Du site www.decoder-eglises-chateaux.fr
En mai 2024, quand je suis entré dans l’abbaye de Fontevraud, l’église me faisait comme un appel. Sa porte, laissée grande ouverte, laissait entrevoir l’intérieur. Je me suis trouvé happé par l’architecture et par la blancheur des murs. Au point de faillir en oublier la porte que je franchissais. Or, ses vantaux (les battants de la porte) sont couverts d’intéressantes ferrures, appelés pentures.
Je me suis trouvé happé par l’architecture et par la blancheur des murs. Au point de faillir en oublier la porte que je franchissais. Or, ses vantaux (les battants de la porte) sont couverts d’intéressantes ferrures, appelés pentures. |
Œuvres d’un ferronnier, les pentures se composent de bandes ou de tiges de fer, fixées à la porte avec des clous ou des vis. Leur rôle est d’abord de consolider la porte. Par quelques extrémités, elles pivotent sur un gond. Les pentures font donc partie du dispositif pour mouvoir la porte. |
Porte de l’église de Creully (Calvados) Il y a quelques semaines, une abonnée sur Facebook m’a envoyé la photo d’une porte d’église en me demandant la symbolique des pentures. Elles dessinaient en effet des formes particulièrement élaborées. Je vous avertis cependant : avant de chercher un quelconque symbole, il faut d’abord les apprécier comme des démonstrations de savoir-faire. Les plus habiles ferronniers terminent leurs ferrures par des motifs décoratifs comme des volutes, des feuilles, des fleurs, des fers à cheval ou des visages. Parfois, le croisement de pentures suggère des croix. En dehors de ce dernier cas, l’intention du ferronnier est plus esthétique que symbolique. Lors de votre prochaine visite d’église, ayez donc une pensée pour ces artisans oubliés. |
Très ancienne porte de la basilique d’Orcival (Puy-de-Dôme) |
Vos questions |
Maëlle : Une particularité de la cathédrale de Bordeaux, c’est que l’on descend dans la cathédrale à partir du grand portail. Connaissez-vous d’autres cathédrales où l’on « descend dans la nef » ? Moi : Oui, certaines cathédrales « descendent ». Une fois avoir passé la porte (et regardé ses pentures 😊), on descend quelques marches. Je pense à Bayeux, Poitiers, Auxerre et Saint-Malo. Leur installation sur une pente explique ce changement de niveau. Le mois dernier, j’ai même découvert une église dont le sol descend en pente douce, sans escalier : Saint-Leu d’Esserent près de Creil (Oise). L’inverse existe aussi : avant d’entrer dans la cathédrale de Lisieux, il faut d’abord monter une dizaine de marches. |
Jean-Paul du pays d’Auge : De passage à Strasbourg, je suis bien sûr allé voir la cathédrale et redécouvrir le portail sud et j’ai une question sur les deux statues emblématiques de ce portail : L’Église et la Synagogue. Ma question, quelle explication peut-on donner pour expliquer les attitudes respectives de l’Église et de la Synagogue ? |
Moi : Vous nous montrez précisément le portail sud de la cathédrale de Strasbourg. Portail encadré par les statues de l’Église, allégorie de la chrétienté et de la Synagogue, personnification du judaïsme. Les regards en disent déjà long. L’Église fixe le buste du Christ au trumeau du portail. À l’inverse, la Synagogue détourne son regard. En effet, à l’exemple des Juifs, elle ignore Jésus et son message, ne le pensant pas comme le Messie.Comme les originaux de ces statues se trouvent au musée voisin de l’œuvre Notre-Dame, on va pouvoir les observer de plus près et se rendre compte que les postures sont tout aussi réfléchies par les sculpteurs. |
À gauche, l’Église se tient droite en appui sur la croix dressée. Elle paraît triomphante à l’image du christianisme. Par contre, la Synagogue, les tables de Moïse à la main, se présente comme vaincue. Lance brisée, elle est avachie. Son aveuglement face au Messie est renforcé par le bandeau qui lui cache les yeux. Ces statues, installées au XIIIe siècle dans le portail sud, étaient régulièrement vues par les Juifs dont une communauté, vivant du commerce et du prêt d’argent, habitait à proximité. La Synagogue leur renvoyait l’image négative que les chrétiens avaient de la religion juive. Au siècle suivant, cette réputation continua à se dégrader. En 1349, les juifs strasbourgeois furent brûlés et les survivants expulsés. Le Moyen Âge est le prologue à l’antisémitisme. Fabrice : Tout le monde, ou presque, connaît l’ange au sourire de la cathédrale de Reims. En regardant à ses pieds, plus précisément, sous ses pieds, on observe un curieux personnage. C’est pour moi une énigme. |
Moi : Sous les statues des portails gothiques, vous verrez souvent ce genre de personnages ou parfois des animaux. On les appelle des marmousets. D’apparence souvent grotesque ou caricaturale, ils semblent écrasés par la statue au-dessus. Leur identification est variable : parfois ils font écho au personnage d’en haut. Par exemple, sur la cathédrale de Chartres, la reine de Saba a sous ses pieds un serviteur noir pour rappeler son origine supposée africaine. Abraham a sous ses pieds un bélier, car, selon la Bible, il en sacrifie un à la place de son fils Isaac. |
ce sont des pécheurs. Les personnages vertueux, au-dessus, les « piétinent » pour marquer symboliquement leur supériorité face au vice. C’est l’hypothèse que je choisis pour votre personnage. Sa posture bancale (le genou plié) trahit le vice. Dans la sculpture médiévale, un homme ou une femme honnête se tient toujours droit (rappelez-vous les postures opposées de l’Église et de la Synagogue). ce sont juste des fantaisies de sculpteurs sans signification. Comme pour les pentures des portes, on a tendance à ne pas les remarquer, fascinés que nous sommes par les grandes statues au-dessus. Dommage, car elles sont souvent plus originales et plus drôles. Vous êtes désormais avertis. |
Portail de la cathédrale de Laon et ses marmousets |
A dimanche prochain |
Laurent Ridel, le décodeur d’églises et de châteaux |