ven 03 mai 2024 - 07:05

Sororité et Fraternité : un débat de 58:00 sur Radio France

De notre confrère radiofrance.fr

La fraternité et la sororité sont des mots métaphores, qui désignent le plus souvent ce qui excède le cadre de la famille. Universelle ou choisie, cette solidarité horizontale occupe une place fondamentale dans l’histoire militante et littéraire contemporaine.

Avec :

  • Alexandre de Vitry Maître de conférences en littérature française du XXe et du XXIe siècles à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université
  • Florence Rochefort Chercheuse au CNRS, spécialiste d’histoire des féminismes, des femmes et du genre

Fraternité et sororité sont les vedettes du jour. Tant et tant de mains qui se serrent, de franches poignées, ou, main dans la main pour former une immense ronde qui pourquoi pas ferait le tour du monde ; ou alors posée sur l’épaule, la main amicale, celle de l’accolade. Comment représenter la fraternité ? Comment représenter la sororité ? L’un est omniprésent dans notre univers, par la devise officielle et par ses mentions dans la littérature. L’autre est sans doute plus rare, mais tous les deux racontent une histoire, celle d’un sentiment d’affection qui a tellement évolué : frères de plume et sœurs de lutte, l’amitié comme étendard.

Fraternité et sororité, des notions anciennes

Dès l’Antiquité gréco-romaine, le lien fraternel sert de métaphore pour désigner un idéal relationnel entre les membres d’une société plus large que celle de la famille. Le terme devient synonyme de relations solidaires, bienveillantes et harmonieuses, qui seraient constitutives d’une cité idéale. Cet usage profondément métaphorique s’accentue encore à l’ère du christianisme, où le mot “fraternité” se pare d’une dimension sacrée et mystique. Alexandre de Vitry, chercheur en littérature, remonte aux origines du mot latin frater, dérivé d’une racine indo-européenne, brater, qui a donné bruder en allemand ou brother en anglais : “Ce brater ne désigne pas ce que nous appellerions des frères et sœurs de sang ou d’un parent commun, mais une fraternité du clan, d’un groupe spirituel étendu.” Ce sens est antérieur à l’apparition d’une signification du mot “fraternité” plus resserrée et circonscrite à la famille. Pour le chercheur, “il y a une sorte de virtualité ouverte dans ce vocabulaire qui vient du fond des âges.”

De la même façon, le concept de sororité a une vraie place dans la pensée et la littérature du Moyen Âge et de la Renaissance, de la Cité des dames de Christine de Pizan, où des femmes, réelles ou imaginaires, se coupent du monde pour s’assurer une existence paisible et protégée, à Rabelais qui utilise le mot sorores pour désigner la “communauté des femmes”, dans un moment où l’humanisme repense profondément l’idée d’universel.

Où sont les femmes dans la fraternité ?

La Révolution fait de la fraternité un idéal politique. Cependant, le mot de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort, “sois mon frère ou je te tue”, s’avère prophétique : l’idéal d’une fraternité émancipée de la verticalité d’Ancien Régime dégénère rapidement en un fratricide violent lors de la Terreur : choisir ses frères, c’est aussi désigner un ennemi, un non-frère.

Il faut attendre 1848 pour que la fraternité revienne au premier plan des discours et des pratiques de la vie politique. La proclamation de la Deuxième République marque la victoire théorique d’une fraternité entre ouvriers et bourgeois, catholiques et républicains. Là encore, cette fraternité idéale s’avère imparfaite et les répressions du mois de juin 1848 marquent un nouvel échec. De plus, la mise en place d’un suffrage universel réservé aux hommes coupe les femmes de la communauté politique et annonce une nouvelle exclusion au sein de la communauté nationale. En réaction à cette injustice, les militantes féministes commencent à se penser et à se désigner comme des “sœurs”. L’historienne Florence Rochefort insiste sur l’idée de ce lien, qui ne serait pas familial, mais politique, avant même que le mot sororité ne se répande. Ce serait “l’idée d’une communauté imaginaire qui permettrait aux femmes de s’exprimer par rapport aux frères qui monopolisent la parole, les droits et qui conçoivent les liens politiques sans les femmes, avec des universaux qui les effacent.” Pour l’historienne des féminismes, ces femmes réagissent à l’exclusion en même temps qu’elles redécouvrent et mettent en valeur un lien susceptible de les unir.

Le féminisme s’internationalise et s’inspire des modèles syndicaux de la lutte ouvrière naissante. L’idée que des droits ne peuvent être obtenus que par l’avènement d’une lutte collective et d’une solidarité horizontale entre toutes les femmes se fait de plus en plus présente.

Un concept militant

Durant les années 1970 et 1980, la sororité occupe une place centrale dans les luttes et les discours féministes. Inspiré du terme anglais sisterhood, popularisé par l’ouvrage de Robin Morgan, Sisterhood is Powerful, publié en 1970, la sororité est au centre des logiques du Mouvement de libération des femmes (MLF). Le terme devient synonyme d’expériences communes et de moyen de s’émanciper de la sphère domestique par l’action collective. La sororité se fait le mot d’ordre pour une action commune et pour un dépassement des rivalités féminines, jugées contre-productives.

Ainsi, les concepts de fraternité et de sororité ont essuyé bien des critiques. Faut-il penser une sororité ou une fraternité universelles, ou au contraire choisir ses camarades de lutte ? Désigner des frères et des sœurs, n’est-ce pas toujours en exclure d’autres ?

Pour en savoir plus

Alexandre de Vitry est maître de conférences en littérature française du 20e et du 21e siècles à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université.
Il a notamment publié :

  • Le Droit de choisir ses frères ? Une histoire de la fraternité, Gallimard, 2023
  • Sous les pavés, la droite, Desclée De Brouwer, 2018
  • Conspirations d’un solitaire : l’individualisme civique de Charles Péguy, Les Belles Lettres, 2015
  • La Conquête de l’Alsace, Lattès, 2014

Florence Rochefort est chercheuse au CNRS, spécialiste de l’histoire des féminismes, des femmes et du genre.
Elle a notamment publié :

  • Histoire mondiale des féminismes, Que sais-je ?, Presses universitaires de France, 2022
  • Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, codirigé Bibia Pavard et Michelle Zancarini-Fournel, La Découverte, 2020
  • Les Lois Veil. Contraception 1974, IVG 1975, codirigé Bibia Pavard et Michelle Zancarini-Fournel, Armand Colin, 2012

Références sonores

  • Archive d’André Malraux, Ocora, 1967
  • Lecture par Jeanne Coppey d’un extrait de La Cité des dames de Christine de Pizan, 1405
  • Extrait de la série documentaire Révolution ! de Hugo Nancy et Jacques Malaterre, écrite par Adila Bennedjaï-Zou et Hugo Nancy, France Télévisions, 2021
  • Chanson Abel et Caïn de Léo Ferré, d’après le poème de Charles Baudelaire, 1967
  • Extrait du film Les Misérables de Robert Hossein, 1982
  • Lecture par Daniel Kenigsberg de “Fraternité” de Victor Hugo, L’Art d’être grand-père, 1877
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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