. Mais pas de malheureux humains. 

Par contre, au sens général, les oubliettes désignent des cachots aménagés dans les salles basses des tours. Le prisonnier n’y voyait plus la lumière. C’est cette forme que désignait le guide cité plus haut. On y descend par un orifice. 

Je ricanais, car les spécialistes de châteaux savent que ces « oubliettes » ne sont que des espaces de stockage. Comme nos briques de lait, on y mettait, au frais et à l’abri de la lumière, des citernes d’eau, du grain et des vivres plus généralement.

C’était ce que je pensais jusqu’à ma visite du château de Coucy, le mois dernier. Mes connaissances ont depuis évolué. Dans la tour dite de l’avoine, un panneau précisait que le niveau inférieur servait probablement à stocker des céréales, puis fut transformé en cachot. Encore un délire de mauvais vulgarisateur ? Non, cet usage ne faisait pas de doute, car on y avait aménagé des latrines, élément superflu pour une simple salle de stockage. Parfois, on devine même des graffitis de prisonniers sur les murs. Donc, maintenant, je suis obligé de reconnaître la fonction potentielle des salles basses des châteaux comme oubliettes, plus exactement comme cachots. 

Désormais, la prochaine fois qu’un guide me signalera des oubliettes, je me ne moquerai pas et demanderai si des latrines confirment cette fonction. 

Au passage, les récents abonnés qui n’ont pas reçu leur guide des 20 châteaux à voir dans sa vie, vous l’aurez ici.

Vos questions
Jean-Luc : j’habite un village de l’Essonne et dans l’église Saint-Martin nous avons une statue inconnue, nous ne savons pas qui est représenté
Moi : On pourrait interpréter votre statue comme celle de sainte Agnès. Puisque son attribut est habituellement un agneau, par rapprochement phonétique (Agnès = Agneau).  Agnès est habituellement représentée en jeune femme antique (longue robe). Or, dans votre cas, elle est habillée en fille du peuple.  Donc, je corrige ma première impression et identifie plutôt sainte Germaine de Pibrac, une bergère du XVIe siècle. Elle tient dans sa main un bâton à crosse, qui lui sert à attraper la patte des brebis. Son culte se développe à partir de sa canonisation, tardive, au XIXe siècle. Époque qui me semble correspondre à la statue. Françoise : J’ai une question concernant une statue qui se trouve dans l’église du village. Statue en pierre d’un mètre environ dite Vierge de Montserrat datée 1603 : sur le bas du côté gauche, il est sculpté un petit lézard ou dragon. Pourquoi ? 
Moi : Cette Vierge se range dans la catégorie des Vierges au serpent malgré le fait que le reptile ressemble plutôt à un lézard. Marie foule le serpent. Parfois l’enfant Jésus s’y met aussi en enfonçant une lance ou une croix dans la gueule. Dans votre cas, il préfère scier en bon fils du charpentier Joseph. Le thème de la Vierge au serpent fait référence au péché originel au cours duquel Ève est tentée par un serpent à croquer le fruit défendu. On sait qu’en conséquence Dieu punit la femme et son compagnon Adam. On sait moins qu’il punit aussi le serpent : « Tu marcheras sur ton ventre […] et je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa postérité et ta postérité ; celle-ci te meurtrira la tête » (Genèse, 3 : 14).  Ce groupe sculpté illustre la punition divine. Contrairement à Ève, la Vierge ne se soumet pas au serpent, mais l’écrase. Elle rachète le péché originel.  En résumé, ce serpent symbolise l’esprit du mal. La floraison du thème aux XVIIe et XVIIIe siècles laisse penser qu’il représente aussi l’hérésie protestante. Jean-François : Lors d’une de mes dernières visites en Occitanie j’ai remarqué une statue dans l’église du village de Castelnou situé dans les Pyrénées-Orientales. Elle est censée représenter saint Isidore de Séville. Que pensez-vous de l’outil qu’il tient dans sa main droite, un émondoir, un pelou, un peloir de forestier, une canne de berger ? 
Moi : Vous me perdez avec ces noms d’outils. Un pelou, un émondoir et un peloir me sont aussi inconnus que le matériel utilisé pour jouer au cricket.  Malgré mon inculture, je conviens comme vous d’y voir un outil agricole. Saint légendaire espagnol, Isidore travaillait en effet comme paysan. J’aime beaucoup ses miracles : il fit jaillir une source avec sa bêche et un jour que son maître se plaignait qu’il passait trop de temps à prier au détriment du travail, le saint se fit remplacer au labourage par un ange.  D’ailleurs, dans sa main gauche, il tient probablement un fer de charrue (soc ou coutre).  Quant à sa main droite, j’y vois un curoir ou curon, c’est-à-dire un outil pour enlever la terre collée à la charrue. Oui mon érudition agricole peut surprendre, moi qui n’ai jamais poussé de ma vie une charrue (au mieux une tondeuse). Mais, il y a une dizaine d’années, j’ai récupéré un livre qui allait partir à la déchetterie. Écrit par Bernard Verwaerde, il portait sur les instruments de la vie rurale en Normandie. Je me disais bien qu’il allait me servir un jour. Merci de m’avoir donné l’occasion de le sortir de ma bibliothèque où il prenait la poussière. 
Décoder les images des églises
Si vous n’avez pas reconnu saint Isidore, la Vierge au serpent et sainte Germaine de Pibrac, c’est normal. Nous sommes face à des cas rares.  Par contre, il y a des saints ou des scènes beaucoup plus courants dans les églises, parmi les peintures, les sculptures et les vitraux. Par exemple, cette statue :
Ce n’est ni la Vierge, ni Marie-Madeleine. Vous n’identifiez pas la personne ? Il vous manque donc les bases du visiteur d’église. Pour vous aider, je vous propose mon guide « Décoder les images des églises ». J’y recense et explique les 120 images les plus courantes.  Comme je viens de le mettre à jour, il passe en promotion pendant 8 jours, jusqu’au 4 août. Par contre, les anciens acheteurs de ce guide bénéficient gratuitement de la mise à jour. Vous n’avez qu’à vous connecter à votre compte sur l’école des cathédrales.
Ce guide est plus qu’un guide. Car, au-delà de cataloguer les principaux saints, scènes et symboles du christianisme, il vous donne :Une méthode pour les identifier rapidement (c’est celle que j’utilise dans mes visites). Un entraînement à travers un cahier riche de plus de 200 images à deviner. Vous pouvez voir un aperçu du guide par là
A dimanche prochain
Laurent Ridel, le décodeur d’églises et de châteaux 
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1 COMMENTAIRE

  1. Le château de Guise dans l’Aisne n’a jamais été pris car les murs étaient doublés par des oubliettes où étaient enfermés des lépreux. Les assaillants n’osaient pas les bombarder.

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