Que fait la Franc-maçonnerie ?
Trois monstres relationnels sont en train de dessécher nos échanges, quels qu’en soient le lieu et la nature : dans la rue, dans la famille, avec nos amis… bref partout. Si nous n’y prenons garde, nous risquons de renforcer une tendance qui, hélas, commence à s’inscrire dans nos mœurs ; celle de l’isolement de l’humain dans sa vie, sous tous ses aspects.
Ces trois monstres sont, selon mes observations, l’indifférence, l’ingratitude et l’inquiétude. Face à ce phénomène sans doute inéluctable, comment se situe la sagesse maçonnique ? Avons-nous, dans notre philosophie et nos pratiques, les ressources pour les contrer ? Nos rites et nos convictions sociales sont-elles en mesure de nous retenir pour ne pas tomber dans ces errements ? Beaucoup, assez ou pas du tout ? En fonction de la réponse, des mesures seront sans doute à, prendre pour s’assurer que nous ne nous laisserons pas ronger par ces trois monstres. Car ils sont déjà à l’œuvre et, comme dans tout message social subliminal, nous ne nous en doutons pas et nous nous soumettons. La société est la maîtresse de nos croyances inconscientes. Notre Maçonnerie, soucieuse de l’harmonie entre humains, dénonce cet aveuglement dont la grande majorité ne se doute pas. Et elle cherche, bien souvent, du moins en théorie ! dans nos Loges, à traquer les croyances qui nous dominent ; à en soupeser l’intérêt et l’utilité. Pour décider, autant que faire se peut, de les revisiter, voire les reprendre. Posons-nous donc la question : sommes-nous en mesure de repérer les trois monstres et de les amadouer, en Loge d’abord ; pour les vivre ensuite dans la société ?
L’indifférence imprègne aujourd’hui tous nos échanges. On répond de moins en moins aux messages qui nous sont envoyés ; les écrans facilitent cette carence. Nous lisons un message et n’y répondons plus. Nous sommes tellement submergés d’informations que nous renonçons à répondre. Et cela n’étonne guère les destinataires. On le comprend si ce sont les réseaux qui nous appellent sans relâche. Mais l’indifférence, acceptable dans les grands nombres, est contagieuse : elle infecte nos relations personnelles. Là cela devient grave pour l’harmonie sociale car elle nous éloigne les uns les autres. Et nous n’y prenons garde puisqu’il s’agit de l’évolution des mœurs qui s’impose à nous sans coup férir. Tenez, l’exemple des séries est effrayant par sa démonstration avérée. Surtout, aujourd’hui, les séries américaines avant que la maladie nous infecte vraiment. Observez telle ou telle série. dans une séquence où l’attention, voire l’intérêt ou l’affection était de mise il y a quelques vingt, trente ans. Par exemple, les échanges familiaux très souvent détériorés. Le gosse, par exemple, qui quitte la maison, se contente, au mieux, d’un « salut » complètement insensible, à sa famille qui est dans la pièce. Partout pareil ! Et cela va plus loin, au cœur des échanges proprement dits. Un autre exemple, comme tant d’autres : le jeune homme qui fait semblant d’écouter son père. Et n’entame qu’une fois sur deux un dialogue ; et se contente de vagues « d’accord », « c’est ton point de vue, allez ciao ! » et autres balayures de l’écoute au faux nez.… C’est partout et pas que dans les films. Hélas, nos vies semblent se gangréner à cause de notre indifférence. Il y a des explications à ce phénomène mais je les laisse aux sociologues.
Comment donc se situe la pensée maçonnique devant le monstre de l’indifférence qui s’agrippe à nos neurones ? Par le rituel ? Je ne vois pas le lien. Mais quelle chance renversante : notre méthode de prise de parole est un véritable bouclier contre l’indifférence ; car un(e) seul(e) parle et ne peut être interrompu(e). La condition de respect de la différence est assurée, du moins dans le dispositif, formateur pour plusieurs. En bref, l’indifférence n’est surtout pas encouragée dans une tenue. Bien sûr cela ne garantit pas que tous écoutent avec une attention lisse, pulsante et bonifiante. Du moins notre méthode assure que les conditions sont bien là pour jeter aux oubliettes le monstre de l’indifférence. Quel bon point !
Qu’en est-il maintenant de l’ingratitude ? Les psycho-sociologues et l’observation fine mettent en évidence l’arrivée du deuxième monstre rongeur de l’harmonie de nos relations. Maintenant, il est commun d’observer qu’une personne, enfant, adulte, qui bénéficie de quelques chose, objet, parole, acte… s’en saisisse sans remerciement quelconque. Là encore les séries, les films, sont jonchés d’oublis de cette sorte. Sans choquer ni le donneur ni le receveur ! Observez cette gamine qui reçoit un paquet de chocolats : elle s’en saisit prestement ; point !Cet exemple est largement généralisable. Tenez, prenez un don quelconque et observez le receveur. Tout juste un maigre « merci » ! C’est vrai en famille, chez les commerçants (où c’est criant !), à l’école, hélas ! D’autant plus que le jeune enseignant, lui-même de pareille eau, ne songe pas à relever l’ingratitude chez les mômes dont il aurait la charge morale. C’est très grave, à mon sens : l’ingratitude assèche en terrifiant silence, l’attention voire l’affection entre les protagonistes. L’ingratitude dépèce en sourdine l’entente, l’attention et le sceau de la joie du receveur.
La Franc-maçonnerie met-elle en œuvre un dispositif pour que la gratitude puisse s’exprimer ? Oui, plutôt. Il est commun d’entendre un Frère, une Sœur prendre la parole pour exprimer sa satisfaction à propos de la planche entendue. Le fin du fin de cette gratitude est de reprendre, en quelques mots, les idées, réflexions, questions qui se sont manifestées à l’écoute de la planche ? Non seulement, le plancheur ressent fort ce retour agréable pour lui, mais en plus les colonnes y sont aussi sensibles. Donc oui, très souvent, mais sans obligation, la gratitude éclot lors d’une tenue. Cela étant dit, mon expérience me fait naître une réflexion : je crois que beaucoup de nos Loges ont encore une bonne marge pour que la gratitude chante en belle harmonique pendant leurs tenues. La fraternité est au fond mystérieuse et grosse d’avatars affectueux souvent timidement planqué dans notre seule philosophie humaniste. Nourrir nos tenues de toujours plus de gratitudes est un projet exaltant pour notre fraternité déclarée.
La troisième et dernière dérive sociale qui bourre de plus en plus nos esprits sans que nous nous en doutions est l’inquiétude. La peur, fondée sur l’insécurité que tous les animaux fuient, charpente de plus en plus les cerveaux humains. Tout devient risqué, menaçant et dangereux. Et l’humain, peureux dans sa nature profonde, cherche sans relâche la sécurité. Voilà le mot qui ne cesse de gangréner nos relations, nos dits, nos pensées. Nos sociétés, nous abreuvent sans cesse du risque de perdre notre sécurité. De fait, les experts le savent depuis toujours, au nom de la peur de l’insécurité, les dominants soumettent les leurs. Maslow, le grand psychologue créateur de la fameuse pyramide des besoins, a appuyé dans son œuvre, la recherche constante de la sécurité chez les animaux, humains surtout ! L’inquiétude, en outre, fonde bien entendu toute une partie de la folie consommatrice. Sur le ton : « Vous voulez être plus libre ?… Préparer un avenir tranquille pour vos enfants ?… Gérer votre patrimoine sans risques ?… ». L’inquiétude est de plus en plus, selon mon observation, un des leviers les plus évidents, pour faire obéir les foules. C’est évident dans les pays totalitaires et rampant dans nos pays « démocratiques ». La surpopulation insupportable de l’humain est le grand facteur aggravant de cette dérive. Oui, il y a de quoi être très inquiet devant le développement inéluctable de cette dérive.
Comment notre Franc-maçonnerie traite-t-elle, en ses Loges, l’inquiétude, si elle le fait ? Oui, tout à fait, comme tous les groupements à visée altruiste. Elle propose une ambition humaniste en prétendant que nous pouvons tous calmer la peur de l’inconnu par nos visées positives. Oui, prétendent les regroupements associatifs qui vont dans ce sens. Notre philosophie et notre méthode, semblables à d’autres souvent religieux, transforment alchimiquement, pourrait-on dire, cette dernière dérive sociale. Comment ? Dans une tenue, nous sentons bien que la quiétude vient dès l’entrée en Loge. Et grâce à l’essence même de notre méthode, qui ne nous est pas particulière, d’ailleurs ! L’inquiétude fond comme neige au soleil grâce au rite. Le secret est lâché. Oui, une des vertus saisie inconsciemment par tous, toutes réside dans la répétition des rituels : aucune surprise dans le bercement des choses mille fois vécues dans l’accord tacite de tous. Nous vivons en silence et dans nos profondeurs assemblées, la douceur chantée des rituels. Aucune alarme, aucune alerte, aucun appel : tout se déroule comme prévu. Nos inconscients se détendent et se reposent dans la joie de la détente « sacrée ». En bref les associations fondées sur la douceur, le silence, la détente, tel notre Ordre peuvent et pourront de plus en plus, si elles se développent, freiner l’extension sauvage de l’inquiétude, de la peur souchée sur la violence innée chez l’humain.
L’effondrement de la société est annoncé depuis une trentaine d’années. La dégradation des relations sociales en seraient les prémices, les causes et les conséquences. Cet article en relève trois en particulier, sournoises et assassines : l’indifférence, l’ingratitude et l’inquiétude. Or notre Franc-maçonnerie est animée par une philosophie qui, dans ses conséquences concrètes : nos tenues, nos rituels, nos valeurs, est tout à fait susceptible de joindre aux autres chemins un désengagement du bourbier des dérives des relations sociales. A nous de les mettre en œuvre avec toujours plus de conviction et de réalités dans nos tenues ! Notre Franc-maçonnerie entonne toujours et encore l’hymne de l’apaisement des relations humaines. Chantons en joie et en espérance tous ensemble !